Le football de Première Ligue est une denrée rare en Sibérie. Il faut dire que le hockey sur glace ne laisse pas beaucoup de place aux autres sports entre l’Oural et l’océan Pacifique. À ce titre, il est révélateur que la seule équipe de cet immense territoire ayant fait son trou dans l’élite vienne de Tomsk. Les Tomitchi, c’est comme ça que l’on appelle les habitants de la ville, cultivent leur singularité. La plupart des villes de cette partie de la Russie sont de fondation récente ? Tomsk s’enorgueillit d’avoir été fondée au XVIIe siècle sur ordre de Boris Goudounov, pour aider les Tatars à se défendre des raids kalmyks et kirghizes. Les autres cités sibériennes font la part belle à l’industrie lourde et aux sciences ? Tomsk se démarque une fois de plus : elle est avant tout connue pour sa vie étudiante et ses universités, particulièrement en lettres et sciences humaines. Les voisins d’Omsk et Novossibirsk s’écharpent au hockey ? Tomsk vit uniquement pour le football.

Quelques pages d’histoire du Tom Tomsk

Le Tom Tomsk a beau avoir pris le nom de la rivière qui traverse la ville, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille pour les Vert et Blanc. Le club a été créé en 1957 et pendant toute la période soviétique, il n’est jamais monté plus haut que la Deuxième Ligue, le troisième échelon d’alors. Même après l’indépendance de la Russie, les Sibériens végètent dans les divisions inférieures. Il faut attendre 2005 pour que le Tom accède enfin à la Première Ligue, après avoir échoué de peu à plusieurs reprises.

À la surprise générale, Tomsk réussit à faire son nid parmi l’élite, malgré une gestion parfois chaotique et des problèmes financiers récurrents. Le club est pourtant soutenu par l’industrie du pétrole locale, mais la filiale sibérienne de Gazprom ne semble pas avoir les poches aussi profondes que le siège de Saint-Pétersbourg. Parmi la ribambelle d’entraîneurs qui se sont succédés sur le banc des Tomitchi, Valeri Petriakov et Valeri Nepomniachtchi sont ceux qui ont obtenu les meilleures performances. Tous les deux ont réussi à hisser les Vert et Blanc à la huitième place en Première Ligue, leur meilleure performance à ce jour. Depuis 2012, le Tom fait régulièrement de courts séjours en FNL, où il croise les rivaux du Sibir Novossibirsk.

En se promenant avenue Lénine

L’originalité des Tomitchi a ses limites, on s’en rend vite compte en arrivant en gare de Tomsk, qui est une copie troublante de celle de Iaroslavl. Autour de ce bâtiment jaune canard, on croise déjà quelques écharpes bleue et blanche en début d’après-midi, signe que les supporters du Zenit Saint-Pétersbourg ont fait le déplacement en masse malgré l’éloignement. Distancés par le Spartak dans la course au titre, les Zenitovtsy espèrent avant tout profiter de la déconvenue du CSKA en cette 26e journée de championnat pour aller chercher la qualification en Ligue des champions. Quoi de mieux que le Tom Tomsk, fragile lanterne rouge, pour se rassurer avant les dernières échéances du mois de mai ? Les Sibériens sont en grande difficulté depuis la trêve hivernale : les caisses sont vides, les meilleurs joueurs se sont fait la malle et le revenant Valeri Petrakov ne peut désormais compter que sur l’abnégation de ses jeunes pour préparer la saison suivante en FNL.

Le centre-ville de Tomsk regorge de bâtiments anciens | ©Adrien Morvan

De la gare au stade, la promenade vaut le détour. Il faut d’abord remonter l’avenue Kirov, avec ses alignements de khrouchtchovki, ces immeubles spartiates construits en masse dans les années 1960. La balade ne prend tout son sens qu’une fois arrivé avenue Lénine, l’artère principale de Tomsk. Le bâtiment de l’université vaut le coup d’œil, ainsi que les maisons de style impérial qui bordent l’avenue. L’architecture soviétique a laissé çà et là quelques monolithes gris, tel le théâtre régional situé sur la place Lénine. Le coup d’envoi ayant été fixé à cinq heures, cela laisse le temps d’aller faire un petit tour sur le mont Voskressenskaïa, où a été fondée la deuxième forteresse de Tomsk en 1648. On croise partout des supporters du Zenit en goguette, qui se fondent paisiblement parmi les promeneurs en ce jour de fête du Travail.

L’heure du match approche, ça tombe bien, il ne faut que quelques minutes à pied pour rejoindre le stade Troud (« Travail »). C’est un beau vieillard soviétique en brique rouge niché au coeur du Parc central, une construction assez typique de la région, similaire au stade Spartak de Novossibirsk. Les deux enceintes ont d’ailleurs été construites à peu près à la même période, à la fin des années 1920. Depuis 1990, le stade a connu plusieurs rénovations, la dernière en date concerne la tribune est, qui a été presque entièrement démolie. Le chantier est toujours en cours, masqué par d’énormes bâches qui vantent les programmes sociaux de Gazprom.

Le stade a triste figure sans sa tribune est (©Adrien Morvan)

Jeunesse vaillante ne vaut pas mercenaires assoupis

Pas le temps de se laisser distraire par l’odeur enivrante des brochettes, le match commence ! Les Pétersbourgeois ont fait le déplacement au grand complet, avec un trio de milieux offensifs Chatov-Danny-Giuliano qui n’a pas beaucoup d’égal en Russie. L’entraîneur ronchon Mircea Lucescu peut également compter sur un duo très solide de relayeurs avec Hernani et Javi García. La défense est beaucoup moins flamboyante, avec un Ivanović en pré-retraite et un Criscito qui ne joue pas à son poste. Plus tout jeune non plus, Jirkov occupe le côté gauche, tandis que Smolinkov fait l’essuie-glace à droite. Le match revêt une importance particulière pour Dziouba, qui a été prêté deux ans à Tomsk au début de sa carrière.

Les visiteurs sont venus en masse | ©Adrien Morvan

Du côté des locaux, c’est l’école des fans. Le onze de départ compte 23 ans de moyenne d’âge, ce qui est très peu en Russie, où l’on lance les jeunes beaucoup plus tard qu’en France. Le défenseur central croate Ante Puljić fait figure de vieux grognard du haut de ses 29 ans. Hormis Golychev, qui a fait ses armes au FC Moscou, et Pouguine, transfuge du Torpedo, le reste de l’effectif n’a aucune expérience de la Première Ligue. Le gardien Melikhov, les défenseurs Karymov et Miterev, les milieux Gvinevski et Sassine, ainsi que l’avant-centre Sobolev sont tous de jeunes remplaçants montés en grade à la faveur des difficultés financières du club.

Le Zenit a confisqué la balle pendant tout le match | ©Adrien Morvan

Evidemment, avec un tel écart de classe et d’expérience entre les deux équipes, le match tourne vite à l’avantage du Zenit. Les joueurs de l’ex-capitale impériale dominent les débats et se procurent rapidement une première occasion par Chatov, dont la reprise passe à côté. Il faut tout le talent du jeune Melikhov pour conserver un score nul et vierge. Il s’impose une première fois face à Javi García, puis il détourne une frappe tendue de Smolnikov quelques minutes plus tard. Les supporters de Tomsk poussent leur équipe du mieux qu’ils peuvent, mais la ligne médiane ressemble à un mur infranchissable. Tout le contraire de la défense des Tomitchi, qui laisse Chatov s’échapper seul en contre à la 35e minute. Celui-ci ne se fait pas prier et remporte son duel face à Melikhov (0-1).

La victoire en marchant

À la pause, les gamins s’échappent pour aller jouer au foot à l’ombre des virages, tandis que les adultes se pressent autour du stand de boissons chaudes. Les supporters des deux clubs se mêlent dans une ambiance de kermesse sous l’œil discret de la police. Le match finit par reprendre, tandis que les ultras de Zenit s’égosillent dans leur parcage. Les Pétersbourgeois n’ont pas usurpé leur réputation de meilleur groupe de supporters en déplacement : les chants s’enchaînent sans interruption, rarement interrompus par les clameurs du virage opposé. On ne peut pas en vouloir aux ultras de Tomsk d’avoir un peu le moral dans les chaussettes.

La relève du Tom Tomsk est déjà assurée | ©Adrien Morvan

La seconde période n’est pas bien différente de la première. Le stade s’agite à chaque fois que les locaux passent le milieu du terrain, mais les occasions sont rares. Le Zenit, lui, joue avec le frein à main, comme souvent depuis la reprise. Contre Tomsk, ça passe, mais il va falloir un peu plus de vigueur pour aller chercher la Ligue des champions. Pour l’heure, les Bleu et Blanc se reposent sur l’activité de Chatov, le meilleur joueur du match. L’international russe a fait beaucoup de mal aux Tomitchi sur son côté, et c’est lui qui a adressé la passe décisive à Danny pour le but du break (2-0).

Malgré la défaite, les supporters de Tomsk ont longuement applaudi leurs jeunes, qui n’ont pas démérité face à l’armada du Zenit. Emmagasiner de l’expérience au plus au niveau est sans doute la meilleure chose qui puisse arriver à cet effectif, histoire de ne pas se perdre dans les méandres de la FNL l’année prochaine. En espérant que le Ienisseï Krasnoïarsk reprenne le flambeau des clubs sibériens en Première Ligue dès la saison 2017/2018.

Les notes Footballski

Standing du stade 2/5 :

Les gérants du stade ont eu la bonne idée de supprimer la piste d’athlétisme en rapprochant les virages de la pelouse. Reste que les tribunes sont assez vétustes, pas couvertes, ce qui est un problème assez sensible en Sibérie, où la température peut encore descendre en-dessous de zéro au début du mois de mai, avec les intempéries qui vont avec.

Vue du stade depuis la fête foraine du Parc central | ©Adrien Morvan

Disponibilité des billets 5/5 :

Le Tom Tomsk est l’un des rares clubs sibériens à proposer l’achat en ligne de billets, on aurait tort de s’en priver. Les bonnes places partent vite contre les gros clubs, mais il restera toujours un siège coincé en bas du virage pour les retardataires.

Tarifs 5/5 :

Comptez entre 5 et 10 euros la place au cours actuel du rouble. C’est plus que raisonnable pour de la Première Ligue.

Ambiance 2/5 :

Les ultras locaux ont un peu perdu la flamme à force d’avanies, il faut donc se reposer sur le contingent adverse pour mettre l’ambiance. Pour ne rien arranger, le stade sonne creux à cause des travaux de la tribune est.

A Tomsk, les sièges arrachés se cachent pour mourir |©Adrien Morvan

Risques 5/5 :

Le seul ennemi du supporter sibérien est encore et toujours le froid. Pour le reste, le quartier du stade est la tranquillité même.

Accessibilité et transport 5/5 :

L’avantage des vieux stades soviétiques, c’est qu’ils sont souvent situés en plein centre-ville. Le stade Troud est à deux pas de l’avenue Lénine, où les bus sont légion. La gare centrale est à vingt minutes à pied.

Boissons 3/5 :

Pas d’alcool, mais un choix de boissons chaudes assez large. Et surtout ! Surtout ! Le meilleur stand de brochettes de Première Ligue ! Un temple à la gloire des chachlykis qui se trouve au pied du virage nord…

Un aperçu du paradis | ©Adrien Morvan

Quartier environnant 4/5 :

Tomsk est l’une des villes les plus charmantes de Sibérie, avec des maisons en bois des XVIIIe et XIXe siècles très bien conservées. Il y a des indications en anglais et en russe dans tout le centre-ville, qui se parcourt sans problème à pied. Le stade lui-même est situé au coeur du parc central, avec des attractions dispersées un peu partout.

Adrien Morvan


Photo à la une : © Adrien Morvan

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