L’été est propice pour les promenades. L’une d’entre elles m’a mené à Mostar pour voir jouer le Velez. Où l’existence d’un club mythique a été fauchée par l’Histoire.
Une ville aux multiples facettes, si l’on s’y attarde
Forcément, la ville de Mostar est une étape incontournable dans les Balkans pour qui cherchent des images dignes de cartes postales. Le nombre de Français avec leurs guides du Routard ne ment d’ailleurs pas à ce sujet. Et il est vrai que la ville de Mostar en Bosnie est d’une beauté fascinante, construite autour de son vieux pont (Stari Most en VO d’où le nom de la ville) et de son quartier pavé, véritable nid à touristes. Il vous est d’ailleurs possible de payer un plongeur du club local qui, contre 25€, vous permettra de prendre une superbe photo d’un corps lancé de 20 mètres de hauteur pour se glisser dans le fleuve Neretva. Mostar fleure bon le farniente, la douceur de vivre et semble s’ancrer sur une éternité de quiétude.
Mais si l’on fait l’effort de quitter ce quartier autour du vieux pont, il existe une autre Mostar. Une où les impacts de balles encore visibles racontent une histoire. Celle d’une ville qui, dans les années 1990, fut l’actrice principale d’une micro-guerre tripartite entre Serbes, Croates et Bosniens musulmans puis principalement bipartite entre Croates et Bosniens musulmans. La rencontre avec quelques locaux permet de mieux comprendre ce qu’il en est. Hajrudin, l’homme qui nous loue son appartement, commence d’abord avec humour :
«La guerre n’a pas eu que de mauvais côtés. Le business de ventes de DVD aux soldats espagnols qui étaient dans la région m’a permis de construire quelques appartements. Mais aujourd’hui, avec Internet…» Derrière ce trait d’humour, la mine se fait se plus grave pour évoquer les détails de la guerre et sa réalité.
Ce qu’il en résulte aujourd’hui est une ville divisée en deux. La Neretva fait office de frontière naturelle ; à l’Ouest, une population principalement croate et à l’Est, une population majoritairement bosniaque. Le cœur de la région d’Herzégovine ne bat pas d’un seul pouls et les écoliers notamment ne fréquentent pas les mêmes écoles, bien qu’aujourd’hui la cohabitation se fasse en bonne intelligence. Normal pour Mostar qui fut de tout temps un exemple en Yougoslavie de bon voisinage entre différentes communautés.
Le grand Velez fauché par la politique
Pourquoi vous raconter tout cela ? Le Velez Mostar ne vous dit sans doute pas grand-chose mais il reste un nom mythique dans les Balkans. Des joueurs comme Boro Primorac, Dusan Bajevic ou encore Vahid Halilhodzic sont ainsi issus de ce club. Avec des joueurs de cette trempe, le Velez parvint à jouer les yeux dans les yeux avec le « Big Four » yougoslave de l’époque : Etoile Rouge, Partizan, Hajduk et Dinamo Zagreb. Le club gagne également deux coupes de Yougoslavie dont une en 1981 grâce à un doublé d’Halilhodzic (contre le Zeljeznicar de Mecha Bazdarevic).
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Le Velez connaîtra aussi ses heures de gloire en Europe. La mythique saison 1974-1975 reste aujourd’hui gravée dans la mémoire des plus vieux et se doit d’être contée aux jeunes supporters. Mené par son duo d’attaque Halilhodzic-Bajevic, le Velez élimine le Spartak Moscou puis le Rapid Vienne. En huitièmes, le Velez joue contre les Anglais de Derby County. Le match aller est catastrophique et Velez part avec deux buts de retard à domicile (défaite 3-1). Mais la magie du stade Bijeli Brijeg se met en place et les 20 000 fidèles assistent à une énorme soirée où les leurs gagnent 4-1.
Si le mythe du Velez s’est construit dans les années 1970 et 1980, les années 1990 et la guerre auront de lourdes répercussions sur le cours de son histoire. Le Velez s’est toujours voulu le club de toutes les communautés avec cependant une majorité de Bosniens Musulmans. La répartition géographique dont je vous ai parlé auparavant et la division de la ville ont porté un coup très rude au Velez qui a perdu son stade de Bijeli Brijeg après la guerre, celui-ci étant situé du côté croate de la ville et devenant par décision politique propriété du club rival du Velez : le Zrinjski Mostar, le club des Croates de Mostar.
Que reste t-il du Velez aujourd’hui ?
Aller voir le Velez aujourd’hui, c’est en partie essayer de comprendre ce qu’il reste du mythe. Le calendrier m’offrait un match de championnat de Bosnie-Herzégovine contre le promu Mladost. Tout d’abord, un bref aperçu sur Google Maps permet de voir que le stade dans lequel évolue le Velez aujourd’hui n’est même plus à Mostar même mais dans la proche ville de Vrapcici (à environ 5 kilomètres).
La longue file de voitures rangées des deux côtés de la route nationale vous indique que vous êtes arrivés. Il faut ensuite prendre un petit chemin de cailloux pour se diriger vers le stade du Velez. Un modeste panneau en fer avec l’emblème du club et deux vendeuses habillées avec des maillots du club vous gratifient d’un sourire de bienvenue. La place, payée 3€, nous ouvre les portes d’un stade de 7000 places au pied d’une montagne. Le cadre est magnifique, même si l’autre côté du stade nous permet de constater que l’on se situe dans une zone industrielle désaffectée avec une usine à l’abandon.
Nous sommes dans la tribune principale et deux autres sont situées derrière les buts. Des Anglais font la connaissance des « kikirikti », nourriture traditionnelle dans les stades des Balkans. Le kop du Velez Mostar « la Red Army », lien avec ce qu’il reste de la tradition socialiste du club, est composé ce jour-là d’une soixantaine d’hommes et quelques femmes.
Le match n’a rien de très engageant, compte tenu du piètre spectacle offert sur le terrain. Les spectateurs sont malgré tout nombreux mais beaucoup passent leur temps à insulter arbitres et joueurs ou à les moquer. J’ai la vague impression d’être de nouveau dans les travées du stade Delaune à l’époque où le Stade de Reims essayait de renaître de ses cendres en Nationale 2.
Si le stade et le match ne rendent pas forcément hommage au mythe qu’était et reste le Velez, la manière de jouer des visiteurs reste la démonstration du respect qu’inspire le Velez encore aujourd’hui. En effet, Mladost s’est longtemps contenté de défendre à 10 derrière avant de ressortir un peu en fin de match. Le tout pour un score final de 0-0.
Un symbole du football bosnien ?
Les mines sont défaites sur le chemin du retour alors qu’une longue file de voitures roulant à 10 km/h se forme dans la direction de Mostar. Appeler un taxi ou faire du stop restent nos deux seules alternatives pour retourner en ville. Heureusement un jeune gars s’arrête et nous prend en stop, tout en nous parlant de son club :
«Vous savez, quand les anciens nous parlent du Velez, c’est quelque chose. On était au niveau des meilleurs en Yougoslavie et en Europe. Mais aujourd’hui, on n’est même plus au niveau du Zeljo ou du FK Sarajevo en Bosnie. Tu as vu les conditions dans lesquelles on joue. C’est à l’image du football en Bosnie-Herzégovine aujourd’hui, un football qui se joue dans des pauvres stades. L’épopée de la sélection au Brésil ne doit pas faire oublier cela ! Il faut que tu te rendes compte que je vais avoir 30 ans et je n’ai jamais vu mon club jouer un match à domicile en nocturne, tout simplement parce qu’on a pas d’éclairage… Mais c’est ainsi, c’est notre Velez et on continuera à le supporter.»
J’ai juste le temps de lui poser une question sur le rival Zrinjski alors que nous arrivons en ville. Pour seule réponse, j’ai droit à un sourire narquois et un soupir. Si le Velez n’a pas gagné de titres en Bosnie et n’a jamais terminé sur le podium depuis 2000, le Zrinjski Mostar a déjà remporté 3 championnats. De quoi rajouter à la frustration d’un club qui s’est fait voler son stade dans les années 1990 et qui depuis se bat pour reconstruire un futur au niveau de la légende que reste le Velez Mostar. Un club qui, comme certaines personnes dans les Balkans, n’a jamais réellement pu faire son deuil du temps de la Yougoslavie.
Tristan Trasca
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