David Limberský est un homme à part dans le monde du football. Une tête brûlée, provocatrice et capable de créer une rivalité naissante entre son club d’enfance, le Viktoria Plzeň, et le Sparta Prague. Un homme qui, fier de sa ville, ne crache jamais sur une bonne bière. Au risque de franchir les limites et de mettre sa vie à danger sur les routes tchèques. Mais si le David fait parler de lui dans les tabloïds du pays, il reste avant tout un joueur d’exception, un capitaine, un amoureux de sa ville et de son club et surtout, David Limberský reste encore à ce jour le meilleur joueur tchèque à son poste de défenseur gauche. Portrait d’une grande gueule qui sent la bière.
Plzeň et la bière
Bienvenue à Plzeň, ville historique et terre de la bière. Située non loin de la frontière allemande et de Nürnberg, la ville est aujourd’hui célèbre dans le monde entier grâce à deux hommes. Le premier, Emil Škoda. Enfant de la ville, ingénieur et industriel tchèque, il eut l’occasion d’être chef de construction mécanique aux ordres du comte Ernest von Waldstein-Wartenberg avant de fonder une certaine entreprise automobile qui portera son nom et deviendra mondialement connue des années plus tard. Le second, Josef Groll, ne vous dit peut-être rien. Pourtant, son travail est encore aujourd’hui béni des Dieux et apprécié par une grande frange de la population tchèque, européenne et mondiale : la Pils !
C’est ici, à Plzeň, que l’on retrouve les origines de la Pilsener dont la toute première bière brassée remonte à 1842, une bière blonde à fermentation basse dont la clarté, la brillance, sa robe dorée et son aspect lumineux ne ressemblaient à aucune autre. La Pilsner Urquell, la « source originelle de la Pilsner », était née, prête à conquérir les gosiers du monde entier.
Bien que cette dernière soit loin d’être la toute première Lager à voir le jour – les Bavarois ayant eu l’occasion d’en produire dès 1400, la bière de Josef Groll était unique en son genre. Plus douce, plus lisse, plus claire que n’importe quelle bière que tous les brasseurs bavarois avaient eu l’occasion d’expérimenter, la Pilsner Urquell eut rapidement l’occasion d’atterrir dans les oreilles de toute l’Europe, au point de faire des envieux.
Alors que la robe dorée de cette Lager resplendissait dans le fameux cristal de Bohême, l’une des grandes spécialités de la région, et après une exportation en Amérique en 1871, la compagnie fut contrainte de déposer sa marque et sa technique de fabrication après de nombreuses violations de la marque Pilsner Urquell. À toute bonne bière, toute bonne source, et l’eau douce de Plzeň reste unique de douceur et impossible à imiter. Puis, alors que la marque grandissait à pas de géants durant la fin du XIXe siècle grâce aux progrès technologiques, la ville de Plzeň lui emboîtait le pas.
La ville voit sortir de terre le théâtre Josef Kajetán Tyl, la faculté de médecine de l’Univerzita Karlova et la faculté pédagogique ainsi que celle de l’ingénierie et de l’électronique. Dès 1972, la ville atteint le nombre rond de 150.000 habitants. 150.000 personnes biberonnées à la Pilsner Urquell. Une entreprise qui voit son nom, sa bière et ses brasseries envahir le pays et ses voisins européens avec une production d’environ un million d’hectolitres.
Production que le club local, le Viktoria Plzeň, fondé en 1911, n’aura pas vraiment l’occasion d’utiliser pour célébrer des titres. La faute à une histoire plus ou moins maigre jusqu’au XXIe siècle. Les racines du Viktoria Plzeň se trouvent dans le quartier Doudlevecké où un groupe de jeunes fans de football ont eu l’occasion et l’ambition de fonder un club amateur appelé Blesk. Une époque où il n’existait que très peu d’équipes, du coup ils furent obligés de jouer contre leurs amis du FC Union Plzeň ou encore du SK Smíchov Plzeň. Suite à ces premiers matchs, les membres de Blesk s’associèrent avec Jaroslav Ausobský, qui était l’agent de la société nationale des chemins de fer, afin de créer le SK Viktoria Plzeň en 1911, avant de devenir enfin professionnel en 1929 avec une intégration en seconde division. Malgré tout, les succès étaient rares et la bière accompagnait bien souvent la tristesse et la morosité ambiante. Jusqu’à Pavel Vrba et l’arrivée d’une génération dorée, des trophées, des litres de Pils et de quelques légendes comme Pavel Horváth et un certain David Limberský. Un enfant de la ville qui affectionne particulièrement son histoire et ses mousses.
Le Plzeňský patriot
Une chose est sûre, David Limberský ne laisse personne insensible. Prophète dans son fief, le joueur ne cesse de voir son nom être égratiné dans les médias du pays à chacun de ses gestes. Enfant de la ville, formé au club et plusieurs fois champions avec le Viktoria Plzeň, le joueur traîne avec lui quelques casseroles, un caractère affirmé, mais aussi un talent fou faisant de lui le meilleur arrière gauche du pays.
Arrivé au club dès 1990, à seulement 7 ans, le joueur débutera sa carrière à l’envers. Alors que la plupart des joueurs tchèques débutent au pays pour partir à l’étranger une fois qu’ils ont acquis une certaine expérience, David, lui, fut rapidement envoyé en prêt après ses débuts professionnels. Deux prêts, coup sur coup, pendant deux saisons. Le premier se fit à Modena, où à tout juste 20 ans, le joueur ne s’impose pas, ne joue que quatre petits matchs et part alors à… Tottenham. Nouveau prêt, même résultat. Avec un temps de jeu nul, le joueur est très loin du cadre familial du Viktoria Plzeň. Alors que sa ville natale est assez minime à l’échelle humaine, Londres joue dans une autre cour. Comme il l’expliquait dans le magazine Sparta Do Toho, « en Angleterre, c’était difficile parce que j’ai été le premier achat puis le club a acheté quinze joueurs. Il y avait Robinson, Carrick, Brown, Keane. Et puis bien sûr Radek Cerny. À Londres, j’avais peur de me perdre. Là, je ne connaissais qu’un seul district, mais l’ensemble de Londres m’était inconnu. Ce n’est pas une ville, c’est un terrain inconnu. »
Et puis, vint Stanislav Levý. Entraîneur charismatique et guerrier, l’entraîneur tchèque fit confiance à David Limberský au point de le placer dans un nouveau rôle au sein de son XI : défenseur gauche. Un choix qui changera à jamais la carrière du joueur. Loin de son envergure actuelle, David Limberský s’impose malgré tout comme l’un des joueurs cadres de cette équipe et s’impose comme l’une des belles surprises du championnat après deux saisons pleines depuis son retour de prêt. Au point d’attirer le Sparta Prague. Le moment pour la tête brûlée de s’affirmer et de lancer les hostilités.
Rarement un transfert n’aura eu autant de conséquences dans la rivalité entre un joueur face à tout un peuple. Dès son arrivée au Sparta, le joueur ne cherche pas à faire de langue de bois. Fidèle à ses principes et à son franc-parler, le joueur déclare à Sparta Do Toho, le magazine des supporters du Sparta Prague, « je ne pourrai pas oublier que je suis un disciple de Plzeň. » Plzeňský patriot.
Et puis, évidemment, ce qui devait arriver arriva. Le transfert tourne au fiasco, le joueur ne s’impose pas, est abandonné sur le banc et repart un an plus tard chez lui, à Plzeň. Un club qui vient tout juste de signer l’entraîneur Pavel Vrba en provenance de Žilina. Toutes les cartes sont sur la table, la rivalité n’attend plus qu’à exploser, alors que la génération dorée de Plzeň est prête à bousculer la hiérarchie en place.
La génération dorée contre la capitale
Il était une fois un petit club tchèque qui recrutait lors d’un même mercato six joueurs d’un seul et même club, un club concurrent et face auquel il remporta une bataille sur le long terme pour les titres de champion de République Tchèque. Cette histoire est celle du Viktoria Plzeň version Pavel Vrba. Avec Pavel Horvath, Daniel Kolar et David Limberský, le club de la capitale de la Pils recrutait alors trois futurs cadres et légendes qui allaient marquer à tout jamais son histoire. Une génération et un entraîneur qui lanceront le club vers quatre titres de champion, une coupe de République Tchèque, deux Supercoupes et des participations à la prestigieuse Ligue des Champions. De quoi chagriner quelque peu l’ego du Sparta Prague dont la culture de la gagne n’est plus à présenter.
En 2012, alors que les deux clubs se collent l’un à l’autre et ne veulent pas se départager pendant toute la saison, le Viktoria Plzeň se rend à Prague dans un match crucial pour décider du futur champion du pays. Un match qui se soldera par une victoire courte des visiteurs grâce à… David Limberský. Evidemment. Débordant sur son côté gauche avec un magnifique une-deux avec Horvath, le latéral tchèque se retrouve à terre dans la surface après un contact avec Hušbauer qui, pour David, « était un contact clair » alors que pour les Spartiates, « Limberský est tombé trente ou quarante centimètres avant Hušbauer. » Une décision lourde de conséquences, qui donne un penalty et un but victorieux pour le club Plzeň. Pour couronner le tout, juste après le match, le joueur et Pavel Horvath, buteur du soir, eurent la bonne idée de reconstituer le penalty de façon parodique avec un Limberský jouant le rôle d’un gardien du Sparta Prague, mauvais avec ses mains. Une amende de 40.000 couronnes plus tard, l’antagonisme entre les deux clubs était prêt à animer les rencontres suivantes.
Un an plus tard, la haine s’empare de ce match. Sifflet, bannières d’insultes, jurons, tout Letna est en feu derrière une cause : faire passer à Limberský la plus mauvaise soirée de sa vie. À chaque touché de balle du défenseur du Viktoria Plzeň, une pluie de hués s’abat sur lui. Prête à lui faire perdre ses moyens. Pour orner les tribunes, des banderoles avec tous un seul et même thème : Limberský. « Plongeon de l’année – Limberský » , « Limberský – ordure » , « Limberský est [avec une image d’un pénis] » , « Un penalty clair : David Pinocchio Limberský », etc. La cote d’amour pour l’ancien du Sparta est à son paroxysme. Toujours plus imaginatifs, les supporters du Sparta ont également su donner de la voix pendant 90 minutes afin de continuer à animer cette soirée à thème. Au programme, du « Limberský, connard » ou encore le splendide « Raz, dva, tři, Limberský je píča » – « Un, deux, trois, la chatte à Limberský. » Un nouveau match, et une défaite 1-0 pour le club de Plzeň. Sans penalty, cette fois.
Un épisode de plus dans la longue lignée des duels entre les deux clubs. Dernièrement, en 2016, lors d’un nouveau choc entre le Sparta et le Viktoria Plzeň, le joueur fut l’acteur majeur du match avec un double doigt d’honneur parfaitement visible en réponse aux insultes des supporters du club pragois et aux nouvelles banderoles hostiles à l’international tchèque. Résultat des courses, une victoire 3-0 du club de Plzeň, un titre de champion et une amende de 50.000 couronnes pour le joueur. De quoi continuer à alimenter une rivalité qui dure et une image de bad boy que traîne le joueur. Une image dont la peau est encore plus dure après ses débordements extra-sportifs.
L’alcool et les voitures
Capitaine de son équipe, Limberský est aucun doute le meilleur joueur à son poste en République Tchèque et, d’un point de vue sportif, possède une place indiscutable dans la sélection nationale de Pavel Vrba. Cependant, avec Limberský, le problème n’est pas sur le terrain, mais bien à l’extérieur. Plzeň et tchèque oblige, l’alcool a une certaine place dans la vie du joueur. Aussi glorieux pour son niveau de jeu que pour ses soirées nocturnes arrosées dans la cité de la bière, le joueur possède aujourd’hui une réputation pas franchement des plus sympathiques et ses récents dérapages n’y aident pas vraiment.
« Je suis un fan du joueur, mais pas de la personne. Il faut être un idiot pour constamment plaisanter publiquement au sujet de son accusation de conduite sous alcool » nous explique Chris Boothroyd, grand spécialiste du football tchèque et fondateur du site czefootball.com. Un son de cloche qui revient bizarrement dans la bouche d’un autre intéressé. Pour Tomas, ultra du Slavia Prague et supporter tchèque, « ses qualités footballistiques sont indéniables. C’est le meilleur arrière gauche tchèque depuis des saisons et le numéro 1 en sélection nationale. Mais il est comme un enfant terrible, c’est notre Balotelli tchèque. Une chose est claire, les tabloïds du pays l’aiment beaucoup. »
Des tabloïds qui ont eu l’occasion de se régaler durant le mois de septembre dernier. Alcoolisé après une soirée avec des amis, le joueur reprend le volant et s’empale sur un poteau. Pour cette mauvaise conduite, le joueur doit faire face à une vague d’articles et de reproches dans les divers médias du pays, au point même de provoquer une pétition afin de l’exclure de la sélection nationale. Brassard de capitaine et permis retiré, amende record de près d’un million de couronnes, le joueur est alors dans un moment délicat auquel il répond sur le terrain, en marquant et en célébrant un but face à Příbram, quelques jours après cet événement, en mimant un conducteur de voiture. Bien qu’il expliqua son geste par de l’humour noir, le public et la majorité des acteurs du football condamnèrent ce geste, au point de se faire appeler de « grand enfant » par Miroslav Pelta, le président de la fédération de football tchèque.
Toujours plus fort, pour terminer en beauté et célébrer le dernier titre de champion de République Tchèque obtenu il y a quelques semaines seulement, le joueur décida de s’installer derrière le volant du bus transportant toute l’équipe afin de fêter ce titre. Comme un dernier pied de nez à tous ses détracteurs. Alcool, grande gueule, provocateur et considéré comme un fauteur de troubles, le joueur sera malgré tout bien là pour tenir son couloir gauche et montrer qu’il reste, qu’on le veuille ou non, le meilleur à son poste au pays.
Et si comme le chantait Bashung, « je fume pour oublier que tu bois », nul doute que la famille Limberský est bien partie pour un cancer des poumons.
Pierre Vuillemot
Image à la une : © FABRICE COFFRINI/AFP/GettyImages