31 octobre 1996. Dans l’enfer du Marakana, Ronaldo, la star brésilienne du FC Barcelone, ne peut rien faire. En face, le n°5 de l’Etoile Rouge de Belgrade est partout. Predrag Stanković, c’est son nom, réalise le match qui change sa vie. Vingt ans plus tard, celui-ci croupit quelque part, au fond d’une prison espagnole.

Le match d’une vie

Huitième de finale retour de Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe 1995-1996. Après avoir passé le premier tour de la compétition de justesse face aux Écossais de Heart of Midlothian, puis le deuxième tour face à Kaiserslautern grâce à trois buts en prolongations, l’Etoile Rouge de Belgrade entrevoit la fin de son parcours. Opposés au FC Barcelone par un tirage au sort sévère, les Serbes se sont inclinés 3-1 à l’aller. Dans leur antre du Camp Nou, le capitaine Gheorghe Popescu et ses coéquipiers Guardiola, Figo, Stoitchkov et autres Laurent Blanc n’ont pas tremblé.

Pour ce match retour, les Barcelonais bénéficient d’une arme supplémentaire : Ronaldo Luis Nazário de Lima. Arrivé en début de saison en Catalogne, le jeune attaquant brésilien est déjà irrésistible. Il n’a pourtant pas disputé ce match aller. Retenu par sa sélection, Ronaldo était au Brésil, à Teresina, pour y disputer, la veille, un amical face à la Lituanie. Un match remporté 3-1 par les Brésiliens grâce à un triplé de celui qui, à l’aube de sa carrière, est encore nommé Ronaldinho.

Aligné par Bobby Robson pour ce match retour en Serbie, le jeune Ronaldo ne brille pas. Dans un Marakana haut en couleur et en bruit, un homme l’attend plus que tous les autres. Bien plus que le public, les médias et tous les passionnés, Predrag Stanković attend Ronaldo. Formé à l’OFK Belgrade et passé par le FK Zemun, ce gaucher est au club depuis 1994, époque où le club renouvèle son effectif après avoir vendu les joueurs qui avaient atteint le toit de l’Europe en 1991. Deux ans et demi plus tard, Predrag Stanković reste un inconnu, dans l’autre de son jeune homonyme, le milieu offensif Dejan, absent lors de ce match.

Ce match face au FC Barcelone est une chance unique pour le défenseur central, capable également de jouer sur le côté gauche. A l’instar de nombre de ses compatriotes, Stanković a souffert des sanctions de l’ONU qui ont privé la Serbie de tout match international jusqu’à Noël 1994, mais également de disputer les qualifications de l’Euro 96, contrairement à la Croatie ou la Slovénie. Sans compétition internationale, difficile pour ce défenseur travailleur, relativement technique, mais surtout doté d’un tir puissant, de se faire remarquer à l’étranger. Seules les rencontres européennes de son club le permettent. Et ces occasions se font rares. Pour son retour sur la scène continentale après quatre années d’absence, l’Etoile Rouge a été éliminée la saison précédente dès son entrée en lice face aux Suisses de Neuchâtel Xamax.

Face à Ronaldo, Predrag Stanković réalise donc le match d’une vie. À l’image de sa prise de balle autoritaire devant son vis-à-vis en début de match, le défenseur prend le dessus sur l’attaquant qu’il lui est alloué de tenir durant toute la rencontre. Hormis un tir sans danger en première mi-temps, puis une tête plus dangereuse en fin de match, Ronaldo est inexistant. En ouvrant le score au retour des vestiaires, l’Etoile Rouge croit en sa chance de créer l’exploit de se qualifier. Espoir de courte durée puisque les Barcelonais égalisent sur la remise en jeu, au bout d’une action d’impliquant ni le Brésilien ni son défenseur attitré. Le rêve est passé pour l’équipe de Belgrade. Pas pour Stanković, qui se met en évidence par son travail défensif, mais aussi par un coup-franc lointain qui passe tout près du poteau de Vitor Baia en seconde période. Pour les plus nostalgiques, le match est disponible en intégralité.

L’arrivée en Espagne

Si ce match n’a aucune conséquence pour Ronaldo, qui terminera sa saison barcelonaise par un but victorieux en finale de C2 face au tenant du titre parisien et un premier Ballon d’Or, il est en revanche décisif pour le défenseur de l’Etoile Rouge. À 28 ans, Predrag Stanković saisit enfin l’opportunité d’évoluer à l’étranger. Dès le mois suivant, il signe à l’Hércules Alicante, modeste club promu qui se bat pour son maintien.

Ses débuts en Liga sont néanmoins retardés jusqu’en janvier 1997, pour cause – déjà ! – de nombreuses zones d’ombre. Lors de sa signature, le joueur est ainsi présenté comme un international serbe de 25 ans. Il en a en fait trois de plus et n’a pas encore porté le maillot de la sélection. Son transfert se fait ainsi pour un tiers seulement de son montant initial. Mais un autre problème survient : le club dépasse avec son arrivée son quota de six joueurs extra-communautaires. Il faut ainsi attendre le départ d’un autre joueur, en l’occurrence l’Argentin Pablo Morant, pour que Stanković puisse enfin jouer en Espagne. Le 5 janvier, il peut enfin faire ses grands débuts lors d’un match nul (1-1) face au Sporting Gijon.

Avec son compatriote Josip Višnjić (ex-Partizan), Stanković ne peut rien faire pour sauver le club d’Alicante. Malgré vingt matchs et un but lors de cette première demi-saison espagnole, l’ancien joueur de l’Etoile Rouge voit son équipe terminer à la 21e et avant-dernière place. Le promu retourne en Segunda División. Pire, deux saisons plus tard, Hércules Alicante subit une nouvelle relégation. Trois ans à peine après son huitième de finale de Recopa – nom donné en espagnol à la Coupe des Coupes – Stanković évolue désormais en Segunda B.

© Ramón Navarro

Mais la chute n’est pas terminée. Au terme de son contrat, à l’été 2000, le défenseur quitte Alicante pour le CP Mérida, avec lequel il dispute quelques matchs amicaux d’avant-saison. Las, après deux passages ratés en Liga, le club de deuxième division met la clef sous la porte, faute de moyens. Sans club suite à cette disparition, Predrag Stanković décide de mettre un terme à sa carrière, à 32 ans.

La parenthèse professionnelle refermée, le Serbe rentre s’installer à Alicante, où il joue avec les vétérans d’Hércules, tandis que ses deux garçons jouent dans les équipes de jeunes du club. Il dirige alors pendant un temps une entreprise de lavage de voitures, qu’il revend ensuite à un parent, et devient agent de joueurs. Un titre un peu pompeux au vu de sa réelle activité : offrir les services de joueurs à Hércules, sans aucun engagement en contrepartie. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Zoran Matijevic. Agent FIFA français d’origine serbe, ce dernier est également brièvement nommé manager de l’OGC Nice en 2002, sous la présidence de l’Italien Robert Cassone. Une époque trouble du club azuréen, mais une simple facette des activités de Matijevic. Pour Stanković, c’est le début de la fin.

© Archives Diario Información

Neuf ans de prison

24 février 2009. Après des mois de filature, l’UDYCO (Unidad de Drogas y Crimen Organizado), section spécialisée de la police espagnole, se met en action et arrête pas moins de onze personnes accusées de trafic de drogue. La moitié est issue du monde du football. Parmi elles, Predrag Stanković, qui est arrêté à Madrid. C’est l’opération « Cyclone. »

Zoran Matijevic est lui aussi de la partie. Il est le chef du groupe de narcotrafiquants visé. Et l’on découvre que Matijevic n’est en fait pas officiellement agent FIFA. C’est son épouse qui détient la licence. Lui n’est que salarié de Bahia International, une agence brésilienne comptant plus de 200 joueurs comme clients. La couverture parfaite. Profitant de ses allers-retours entre la France, l’Espagne et l’Amérique du Sud, le natif de Belgrade met au point un réseau de trafic de drogue à grande échelle. Fin 2008, un porte-conteneurs quitte Buenos Aires pour Tanger, au Maroc, puis le port d’Algésiras, en Espagne. À son bord, 600 kilos de cocaïne dissimulés dans des pièces détachées pour éoliennes. Début 2009, c’est un second bateau qui fait le trajet, à destination de Valence cette fois, avec 350 kilos de cocaïne dissimulés selon le même mode opératoire. Les deux cargaisons doivent ensuite être transportées par la route vers une zone industrielle de la région de Madrid. Pour un montant total estimé à 70 millions d’euros.

Ce que le groupe ne sait pas, c’est qu’il est suivi de près par l’UDYCO. Afin de faciliter le passage des conteneurs par la douane espagnole, l’un de ses membres fait en effet appel à un ancien garde civil, déjà condamné dans une autre affaire, pour bénéficier de ses connexions. Un homme qui joue un double-jeu et participe à l’affaire tout en infiltrant le groupe pour la police. Qui saisit au final les conteneurs renfermant la drogue, mais également plusieurs voitures de luxe, des ordinateurs et des téléphones portables.

« Ce fut une opération très difficile, qui a nécessité beaucoup de temps et d’agents, mais ça en valait la peine, car une énorme réserve a été mise hors circulation. (…) De plus, la marchandise a été interceptée sur terre et déjà sur le point d’être distribuée. »  La police nationale espagnole au quotidien El Pais au lendemain du coup de filet.

En 2014, les condamnations tombent. Zoran Matijevic écope de douze ans de prison. Predrag Stanković est condamné à neuf ans, tout comme Txutxi, ancien défenseur de l’Athletic Bilbao et d’Hércules. Tous trois sont également condamnés à une amende colossale de plus de 64 millions d’euros chacun. L’agent de joueurs Pablo Acosta est lui condamné à cinq ans de prison. Des sanctions toutes confirmées un an plus tard en appel. Les joueurs Carlos de la Vega (Rayo Vallecano, Leganés) et Carlos Federico Ruiz (Castilla), sont, eux, disculpés. Les autres condamnés dans cette affaire n’ont pas de liens avec le monde du football.

Txutxi et Stanković (deuxième à droite, en manteau marron) parmi les hommes sur le banc des accusés © Archives EFE

C’est ainsi que s’arrête la route de Predrag Stanković. Loin du défenseur travailleur, discipliné et capable de coups d’éclats lui permettant de devenir champion de Yougoslavie (en 1994-1995) et vainqueur de deux coupes nationales (1995 et 1996) avec l’Etoile Rouge de Belgrade, son souvenir reste aujourd’hui celui d’un modeste joueur en Espagne, tombé pour trafic de drogue. Un joueur donc le destin a basculé lors d’un match de C2, un soir d’octobre 1996. Pour le meilleur, puis le pire.

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © Archives novosti.rs

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