Temps de lecture 5 minutesSkibbe et Châtiments

C’est par une belle soirée de fin d’été que nous assistions ce 12 septembre 2018 à ce qui restera certainement comme l’une des pires rencontres de l’Ethniki Omada depuis, s’il fallait trouver comparaison, une honteuse défaite face aux îles Féroé lors des éliminatoires de l’Euro 2016. Tentative de décryptage.

Un choix par défaut

Afin de comprendre la situation actuelle, un petit voyage dans le temps s’impose. Nous sommes alors à la fin du mois d’octobre 2015 et l’équipe de Grèce achève sa campagne de qualifications à une piteuse dernière place des qualifications, l’humiliation ayant été poussée jusqu’à être devancée par la petite dépendance danoise alors en 97e position du classement FIFA. Ni Makarian (pourtant conseillé par la légende Karagounis) ni l’adjoint Tsanas assurant l’intérim n’ont pu redresser l’équipe de la désastreuse entrée en matière de Claudio Ranieri, licencié après une défaite à domicile contre ces mêmes Féringiens un an plus tôt. La Grèce, éliminée, se met alors en quête d’un nouveau sélectionneur afin d’insuffler un nouvel élan à une équipe alors en perdition depuis le départ du très apprécié « ingénieur » Fernando Santos.

Alors que très peu de noms filtrèrent, c’est un peu à la surprise générale que l’Allemand – pour le moins méconnu au pays – Michael Skibbe débarque alors à Athènes. Sa tâche est ardue : il faut rendre à nouveau compétitive une sélection aux abois, plombée par plus d’un an de gestion calamiteuse, de guerres d’égos et d’écarts de conduite de certains joueurs. Si le CV du bonhomme semble bien léger, avec pour seul titre obtenu une super Coupe de Turquie avec Galatasaray et une demi-finale de Coupe UEFA avec le Bayer Leverkusen, 9 ans auparavant, son discours d’intronisation et sa rigueur semblent rassurer certains en dépit d’un air de scepticisme assez général régnant autour de l’équipe Hellène. Beaucoup parlent de choix par défaut. Mais la saison ayant déjà commencé, rares sont les potentiels candidats à postuler pour conduire les destinées d’une Ethniki en pleine décomposition.

De la renaissance à la désillusion

Si les premiers matchs amicaux catastrophiques face à l’Islande, au Luxembourg, ou encore à l’Australie n’incitent guère à l’optimisme, une nouvelle ère démarre à l’été 2016 par une victoire de prestige face aux Pays-Bas de Strootman et Sneijder, à Eindhoven. Avant une confirmation cinq jours plus tard face à la modeste équipe de Gibraltar. Deux nouveaux succès face à Chypre et l’Estonie, un nul face à la Bosnie et surtout un point courageusement arraché à la dernière seconde à l’extérieur contre la Belgique dans un état d’esprit inconnu depuis la Coupe du Monde 2014 permettent d’envisager sereinement la suite des qualifications avec pour objectif une place en Russie via les barrages. Les matchs suivants confirment cette tendance. Sans être flamboyante, la Grèce demeure solide. À l’image d’une charnière Manolas-Sokratis enfin à son niveau, de Torosidis s’affirmant comme l’incontestable leader, de Mitroglou confirmant son statut de fer-de-lance de l’attaque après la retraite de Gekas et, surtout, d’une rigueur défensive à toute épreuve et d’un schéma de jeu, après moult bricolages et essais douteux, enfin adapté aux qualités des joueurs. D’aucuns osent même la comparaison avec le Roi Otto, couronné 11 ans avant son successeur.

Puis vient le désenchantement après l’espoir. Un désolant match nul face à l’Estonie, sans folie, privant définitivement la Grèce de tout espoir d’arracher la tête de série pour les barrages de la Coupe du Monde. C’est donc la Croatie qu’il faut vaincre … rares sont ceux portés sur l’optimisme. Et le jeu produit jusqu’ici ne laisse entrevoir autre chose qu’une élimination avec les honneurs. Or, c’est très sèchement que le Piratiko est battu à Zagreb, en novembre 2017. Une défaite 4-1 révélant au grand jour bien au-delà du score, des choix douteux, du manque d’envie, les quelques galaxies d’écart existant entre les deux équipes. Non tant par la qualité individuelle intrinsèque de chaque joueur, mais par la différence abyssale de talent, d’imagination et même d’audace des deux sélectionneurs. Un peu comme si l’on avait voulu comparer Agrippa (général d’Octave) à Charles d’Albret (commandant des forces françaises lors de la défaite d’Azincourt). Tel contraste ne saurait être plus saisissant. Le match retour n’est pas plus enthousiasmant et la Grèce, sans idée ni envie, ne parvient même pas à cadrer un seul tir alors qu’elle doit marquer trois buts sans en encaisser pour espérer se qualifier. Un triste 0-0. Ainsi s’est achevée la campagne. Et cette deuxième manche n’apparaît alors que comme le symbole de l’impuissance Skibienne.

Un nécessaire droit d’inventaire

Si le succès en Coupe du Monde de l’équipe croate, parvenant jusqu’en finale après un parcours héroïque, peut faire relativiser cette élimination plutôt prévisible au visionnage du contenu, nul ne peut empêcher les supporters de nourrir de bien légitimes regrets. La foule gronde, mais la fédération décide malgré tout de prolonger le bail du technicien allemand pour deux années supplémentaires. Sans doute dans une volonté de stabilité, mais probablement au détriment du sportif. Sur les cinq matchs disputés par la Grèce en 2018, seules deux victoires sont à mettre en évidence. Une en amical face à l’Égypte, puis une autre en ouverture de la Ligue des Nations le 8 septembre dernier en Estonie. Cette victoire en trompe-l’œil, tout comme le furent les éliminatoires de la Coupe du Monde, a au moins le mérite d’exposer un tant soit peu les énormes carences du sélectionneur. Puis, enfin, une défaite épouvantable en Hongrie met définitivement en lumière le fiasco tactique de l’ancien entraîneur de Leverkusen. Des joueurs perdus sur le terrain, des passes n’arrivant jamais, une inoffensivité jamais connue depuis les heures les plus sombres de Ranieri, tous les éléments sont réunis pour un naufrage sportif en bonne et due forme.

Et lorsque l’on se penche sur l’effectif, le seul mot nous venant à l’esprit n’est autre que « gâchis ». L’Ethniki possède en effet une des meilleures charnières centrales d’Europe en la paire Sokratis-Manolas, un potentiel offensif inégalé depuis l’ère des Vryzas, Nikolaïdis, Tsiartas et autres Machlas ou encore une génération dorée ne demandant qu’à éclore et faisant actuellement le bonheur de l’équipe espoirs. En résumé, une panoplie assez complète que n’importe quel sélectionneur, possédant un minimum de savoir-faire et de connaissances du football grec, pourrait facilement transformer en une machine de guerre prête à repartir à l’assaut de l’Europe. Puis du Monde. Un effectif alliant joueurs arrivés à maturité et jeunes prometteurs que beaucoup d’équipes nationales peuvent envier. Nous ne pouvons également occulter le fait que les « copinages », tant dénoncés et décriés par le passé, n’ont toujours pas disparus et dont les Tziolis, Karnezis ou Tzavellas sont le triste exemple quand des Pelkas, Bakakis ou Barkas sont trop longtemps ignorés.

Constats faits, il est à présent urgent de changer. Non pas d’hommes, mais de chef. Peut-être celui-ci pourrait-il s’appeler Antonios Nikopolidis, gardien de la sélection championne d’Europe et actuel entraîneur des espoirs qui réalise un travail de très grande qualité avec ces derniers. Peut-être s’agira-t-il aussi de quelqu’un d’autre. Au fond, peu importe. La Grèce ne demande qu’à ressortir de l’ombre. Et il ne lui manque pour cela qu’un général à la fois tacticien et meneur d’hommes capable de réveiller l’armée de Hoplites tombée en sommeil depuis plus de 4 ans. Le « Rehhagel du pauvre » ainsi que l’appellent les supporters grecs a montré qu’il ne possède ni l’une ni l’autre de ces facultés.

Demain soir, la Grèce jouera à nouveau face à la même Hongrie contre laquelle elle a coulé voici un mois. Sans doute la dernière occasion de voir si, devant le clairsemé public de l’immense Stade olympique, le laborieux technicien allemand peut éviter la terrible métamorphose du redouté Bateau Pirate en Radeau de la Méduse. Les Anglo-saxons pourraient résumer cette situation par leur formule lapidaire « You got what you paid for » (tu as ce que tu as payé). Et on ne pourrait leur donner tort concernant cette erreur de casting. Dommage, nous nous serions pourtant contentés d’un Ingénieur de moyenne gamme…

Alain Anastasakis


Image à la une : ATTILA KISBENEDEK / AFP

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