Temps de lecture 6 minutesRussie Euro 2016 : Leonid Slutskiy version bêta

Alors qu’il vient de fêter ses 45 ans en mai dernier et va diriger la Sbornaya en France, Leonid Slutskiy reste un personnage méconnu hors des frontières russes. Très populaire dans son pays, lui dont le rêve de devenir footballeur professionnel s’est brisé très tôt à cause du chat de sa voisine s’attaque là à son plus gros challenge à seulement deux ans de la Coupe du Monde en Russie. Portrait d’un entraîneur qui a la particularité d’être à la tête d’une sélection et d’un club en même temps.

Russie

Un rêve de football brisé pour un temps

Leonid Slutskiy est né le 4 mai 1971 en pleine période Brezhnevienne, marquée alors par la stagnation économique et politique dans le pays. Dans sa ville de Volgograd, alors Stalingrad (théâtre d’une bataille face à l’Allemagne d’Hitler qui fit près d’un million de mort pendant la Seconde guerre mondiale), le jeune Leonid est vite attiré par le ballon rond. Dès l’âge de 8 ans, il intègre l’équipe de son école qui s’entraînait alors sur les terrains du Spartak Volgograd, le club local. Au moment de quitter son école, Skoutski décide d’intégrer l’Académie d’Etat d’Education Physique et Sportive de Volgograd. Lui qui fût souvent baladé de position en position décide à ce moment-là de devenir gardien. Il joue en même temps pour le Zvezda Gorodishe, club de l’Oblast de Volgograd et dans lequel il a beaucoup d’amis d’enfance, avec pour ambition de taper dans l’œil de recruteurs locaux et nationaux.

Mais après seulement treize petits matchs quelconques, son rêve d’intégrer un club professionnel dans un futur proche se brise soudainement. Alors qu’il rentre d’un entraînement avec le Zvezda, Slutskiy aperçoit sa voisine sur le pas de l’entrée la tête vers le haut. Elle lui explique que son chat s’est échappé et se retrouve maintenant coincé en haut de l’arbre. Malgré le fait qu’il n’ait jamais grimpé un arbre de sa vie, le jeune homme décide de monter dessus. Sous le poids du jeune homme, la branche qui le soutenait céda et il fit une chute d’une hauteur d’un immeuble de trois étages. Au moment de sa chute, Slutskiy tomba la tête la première et son genou vint se fracasser ensuite sur le sol. Diagnostique rédhibitoire : fractures multiples ouvertes du genou gauche, le nez cassé et une commotion cérébrale. A à peine 20 ans, tous ses espoirs s’envolent.

© TOBIAS SCHWARZ/AFP/Getty Images
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La rééducation sera longue et douloureuse. Un an complet à l’hôpital durant lequel on lui dira que son genou ne pourra plus jamais se plier comme avant. Au total, deux longues années à ressasser sa chute. Le jeune homme résume cette période difficile : « Pendant un long moment, j’ai travaillé davantage pour m’améliorer. J’ai tenté de continuer le football, mais cela n’a pas marché. »

« C’est peut-être le Russe qui en connaît le plus sur le football. Retenez bien ces mots, il entraînera un jour l’équipe nationale ! ».

Diplômé en science sportive, Slutskiy décide alors d’embrasser une carrière d’entraîneur, au début avec les moins de 12 ans de l’Olimpia Volgograd. Il emmènera cette génération jusqu’en équipe première, dont il deviendra entraîneur. De cette promotion sortira de nombreux talents et internationaux russes comme l’attaquant Roman Amadov (au mariage duquel il a récemment fait une apparition surprise remarquée avec un rap assez surréaliste) ou bien encore Denis Kolodin et Aleksei Zhdanov. Sa capacité à tirer le meilleur de son groupe apparaît déjà. Le président de l’époque Nikolai Chuvalski se souvient : « C’est peut-être le Russe qui en connaît le plus sur le football. Retenez bien ces mots, il entraînera un jour l’équipe nationale ! ». En 1999, Slutskiy gagne le championnat Division Sud du Championnat amateur russe, ainsi que la coupe réservée aux équipes non professionnelles du pays.

Il résume son style en ces mots : « Je mettais beaucoup de pression sur mes joueurs. Il y avait des règles strictes et des contrôles draconiens. Ils devaient se lever, manger, dormir à des heures fixes ». Son nom commence alors à se faire connaître : il est jeune, déterminé, pragmatique, pugnace et ambitieux. Il veut devenir le meilleur. Cela n’a pas marché en tant que joueur, il se convainc donc que ça marchera en tant qu’entraîneur.

Au FK Moskva, il réalise des prouesses avec un effectif limité

Après un court passage à Ularan Elista sans éclat au cours duquel il sauve de justesse le club d’une relégation en troisième division, il signe au FK Moskva à la place de Valeri Petrakov, limogé. D’abord en charge de l’équipe réserve, il devient vite entraîneur de l’équipe première, et beaucoup s’en souviennent encore : son premier match à la tête de l’équipe première finit sur une belle victoire 3-1 et pendant toute la saison, le club flirta avec les premières places et atteint même la finale de la Coupe en 2007, soit le meilleur résultat dans l’histoire du club ! L’équipe propose un jeu très efficace et beaucoup le considèrent à ce moment-là comme l’un des entraîneurs les plus prometteurs du plateau russe. Malgré une quatrième place, synonyme de non-qualification pour la Coupe UEFA, Slutskiy réalisa là sa première vraie belle saison à la tête d’un club de l’élite.

© Epsilon/Getty Images
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Son contrat court alors jusqu’en 2010, mais non content des perspectives que peuvent lui offrir les dirigeants du club, le coach russe décida de résilier son contrat. Cette nouvelle avait alors surpris de nombreux experts du football russe tant il semblait pouvoir développer le potentiel de son équipe pour encore au moins une saison. Mais elle est la preuve-même du caractère bien trempé du bonhomme : lui qui a dû tout réussir soi-même, que personne n’a jamais aidé, résume sa carrière ainsi : « Lorsque j’étais le coach des enfants (à l’Olimpia Volgograd), c’était la même chose: scepticisme, rejet. Peut-être que mon apparence, mes manières, la façon dont je communique ne sont pas celles décrites dans les manuels d’entraîneurs. Peu importe le travail que j’accumule, je dois toujours prouver quelque chose à quelqu’un. »

De Samara au club central de l’armée russe

En novembre de cette même année, une crise éclata au Krylia Sovetov et Slutskiy fut appelé à la rescousse par la nouvelle équipe dirigeante. Il y restera deux ans (avec cependant une élimination en coupe sur le terrain de Chelyabinsk) avant de s’engager avec le CSKA Moscou, à seulement 38 ans en lieu et place de Juande Ramos, viré après… 47 jours. En arrivant dans le club de l’armée russe, Slutskiy put s’appuyer sur de nombreux joueurs techniques pour affiner sa tactique. Fini le 3-5-2 qu’il utilisait depuis ses années à l’Olimpia Volgograd pour un 4-2-3-1 résolument offensif et un jeu basé sur des passes courtes qui cassent les lignes. La signature du japonais Honda illustre parfaitement la philosophie prônée alors par le coach russe.

© Dean Mouhtaropoulos/Getty Images
© Dean Mouhtaropoulos/Getty Images

Le club bataille depuis avec le Zenit au niveau national (trois championnats et deux coupes remportés depuis son arrivée), et son équipe commence à se faire un petit nom sur la scène européenne. Pour la première fois de son histoire, le club moscovite atteint les quarts de finale en 2009 et est devenu depuis un habitué des groupes de la Ligue des Champions. On se souvient aussi notamment d’un 3-3 spectaculaire face au Manchester United de Sir Alex Ferguson au début de son bail avec le CSKA.

Une double casquette avec en point de mire la Coupe du Monde 2018 à domicile

En octobre-novembre de l’année dernière, Slutskiy fut plébiscité et choisi pour remplacer l’italien Fabio Capello au poste de sélectionneur. Le coach italien a laissé derrière lui une équipe en perte de vitesse et l’image d’une sélection pas forcément proche de son peuple, comme beaucoup l’aurait voulu. Un échec total, en somme, avec une coupe du monde ratée, un début de campagne qualificative calamiteux et des choix très discutables. De son côté, assurant désormais les deux postes, le coach russe semble avoir apporté sa patte CSKA à la Sbornaya qui semble revivre après plusieurs années de football défensif, très enclin à l’Est. Quoique critiqué par certains pour prendre dans son groupe de nombreux joueurs du CSKA quel que soit leur état de forme et pour ne pas laisser de place aux jeunes, les résultats parlent pour lui. L’équipe s’est qualifiée pour l’Euro en France et après de nombreuses prestations ternes et sans relief sous Capello, Slutskiy a redonné confiance au groupe.

© Epsilon/Getty Images
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Le jeu proposé par la Sbornaya n’est pas flamboyant portant, mais reste très efficace, une caractéristique estampillée Slutskiy , comme le prouve la victoire 1 à 0 face au Portugal à Krasnodar en novembre passé. Il est d’ailleurs très apprécié des joueurs et sa popularité a certainement joué dans la confiance que lui accordent les cadres du vestiaire. En s’appuyant sur des joueurs qu’il côtoie au quotidien, il fait comme beaucoup d’autres avant : il limite les risques et développe avec eux des liens forts. Pour le moment, ça marche. Mais l’Euro, à seulement deux ans d’une Coupe du Monde à domicile où il ne faudra pas se rater, sera forcément autre chose. A coup sûr, ses résultats seront scrutés avec grand intérêt surtout que les derniers matchs amicaux montrent un certain déclin dans les prestations de l’équipe.

Sa proximité avec le groupe, où il a su se faire accepter des joueurs venant d’autres clubs, comme notamment ceux du Zenit (si on excepte sa prise de bec avec Zhirkov, qui selon beaucoup explique son absence du groupe), devrait être la clé de la réussite d’une équipe russe ayant souvent tendance à performer en deçà de son niveau réel. Un test, donc, pour « le roi du pendule » avant de connaître la suite, car le cumul des mandats devrait, sauf nouveau tour de passe-passe, s’arrêter là. Il devrait retourner au CSKA à plein-temps dès juillet, mais qui sait ce que va lui proposer la fédération en cas de bons résultats et à deux ans d’une coupe du monde tellement importante sur le sol national…

Robin Bjalon


Image à la une : © Epsilon/Getty Images

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