Le RNK Split, avant-dernier, et Cibalia, dernier, sont les ambassadeurs parfaits de la situation précaire touchant beaucoup de footballeurs croates. Présentation d’une réalité aux antipodes de celle des joueurs choyés de la sélection nationale.

Sandro Ugrina, tête d’affiche de la précarité des footballeurs croates

En octobre, le transfert de Sandro Ugrina, passant du Cibalia au RNK Split, fut inhabituel pour deux raisons. Premièrement, il s’est déroulé après la fin de la période des transferts. A 25 ans, l’attaquant obtint la résiliation de son contrat avec le club de Vinkovci pour signer quelques jours plus tard pour le RNK Split. La seconde raison est beaucoup plus prosaïque. Le footballeur est parti d’un club dont les mois de salaires impayés s’accumulent à 65 000 kuna – ce pour quoi la HNS lui a accordé la résiliation de contrat – afin de signer pour un autre qui collectionne de la même façon les impayés. Ce qui explique le flux massif de joueurs ayant quitté le club à l’été.

Pour tous ceux qui connaissent la situation du RNK Split, une question a occupé les esprits. L’attaquant, qui avait laissé une impression solide seul à la pointe de Cibalia à la lutte avec les défenseurs en donnant toujours son meilleur, avait-il reçu de mauvais conseils ? Son interview à Tomislav Gabelica dissipa les doutes :  » A Vinkovci, on ne me payait pas. Je me suis retrouvé plus d’une fois dans une situation désespérée. Je suis parti à Split car mes grands-parents vivent ici, c’est la principale raison. A Vinkovci, je devais lutter quotidiennement pour survivre. A Split, ma vie est plus facile. Grâce à mes grands-parents, je n’ai pas besoin de payer de loyer, de nourriture ou pour les services de la ville. En plus, le coach Lokic, m’a promis que le club me donnerait 5000 kunas pour me dépanner. Ici, au moins, je n’ai pas à craindre d’être expulsé pour non-paiement de loyer.  »

Sandro Ugrina, tout content de se faire offrir le gîte et le couvert, a tout juste eu le temps de croiser Petar Misic prenant le chemin inverse. L’ancien international espoir, passé par le Dinamo-Lokomotiv, était décrit comme une cible du Bayern par certains journalistes locaux. N’ayant pas percé, il arriva finalement au RNK Split où il ne perçut pas de salaire. Sans le sou, Misic n’eut guère d’autre choix que de revenir chez ses parents à Vinkovci pour jouer sous les couleurs du club où il a débuté, le Cibalia.

Mais ce n’est pas tout. Selon les règlements, les joueurs de football professionnels en Croatie ne sont pas considérés comme des salariés mais comme des entrepreneurs indépendants. Ainsi, chaque mois, ils doivent payer des impôts, qu’ils perçoivent un salaire du club ou non. Comme le résume Ugrina :  » Tout le monde pense que les joueurs de football sont millionnaires, or la plupart d’entre nous ne peuvent même pas s’acheter de café.  »

Toute la misère du football croate est illustrée avec ces cas. Si les joueurs professionnels doivent se soucier de leur simple survie – avoir de quoi manger et ne pas se retrouver sans toit – il devient tout bonnement ridicule de disserter sur la compétitivité de la ligue.

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© rnksplit.hr

Un effectif sans queue ni tête

La saison 2016-2017 n’est pas de tout repos pour celui qui doit actualiser la page des transferts du RNK Split sur Transfermarkt. Depuis le début de la saison, quarante joueurs ont quitté le RNK et à peu près autant l’ont rejoint. Certains sont même sur les deux listes comme les recrues estivales Santiago Villafane, Karolis Chvedukas, Tomislav Saric et Elis Bakaj qui repartirent avant même la fin de la première partie de saison, n’ayant que très peu foulé le petit stade. Aussitôt arrivé, aussitôt parti donc. Certains d’entre eux sont partis pour un certain montant, comme Amir Rrahmaniji et Ante Majstorovic partis au Dinamo-Lokomotiv. D’autres, plus payés depuis des mois sont partis sous la bénédiction de la HNS. Ce fut le cas par exemple de l’un des meilleurs joueurs de la ligue l’an dernier Jure Obšivač, ainsi que de l’arrière gauche biélorusse Maksim Vitus.

En s’amusant à composer le meilleur XI des joueurs qui ont quitté le RNK Split, nous pourrions sans problème mettre en place une équipe apte à disputer une place européenne. D’après Transfermarkt, la valeur marchande de tous les joueurs partis s’établit aux alentours de 12 millions d’euros, soit plus que tout l’effectif du NK Osijek, actuel troisième du championnat.

Si le spectateur lambda que nous sommes est complètement perdu devant la lecture d’un effectif qui change d’une semaine sur l’autre, nous n’imaginons pas la situation des entraîneurs qui ne sont jamais sûrs de quels joueurs ils trouveront dans le vestiaire le lendemain. Oui, des entraîneurs. Car les joueurs non plus ne sont pas certains de savoir à quel coach ils serreront la main le lendemain à l’entraînement. Alors que cet hiver Vjekoslav Lokic était encore l’entraîneur, il réussit à convaincre ses joueurs de ne pas mener une grève collective un jour avant le départ en Turquie pour la préparation d’avant-saison. Alors en Turquie, Lokic reçut une offre chinoise, du Meizhou Hakka, et plia bagage en un temps record.  Le club annonça l’arrivée d’Elvis Scoria pour le remplacer. Ce dernier renonça deux jours plus tard après avoir consulté de plus près la situation financière du club. Le nouveau coach est connu pour avoir entraîné l’Europa FC, club de … Gibraltar. Dans l’agitation, on retrouve tout de même un zeste de stabilité grâce à Milos Vidovic et Ivan Pesic, seuls titulaires de l’an dernier étant alignés cette année. Les autres joueurs restants  veulent quitter l’équipe à tout prix et ont engagé des procédures pour salaires impayés. Ce qui a poussé le club à les exclure de l’équipe première pour « traîtrise. »

Où est passé l’argent du RNK Split?

Dans cette affaire, il convient de se poser des questions sur les revenus engrangés par le club. Car cet été, si la majorité des joueurs ont quitté le club gratuitement, l’international Kosovar Amir Rrahmani a été payé 1,6 millions d’euros par le Dinamo qui a aussi acquis Ante Majstorovic pour un demi million. En outre, l’année dernière, les propriétaires du club ont vendu Marko Rog au même Dinamo pour cinq millions d’euros, soit le montant le plus élevé de l’histoire du football en Croatie pour un transfert entre deux clubs du pays. D’autres joueurs ont été vendus, portant le bénéfice total en transferts sur les deux dernières années à neuf millions d’euros, dont plus de sept millions en provenance du Dinamo.

Ces neuf millions ne comprennent même pas le transfert d’Ante Rebic à la Fiorentina pour 4,5 millions en août 2013. Rien que ce montant, pour un club de cette taille, permettrait de vivre confortablement pendant plusieurs années. C’est évidemment tout le contraire qui s’est produit.

La situation au club est désastreuse. Comme celle de l’entreprise de construction des deux frères Zuzul, Slaven et Jozo. Celle-ci, construisant des routes, des tunnels ou encore des navires, avait connu un gros boom de 2005 à 2009, multipliant ses revenus par cinq. La situation était idyllique jusqu’à ce que l’ancien Premier ministre, Ivo Sanader, ne démissionne en juillet 2009. Une démission accompagnée un an plus tard d’une arrestation pour corruption. En novembre 2009, Slaven Zuzul aussi est placé en garde à vue pour soupçons de fraude fiscale. Pourquoi donc Sanader aurait aidé les frères Zuzul et leur entreprise Skladgradnja à gagner autant de millions dans un laps de temps aussi court ? Il se pourrait qu’un parent connu, nommé Miomir Zuzul, ancien ambassadeur et lié à l’ancien Premier ministre Ivo Sanader, ait aidé…

Forts de leur juteux business, les frères Zuzul achetèrent en 2008 le RNK Split en achetant toutes leurs dettes évaluées à 27 millions de kunas. En seulement deux ans, le club passa de la quatrième division à la première. Mais là encore, Slaven et Jozo sont rattrapés par les affaires. Contrairement à la réglementation, ils versèrent les salaires des employés, joueurs et entraîneurs du club en espèces, oubliant au passage de les déclarer. De 2008 à 2011, ils auraient versés une dizaine de millions de kunas en espèces sans rien déclarer, laissant un manque à gagner à l’Etat d’un peu plus d’un million de kunas. A vrai dire, cette pratique était alors courante dans le football croate jusqu’à ce que l’Etat dise stop en 2011, coulant au passage un bon nombre de clubs ne pouvant pas rembourser les montants non déclarés.

Slaven Zuzul est en réalité un petit magnat dalmate plongé dans de nombreuses sombres affaires financières. Dont certaines pour lesquelles il est en attente de jugement. Dans ces conditions, on comprend bien pourquoi il ne met plus un sou au RNK Split, ayant finalement pour seul espoir que Cibalia, qui doit faire face à des problèmes financiers semblables, fasse encore pire. Puis, que les Rouges gagnent en barrage contre le deuxième de la deuxième division.

Bien entendu, la licence pour jouer en Prva Liga n’aurait jamais dû être accordée au RNK, qui ne répond absolument pas aux conditions pour jouer au niveau professionnel. Mais nous évoquons la HNL, qui se soucie plus de donner la licence à des clubs qui ne leur poseront pas de problèmes qu’à ceux qui répondent aux critères de base. S’il en était autrement, le Lokomotiv ne serait plus à ce niveau depuis bien longtemps.

Slaven Zuzul et son frère Jozo ont pnéanmoins eu le mérite de redonner vie à ce club et son histoire incroyable en le ramenant de la quatrième division à un barrage d’Europa League contre le Torino. On peut aussi rajouter à leur crédit la revitalisation du petit groupe de fans, mélange d’anciens ayant combattu pour les Partisans et de jeunes d’extrême gauche se référant aux anarchistes et aux anti-fascistes étant à l’origine du club. Ensemble, ils tentent d’ignorer les nouveaux riches capitalistes ayant construits leur fortune sur le copinage.

Après tout, quoi de plus normal en Croatie, la capitale européenne de l’absurde ?

Damien F


Image à la une : © scarpenter67.blogspot.fr

1 Comment

  1. tomas 13 avril 2017 at 14 h 15 min

    tres bon article

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