Un peu lassés par les piètres résultats du football serbe que ce soit au niveau de l’équipe nationale ou des clubs, nous avons décidé de discuter avec Dusan, passionné de sport serbe en général, pour essayer de comprendre pourquoi le basket s’en sort mieux que le football au pays de Matic et Teodosic.

Selon toi, pourquoi la sélection de basket est-elle plus performante que celle de football ?

En fait, il y a eu un véritable projet de faire de la Yougoslavie une nation phare du basket à partir des années 60, projet mené dans un premier temps par Nebojsa Popovic (fondateur de la section basket de l’Etoile Rouge, avec qui il a gagné 10 titres de champion de Yougoslavie de 1946 à 1955), sélectionneur de 1947 à 1953, puis dans un deuxième temps par Aca Nikolic, entraîneur de 1954 à 1965 qui a ramené la première médaille au pays (l’argent de l’Eurobasket de 1961).

En fait, la question serait plutôt « Pourquoi la sélection de football est moins performante que celle de basket ? ». Car on est d’accord, avec les joueurs que l’on a actuellement, on devrait mieux s’en sortir. Quand tu as des Ivanovic, Matic, Tadic et consorts, tu t’attends à mieux de leur part. Je ne saurais dire si ce sont les joueurs qui n’arrivent pas à jouer ensemble, ou bien les coachs qui ne sont pas assez bons, un peu des deux sans doute. Ce qui n’est pas le cas dans le basket, car on a les coachs et le talent. Mais historiquement aussi bien au foot qu’au basket, on a eu des joueurs de grand talent, donc je pense plutôt que c’est au niveau des entraîneurs où se situe une véritable différence, n’ayant pas cette tradition de grands entraîneurs au foot.

Ces dernières années furent bien plus profitables à l’équipe nationale jouant à la balle orange, bien qu’ayant un creux de performance (depuis 2002, deux médailles d’argent à l’Eurobasket de 2009 et Coupe du monde de 2014, c’est bien maigre par rapport aux résultats historiques). De leurs côtés, les footballeurs affichent un niveau de jeu très faible, malgré une coupe du monde en Afrique du Sud (dernier de la poule derrière l’Allemagne, le Ghana et l’Australie).

Peut-on considérer que les systèmes de formation serbes sont aussi performants en basket qu’en foot ?

La formation au basket est plus performante dans le sens où nos équipes arrivent à se renouveler année après année grâce aux jeunes joueurs, mais aussi grâce à des formateurs de qualités, des entraîneurs faisant progresser les joueurs jusqu’à l’équipe première. C’est cette formation qui permet également de faire parfois face à de plus gros budgets en Europe au niveau des clubs. Ainsi, un coach comme Vujosevic a permis à Partizan d’atteindre le Final Four de l’Euroligue en 2010. Le gars connait tous les jeunes, les façonne à sa façon, avec rigueur, et même si parfois il pète des plombs, il a prouvé qu’il était un coach adapté au développement des jeunes joueurs.

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Qu’en est-il de la qualité des techniciens ? Le basket a t-il plus de « maitres » serbes que le football ?

Ça c’est certain. Quels sont les grands coachs serbes au foot ? La liste va être courte, puisque personne ne peut prétendre à ce rang, contrairement au basket. Les plus grands sont Zeljko Obradovic, Dusan Ivkovic et Bozidar Maljkovic, même si ce dernier a surtout performé dans les années 1990. A eux trois, ils représentent 16 titres d’Euroligue (la Ligue des Champions du basket, Maljkovic ayant gagné la seule française avec le CSP Limoges en 1993), 4 championnats d’Europe avec la Yougoslavie (qui depuis 92 n’est composée que de Serbes), dont deux avant 92, deux championnats du monde, ce à quoi on peut ajouter deux médailles d’argent aux JO de 1988 et 1996, sachant que Maljkovic n’a jamais entraîné la Yougoslavie.

Mais ils n’auraient pas ce bagage tactique sans Aca Nikolic, décédé en 2000, qui a certes remporté 3 Euroligue, un championnat d’Europe et un championnat du monde, mais qui a surtout été professeur à l’université de Belgrade et a enseigné à ces trois coachs et à bien d’autres. Il a fait partie intégrante du développement de la Yougoslavie (et par conséquent de la Serbie) au niveau européen et mondial en ce qui concerne le basketball. D’ailleurs, un téléfilm sur le développement du basket dans les Balkans pendant les années 1960 va bientôt être diffusé en Serbie.

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Le maître Aleksandar Nikolic

Mention aussi à Svetislav Pesic, qui a gagné les deux derniers titres de la Serbie (toujours sous le nom de Yougoslavie, 10 joueurs serbes et 2 monténégrins), Eurobasket en 2001 et coupe du monde en 2002, et il a même gagné l’Euro avec l’Allemagne (le seul titre du pays).

Alors certes, ils sont tous vieux (plus de 60 ans, sauf Obradovic à 54), mais la relève est déjà là. Sasa Djordjevic, avec qui on a fait une très bonne deuxième place aux derniers championnats du monde, Sasa Obradovic, qui s’en tire superbement avec l’Alba Berlin actuellement, Dejan MIlojevic qui entraîne Mega Leks, Dejan Radonjic qui fait également du super boulot avec Zvezda (même si en fait il est monténégrin, je triche un peu).

Les clubs de football serbe n’arrivent pas à garder leurs bons joueurs qui partent très jeunes comme ce fut encore le cas de Danilo Pantic, qui a signé à Chelsea à 18 ans. Qu’en est-il des clubs de basket ?

De ce côté-là au basket ce n’est pas forcément mieux. Les vrais bons jeunes qui sont connus et pistés depuis des années partent vers 21-22 ans au max après une bonne campagne en Euroligue en général. Ils restent une ou deux années en plus en Serbie par rapport aux footballeurs, mais je ne pense pas que ce soit si flagrant que ça. Aucun international actuel à ma connaissance n’est resté en Serbie après ses 25 ans. Certains reviennent plus tard car ils n’ont pas réussi à confirmer à l’échelon supérieur en raison d’un niveau de jeu trop faible ou de pépins physiques à répétition.

Pourquoi est-ce que les clubs de basket serbe jouissent d’une attractivité que n’ont pas les clubs de foot serbe ?

Je ne dirais pas qu’on ait une très grande attractivité au basket. Que ce soit à Partizan ou Zvezda, la plupart des joueurs sont serbes, formés localement, et il y a quelques étrangers, en général des Américains, des joueurs originaires des Balkans ou des pays de l’Est. En plus, conserver les bons jeunes reste difficile, donc il reste toujours un fossé entre les clubs serbes (d’ex-Yougoslavie en général) et les gros mastodontes européens. Mais ce fossé est encore plus grand au foot, vu que des clubs avec un minimum d’argent achètent nos joueurs, la garantie du paiement des salaires faisant défaut chez nous. On peut prendre l’exemple des footballeurs Srdjan Mijailovic (21 ans, 5 sélections), jouant aujourd’hui en D2 turque, tout comme Nenad Milijas (31 ans, 25 séléctions), capitaine emblématique de l’Etoile Rouge parti lui aussi dans un petit club turc.

Quelle est la place des clubs serbes à l’échelon européen au niveau du basket; sachant qu’aucun club de football serbe ne s’est qualifié pour la Ligue des Champions depuis 1992 ?

Elle n’est pas si haute que ça, actuellement. Historiquement, le club serbe c’est Partizan et il n’a gagné qu’une Euroligue en 1992 avec Zeljko Obradovic aux commandes d’une équipe composée notamment de Sasa Djordjevic et Predrag Danilovic (l’un est sélectionneur de l’équipe nationale, l’autre président de Partizan). Le club aurait pu continuer sur sa lancée mais les clubs serbes furent interdis de compétitions européennes (embargo de l’ONU pour cause de guerre), ce qui causa le départ de joueurs majeurs.

Cette saison, quatre clubs serbes disputent la ligue adriatique (ou ABA Liga), championnat rassemblant les meilleurs clubs d’ex-Yougoslavie, avec parfois des clubs venant d’un peu plus loin (Maccabi Tel-Aviv en 2012, Nymbruk en 2011, Levski Sofia cette saison). Cela permet, à l’inverse du foot, d’avoir un championnat plus compétitif en faisant s’affronter les meilleurs équipes de la région, en ne créant pas un championnat pour deux équipes (parce qu’au foot, il n’y en a que pour Zvezda ou Partizan). Et cela nous offre également de beaux moments de sports comme cette victoire avec un tir à 0.6 secondes de la fin, lors de la finale de l’ABA de 2010 :

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Donc pour l’Euroligue, la qualification pour nos clubs se fait via l’ABA Liga, où les deux finalistes de qualifient.

En fait, si l’on exclut ces deux dernières années, le fer de lance du basket serbe c’est Partizan, avec à côté FMP (qui depuis 2011 est devenu une « filiale » de Zvezda) et Hemofarm qui pouvaient faire quelques perfs dans les années 2000. Mais il faut surtout noter la renaissance de Zvezda qui après avoir eu de gros problèmes financiers (environ 15 millions euros de dettes), a été sauvé en 2011 par Nebojsa Covic, qui a intégré son club FMP et est devenu président de Zvezda. Du coup, cela a permis d’assainir le club sur le plan financier, notamment en faisant de sa structure FMP le financeur principal du club (47% du budget du club en 2012), de redevenir attractif en signant des joueurs de qualité, aussi bien des étrangers (Blake Schilb, Marcus Williams, DeMarcus Nelson entres autres), que des jeunes serbes (Kalinic et Jovic qui ont participé à la dernière coupe du monde, Dangubic). L’équipe reste très jeune mais s’est hissée cette saison au Top 16 de l’Euroligue (la deuxième phase de poule) et n’a toujours pas perdu en ABA Liga (17 victoires), alors que Partizan qualifié en Eurocup (l’Europa Ligue du basket), y a signé une piètre performance avec un bilan de 3-7 et en est à 10 victoires et 7 défaites en ABA.

Le basket est-il plus sponsorisé que le football ?

Du point de vue de l’exposition médiatique, je n’ai pas l’impression. La diffusion télé me semble similaire dans les deux sports. Les matchs de l’équipe nationale sont tous diffusés sur la chaîne nationale RTS, quel que soit le sport en général.

Après, les clubs de foot ne sont pas privatisés. Tous sauf un, Cukaricki. En 2011, le club avait fini dernier du championnat avec 5 petits points (5 nuls, 25 défaites) et fut racheté en 2012 par le groupe ADOC (pharmacie et constructions) et le club revient en Jelen SuperLiga pour la saison 2013/2014 où le club termine à une bonne 5e place. Preuve que la privatisation a du bon et que c’est sans doute le chemin à prendre pour nos grands clubs qui croulent sous les dettes.

Y a-t-il une différence dans l’attitude entre les supporters de football et ceux de basket ou sont-ce les mêmes ?

La mentalité est plus ou moins la même, pas de différence flagrante. Des bastons des deux côtés, la ferveur qui reste la même, quoique ça peut se discuter pour Zvezda en championnat où il y a bien moins de monde qu’en Euroligue, mais c’est surtout dû à l’horaire vu que le club joue le dimanche ou lundi soir comme l’Euroligue se joue maintenant le jeudi et vendredi.

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Au final, quel est le sport n°1 en Serbie actuellement selon toi ?

Comme ça c’est difficile à dire. Le foot est plus médiatisé par rapport au basket en Serbie, notamment en ce qui concerne les championnats étrangers. Sur les sites de sports, il y a d’abord le foot, puis le basket, mais c’est surtout car on a accès à une plus grande quantité d’infos à l’internationale. Mais la fierté au niveau local est clairement plus forte avec l’équipe nationale de basket, du fait des succès récents de celle-ci. Le football fait peine à voir à côté avec les échecs de la sélection depuis tant d’années, ce à quoi on peut ajouter le ras-le-bol des non-performances en coupe d’Europe, alors qu’on voit d’autres clubs de l’est se qualifier en Ligue des champions (Maribor, Ludogorets qui s’est qualifié en battant notamment Partizan, BATE Borisov) et que nous arrivons à peine à placer un club en Ligue Europa. Au basket on n’a pas ce problème vu que chaque saison (sauf celle-ci) Partizan se qualifie en Euroligue et arrive à réaliser des performances. Mais par « habitude » je dirais de regarder la Premier League, la Ligue des Champions, les grandes compétitions footballistiques, on a une tendance à préférer le foot, mais le basket reste très présent. »

Un grand merci à Dusan que vous pouvez retrouver sur Twitter.

Tristan Trasca

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