Même si la région silésienne est plus populaire pour sa richesse extraordinaire en charbon et en fer, il n’en demeure pas moins que pendant près de trente ans, la région a accueilli l’un des stades multifonctions les plus grands d’Europe. Actuellement en phase finale de sa modernisation après huit ans d’inactivité (et vingt ans de galères), retour sur un stade qui a accueilli les plus grands exploits européens de plusieurs des meilleurs clubs polonais et qui fut un des dix plus grands stade du monde pendant quatre décennies. Bienvenue au Stadion Śłąski.

En 1939, le plan d’un stade de 70 000 places, inspiré par le stade Olympique de Berlin construit six ans plus tôt, est proposé par les autorités de la ville de Katowice. Le tout dans le but de montrer à l’Europe la puissance de cette région et la fierté de ses habitants, quasiment tous des ouvriers. Le stade doit voir le jour dans une des villes frontalières de Katowice : Chorzów. L’endroit n’est pas choisi par hasard. La région silésienne dispose de très importantes richesses minières, de très nombreux clubs de football réputés, structurés et surtout l’endroit est sélectionné car la Silésie est une région très peuplée, représentant près de 15% de la population nationale.

Le maire de Katowice, qui s’avère être aussi le chef de projet, est prêt à sortir le chéquier mais un contretemps nommé la Seconde Guerre mondiale voit le jour et le projet est vite rangé sur une étagère avant d’être tout à fait oublié. Suite à cette guerre, la Pologne est décimée mais l’idée est toutefois ressortie de l’étagère, dépoussiérée et revient petit à petit dans les plans de reconstruction de la région et du pays. L’idée est légèrement modifiée et vise à construire le plus grand parc urbain d’Europe avec de la verdure, des immeubles ainsi que ce fameux stade. Après plusieurs plans et la consultation de très nombreux architectes, notamment certains venus de République Tchèque, afin de voir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, les travaux débutent en 1950 seulement. Ils durent six ans, mais le plus grand stade d’Europe centrale voit finalement le jour en 1956 et se voit prêt à accueillir son premier match.

Photos prises lors de la construction du stade dans le milieu des années 1950 | © fotopolska.eu

Sur le papier, on compte 87 000 places, sauf que l’on se serre, on se met debout, on se pousse et ce sont finalement des affluences de 90 000 voire 100 000  personnes qu’on observe lors des premiers matchs. La rencontre d’inauguration de cette nouvelle fierté de Silésie est un match qui oppose la Pologne à l’Allemagne, désormais plus que jamais l’ennemie d’une nation polonaise encore meurtrie par le second conflit mondial, terminé neuf ans auparavant. Malgré une défaite 0-2, le public est entièrement conquis par l’architecture et les formes imposantes de ce Station Śłąski. Les spectateurs se rendent compte que désormais, la Silésie sera connue dans l’Europe entière non plus seulement grâce à ses mines, mais aussi à son stade.


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Le seul petit point noir de ce stade est la construction, en parallèle, d’un autre grand stade multifonctions à Varsovie, le Stadion Dziesięciolecia (« Stade du 10e anniversaire » en français). Les matchs de l’équipe nationale se partagent alors entre ces deux stades qui se ressemblent, qui ont plus ou moins la même capacité et la même fonction et donc se retrouvent forcément avec une rivalité non assumée entre la capitale puissante et sa région ouvrière. Une rivalité dans laquelle le Stadion Śłąski a un avantage de poids, puisqu’il se situe au beau milieu de plusieurs villes ayant des clubs qui jouent les premiers rôles en Pologne. C’est donc dans cette ambiance que dès le début des années 1960, le voisin et ennemi du Ruch Chorzów, le Górnik Zabrże, joue toute une série de matchs européens. Le Polonia Bytom n’étant pas loin lui non plus, il vient fouler cette pelouse mais a des difficultés à égaler les affluences du Górnik, qui dépassent régulièrement les 90 000 spectateurs, allant même à rameuter 120 000 âmes pour le match entre le Górnik Zabrże et l’Austria Vienne, en 1963. Un record qui tient encore.

Le Stadion Slaski dans sa premère version, à la fin des années 1960 | © fotopolska.eu

Dans ces années-là, la Silésie connaît un élan économique et sportif, et même le GKS Katowice se voit affronter le grand FC Barcelone devant 85 000 spectateurs. Quelques années plus tard, le Ruch Chorżów arrive finalement sur le devant de la scène polonaise et s’offre une place en Europe, pour enfin jouer dans cette antre magique située dans sa ville, là même où le club voit tous ses voisins et rivaux jouer. Cependant, la chute du système économique implique plus ou moins directement la chute des clubs de football, dans la grande banlieue de Katowice. Le stade n’est plus fréquenté que par l’équipe nationale et quelques derbys pour lui donner un peu plus vie, mais il pèse désormais lourd dans une société silésienne qui se dégrade.

Malgré quelques compétitions nationales d’athlétisme, deux finales de championnat du monde de speedway ramenant 100 000 spectateurs et quelques concerts, on se retrouve à la fin des années 1990 avec un stade fraîchement rénové pour la seconde fois, certes, mais qui sonne de plus en plus creux. On pourrait s’attendre à une reprise des affluences lorsque le stade est nommé « Stade National » en 1991, la fierté des habitants est alors à son comble car parler d’objet national dans une des régions les plus pauvres de Pologne est un honneur, malheureusement cela ne suffit pas à remplir le stade, pratiquement aucun match ne se déroule à guichets fermés.

© stara.gorpol.pl

Les autorités silésiennes n’ont plus un centime dans les caisses, le taux de chômage a très fortement augmenté suite aux fermetures des usines de charbon, la région s’appauvrit à vue d’oeil, de quoi faire peur. Heureusement, l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne donne un peu d’espoir, de nombreux fonds sont redistribués aux régions les plus pauvres, on assiste également à une reprise progressive du travail dans de nouvelles entreprises de cette région. Mais la vraie bonne nouvelle vient de Cardiff en avril 2007, lorsque le duo Pologne/Ukraine est sélectionné pour accueillir l’Euro 2012. Deux plans arrivent alors sur le bureau du gouvernement polonais : le premier est de détruire le Stadion Dziesięciolecia de Varsovie et reconstruire un stade national flambant neuf à la place.

La seconde idée est de rénover le Stadion Slaski et d’y installer un toit, et ainsi recommencer l’histoire une nouvelle fois. Les deux propositions sont acceptées et cela permet donc à Varsovie de faire de son stade le centre de la culture sportive dans la capitale polonaise et d’éviter de jouer sur la pelouse du Legia lors des matchs de l’équipe nationale. Pendant ce temps-là, on galère en Silésie.

Le stade de Silésie, prêt à se reconstruire une histoire… Pour la 4ème fois. | © Tomasz Żak

Mais le « lobby » silésien ne dit pas son dernier mot et lance un projet de rénovation fin 2009, afin de faire revivre une région qui ne demande que ça. Des travaux de démontage sont tout d’abord lancés, mais se voient vite ralentis faute de moyens. Il faut dire que le projet est ambitieux, voire même difficilement réalisable, car démonter une bonne partie des infrastructures, remonter tout cela, moderniser et installer un toit possédant la plus grande surface d’Europe (hormis les stades fermés), le tout en seulement trois ans, semble tenir du rêve.

A l’heure actuelle, on estime à 600 millions de zlotys (environ 130 millions d’euros) les dépenses engagées depuis 2009 pour cette rénovation. Un budget qui a largement dépassé les prévisions et fortement impacté les caisses de la région, qui en plus doit investir pour les clubs du Górnik Zabrże, Piast Gliwice, Śłąsk Świętochowice, GKS Tychy et va mettre la main à la poche, d’ici les deux prochaines années, pour ceux du Ruch Chorżów et du Zagłębie Sosnowiec voire même du GKS Katowice qui jouent dans des stades proches d’un état de ruine.

D’un point de vue français, cela peut amener à se poser quelques questions. En effet, pourquoi avoir deux stades d’une fonctionnalité similaire dans un pays qui possède plus d’une quinzaine de nouveaux stades depuis dix ans, ce qui a naturellement réduit l’attrait économique de chacun. Le fait est que les Silésiens sont en général prêts à mettre la main à la poche pour leurs affaires. Ce stade est avant tout une fierté régionale qui montre qu’il n’y a pas seulement Varsovie et Cracovie en Pologne, mais aussi une région ouvrière qui renaît petit à petit et qui s’appelle Silésie. Les premières visites des habitants de la région, il y a quelques semaines, ont permis de réconforter les leaders du projet : tout le monde est unanime, ce stade de 60 000 places est tout simplement splendide !

Les autorités polonaises axent le projet sur sa piste d’athlétisme bleue pour accueillir tout d’abord des championnats d’Europe puis du Monde de la discipline. À la différence de Varsovie et son Stade National qui ne comporte pas de piste d’athlétisme, le Stadion Śłąski sait se démarquer. En matière de football, la première officielle verra le jour d’ici quelques semaines dans le cadre d’un tournoi de qualification pour l’Euro U19, la Pologne rencontrera l’Irlande du Nord pour inaugurer le stade. Par la suite, l’équipe de Pologne menée par Lewandowski y affrontera le Brésil en mars 2018 (la date reste à confirmer) dans le cadre d’un match amical. De quoi rappeler de bons souvenirs aux fans venus en 1960 assister au match du Santos FC de Pelé affronter l’équipe nationale de Pologne. Mais aussi ceux qui, quatre ans plus tard, ont fait partis des 15 000 spectateurs assistant à un Pologne – Valenciennes dans ce même stade. Rendez-vous dans quelques mois !

Kevin Sarlat


Image à la une : © Olos88 / Wikipedia

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