La hype « Kosovo + football » étant retombée quelques semaines après Kosovo-Haiti1, le football kosovar continue quand même d’exister dans un complet anonymat. Le week-dernier, l’équipe de Prishtina se déplaçait à Mitrovica pour un des « derbys du Kosovo » et on y était. Bienvenue en Superliga kosovare.
Le mythe Riza Lushta
Le court déplacement de Prishtina à Mitrovica aura été beaucoup plus calme que lors du match entre le Kosovo et Haïti2. En effet, très peu de personnes étaient sur la route mais il nous aura fallu tout de même galérer un peu pour trouver un combi, moyen de substitution aux transports en commun pour avaler la quarantaine de kilomètres entre les deux villes. Heureusement, un vieux combi orange Volkswagen nous prend à la sortie de Prishtina. A son bord, uniquement des hommes excepté la jeune femme qui nous accompagne. Le conducteur est très jovial et nous sourit à défaut de pouvoir nous parler. Sur le chemin entre Prishtina et Mitrovica, nous passons par la ville de Vushtrri et devant le stade du premier du championnat actuel : le Llamkos Kosova3.
Trois-quarts d’heures plus tard nous voilà à Mitrovica. Cette fois-ci, ce n’est pas le stade olympique Adem Jashari qui nous accueille mais le vieux stade Riza Lushta. Les places coûtent deux euros, gratuit pour les enfants et les femmes. On arrive quelques minutes avant le coup d’envoi et on découvre un stade vétuste mais une superbe pelouse. Avant que le match commence, c’est sans doute le bon moment pour vous présenter Riza Lushta. Cet homme, né en 1916, est le genre de légende locale comme il en existe partout dans le monde. Il est LA légende du football à Mitrovica. Après avoir joué au Kosovo et en Albanie, il joua quelques saisons à la Juventus et à Naples, remportant notamment la coupe d’Italie en 1942 avec le club de Turin. Il reste tout comme Naim Krieziu (né à Gjakova et qui a évolué à la Roma et Naples) une légende kosovare, un des rares joueurs du coin à avoir évolué en Italie à l’époque.
Le stade est plutôt bien rempli (1500 spectateurs selon les officiels – sans doute moins en réalité) pour une rencontre de championnat kosovar. Vous trouverez bien souvent au Kosovo des personnes qui aiment le football mais se moquent totalement du championnat local, préférant se tourner vers les grands championnats de l’Ouest. Le football local souffre également face au basket-ball kosovar qui dispose d’un championnat relativement compétitif. Le KB Prishtina fera d’ailleurs partie du final-four de Balkan League, qui sera organisé par le club kosovar fin avril. Cela devrait être une belle fête du sport pour cette première grande manifestation sportive d’envergure internationale organisée au Kosovo.
Une première mi-temps très fade
Pour la première mi-temps, nous nous mettons avec la Torcida Mitrovica, le groupe de supporters de Trepca, qui a fêté ses 30 ans au mois de mars. Le terrain ne nous offre pas franchement de grandes joies avec de nombreuses erreurs techniques et un rythme peu soutenu. Je constate avec dépit que le groupe de supporters de la Torcida n’est pas au complet pour ce match. Au contraire de l’année dernière, quand ils étaient venus à Prishtina4, les supporters ne sont que quelques dizaines avec surtout des adolescents et même de nombreux enfants. Malgré tout le leader essaye de donner de la voix et du tambour.
Un joueur de Prishtina est salué avec un jet de bouteille alors qu’il est à terre à quelques mètres des supporters locaux. Le n°9 de Trepca89 récupère la bouteille, en boit un peu et la relance vers ses supporters, sans que l’arbitre n’ait vraiment fait attention à ce qu’il se passe. Au fur et à mesure, les locaux prennent l’ascendant sur les visiteurs avec notamment une paire très active au milieu. Malheureusement, les phases offensives manquent franchement de qualité technique et d’entente sur le terrain. On est franchement déçu par la prestation de Prishtina, deuxième au classement, qui doit l’emporter pour espérer revenir sur Vushtrri.
Vu le peu d’action sur le terrain, je scrute ce qui se passe autour. Deux cameramen sont juste derrière nous dans un abri de fortune en tôle et bois un peu en hauteur. Pendant un arrêt de jeu, ils nous regardent l’air dépité nous faisant comprendre qu’ils sont aussi déçus du spectacle. Comme tout spectateur kosovar, ils se goinfrent de graines de tournesols. Au loin, j’aperçois sur une dalle en béton quelques Roms assis ou debout, provenant sans doute du quartier juste derrière le stade. A la mi-temps, le score est logique: 0-0.
Une vague verte en deuxième
A la mi-temps, nous partons nous abriter sous la tribune qui nous faisait face. On découvre une vieille tribune en béton avec quelques sièges en bois et d’autres en plastique. Un gars passe dans la tribune en scooter, d’autres à vélo… Des fils électriques courent sur les murs et à même le sol.
La deuxième mi-temps repart sur de meilleures bases. Le coach de Trepca89 semble avoir changé un peu son système, étant passé à trois au milieu avec le vieux Shpetim Idrizi plus reculé. Dès le début, cela fonctionne et Prishtina a beaucoup de mal à ressortir le ballon. A la 51è, le très remuant n°11 Blerand Kurtishaj prend le meilleur sur ses adversaires côté droit. Très intelligemment il donne un bon ballon en retrait au n°10 Shpetim Idrizi. A l’entrée de la surface, le meilleur joueur du championnat en 2012 trompe aisément Kushtrim Mushica avec son magnifique pied gauche. 1-0. Le festival des Verts continue. Cela se passe côté gauche ce coup-ci avec le taureau Emin Baliqi. L’ancien de Prishtina dépose deux joueurs sur son côté à coup de grand pont et petit pont et sert parfaitement Jetullahu qui marque seul au deuxième poteau. 2-0. C’est la folie dans le stade. Le 9è du championnat terrasse le deuxième. Derrière nous, un mec se pointe avec le survêt de l’Equipe de France. Il nous fait des clins d’œil, sans doute a-t-il compris que nous étions Français.
Mais à la 67è, Shpetim Idrizi démontre une nouvelle fois sa lenteur et tacle à retardement la jeune perle Liridon Latifaj dans la surface. Pénalty transformé par le capitaine Azem Ahmeti malgré la belle détente de Manxholli. 2-1. Les locaux n’ont pas vraiment le temps de douter cependant… Baliqi s’amuse encore sur son aile, décale Jetullahu qui sert directement Kurtishaj seul dans la surface. Le gardien de Prishtina est un peu lent à sortir et le n°11 du KF Trepca89 tue le match. 3-1.
Prishtina n’y croit plus vraiment. Trois minutes après le dernier but, deux joueurs (un de chaque équipe) prennent un carton rouge pour en être venus aux mains. Il n’y a plus trop de spectacle sur le terrain. Baliqi sort et reçoit sa standing ovation. Je regarde les journalistes à ma gauche. Un des journalistes, qui travaillent sur de grandes tables en bois, a noirci son grand cahier à petits carreaux pendant tout le match (notamment les numéros et noms des joueurs inscrits au crayon de mine) et appelé – sans doute sa rédaction – à chaque but.
Fin de match et discussion avec un jeune supporter de Trepca89
Le match se termine sur ce score de 3-1 et très vite le terrain se remplit de spectateurs qui viennent féliciter les joueurs. Les deux entraîneurs donnent des interviews au bord du terrain pour la télévision locale. Au final, il y avait pas moins de 7 caméras pour ce match !
Les Verts auront pris le dessus avec une très belle agressivité en deuxième mi-temps, notamment bien menés par l’activité du 9 Baliqi et de la doublette Broja-Peci au milieu. On retiendra également la belle prestation du 11 Kurtishaj dans tous les bons coups et s’il n’a clairement plus ses jambes de vingt ans, le capitaine Idrizi reste très précieux grâce à sa vision du jeu et son excellent pied gauche.
Du côté de Prishtina, on a sans doute dit adieu au titre alors que le club vient tout juste de changer d’entraîneur. Kushtrim Mushica, seul joueur du championnat local appelé pour le match contre Haïti, n’a pas pu grand-chose sur les trois buts encaissés, totalement délaissé par une défense à la rue. L’attaquant Liridon Latifi5, mis à l’essai par Dortmund l’an dernier en compagnie de Gavazaj (parti depuis à Gent), ne s’est pas vraiment mis en évidence.
Avant de rentrer à Prishtina, on discute un peu avec un jeune supporter de Trepca. Il nous explique qu’il y a quelques soucis actuels au sein de la Torcida, en cours de réorganisation, ce qui explique la relative ambiance feutrée pour ce derby du Kosovo. On lui demande également pourquoi aucun supporter de Prishtina n’avait fait le déplacement et il répond: « Peut-être quand je serai grand-père, ils viendront à Mitrovica pour les matchs mais d’ici là… »
Si le premier match estampillé FIFA du Kosovo avait fait naître une vague d’espoir concernant le football au Kosovo, voir un match de championnat du Kosovo rappelle le long chemin que le football local doit encore faire, que ce soit au niveau des infrastructures, de la formation ou du jeu. Ce n’est pas vraiment une coïncidence si tous les joueurs de la jeune sélection kosovare proviennent de championnats étrangers. Mais ce qui est certain, c’est que la passion pour ce jeu existe bien. Cela fait déjà une belle chose sur laquelle le football kosovar pourra se bâtir à l’avenir…
Tristan Trasca
1 De nombreux médias internationaux ont traité ce match dont l’Equipe ou Canal+. Voir l’Interieur Sport consacré à l’équipe nationale du Kosovo : http://www.canalplus.fr/c-sport/pid2708-c-interieur-sport.html?vid=1050104
2 Vous pouvez lire notre récit du match : http://footballski.wordpress.com/2014/03/08/kosovo-haiti-on-a-vecu-ce-match-historique/
3 Si vous voulez voir ce que peut donner un match à Vushtrri : https://www.youtube.com/watch?v=_KgKMCd-V0c
4 J’avais vécu l’an dernier le match à Prishtina: http://horsjeu.net/academies/prishtina-trepca89-1-0-balkans-acad-y-etait/
5 Les jeunes joueurs, notamment du FC Prishtina, sont régulièrement mis à l’essai à l’étranger. Trois jeunes joueurs du FC Prishtina iront fin avril au Standard de Liège, après que le président du club belge Duchâtelet ait passé quelques jours au Kosovo en mars.