Arrivé dans l’entourage du club au milieu des années 80, Valentin Ceaușescu a accompagné le Steaua durant ses plus belles années. Souvent accusé d’avoir favorisé son club en coulisses, le fils aîné du couple dictatorial a en fait eu un rôle plutôt méconnu. Celui de protecteur de son équipe et de ses joueurs, pour que son équipe soit la meilleure sur le terrain, loin des arrangements que l’on a longtemps imaginé. Entre passion du jeu et amour du club, retour sur l’homme de l’ombre du Steaua.
Passionné de football dès l’enfance
L’amour du football et du Steaua, Valentin Ceaușescu les développe dès l’enfance. Dans les années 60, son père Nicolae, alors adjoint au Ministère de la Défense, est notamment affecté à la gestion des équipes sportives. Souvent amené à venir voir les matchs, il emmène avec lui son fils au stade. Un jeune Valentin qui s’amourache du Steaua Bucarest, pourtant pas dans sa meilleure période à l’époque, et joue lui-même dans les équipes de jeune jusqu’à sa majorité.
Devenu adulte, rien ne le prédestine à prendre les rênes de l’équipe. Car l’homme ne suit absolument pas les pas de ses parents. Discret, solitaire et introverti, Valentin s’oppose en tout au couple présidentiel. En se mariant avec la fille d’un adversaire politique, en partant faire ses études en Angleterre, ou encore en refusant tout avantage dû à sa position. Loin des jeux politiques, Valentin refuse tout statut de personnage public et toute fonction officielle, se contentant de son poste de chercheur à l’Institut de Physique Nucléaire. Cette discrétion se retrouve dans son rapport au football. Loin des habitudes de son petit frère Nicu, qui profite (et abuse) de son rôle de dauphin, de successeur désigné de son père à la tête de l’Etat, et vient au stade derrière des cordons de protection que même le chef de l’Etat ne se permet pas, Valentin profite de son relatif anonymat pour voir les matchs en virage, entre amis. Et roule lui-même au volant de sa Dacia personnelle, lui qui n’a jamais voulu de chauffeur. Au-delà du Steaua, sa passion du football le pousse à assister à de nombreux – si ce n’est tous – les matchs européens des clubs roumains dans les années 1970.
C’est néanmoins un autre aspect de sa personnalité qui va le pousser à se rapprocher du club dans les années 1980. Quelques années plus tôt, le Steaua est à la fin des années 1970 l’une des meilleures équipes du pays. Valentin se prend d’affection pour cette équipe, composée notamment d’Anghel Iordănescu, Marcel Răducanu et Lița Dumitru. Mais un match va tout changer. A la lutte pour le titre face à Craiova en 1980, le Steaua joue un match important à Târgoviște à trois journées de la fin de saison. Venu voir le match avec un ami, Valentin reste en tribunes jusqu’au coup de sifflet final malgré une pluie torrentielle. Pour au final voir son équipe perdre 4-0 face à un club luttant pour le maintien. Le match était en fait arrangé dès le départ. Comme il l’a expliqué en 2009 à Cristian Otopeanu, dans la seule interview qu’il ait jamais accordée à un journaliste, ce match l’a dans un premier temps dégoûté du football: « Quand je suis arrivé, le premier secrétaire local m’a demandé : ‘Camarade Valentin, pourquoi êtes-vous venu ? Vous ne savez pas que…’ Et nous avons effectivement perdu 4-0. Ca m’a beaucoup dérangé. Je n’ai jamais accepté ça. On a raté une grande génération de joueurs. » Malgré deux victoires lors des deux ultimes journées, dont une face à l’U Craiova, le Steaua échoue à la deuxième place du classement, derrière l’Universitatea.
Le protecteur du Steaua
Ces jeux de coulisse le poussent quelques années plus tard à se rapprocher du Steaua, avec un rôle de « protecteur ». A l’été 1985, le tandem Ienei-Iordănescu est à la tête de l’équipe. Deux hommes que Valentin apprécie énormément. Et qu’il veut protéger. Après deux titres de champion de Roumanie, et surtout une demi-finale de Coupe de l’UEFA en 1983, l’équipe de Craiova, « Craiova Maxima » telle qu’elle est surnommée, a été démantelée en quelques mois à peine par la Securitate du Général Postelnicu. De par sa fonction, ce dernier, qui a l’habitude des pires manoeuvres, a désintégré la grande équipe oltène en quelques mois à peine. Sous les ordres de Ienei, qu’il considère comme « le meilleur entraîneur de Roumanie, » Valentin est persuadé que l’effectif du Steaua peut faire de belles choses. L’envie vient alors de le protéger de tout ce qui pourrait l’empêcher de s’exprimer. Postelnicu et la Securitate ou encore Ilie Ceaușescu, son oncle pour qui il a bien peu d’estime, et les généraux de l’Armée.
« Je considère qu’il n’y a aucune différence entre les dirigeants de l’Intérieur et ceux de l’Armée. Parce qu’ils n’avaient aucune confiance en l’équipe, certains généraux de l’Armée avaient les mêmes tendances, celles de gagner par tous les moyens. Ces choses se faisaient dans mon dos, j’ai essayé d’y mettre fin. Mon rôle a été d’unir et de protéger le Steaua, Mais j’ai voulu faire du bien à tout le football roumain, pas seulement au Steaua. Ca aurait pu être avec Craiova, voire même le Dinamo. »
Sentant un regain d’intérêt de Valentin pour son équipe, le Ministre de la Défense Olteanu la joue finement à l’aube de la saison 1985-86. Car le fils Ceaușescu n’est pas homme à s’imposer. Le Ministre doit prendre l’initiative, lui envoie plusieurs invitations officielles aux matchs, l’invite à boire un café à la mi-temps ou après les matchs. Petit à petit s’instaure une relation de confiance qui ne sera jamais remise en question. Et Valentin, s’il reste discret et ne donne jamais son avis, sauf si on le lui demande, se fait néanmoins de plus en plus présent.
S’il accentue sa présence, c’est parce sa passion le pousse à s’approcher des vestiaires. Rapidement, Valentin commence à venir aux entraînements, écoute les histoires d’Ion Alecsandrescu, qui le fascine, apprend beaucoup sur le jeu, et commence à s’intéresser aux joueurs et à leurs problèmes. S’il n’accepte aucune fonction officielle au club, Valentin entre dans l’entourage de l’équipe, qu’il habitue à une préparation physique poussée en la faisant travailler avec son professeur de karaté. Délaissant peu à peu son poste à l’Institut de Physique Nucléaire de Măgurele, il finit par prendre l’habitude d’être présent à Ghencea tous les matins, avant même l’arrivée des joueurs. Des joueurs qui l’adoptent et se confient à lui tel un grand frère. Hors de toute considération tactique, Valentin veut les protéger, faire en sorte qu’ils aient l’esprit libre pour ne penser qu’au terrain, et être les meilleurs sur le terrain.
« Le fait que j’ai trouvé une équipe formée par Alecsandrescu et entraînée par Ienei a été très important. Nous formions une équipe des dirigeants jusqu’aux joueurs. »
Valentin met donc tout en œuvre pour protéger ses joueurs. Durant la saison, László Bölöni connait ainsi de gros soucis. En plus d’un cabinet de stomatologie installé sous la tribune II de Ghencea, ce dernier avait demandé pour signer au Steaua l’autorisation de s’installer définitivement, avec sa famille, en Hongrie à l’issue de son année de contrat. Les papiers d’émigration son déposés dès l’été 1985. Mais au fil de la saison, Bölöni prend une part si importante dans les succès du Steaua que la Securitate remet le dossier en haut de la pile et agit rapidement. Parti avec l’équipe nationale, Bölöni est exclu de la sélection à la veille d’un match face à la Turquie où il devait être titulaire ! Comme il le craignait, Postelnicu tente de briser l’effectif. Informé par la Securitate, le Ministre Olteanu n’a d’autre choix que d’exclure le joueur de l’équipe et de l’Armée. Dès qu’il apprend la situation, Emerich Ienei appelle Valentin Ceaușescu, qui part sur-le-champ. Nul ne sait encore où il est allé, mais lorsqu’il est de retour une heure plus tard, tous les ordres sont annulés. En s’occupant des problèmes des joueurs, en résolvant leurs soucis personnels ou familiaux, « Camarade Vali » comme l’appellent affectueusement les joueurs, offre un soutien moral décisif, qui permet aux joueurs d’être meilleurs sur le terrain.
Omniprésent mais discret
Le terrain justement. C’est là que Valentin veut jouer son rôle de protecteur. Pour que les joueurs n’aient pas la tentation de laisser filer un match, comme il l’a vu en 1980, et pour que son équipe ne soit pas volée. Par sa présence en tribune, Valentin transmet notamment aux arbitres, sur lesquels la Securitate a, sans exception, un dossier, le message qu’ils ont dorénavant un soutien de l’Armée, et qu’ils ne sont désormais plus obligés de céder aux pressions de Postelnicu. Mais il protège aussi son équipe d’éventuelles manipulations des généraux de l’Armée, son oncle Ilie en tête. « Sans avoir aucune fonction, Valentin voulait mettre fin aux manipulations dans notre championnat, a affirmé Tudorel Stoica au journaliste Andrei Vochin. Il avait senti que le Steaua se formait, qu’il avait un avenir et il essayait de le protéger de l’influence maléfique des dirigeants politiques. » Une idée soutenue par Marius Lăcătuș: « Pour nous, Monsieur Valentin était comme un grand frère, qui essayait toujours de nous aider dans nos problèmes. Un homme extraordinaire, toujours auprès de l’équipe. Un homme correct qui n’aimait pas les malversations et souhaitait que le football ne soit joué que sur le terrain. C’était un adversaire déclaré des arrangements, de la corruption d’adversaires et des arbitres. » Même Gheorghe Hagi, arrivé quelques mois après le succès européen, ne tarit pas d’éloges sur lui: « Monsieur Valentin était un modèle de correction, un vrai gentleman. J’ai toujours eu un respect pour lui. Un homme normal, qui se comportait avec beaucoup de naturel, et qui ne nous demandait qu’une chose: jouer au football et le faire bien. » Avec la période d’invincibilité de plus de 100 matchs en championnat du Steaua, Valentin a beaucoup été accusé d’avoir avantagé son équipe. Si c’est effectivement le cas pour ce qui est d’avoir fait venir les meilleurs joueurs du pays, rien n’a pu être démontré, hormis lors de la houleuse finale de Coupe de Roumanie de 1988. Le fils aîné des Ceaușescu n’est pas un homme de malversation. A la chute du couple en décembre 1989, aucune charge n’est retenue contre lui (ni sa sœur Zoia) par les tribunaux roumains, qui le laissent libre, à l’inverse de l’héritier Nicu, qui écope de vingt ans de prison.
« Je voulais simplement que tout soit correct, affirme-t-il lors de sa fameuse interview à Cristian Otopeanu, avec des exemples à la clé. En 1989, nous perdons 2-1 contre Craiova. L’arbitre, Monsieur Moroianu, avait prolongé le jeu de quelques minutes dans l’espoir de nous voir égaliser. Après le match, il a souhaité me voir. Il avait un problème et avait fait appel à moi. Avant tout, je lui ai dit : ‘Vous êtes un bon arbitre, vous n’aviez pas besoin de nous avantager. Les garçons doivent gagner proprement.’ Je n’ai jamais mis de pression à personne. Nous avons également perdu un derby contre le Dinamo, arbitré par Ion Crăciunescu. Il nous avait refusé un penalty alors que Bumbescu avait clairement été poussé dans le dos. Plus tard, Crăciunescu est venu au club, au bureau d’Alecsandrescu, dont il était un bon ami. J’y étais. Quand il m’a vu, il m’a dit qu’il n’y avait pas penalty. On a parié dessus puis on a regardé la vidéo. Il a reconnu qu’il y avait une faute. Mais je ne lui ai absolument rien reproché. Je n’avais pas pour habitude de discuter avec les arbitres, ni avant ni après les matchs. » A chacun donc de se faire une opinion dans cette époque emplie de zones d’ombre.
L’ombre, c’est là que Valentin se sent le mieux. Par crainte d’une défaite, le couple Ceaușescu avait décidé de ne pas faire diffuser la finale de Coupe d’Europe des Clubs champions. Une décision qui faisait suite à une période où Elena avait elle-même interdit les diffusions de matchs de championnat. C’est Valentin qui prend les devants et va discuter avec sa mère pour la convaincre de diffuser le match. Lui est présent à Séville pour suivre le match des tribunes. Mais pas pour la grande réception officielle au retour du Steaua à Bucarest. Convaincu par les généraux que la performance de l’équipe mérite qu’il décore les joueurs en personne, Nicolae Ceaușescu organise une réception. Un banquet auquel Valentin, en homme discret qu’il est, ne participe pas. « Je n’avais aucun mérite. Le mérite revenait à Ion Alecsandrescu, qui a créé cette équipe, et à ceux qui l’ont aidé. Le mérite de la formation revenait également au Ministère, au Général Ion Coman et au Ministre de l’Intérieur Olteanu. Et de toutes manières, je n’avais aucune fonction officielle. Bölöni m’a reproché par la suite de ne pas m’être joint avec eux. Je lui ai répondu que l’important, ce n’était pas d’être présent aux cérémonies. L’important, c’est de réaliser quelque chose. » La discrétion, l’élément essentiel pour Camarade Vali, l’homme de l’ombre.
Pierre-Julien Pera
Image à la Une : © puterea.ro
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Je m’intéresse, en fait, peu au foot, mais beaucoup à la Roumanie. Assez, en tout cas, pour apprécier cet article très bien documenté et très bien écrit. Merci et cordiales salutations à son auteur.
C’est un plaisir! Merci beaucoup!
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