C’est incontestablement avec une gueule de bois digne des lendemains de Dionysies que les supporters du PAOK ont terminé la soirée du 29 août dernier, après une désillusion aux allures d’un désastre sportif rarement connu depuis une décennie pour le Dikefalos. Et pourtant, encore quelques jours avant cette meurtrière soirée de fin d’été, le champion de Grèce nourrissait encore de sérieuses ambitions européennes. Parvenant à rivaliser avec un demi-finaliste de la dernière Ligue des Champions, il se faisait piteusement sortir une semaine plus tard par le Slovan Bratislava en barrages de la Ligue Europa. Un adversaire dont il n’était censé faire qu’une bouchée. Mais qu’a-t-il bien pu se produire cet été au PAOK ? Retour sur un été sanglant.

De la consécration… 

Nous sommes le 21 avril 2019. Le PAOK vient d’écraser Levadiakos et soulève son troisième trophée de champion de Grèce, le premier depuis 34 ans. Dans la foulée, il réalise le doublé en remportant la Coupe face à l’AEK. Et enfin, pour rajouter à la légende, les Noir et Blanc s’offrent une  invincibilité que seul le Panathinaïkos détenait depuis 1964, ainsi que 80 points au compteur, record absolu en Super League. Un règne incontestable sur la Grèce. Mais aussi sur le reste du Continent, devenant la première équipe d’Europe postsoviétique à demeurer invaincue tous championnats confondus. Dès lors, l’on pouvait s’enflammer. Une liesse indescriptible envahissait la Cité. L’on érigeait des statues à la gloire du « Général » Razvan Lucescu et de son irrésistible machine de guerre, et l’on offrait des triomphes aux guerriers « invincibles, » avec leur capitaine Vieirinha pour tête d’affiche. 

Cette équipe était alors promise aux plus hautes destinées nationales et rêvait de grandes soirées de Ligue des Champions. Le « système Razvan, » tant par son pragmatisme que par sa capacité à faire briller les joueurs, y compris ceux que les anglo-saxons désignent sous le terme d’« average players » est également plébiscité. L’on pensait alors qu’il serait même l’arme n°1 du club pour relever un défi immense auquel serait confronté l’équipe : se qualifier enfin, après trois échecs consécutifs, pour la phase de groupes de la Ligue des Champions. L’optimisme régnait, et rien ne semblait pouvoir arrêter la marche d’une équipe digne d’une légion césarienne. Le club prospectait et s’activait sur le marché des transferts pour permettre au technicien roumain de renforcer l’équipe afin de pouvoir atteindre le graal.

… à une gestion post-titre illisible

Et puis, tout bascula tragiquement le 28 juin 2019. Le Tonnerre de Zeus s’abattait sur le club constantinopolitain, plongeant ses supporters dans une effroyable stupeur. Alors que la pré-saison avait déjà débuté, Lucescu annonçait avec fracas son départ pour l’Arabie saoudite. Une démission totalement imprévue qui allait faire basculer le club dans l’inconnu. Si le « Général » avait déjà fait l’objet de sollicitations venant du Golfe à la suite de son doublé, nul ne pensait que cela aurait pu se produire à une telle date. « Personne ne l’avait vu venir, nous raconte notre ami Yannis, membre historique de la Gate 4. Je mets n’importe qui au défi de venir dire qu’il s’y attendait. » Et à la lecture des évènements, rien ne laissait envisager une telle bombe. Lucescu avait déjà en effet repoussé les avances du club d’Al-Hilal, et avait notamment insisté sur le fait que l’équipe devait se renforcer de façon « significative » pour « bien figurer en Ligue des Champions. » D’aucuns pointaient alors les divergences, réelles ou supposées, « irréconciliables » entre Lucescu et Giorgos  Savvidis, fils du président Ivan, notamment sur la question des transferts. Un départ précipité faisant ressurgir le spectre d’une guerre d’egos. Ou tout simplement d’un choix purement financier de la part de l’entraîneur. 

Nikos, autre supporter historique, affirme : « Je pense qu’il est parti pour l’argent, mais il y avait également un problème au niveau des transferts. Par exemple, il ne voulait pas de Stoch. On annonçait un grand ailier, et au final, on se retrouve avec un ancien qui avait déjà joué chez nous. On n’a rien contre lui, mais c’est quand même décevant. » Un transfert qui pourrait également surprendre lorsque l’on connaît le talent de Lazaros Lamprou, évoluant au même poste et récemment prolongé jusqu’en 2023. Un membre du club, contacté par nos soins, affirme quant à lui que « les choses sont plus compliquées que ce que la presse a pu dire. Il y avait en effet une divergence de fond sur la politique des transferts à mener, mais il avait des demandes déraisonnables à ce sujet que notre président n’était pas en mesure de satisfaire. Il y a eu également la prolongation de Varela, et si nous l’avions suivi, nous aurions été en grande difficulté vis à vis du Fair-Play Financier. Mais comme avait rappelé le président, il s’agissait également, pour Razvan, d’une offre très difficile à refuser. » L’intéressé ne s’étant pas exprimé depuis son départ, nous nous en tiendrons à cette version afin d’éviter de prêter trop le flanc aux rumeurs. 

Passé ce séisme, le club se met immédiatement en quête d’un nouvel entraîneur. Le prochain technicien aura la tâche herculéenne de succéder au stratège trois fois titré. Après avoir exploré plusieurs pistes, la direction s’accorde sur le choix d’Abel Ferreira. Le technicien portugais, réputé pour son exigence, son sens tactique et son jeu élégant, et également détenteur d’un bilan très flatteur au sein du club de Braga, ayant amené ce club portugais aux moyens plutôt modestes par deux fois à la quatrième place d’un championnat largement dominé par les deux historiques Porto et Benfica. On peut à nouveau être optimiste. Le PAOK a su réagir très vite après un cataclysme et peut à nouveau penser au football. Le club fait même quasiment carton plein lors du stage de pré-saison, enregistrant cinq victoires et deux matchs nuls sur ses matchs amicaux de préparation. Dans la foulée, il enregistre également les arrivées de Douglas Augusto puis d’Anderson Esiti, arrivés respectivement des Corinthians et de Gand. L’espoir renaît, les visages se décrispent et un sentiment mêlant soulagement et espoir envahit alors à nouveau la capitale macédonienne. Et pour confirmer la bonne dynamique, il faudra tout d’abord passer le barrage de la Ligue des Champions. Un défi énorme, puisque le hasard désigne l’Ajax, demi-finaliste de la dernière édition.

De la malchance à l’humiliation

C’est donc avec un certain pessimisme que les supporters abordaient cette double confrontation. Ayant déjà affronté à deux reprises le légendaire club néerlandais en barrages, et échouant à chaque fois sur quelques petits détails rédhibitoires au plus haut niveau, le club va jusqu’à se fendre d’un communiqué pour dénoncer implicitement un tirage au sort « joué d’avance, » certains allant même jusqu’à accuser, vidéos à l’appui, l’UEFA de truquage.  Ce ne sera pas notre propos, même si certains faits, nous y reviendrons, peuvent prêter à confusion.

Le PAOK aborde alors son match aller en confiance. Au cours de celui-ci, il déploie un jeu bousculant l’Ajax. Pelkas manquera la balle du K.O. et l’équipe se fait punir en seconde mi-temps sur une erreur monumentale de Varela. Score final : 2-2. Il faudra désormais réaliser un exploit à Amsterdam pour continuer de rêver de la Coupe aux grandes oreilles. Et dans un contexte pour le moins confus, le PAOK s’incline de peu (3-2) en ayant concédé trois penalties ! Du jamais vu lors d’un tour préliminaire de Ligue des Champions. Là aussi, Pelkas manque une nouvelle fois de tuer le match lorsque le PAOK mène 1-0 en début de partie. Si l’aller ne souffre d’aucune contestation possible, le retour est entaché de décisions pour le moins contestables. Les supporters en colère prennent pour cible l’UEFA, affichant banderoles sans équivoque et se déchaînant sur les réseaux sociaux. Certains journaux nérlandais, tels le vénérable Telegraaf, affichent même leur stupéfaction à l’égard de certaines décisions arbitrales de l’anglais Craig Pawson. Si certains parlent carrément de corruption, d’autres plus mesurés évoquent la « poisse » et dénoncent la « maladresse » de certains joueurs, là où d’autres vont jusqu’à évoquer la « loose » ou encore la « malédiction éternelle » dont souffrirait le Dikefalos.

« On a toujours l’impression de se faire avoir, » se désespère Yannis. On a ce sentiment d’être haï par les instances, alors on tombe dans la parano. Je pense qu’en l’occurrence, c’est justifié. » Et de préciser : « On n’a pas la haine contre des personnes, ni quelqu’un. Mais contre un système. » À rebours d’une opinion partagée par une majorité de fans, Argyris nous affirme quant à lui qu’il s’agit « d’une preuve qu’il y a un gros problème mental. Ceux qui doivent nous tirer vers le haut dans les grands matchs font tout le contraire. » Et sur ce point, on ne saurait lui donner tort, tant le PAOK, bien au-delà de l’arbitrage ou du tirage au sort, n’a jamais pu résister aux assauts ajacides et a commis des erreurs tactiques de débutant dignes de Drouet d’Erlon lors de la bataille  de Waterloo.

Le club devait à nouveau dire adieu, pour au moins une saison supplémentaire, à la Ligue des Champions. Un choc terrible. Pire qu’un coup de massue, une désillusion à la hauteur des rêves déchus de toute une génération. À défaut, désormais, de pouvoir se mesurer au gotha européen, le PAOK se devait de réagir rapidement et de continuer son parcours européen, et en espérer une campagne respectable en Ligue Europa. Le tirage au sort désignait le Slovan Bratislava, champion de Slovaquie, théoriquement largement à la portée du club. Hélas, sous l’im-pulsion (sic) d’un Pelkas toujours aussi transparent, pourtant promu capitaine, les joueurs, visiblement toujours assommés par le terrible coup du sort subit la semaine précédente, proposent deux matchs d’une nullité consternante. Incapable de construire une action, la formation de Salonique se contente de réagir à chaque attaque slovaque. Puis au coup de sifflet final vient le second coup de poignard de cet été meurtrier. Le champion de Grèce, invaincu, se fait éliminer aux buts à l’extérieur (0-1, 3-2). Une honte absolue. Le stade gronde, les supporters hurlent leur colère devant « une bande de c****ds et de merdeux qui ne respectent pas le maillot, » dixit Yannis. La catastrophe, en effet, est de taille. Bien plus grave que celle d’Österund d’il y a deux ans. A minima, au même niveau que celle du tour préliminaire face au Rapid Vienne il y a sept ans de cela. 

« Il y a deux ans, on était abattus, explique Nikos. Mais pas à ce point ! On savait que la pré-saison avait été mauvaise, et le coach qu’on avait pris à l’époque, Stanojevic (entraîneur serbe resté seulement deux mois au club avant l’arrivée de Lucescu, ndlr) était une escroquerie. Heureusement que Razvan est arrivé car nous allions dans le mur sinon. Mais là, c’est pire que tout ! » Un sentiment partagé par le membre du club (sus-cité) qui nous confirme : « Nous ne nous attendions pas à battre l’Ajax. On savait que ça serait vraiment compliqué dès le tirage au sort. Mais je confirme que l’on misait vraiment sur un parcours en Ligue Europa cette saison. Ce qui s’est passé est proprement inadmissible. Le président a d’ailleurs convoqué tout le monde dès la fin du match. » Une déconvenue dont l’histoire ne retiendra au final qu’elle sera une sorte d’infâme double maléfique des superbes performances de l’an passé.

Une nécessaire remise en question

La saison ne s’arrêtant pas le 29 août mais le 17 mai 2020, les Noir et Blanc, malgré la très difficile absence d’Europe, possèdent encore une solide marge de manœuvre pour réagir et analyser tout ce qui n’a pas fonctionné cet été. Bien au delà du cas Lucescu, l’on pourrait pointer un mercato douteux dont seul Esiti parvient à tirer son épingle du jeu. On peut citer également l’étrange gestion de certains cas. Et lorsqu’il s’agit d’évoquer ce dossier épineux, le premier nom qui vient en tête est celui d’Efthymios Koulouris. « Bradé » à Toulouse pour seulement trois millions et demi d’euros. Le joueur, ne voulant pas rester au PAOK sans garantie de temps de jeu est allé montrer son talent sous d’autres cieux. Et son début de saison confirme les regrets des supporters. « Incontestablement, il aurait eu toute sa place dans le système de Ferreira, » affirme Argyris. Yannis renchérit : « Quand on voit ce qu’il fait en France, on est dégoûtés par son départ ! » 

Une première fausse note qui en a malheureusement appelé d’autres. Citons également le cas Lamprou, pourtant auteur de dix passes décisives et huit buts en Eredivisie l’an passé et écarté du groupe au profit de la recrue Stoch. On pourrait aussi noter un dérangeant paradoxe : il a fallu la blessure du Capitano Vieirinha, symbole du succès retrouvé du club, pour que le PAOK s’aperçoive qu’il possédait probablement le meilleur latéral gauche grec en la personne de Dimitris Giannoulis. Ce dernier, auteur d’un été remarquable avec un but et trois passes décisives en six matchs, a même été élu MVP du mois d’août par les supporters. Une gestion globale des jeunes talents est sans doute à revoir, pour trouver un équilibre au sein du club entre expérience et jeunesse prometteuse.

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On pourrait également souligner la faiblesse mentale de l’équipe, avec des cadres comme le gardien Paschalakis, Varela ou Pelkas qui ne remplissent plus du tout leur rôle. Alors qu’il survolait presque à lui tout seul le championnat, le dernier cité avait déjà montré ses limites l’an passé avant de couler cet été. Totalement la tête dans le sac, le capitaine intérimaire a été, quoi que l’on en dise, l’un des artisans du désastre. Quant au premier et au second, on les sent empruntés, n’ayant plus du tout la lucidité ni la solidité qui avaient fait de leur duo une des clés du succès en championnat. Le cas Biseswar interroge aussi. Brillant l’an passé, le meneur de jeu néerlandais, repositionné sur l’aile, est redevenu intermittent du spectacle, ayant du mal à faire la différence à un poste où il n’a sans doute plus le coffre pour évoluer. Ou encore El Kaddouri, très en deçà de son niveau et dont le manque de justesse technique était criant. Puis l’entraîneur, enfin, dont on souhaite qu’il s’aperçoive ne pas disposer des joueurs adéquats pour son système en 4-4-2.

Nombre de chantiers en perspective, donc. Dimanche soir, le PAOK affrontera l’Aris, son rival éternel. L’occasion de confirmer un début de saison somme toute acceptable en championnat. Mais le temps presse, alors qu’il reste au club deux titres à défendre. Deux reliques sacrées à préserver coûte que coûte afin que la saison puisse être considérée comme réussie pour un club voulant continuer de grandir. « Il n’est guère de passion sans lutte, » écrivait Albert Camus. Et le PAOK, tant par ses éclats que par ses déboires et son éternel esprit de revanche, l’illustre sans nul doute mieux que quiconque.

Alain Anastasiakis

Image à la Une : © Alain Anastasiakis

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