Raymond Kopa s’est éteint ce vendredi 3 mars 2017. Kopa c’est une légende du football, le premier Ballon d’Or français avant Papin, Zidane et Platini. Kopa c’est aussi un symbole fort, figure de proue de l’immigration polonaise en France. Un enfant d’immigré issu d’une famille modeste comme il s’est toujours présenté. Un talent précoce qu’il saura vendre, un nom devenu marque de vêtements de sport et de jus de fruit et un défenseur des droits des footballeurs. Mais surtout, Kopa reste le premier footballeur français de l’ère moderne à plus d’un titre.
Plus qu’un joueur
Beaucoup trop jeune, je n’ai jamais eu la chance de voir jouer Kopa « en vrai » ( je me contente largement de mes contemporains Messi, Ronaldo et Lewandowski) mais j’ai, en revanche, celle de vivre à cette époque où nous avons des plateformes de vidéos qui permettent de découvrir les exploits des footballeurs des temps d’avant, qu’elles continuent à faire vivre et perdurer. Si les gamins d’aujourd’hui regardent les vidéos des buts de Bergkamp ou de Thierry Henry, nous, les (un peu) plus âgés, redécouvrons les fantaisies d’un Pelé ou d’un Cruyff et les buts d’un Rocheteau ou d’un Kopa via Youtube, Dailymotion ou les archives en ligne de l’INA.
Bien entendu, lorsque nous sommes d’origine polonaise, Kopa est bien plus qu’un simple joueur de foot, si grand fut-il. Kopaszewski c’est une référence, un idéal, un exemple à suivre, un symbole comme l’ont été après lui des joueurs comme Eric Sikora ou Antoine Sibierski et plus encore (parce qu’il a porté les couleurs de la sélection nationale polonaise) Ludovic Obraniak. Kopa c’était une grande figure de l’immigration polonaise en France. Le seul joueur qui n’était plus en activité qui avait sa place sur les murs de ma chambre lorsque j’étais gamin. Sa petite fiche Onze Mondial punaisée au dessus de mon bureau, exception au milieu des posters de Cantona et autres Paolo Maldini.
De la mine au rectangle vert
La trajectoire de Raymond Kopa est une belle histoire, un conte moderne qui trouve son origine dans les mines du Nord de la France. Un descendant d’une famille qui quittait la Pologne pour arriver en France en 1919, année de la signature de la Convention franco-polonaise qui visait à faciliter l’envoi de travailleurs polonais vers l’Hexagone. Kopa, c’est l’histoire d’un gamin qui goûte à la mine de charbon, qui va pousser des berlines dans les galeries sombres creusées dans les entrailles charbonneuses du Nord. Kopa, c’est Germinal avec un happy-end. Une histoire parmi tant d’autres parcours de footballeurs issus de milieux modestes et qui franchissent les étapes et les échelons pour arriver au sommet, à la gloire. A ce titre là, Kopa est aussi un précurseur, le premier d’une série qui a vu après lui un Platini sortir de sa Lorraine ouvrière natale, un Zidane sortir de la Castellane, un Thierry Henry de la cité des Bosquets et peut-être bientôt un Kylian Mbappé de Bondy -avec tous ce point commun d’être à un moment ou un autre, les meilleurs footballeurs du monde, qu’ils soient récompensés pour cela ou non.
Kopaszewski, c’était le gamin de Noeux-les-mines qui a fait exploser son talent au grand jour. C’est sur les rectangles verts que Kopa a fait parler sa classe, sa vitesse, ses dribbles et ses feintes. C’est son talent de footballeur qui le tire au fur et à mesure de la mine. Talent précoce – comme tant d’autres après lui – il n’a que dix-sept ans quand il flambe avec l’équipe première de l’US Noeux-les-mines. A peine dix-huit ans quand il signe son premier contrat professionnel à Angers en 1949. Dès ses premiers pas dans le monde pro, Kopa fait preuve d’intelligence et d’une grande maturité en ce qui concerne la négociation de ses talents. Il quitte sa famille contre 100 000 francs et plafonne à 21 000 francs par mois, assez pléthorique pour un gamin qui vient de débarquer dans un club alors en seconde division. C’est à Angers et à partir de ce moment là que Kopaszewski devient Kopa. Comme il le disait lui même : « ça sonne bien Kopa. »
Deux saisons à Angers puis Kopa part un peu plus vers sa légende et signe dans LE club français du moment : le Stade de Reims. En Champagne, Raymond glane ses premiers titres. Il est sacré champion de France en 1953 et en 1955, année faste où il remporte aussi la Coupe Latine (ancêtre de la Coupe d’Europe des clubs champions qui voyait s’affronter les clubs champions d’Espagne, d’Italie, de France et du Portugal).
Galactique avant l’heure
Puis en 1956, Kopa perd sa finale de C1 face au Real Madrid mais fait forte impression et gagne le droit de rejoindre le prestigieux club de la capitale ibérique contre 52 millions d’anciens francs (environ 1M€ actuels) et pour un salaire de 20 millions d’anciens francs par mois (3 000 euros- sans compter les primes). Le Real Madrid de l’époque, c’est les Galactiques avant l’heure avec Di Stefano, Puskás et Kopa. Ce Real là, c’est la triple victoire en C1 en 1957, en 1958 et en 1959. C’est aussi deux titres de champion d’Espagne en 1957 et 1958 et une Coupe Latine en 1957. Mais Kopa n’est pas forcément épanoui au Real où il doit jouer sur le côté droit, un peu à l’image d’un Beckham bien des années plus tard, qui était un spectaculaire et flamboyant milieu droit à Manchester United passé milieu axial chez les Merengue. S’il enchaîne les titres, Kopa ne s’y retrouve pas forcément sur le terrain. Alors, en 1959, il fait son retour au Stade de Reims, le temps de gratter à nouveau deux titres de champion de France en 1960 et en 1962. Un gros manque toutefois dans la carrière de Kopa : il n’a jamais remporté la Coupe de France.
Un Polak en bleu
Puis Kopa, c’est aussi l’équipe de France. Des hauts et des bas en Bleu. Au registre des bas, on peut citer la Coupe du monde de 1954. Mondial raté pour les Français et Kopa qui doit supporter les remarques du style «Trop payé ! Retourne à la mine !» Puis au registre des hauts, il y a évidemment la Coupe du monde suédoise de 1958 qui voit la France chuter en demi-finale 5-2 face au Brésil du tout jeune Pelé puis remporter son match pour la troisième place 6-3 face à l’Allemagne de l’Ouest. Coupe du monde qui reste marquée par les 13 buts de Fontaine. Kopa, fort de ses 4 buts lors de la compétition, principal artisan de la troisième place française et du doublé C1-championnat du Real, remporte le Ballon d’Or en cette année 1958. Il est le premier Ballon d’Or français de l’histoire du football. En tout, en bleu, Kopa c’est 45 sélections pour 18 buts.
Le syndicaliste et businessman
Enfin, outre le footballeur de talent et de légende, Kopa s’est engagé pour défendre les droits de ses collègues footballeurs. A une époque, les joueurs étaient liés « à vie » (en vrai jusqu’à l’âge de 35 ans) avec un club qui était seul à décider du départ ou non de ce dernier. L’UNFP militait alors pour un changement des règles et pour un engagement limité dans le temps. En juin 1963, un soutien de poids dans ce combat vient s’ajouter en la personne de Kopa qui déclare : « Les joueurs sont des esclaves » et qui constate que « En plein XXème siècle, le footballeur professionnel est le seul homme à pouvoir être vendu et acheté sans qu’on ne lui demande son avis. » Kopa était aussi bien trop conscient de l’avantage que pouvaient avoir les joueurs à négocier leurs départs, leurs arrivées et leurs contrats. Comme il le disait lui-même à propos de cet engagement : « Je n’avais pas besoin d’être aidé, mais je pense qu’il faut aider les autres. » C’est finalement en 1969, dans le courant post-1968, que le contrat à temps était instauré.
Si Kopa était un excellent négociateur de contrats, il était là aussi un précurseur lorsqu’il fit de son nom une marque. Dès les années 1950, Kopa devenait une marque de soda et de jus de fruit puis de vêtements de sport.
Le traducteur
Le 23 octobre 1963, à l’occasion du match du centenaire de la Fédération anglaise à Wembley, une « dream team » composée de Masospust, Eusebio, Gento, Di Stéfano, Yachine et Kopa était opposée à la sélection anglaise. L’entraineur chilien Fernando Riera coachait l’équipe « Reste du monde » et donnait toutes les consignes en espagnol. Yachine et Masospust ne comprenaient rien aux directives du Chilien, c’est Kopa qui leur traduisait alors en polonais, sa langue natale et familiale.
Aujourd’hui, Kopa a donc rejoint Puskas et Di Stefano (respectivement décédés en 2006 et 2014), ses comparses du grand Real des années 1950, mais aussi d’autres légendes du foot comme Eusebio, Socrates, Cruyff ou George Best…
Lukasz – Fuckingpolak – Boisko.live
Image à la une : AFP PHOTO / GEORGES BENDRIHEM