Alors qu’en France, on se tourne plus naturellement sur Obraniak ou Perquis pour parler des binationaux Polonais, un prénom un peu exotique s’est retrouvé dans la liste des 23 qui participeront à cet Euro 2016. Né au Brésil de descendants polonais, Thiago Cionek a connu les bas-fonds des championnats brésiliens avant de pouvoir porter fièrement le maillot de la sélection nationale polonaise.
D’ici et d’ailleurs
En Pologne, la sélection nationale représente la nation d’un pays qui si souvent n’a pas eu de terres pour exprimer sa culture, sa langue et sa souveraineté. Le football, comme dans beaucoup de pays à l’est de l’Odra, fut et reste toujours un combat. Un combat pour l’identité, un combat contre des régimes totalitaires, un combat parfois pour la liberté. Cette identité polonaise est avant tout basée sur deux faits majeurs : la langue et la nationalité (ainsi que la religion, mais le football y est moins présent). Il est donc difficile, depuis la création de l’équipe de football, de trouver des binationaux et/ou naturalisés qui ont réussi avec la sélection. Il y a bien sûr les cas de Perquis et Obraniak qui ont soulevé beaucoup de questions en Pologne, car la langue est une constituante majeure de l’identité polonaise, et ce qui aura manqué à Perquis et Obraniak fut cette absence de compréhension, tant avec le public qu’avec leurs coéquipiers. Et puis le cas le plus célèbre, et nous dirons le plus incroyable, est celui d’Emanuel Olisadebe, attaquant nigérian obtenant la nationalité polonaise pendant sont passage au Polonia Warszawa et devenant le premier joueur “noir” polonais de l’histoire.
Ceci pour vous montrer que la naturalisation et la double nationalité ne sont pas forcément quelque chose d’évident à porter en équipe de Pologne et que cette identité doit être arborée encore plus haut que pour un Polonais non binational. Maintenant, prenons un avion, partons loin, la où tout a commencé pour un joueur faisant partie du groupe pour l’Euro en France.
Curitiba – Bialystok, le transatlantique pas si express
Curitiba est une des grosses agglomérations brésiliennes situées dans le sud-est du Brésil, non loin de la côte. Près de deux millions d’habitants vivent dans cette métropole où Oscar Niemeyer, comme souvent au Brésil, a laissé son empreinte. Ville de naissance Lucas Mendes pour ceux qui ont suivi la Ligue 1 il fut un temps, elle se situe à plus de 9.000 kilomètres de la Pologne et pourtant des liens plus importants et qui nous intéressent relient le Brésil à la terre de naissance de Chopin. Tout d’abord Curitiba est jumelée à la ville de Cracovie et deuxièmement Curitiba est la ville de naissance d’un international polonais qui sera présent à l’Euro. Effectivement, Thiago Rangel Cionek est né au Brésil en 1986, très très loin de la Pologne. Cionek vient d’une famille qui autrefois a fui l’Europe et un pays devasté pour venir s’installer au Brésil, à la manière d’un Stefan Zweig. Les grands-parents polonais de Thiago sont alors venus s’installer à Curitiba.
Cionek commence sa carrière de jeune footballeur au Cuiaba Esporte Clube en Serie C brésilienne, avec la nationalité brésilienne en poche, plutôt samba que mazurek et plutôt posters de stars brésiliennes sur les murs que d’affiches glorifiants Lubanski ou Lato. Il est défenseur central mais peut aussi jouer sur le côté droit, il est polyvalent, pas mauvais stoppeur et assez physique. Mais c’est au poste de défenseur central qu’il est repéré par un club portugais pour continuer son aventure vers l’Europe. Ses grands-parents avaient quitté l’Europe, il y retournera à Braganca, en 3e division portugaise, plus exactement. Cette expérience fut courte mais ce fut un terrible échec pour le défenseur brésilien qui doit retourner jouer au Brésil en Serie B cette fois ci, au CR Brasil. Ce retour au Bresil après un échec en Europe aurait pu signifier comme tant d’autres une carrière européenne avortée bien jeune. Dans le cas de Cionek, la vieille Europe ne voudrait-elle plus de lui et de sa famille finalement partie pour toujours ?
Ses envies d’Europe sont fortes, mais son niveau plutôt moyen de défenseur central à l’époque ne lui ouvre pas toutes les portes nécessaires à l’exode et après sa médiocre expérience au Portugal, il passe des essais en Italie, au Chievo et à l’Atalanta, sans succès. C’est alors que celui dira par la suite dans une interview pour Sportowe Fakty que “son rêve de toujours est de jouer pour la Pologne” se rappelle aux bons souvenirs du pays de ses ancêtres. Il passe un test au Lech Poznan qui se solde par un échec mais le Jagiellonia Bialystok l’appelle, lui demande de venir pour faire un essai et il signe finalement un contrat de trois ans avec le Jagiellonia, le 3 juillet 2008. Ce contrat stipulant que si la première année n’est pas convaincante, Thiago pourrait être libéré par le club polonais. C’est à lui de convaincre et c’est ce qu’il fait en marquant dès son premier match d’Ekstraklasa contre le LKS Lodz. Il devient titulaire indiscutable à Bialystok, son style de jeu est celui d’un défenseur rugueux, il collectionne cartons jaunes et parfois les rouges, il fait des fautes, pas mal de fautes souvent utiles qui le mettent dans la position d’un défenseur précieux pour sa hargne et sa combativité mais parfois trop agressif.
Il aime le combat physique, possède une bonne relance du pied droit et s’acclimate petit à petit au championnat polonais. Il reste au total quatre années au Jagiellonia, remportant par la Coupe de Pologne ainsi que la Super Coupe et jouant l’Europa League où l’équipe ne parvient pas à avoir de résultats probants. Cionek veut partir car il le sait, lui qui aimerait jouer en équipe nationale de Pologne, lui qui aimerait faire honneur à ses origines et à ses racines polonaises devra s’exiler pour acquérir la visibilité et l’expérience nécessaires et ainsi, pourquoi pas, être appelé sous le maillot frappé de l’Aigle. L’exil comme une ritournelle familiale malheureuse, comme un destin toujours présent génération après génération, comme un rêve qui peut à tout moment tourner au cauchemar.
Tous les chemins mènent aux Bialo-Czerwoni ?
De son passage au Jagiellionia, il gardera des choses importantes pour son rêve, tout d’abord la nationalité polonaise acquise après sa deuxième année au Jagiellonia en 2010, la langue polonaise qu’il pratique et parle couramment dorénavant et enfin la connaissance du football polonais et de certains joueurs et dirigeants qui plus tard feront partie de la sélection. Après une fin un peu mouvementée au Jagiellonia, qui le relègue en équipe junior suite au refus de signer une prolongation de contrat (ce qu’il fera par la suite), il signe à Padoue en Serie B italienne. Il joue quasiment tous les matchs de son équipe et finit cette bonne saison avec plus de 30 matchs au compteur et une 11ème place pour le club. Malheureusement, un nouveau défenseur central arrive au début de sa deuxième saison en Vénétie et il perd sa place de titulaire. L’exil encore et toujours. Et Thiago Rangel Cionek le sait, il doit jouer pour espérer réaliser son rêve et il n’en a jamais été aussi près. Derrière Glik (qui lui aussi joue en Italie au Torino), les places en défense centrale ne sont pas définitivement prises et l’espoir est de mise. Pour l’instant, ni Smuda ni Formalik n’ont fait appel à ses services.
Les rêves doivent parfois rester des rêves et les fantasmes peuvent se perdre dans la brume matinale vénitienne. Mais Thiago Cionek ne baissé pas les bras, il rebondit à Modène (encore en Serie B) où il est d’abord prêté un an et où il signera un contrat à la fin de la saison. Ses débuts sont compliqués, il doit s’adapter à sa nouvelle équipe et faire ses preuves pour rentrer dans le XI titulaire et ne pas cirer le banc. Mais il gagne finalement sa place en défense centrale et fait partie à la fin de saison de l’équipe qui joue les play-offs d’accession à la Serie A. La Serie A serait le Graal, une place de titulaire dans l’élite italienne garantie quasiment à quiconque une place dans la sélection polonaise. Mais Modene reste finalement en Serie B et Cionek reste lui à Modène. Il a maintenant 29 ans, le temps presse et s’il n’est pas appelé maintenant, alors il ne le sera sans doute jamais.
Un destin polonais toujours lié au Brésil
Mais un changement d’importance va bousculer la carrière internationale du gamin de Curitiba, polonais par ses grands parents et dont le sang blanc et rouge coule dans ses veines comme il aime le clamer à longueur d’interview. Formalik est remercié par la fédération polonaise suite à l’échec des éliminatoires pour le mondial au Brésil. Jouer au Brésil avec la Pologne aurait pu être une chose extraordinaire pour lui mais Formalik ne l’a jamais appelé et la Pologne ne s’est pas qualifiée. Le destin s’est donc chargé de remplacer l’obstacle Formalik par Adam Nawalka. Et pour Nawalka, tout joueur ayant la nationalité polonaise et ayant le niveau nécessaire peut être appelé en sélection. Et il a besoin d’un groupe élargi pour reconstruire cette sélection polonaise en triste état.
Thiago Rangel Cionek, lui qui a traversé l’Atlantique par deux fois pour réaliser ses rêves d’Europe, qui a commencé en Serie C brésilienne, qui est passé par la 3e division portugaise, par l’Ekstraklasa et par la Serie B peut croire enfin à sa bonne étoile. Nawalka l’appelle le 6 mai 2014 pour être dans le groupe en vue d’un match amical contre l’Allemagne.
C’est une consécration, il est enfin appelé, lui, le plus brésilien des Polonais. Il fera d’ailleurs ses débuts internationaux, chantant à pleins poumons l’hymne polonais « MARSZ, MARSZ, DABROWSKI, …” les yeux écarquillés par l’émotion, électrisés par l’instant.
Il sera appelé encore trois autres fois par Nawalka suite à sa très bonne saison avec Modene en 2014-2015. Mais maintenant devant lui en défense, il y a du monde, beaucoup de monde et Cionek accepte la proposition de Palerme (en Serie A) à l’hiver 2015, espérant trouver du temps de jeu dans la première division italienne et ainsi assurer sa place dans le groupe pour l’Euro 2016, lui qui veut maintenant jouer une grande compétition avec son pays de cœur et de sang. Malheureusement à Palerme, Thiago Cionek est davantage sur le banc ou utilisé dans la rotation de l’effectif que titulaire sur le terrain. Même Bartosz Salamon, qui lui joue en Serie B avec Cagliari, est appelé avant lui.
Disputer l’Euro semble hypothétique maintenant mais le destin encore une fois va se charger de son sort. C’est une défense polonaise affaiblie qui va aider Cionek à être dans le groupe. Sa polyvalence, sa hargne, son esprit de combat (tant dans sa vie que sur le terrain) sont des qualités appréciées par Adam Nawalka. Il se retrouve donc malgré sa deuxième partie de saison peu convaincante avec Palerme dans la première liste des 28 pour l’Euro puis enfin, à l’instant fatidique, son nom s’affiche dans la liste des défenseurs pour l’Euro. Lui qui s’est battu, qui a tout fait pour être polonais, pour jouer avec les Aigles pourra finalement goûter à une grande compétition et montrer tout l’amour d’un maillot que rien ni personne ne pourra lui faire enlever.
On ne le verra certainement pas beaucoup jouer pendant l’Euro, il n’est pas un « top class player » mais cette trajectoire d’un enfant de Curitiba aux racines polonaises qui a toujours cru en ses rêves et qui s’est battu contre vents et marées, qui n’a jamais baissé les bras, est exceptionnelle. Un Polonais pas comme les autres, qui à chacune de ses entrées sentira battre en lui son cœur blanc et rouge, digne héritage de sa famille partie pendant les troubles du XXe siècle pour oublier la guerre et reconstruire son avenir ailleurs. Destin croisé, de Thiago Rangel Cionek qui peut construire avec la Pologne, là où tout fut détruit pour sa famille. La plus belle page de son Histoire.
Mathieu Pecquenard
Image à la une : © Tullio M. Puglia/Getty Images
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