En se levant dans la ville où le soleil se lève en premier en Europe, l’atmosphère est lourde. Dans tous les sens du terme. Tout le monde dans la ville attend avec impatience 19 heures, pour la demi-finale de Coupe de Russie qui opposera le club de la Ville, l’Amkar, à l’ogre du football russe, le Zenit Saint-Pétersbourg. Dès le matin, le temps est nuageux, comme si le dieu du football avait décidé de faire de ce match un véritable combat. Le décor est planté. LE match de l’année pour cette ville de Russie d’un million d’habitants. Ambiance.
Tout d’abord, petite description de cette ville assez méconnue en Europe, et qui y est finalement plutôt connue de par ses sports. En effet, la ville se dote d’un club de football jouant en première division, l’Amkar (Combinaison de Ammoniac et Carmabide, les deux principaux matériaux produits dans l’usine au sein de laquelle le club est né), et d’une équipe féminine au palmarès plus glorieux que ses homologues masculins, le Zvezda 2005, récent adversaire de l’Olympique Lyonnais en Ligue des Champions féminine. A noter aussi la présence d’une équipe de basket-ball, de handball et de hockey au plus haut niveau.
La ville, située au pied des monts Oural et bordé par la Kama, est une des cités « millionnaires » de Russie et l’une des plus grandes du pays, de par sa taille. En effet, Perm est au troisième rang derrière Moscou et Saint-Pétersbourg au niveau de la superficie. Elle est longtemps restée ville « fermée » (interdite aux étrangers et aux non-résidents) par les autorités du pays, secrets technologiques soviétiques obligent ! La cité est donc ouverte sur le monde depuis peu et se développe naturellement, doucement mais sûrement. Comment faire pour aller à Perm ? Assez simple ! Un aéroport aux destinations nationales et internationales, la route (toujours de mauvaise qualité, c’est la Russie…) ou le train ! Perm est en effet une des nombreuses escales du Transsibérien. C’est une ville assez intéressante au niveau culturel, mais de mon point de vue personnel, le principal intérêt de vivre à Perm est d’être au contact presque direct de la nature sibérienne et de ses multiples paysages.
Mais revenons au match ! Pour L’Amkar, c’est une performance d’arriver à ce stade de la compétition, mais pas quelque chose de finalement si exceptionnel. Depuis 2008, la meilleure saison du club (finale de Coupe de Russie et quatrième place en championnat, match de play-offs d’Europa Ligue contre Fulham en 2009 – avec une victoire à domicile malgré l’élimination), le club est déjà arrivé au stade des demi-finales en 2010. L’Amkar souffre pas mal de sa faible manne financière, avec par exemple l’absence de sponsor principal sur le maillot. Quelque chose qui pourrait paraître assez évident en France ne l’est pas forcément pour un club russe d’une ville d’un million d’habitants (malgré la présence importante de Lukoil ou d’industries dans la région – on rappellera que le patron de Monaco, Rybovlovlev, est originaire de Perm). Ainsi, une demi-finale amènera un peu de publicité qui ne pourra jamais faire de mal.
En route vers le stade ! Une heure en avance et avec mon ami macédonien, nous prenons un tramway bondé, où la « Kondouktor », la contrôleuse des billets, en général toutes assez âgées, doit se frayer un chemin pour demander les 20 roubles (26 centimes d’euros) nécessaires pour l’acheter. Petite frayeur sur le chemin, notre tramway et un bus manquent de se percuter, pour une histoire de priorité de la route que personne ne respecte et probablement ne comprend.
On a peur pour le retard que ça peut prendre, mais finalement après une quinzaine de minutes, notre route peut continuer. Nous descendons à l’arrêt du stade et là, l’ambiance est au rendez-vous ! Drapeaux, trompettes, chants, seule la pluie imminente est l’ombre noire du tableau. Juste avant de rentrer dans le stade, nous achetons avec mon ami une barquette de Semetchki (graines de tournesol particulièrement appréciées des Russes, et curieusement des agents de sécurité, qui en avaient toujours sur eux à chaque fois que j’en rencontrais) chez l’une des Baboushkas installées aux abords du stade. Un petit coup d’œil aux caisses, naturellement dépassées par l’affluence des retardataires. Tant pis pour eux, j’avais fait le déplacement moi-même en achetant les places quelques jours plus tôt.
On entre dans le stade ! Le stade Zvezda (Etoile) dans toute sa splendeur, aux couleurs du club, rouge et noir ! Stade de 17.000 places, avec le traditionnel style soviétique, ouvert et avec une piste athlétique autour du terrain. Le stade est plein, et les supporters ayant des places situées très basses préféreront rester debout en haut des tribunes. Ceux avec les plus petits moyens iront s’installer sur les balcons des immeubles autour du stade, ou sur le petit terrain vague assez haut pour voir le terrain. Les supporters du Zenit étaient venus en nombre, bref, tous les ingrédients étaient réunis pour un bon match de foot !
Les compositions du match
Gadzhi Gadzhiev, vieux loup de mer des terrains de première division russe et artisan du maintien de l’Amkar en mars de la saison dernière, avait concocté du côté de l’Amkar un 4-4-2 classique, avec probablement pour intention d’aligner quelques contre-attaques meurtrières. Surprise dans la compo, l’ancien du club, Georgi Peev, 37 ans au compteur, est remplaçant ! On reviendra malheureusement sur cet épisode en fin d’article. Une équipe au savant mélange de jeunes prometteurs et de vieux briscards. Jeunes comme le gardien de l’équipe Espoir de Russie, Aleksandr Selikhov, ou encore le jeune attaquant norvégien venu de Macédoine (ce qui fera beaucoup jaser mon collègue macédonien), Chuma Apepe. Dans les anciens, soulignons la présence du capitaine défenseur central Belorukov, ou encore de l’attaquant Aleksandr Prudnikov, pas spécialement très âgé, mais son expérience de bourlingueur des clubs de RPL fait de lui une figure d’ancienneté au sein de la formation.
Selikhov - Zanev, Belokurov, Zajtsev, Idowu - Balanovich, Ogude, Gol, Komolov - Apepe, Prudnikov
Du côté du Zenit, 4-2-3-1, avec dans les cages Kerzhakov, tandis que Neto, Kokorin et Yusupov sont sur le terrain et Criscito porte le brassard.
Kerzhakov - Criscito, Garay, Neto, Smolnikov - Witsel, Garcia - Shatov, Hulk, Yusupov - Kokorin
Première Période
Dès l’instant où l’arbitre donne le coup de sifflet, notre plus grande crainte tomba : la pluie. Ce qui était finalement un pressentiment dès le début de la journée se révéla vrai. Heureusement, les fans présents avaient tous prévu, et tous sont couverts d’une parka, ou d’un parapluie.
Le match commence par un rythme assez élevé, comme chaque début d’une partie de football. Et même si le Zenit est incontestablement plus fort que son adversaire sur le plan technique, ce sont eux qui se feront punir à la 20e minute sur un contre express et un centre à semi-ras de terre millimétré de Komolov pour Idowu à la conclusion. Cette ouverture du score est fêtée chaleureusement dans tout le stade et malgré la pluie, les ultras chanteront torse nu, comme le veut la bonne vieille tradition des supporters de l’Est.
Mais le Zenit poussera, encore et encore, jusqu’à cette égalisation à la 42′ par Javi Garcia, sur un corner superbement frappé par Hulk. Pour les joueurs de l’Amkar, fatigués, la mi-temps arrivera à point nommé.
Seconde période
Le rythme reprend comme en début de première période, mais cette fois-ci, c’est l’Amkar qui sera plus conquérant que son adversaire. Petit moment cocasse, le speaker du stade annonce la présence du gouverneur de la région de Perm dans les tribunes, ce qui provoquera l’ire et les sifflets du stade, et bien sûr des insultes bien fournies comme seuls les Russes en connaissent. Même si, pour ne pas se répéter, la technique est du côté du club de Saint-Pétersbourg, les occasions les plus franches sont du côté de l’Amkar, qui malheureusement ne parviendra pas à en concrétiser. Quelques frappes de Hulk dans les nuages plus tard, les remplacements s’effectuent. Apepe de Perm est remplacé par le vétéran bulgare Peev, tandis que quelques minutes plus tard, Kokorin sort pour laisser sa place à Dzyuba.
A partir de ce moment, les choses deviennent plus difficiles pour le club de l’Oural, et tout le stade serre les fesses pour ne pas encaisser de buts avant la fin du temps réglementaire. Dernière occasion chaude pour l’Amkar ! Belokurov manque sa reprise et le ballon tombe dans les bras de Kerzhakov. Dans un excès d’engagement, le capitaine revient sur le ballon mais met probablement un coup de pied au gardien Saint-Pétersbourgeois, ce qui amène une scène de bagarre générale. Idéal pour faire monter la tension me direz-vous ! Heureusement, les défenseurs permiens sont prudents et se contentent du résultat (peut-être un peu trop, en témoigne le carton jaune du gardien Selikhov pour gain de temps volontaire sur un dégagement) et avec un Hulk toujours pas dans son match, cela nous amène à une prolongation logique au vu de la physionomie du match.
Prolongations
On sent les joueurs fatigués, et même si des remplacements ont eu lieu du côté de Perm (le jeune buteur Shagaev qui remplace le milieu de terrain polonais Gol, et le Géorgien Jika pour Komolov), le score ne change pas. Même si quelques regrets peuvent être nourris en seconde mi-temps par rapport aux quelques occasions ratés, arrive donc la séance des tirs aux but qui, contre une équipe telle que le Zenit, peut être perçue comme une grande fierté. Le stade retient son souffle, car nous le savons tous, une séance de tirs aux but peut être comparée à une partie de Pile ou Face.
Comme pour se donner une nouvelle dynamique, Villas-Boas fait rentrer le gardien Lodygin en place de Kerzhakov, connu pour sa force dans le domaine. Les choses commencent mal pour l’ancien club de Konstantin Zyrianov : Peev rate complètement sa tentative, non-cadrée! Lui-même se demandant comment il a pu rater l’immanquable. Hulk avance et s’en va défier Selikhov, qui ne peut rien faire contre la frappe de mule du brésilien. C’est au tour du jeune Shagaev de tirer son penalty, et, peut-être un peu trop prévisible dans ses mouvements, Lodygin l’arrête avec brio. Mais l’espoir renaît, quand Garay met sa frappe sur la transversale ! Agude réussit parfaitement son tir au but, et vient le tour de Dzyuba. Le peuple permien exulte quand Dzyuba, plein de nonchalance, voit son tir stoppé par Selikhov. C’est d’ailleurs au tour de ce dernier de tirer. Un duel de gardiens. Selikhov prend doucement, mais sûrement, tout son temps pour transformer son tir en pleine lucarne, signe que même les gardiens de but peuvent tirer aussi bien, voire peut-être mieux, que les attaquants. Nous en sommes à 3-3 après le penalty transformé de Witsel.
La tension monte et le stade encourage ses joueurs, qui sont à la porte de l’exploit ! Mais après deux tirs aux buts réussis de Prudnikov côté Amkar, et de Criscito côté Zenit, le pire arriva. Le défenseur Zajtsev tire de manière plutôt correcte sur le côté gauche, mais Lodygin arrive à détourner le ballon sur le poteau qui au lieu de devoir rentrer dans les cages, sort. La dernière chance viendra donc d’un arrêt du gardien des Rouge et Noir, contre Javi Garcia. Il s’avance et malheureusement, ne se contentant pas de son statut de buteur du soir, vient rafler la qualification pour ses coéquipiers en plaçant une frappe imparable sous la transversale.
Le club de la capitale des Tsars ira donc en finale, contre le CSKA Moscou. Les joueurs de Perm peuvent peut-être s’en vouloir par rapport à la physionomie du match et l’inhabituelle méforme du Zenit, mais ont quand même le droit à des applaudissements mérités du stade Zvezda, triste mais fier de ses couleurs.
Le lendemain, surprise dans les journaux : à cause d’un conflit avec son entraîneur, Georgi Peev, pourtant figure emblématique du club (il est au club depuis 2007 et un transfert de 400 000 euros en provenance du Dynamo Kiev), déchira son contrat et annonça sa retraite footballistique. Sortie assez étrange, puisque si d’un côté son dernier match au sein de l’Amkar a été une demi-finale de coupe, on se doute qu’il aurait sûrement souhaité un départ à la retraite sous d’autres circonstances. Par exemple, une sortie sous les applaudissements, qui aurait pu être le moment opportun, si l’on doit retenir l’affluence, le sentiment de fête et la sensation d’avoir assisté à un vrai match de football, comme on les aime.
Les notes Footballski :
Standing du stade : 3/5
Il faut se dire les choses : le stade est vieillot, n’est pas couvert (du moins plus de la moitié du stade) et la piste athlétique gâche vraiment l’esthétisme du bâtiment. Mais il garde néanmoins ce charme des vieux stades soviétiques, et quand on va voir un match de football en Russie, on est toujours content de voir cet esprit folklorique. Il y a d’ailleurs une tribune réservée aux enfants, ce qui montre le côté populaire. Sinon, c’est finalement assez acceptable, avec 17 000 places, et la vue qui, sur la majorité des sièges, est tout à fait correcte.
Disponibilité des Billets : 2/5
Un gros point noir. Je trouve ça assez fou, que, pour un club de première division russe, un système de billetterie en ligne n’ait pas été mis en place. Bien sûr, je ne connais pas tous les rouages d’un club, mais certains clubs de deuxième division, comme le Tom Tomsk, ou Tosno, proposent ce service. Il faut donc se déplacer jusqu’aux caisses (ce qui reste malgré tout le moment incontournable pour tout fan de foot qui se respecte) et parfois très en avance pour les grosses affiches !
Tarifs des billets : 4/5
Mettre 5/5 aurait voulu dire que les places avaient été gratuites. Sérieusement, les places sont quand même abordables, et payer 350 roubles (5 euros) pour une demi-finale de coupe de Russie, dans une tribune populaire, ça donne envie de revenir ! Surtout que ce tarif était en place pour un gros match, il faut donc bien enlever 100 roubles minimum pour un match de moindre standing.
Ambiance : 4/5
Une ambiance des grands jours ! Les ultras étaient présents, et le stade était rempli ! De plus, l’ambiance était chaleureuse voire enfantine, avec des « OLA » improvisées. Seul bémol, les chants des supporters qui n’étaient pas réguliers et l’acoustique du stade pas au top, mais il est compliqué de construire un nouveau stade par les temps qui courent, surtout pour les pseudos-mécontents comme moi. Une ambiance digne des derbys contre l’Oural Ekaterinburg, à ce qu’on m’a dit !
Risques : 4,5/5
Présence policière (exagérément ?) importante. Un sentiment de sécurité toujours bon à prendre. Mais il ne faut pas se balader dans ce quartier seul la nuit.
Accessibilité et Transports : 3,5/5
Une ligne de tramway et quelques lignes de bus vont au stade. Si il est plutôt assez simple de s’y rendre, attendez-vous à vous battre pour la place pour le retour. Sinon, vous pouvez toujours attendre le prochain, ou encore le prochain du prochain… Compliqué d’y aller à pied, car pas spécialement en dehors de la ville, mais pas non plus au centre-ville.
Boissons 3/5 :
Le minimum. Le thé et autres boissons chaudes ne manquent pas, comme les shashlikis et autres Pirojkis. Toutefois, je n’ai pas vu de vente de bières, et sans en être sûr, il est possible qu’il y ait une interdiction de boire de l’alcool au sein du stade. Par contre, les gens se feront un plaisir de vous en vendre à l’extérieur et de vous inviter à boire votre bouteille en dehors du stade.
Quartier environnant : 3/5
Le stade est clairement la chose la plus intéressante de cette partie de la ville. On peut noter un petit centre commercial avec un supermarché, une boutique semi-officielle de l’Amkar, et la Maison de la Culture, sorte de grande salle de spectacle avec des balcons, assez agréable par ailleurs. Vivement l’été !
Ryan Jurd
Image à la une : © Ryan Jurd / Footballski