Pál Dárdai, au nom du Hertha

Il n’a que quarante ans, et pourtant son CV d’entraîneur a déjà de quoi faire des envieux. Ancien sélectionneur de la Hongrie, qu’il a idéalement lancée vers la qualification à l’Euro 2016, Pál Dárdai tente aujourd’hui de redonner au Hertha Berlin ses lettres de noblesse. Une mission loin d’être anodine pour le Magyar, détenteur du record de matchs disputés sous le maillot bleu et blanc. Et qui peut maintenant marquer l’histoire de son club de cœur depuis le banc de touche.

« Je crois qu’il s’agit d’un bonus accordé au Bayern. Désolé si je froisse quelqu’un, mais après les cinq minutes, le match doit être arrêté. Ce n’est pas un match de coupe, on ne joue pas 120 minutes ! » Pál Dárdai, l’entraîneur du Hertha Berlin, ne décolère pas. Le 18 février 2017, son équipe menait 1-0 face au Bayern Munich, leader de Bundesliga. Mais Lewandowski a égalisé à la 96e, alors que l’arbitre n’avait annoncé que cinq minutes de temps additionnel. Un nul au goût amer pour le coach hongrois, qui doit cependant éprouver une certaine fierté en pensant au chemin qu’il a parcouru pour en arriver là.

Transféré au Hertha contre 500 000 Deutschmarks

Un chemin qui débute à Pécs (sud-ouest de la Hongrie), le 16 mars 1976. Le jeune Pál découvre toutes les subtilités du ballon rond au sein du club local, le Pécsi Mecsek FC, avec lequel il débute d’ailleurs en pro quelques années plus tard, en 1991. Le milieu de terrain défensif franchit un palier supplémentaire à l’hiver 1996, en rejoignant le Budapest VSC. Sous le maillot des Vasutas, Dárdai termine à la deuxième place du championnat et perd en finale de Magyar Kupa, face aux voisins du Honvéd (1-0, 0-2). Ses performances ne passent pas inaperçues et le Hertha Berlin, qui avait un œil sur lui, le recrute en janvier 1997 pour la somme de 500 000 Deutschmarks. Le début d’une longue et belle histoire d’amour…

Sous les ordres de Jürgen Rober, Pál Dárdai participe à la montée du HBSC en Bundesliga. Un autre Hongrois, un certain Gábor Király, atterrit à son tour dans la capitale allemande. Les deux Magyars vivent alors une période dorée du club berlinois, qui ferraille avec les cadors du championnat, se fait remarquer sur la scène européenne et enrichit son palmarès avec deux DFL-Ligapokal, remportées en 2001 et 2002 (à chaque fois contre Schalke 04, à chaque fois sur le score de 4-1). Les temps deviennent ensuite un peu plus délicats. Le Hertha rentre dans le rang, tandis que Dárdai, lui, apparaît de moins en moins souvent dans le onze de départ. Le natif de Pécs compense en jouant avec le maillot de la sélection nationale, qu’il porte à 61 reprises entre 1998 et 2010. Il en est le capitaine en 2006, étant d’ailleurs élu au même moment « joueur hongrois de l’année ».

Ovationné par l’Olympiastadion pour son dernier match

Le club de la capitale reprend des couleurs en 2008-2009, finissant quatrième de « BuLi ». Une performance qui coïncide avec le retour au premier plan de Pál Dárdai, régulièrement utilisé par Lucien Favre. Mais Die Alte Dame (« La Vieille Dame », en allemand) est instable. Elle descend en deuxième division à l’issue de la saison suivante, puis remonte seulement un an plus tard. Sans Dárdai, qui a raccroché ses crampons à l’issue du dernier match de son club en 2. Bundesliga, face à Augsbourg, le 14 mai 2011. Un départ à la retraite fêté comme il se doit par le joueur qui détient le record de rencontres disputées au Hertha (366 apparitions), avec un tour d’honneur et sous les acclamations des 77 000 spectateurs de l’Olympiastadion. Une page se tourne pour le Hongrois, qui aspire maintenant à devenir entraîneur.

Pál Dárdai ne part pas très loin, puisqu’il commence justement sur le banc des U15 du… Hertha Berlin. De quoi tranquillement faire ses premières armes, avant un premier tournant. Suite à un fâcheux revers concédé sur sa pelouse contre l’Irlande du Nord (1-2), lors de la première journée des qualifications pour l’Euro 2016, la Hongrie se sépare de son sélectionneur, Attila Pintér. Nous sommes en septembre 2014, et les dirigeants de la MLSZ décident de confier les clés de l’équipe à Dárdai. Un choix qui laisse bon nombre d’observateurs sceptiques. L’ancien joueur du Hertha n’a en effet que 38 ans, il n’a jamais coaché de formation professionnelle et doit donc guider les Magyars vers l’Euro. Un pari insensé ? Sans doute un peu. Mais un pari gagnant. Dárdai commence avec un match nul à Bucarest, chez l’ennemi juré roumain (1-1), puis enchaîne avec une courte victoire aux Îles Féroé (0-1) puis un autre succès sur la plus petite des marges contre la Finlande (1-0). Convaincue, la Fédération le prolonge au-delà des trois matchs d’intérim initialement fixés. Celui qui fut milieu défensif remet donc sa sélection sur de bons rails, sans grand spectacle ni paillettes (seulement quatre buts en cinq matchs) mais avec efficacité. Et avec une méthode novatrice, comme l’explique Dániel Róna, observateur attentif du football hongrois, à nos confrères de These Football Times :

« Dárdai est un vrai professionnel. Il a introduit l’usage de divers outils pour mesurer la performance des joueurs, ainsi que l’analyse vidéo, et a même engagé quelqu’un uniquement pour ça (…). C’était interactif, il ne disait pas uniquement aux joueurs ce qu’ils devaient faire, mais répondait aux questions. Il y avait de vives discussions entre eux. En Hongrie, c’était très étrange – il représentait une nouvelle génération. »

De février à juillet 2015, le cumul des fonctions

En février 2015, le sélectionneur hongrois est également appelé au chevet du Hertha Berlin, qui vient de limoger le Néerlandais Jos Luhukay. Relégable, Die Alte Dame est au plus mal et souhaite s’en remettre à son enfant chéri pour l’aider à sortir de l’ornière. Une nouvelle fois, la mission confiée à Dárdai est ardue. Mais elle est couronnée de succès, puisque le HBSC termine quinzième, devançant Hambourg, barragiste, à la différence de buts. « Pali » cumule alors les fonctions de sélectionneur national et d’entraîneur du Hertha. En juillet 2015, il choisit de se consacrer pleinement à son club et laisse sa place sur le banc de la Hongrie à Bernd Storck. Ironie de l’histoire, ce dernier était l’adjoint de Jürgen Rober lorsque Dárdai est arrivé à Berlin, en 1997…

© Steindy

Renforcé au mercato d’été par les arrivées de Vedad Ibišević et de Niklas Stark notamment, les Bleu et Blanc se mêlent durant une bonne partie de la saison à la lutte pour le podium, avant de terminer à une septième place synonyme de qualification en Ligue Europa. Plus que sur le plan purement tactique, c’est surtout au niveau des relations qu’il entretient avec ses joueurs que le Hongrois se distingue. « Il est important que mes joueurs ne soient pas frustrés sur le terrain, raconte-t-il dans les colonnes du Berliner Kurier. Ils ont besoin de mots honnêtes. Au début, c’était un petit peu difficile. Je dois parfois être sévère avec eux, mais il y  a une ligne à ne surtout pas dépasser. Ce sont aussi des hommes qui évoluent en permanence. »

« J’ai le boulot de mes rêves »

Pál Dárdai se sert également de ses expériences personnelles pour tirer le meilleur de ses joueurs. « Quand mon frère, Balázs, est mort (à 21 ans, en plein match de football, NDLR), le coach Huub Stevens m’a beaucoup aidé. A mon retour de Hongrie, il m’a dit qu’il voulait que je joue, mais je ne le souhaitais pas car je sentais que j’avais besoin de retrouver du rythme. Huub m’a dit : « Hors de question, tu viens avec nous. » Cela signifiait énormément de choses pour moi. » En août 2016, Salomon Kalou a été endeuillé par la mort de son père et de sa tante. A son retour à Berlin, quelques mois plus tard, Dárdai l’a rapidement aligné dans le onze de départ. Résultat : un triplé et une standing ovation pour l’ancien Lillois, grand artisan de la victoire des siens face au Borussia Mönchengladbach (3-0).

Cette saison encore, les Berlinois sont en course pour un accessit européen. Pál Dárdai, nommé « entraîneur de l’année 2015 » aussi bien en Hongrie qu’en Allemagne, aura 41 ans (seulement) le 16 mars prochain. Il sait qu’il est suivi de très près par d’autres clubs. Pourtant, l’idée de quitter le banc du Hertha Berlin ne lui viendrait même pas à l’esprit. « Oui, cinq, six ou sept agents m’ont rendu visite dernièrement, affirmant qu’ils voulaient travailler avec moi, révèle-t-il à la chaine de télévision hongroise M4. Mais je ne suis pas intéressé, j’ai le boulot de mes rêves ici. Je suis à Berlin depuis vingt ans, mes fils jouent pour le HBSC et sont très prometteurs. Je vis mes rêves, comme dans un conte de fées, plus encore lorsque l’on gagne des matchs. Echanger tout cela contre de l’argent ? Je ne pense pas que cela en vaille la peine. Je ne gagne peut-être pas autant que je le pourrais ailleurs, mais j’aime ce que je fais ici, je suis heureux et ça, ça n’a pas de prix. Je ne meurs pas de faim, j’ai de la saucisse hongroise au cellier, ainsi que du salami et du jambon ! » Tout est donc réuni pour que l’histoire d’amour entre Dárdai et le Hertha dure encore un certain temps…

Raphaël Brosse


Image à la une : ©  AFP PHOTO / Odd ANDERSEN 

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