Le parcours de Nassim Zitouni est plutôt étonnant. Ce grand espoir lyonnais, qui a joué en équipe de France de jeunes, évolue désormais en Bosnie. Il commence à voir la lumière, après des années de galères. Après une défaite de son équipe contre le Radnik Bijeljina (il n’a pas joué en raison d’un problème musculaire), il a pris le temps de nous parler de sa carrière et de son nouvel environnement.
Tu as été formé à Lyon, un des meilleurs centres de formation français mais tu n’as pas percé. Tu peux nous expliquer ce qu’il s’est passé ?
Je suis Lyonnais de base, toute ma famille est de Lyon. J’ai commencé en débutants à l’OL. J’y suis resté pendant 14 saisons et j’ai signé mon contrat de stagiaire pro mais ça n’a pas abouti sur un contrat pro pour plein de raisons. La principale, c’est que j’étais avec Tolisso, Fekir, Pléa… De cette génération, j’étais d’ailleurs le premier à signer stagiaire pro. Pas mal de clubs me suivaient à l’époque et j’ai cru que tout était acquis. Je me suis relâché, je n’ai pas assez bossé alors que les autres travaillaient. Ils ont comblé le retard. Mais Lyon c’était top. Comme tu le dis c’est un des meilleurs centres de formation d’Europe avec toutes les conditions requises pour être performant. Cela n’a pas marché par ma faute.
La principale raison qui fait que je n’ai pas signé pro à l’OL c’est que j’étais avec Tolisso, Fekir, Pléa… De cette génération, j’étais d’ailleurs le premier à signer stagiaire pro. Pas mal de clubs me suivaient à l’époque et j’ai cru que tout était acquis. Je me suis relâché, je n’ai pas assez bossé alors que les autres travaillaient. Ils ont comblé le retard.
Tu as toujours des contacts avec les gars de ta généraiton comme Tolisso, Fekir, Pléa et les autres ?
Pas avec tous car on avait une relation plutôt professionnelle. Ça m’arrive d’en croiser certains à Lyon comme Corentin que j’ai croisé 2 ou 3 fois. Nabil aussi, c’est un ancien bon ami. Il y a Naby Sarr qui joue en Angleterre aussi. Les autres, pas trop.
Quels souvenirs tu gardes de tes sélections de jeunes en équipe de France ?
C’était un grand moment surtout quand on est jeune et qu’on est appelé pour la première fois. En fait, quand j’ai reçu la convocation, j’étais dans un club amateur. C’était la première fois dans l’histoire de l’équipe de France jeunes qu’ils convoquaient un joueur d’un club amateur ! Je jouais à l’AS Saint Priest à l’époque car entre temps je me suis fait écarter de Lyon pendant 1 an à cause de certains problèmes à l’école, des problèmes de comportement aussi… J’étais pas top.
Donc, pour en revenir à la sélection, c’était à un moment où il y avait une sacré génération avec les Mbaye Niang, Lenny Nangis. Il y avait beaucoup de joueurs à fort potentiel, c’était excellent !
En fait, quand j’ai reçu la convocation (en équipe de France U18), j’étais dans un club amateur. C’était la première fois dans l’histoire de l’équipe de France jeunes qu’ils convoquaient un joueur d’un club amateur ! Je jouais à l’AS Saint Priest à l’époque car entre temps je me suis fait écarter de Lyon pendant 1 an à cause de certains problèmes à l’école, des problèmes de comportement aussi… J’étais pas top.
Aujourd’hui tu joues en Bosnie. On évoquera le reste de ta carrière après, mais est-ce que tu as des regrets quand tu repenses à cette époque ?
Des regrets… non, pas vraiment. Il est arrivé ce qui devait arriver. Forcément, si tu reviens en arrière, tu vas changer quelques trucs mais sinon non. J’ai vécu pleinement tout ce qui est arrivé dans ma vie.
Revenons-en à la suite, tu es parti au Portugal après Lyon. Qu’est ce qui t’a poussé à partir de ton club formateur ?
J’étais arrivé en dernière année de contrat et je n’avais pas reçu de proposition de leur part. Il fallait donc que je trouve un autre challenge. J’avais quelques touches en Ligue 2 et en Ligue 1 et j’ai eu Guimaraes. Le football Portugais étant technique, avec du jeu vers l’avant, je me suis dit que ça pourrait me correspondre. D’ailleurs, ça m’a plutôt bien réussi, j’étais très heureux là bas, j’y ai passé mes meilleures saisons professionnelles.
Pourquoi tu n’y es pas resté alors ?
Quand je suis parti à Porto où il y avait forcément beaucoup de concurrence, j’avais des agents qui n’étaient pas bienveillants, qui pensaient plus à leur commission qu’à ma carrière. On a été champion avec la B en D2 en 2016, ce qui m’avait ouvert beaucoup d’opportunités dont Estoril qui jouait la Ligue Europa et qui m’avait proposé de signer. Mes agents ont préféré m’orienter vers Bolton qui était en D3 anglaise. Je voulais du temps de jeu et je savais qu’à Porto, je n’allais jamais l’avoir. On a tenté de négocier un prêt mais Porto y était opposé. J’ai résilié mon contrat pour aller à Bolton. Tout était ficelé mais ça ne s’est pas fait à la dernière minute.
Ensuite, je devais signer au Red Star où il y avait un beau projet pour monter en Ligue 1 puis finalement, ça a aussi capoté. J’avais des contacts avec d’autres clubs, je pensais que c’était bon. Puis en fait non, et j’ai fini par signer en Espagne dans un club de D3. C’est à ce moment que j’ai appris de la bouche des directeurs sportifs de Bolton et du Red Star que mes agents avaient demandé des commissions folles. C’est ce qui a fait capoter les accords qui étaient quasiment bouclés…
Tu arrives donc dans ce club espagnol de D3… Mais pas avec les mêmes agents j’imagine ?
Non, non. Je suis arrivé là bas grâce au père d’un ami qui jouait avec moi au Portugal, qui était agent. Il m’a dit qu’il allait me trouver quelque chose quand je lui ai expliqué la situation par rapport à mes agents précédents. Il m’a trouvé ça en une semaine, il fallait boucler quelque chose, sans se casser la tête. C’est comme ça que je suis arrivé dans ce club affilié au Celta Vigo. Bon, c’était un choix par défaut car le temps avançait, on était en septembre. Tout le monde avait signé dans un club à ce moment-là, avait effectué une préparation… Moi je n’avais rien alors que le championnat avait repris depuis un mois. Il fallait que je trouve vite un point de chute. J’y suis resté un an et demi, les conditions n’étaient pas top, le club jouait le maintien.
Je suis arrivé dans ce club affilié au Celta Vigo. Bon, c’était un choix par défaut car le temps avançait, on était en septembre. Tout le monde avait signé dans un club à ce moment-là, avait effectué une préparation… Moi je n’avais rien alors que le championnat avait repris depuis un mois. Il fallait que je trouve vite un point de chute. J’y suis resté un an et demi, les conditions n’étaient pas top, le club jouait le maintien.
On te retrouve ensuite à Dunav en Bulgarie, comment était cette expérience ?
La mentalité en Bulgarie… J’ai jamais vu ça. Il n’y avait jamais eu d’étranger dans ce club et tout d’un coup on débarque à 3 ! Les joueurs de l’effectif ne voulaient pas de nous. Un des gars nous a même dit qu’il ne voulait pas que les étrangers jouent ! Ils nous mettaient des bâtons dans les roues tout le temps. Par exemple, on logeait à l’hôtel, on avait pas d’appartement. Ils nous voyaient en plein hiver à -23° dans la neige en train de galérer à pied pour aller à l’entraînement, ils passaient devant nous sans nous calculer. Jamais un mot, rien. Ils ont même réussi à faire virer le Brésilien. Sur le terrain, tu pouvais être seul, démarqué, ils ne te faisaient jamais la passe. Le président et le coach avaient beau être sympas, quand tout le vestiaire est contre toi parce que t’es étranger… C’était n’importe quoi, en plus il y avait entre 3 et 4 mois d’impayés…
Le président et le coach avaient beau être sympas, quand tout le vestiaire est contre toi parce que t’es étranger… C’était n’importe quoi, en plus il y avait entre 3 et 4 mois d’impayés…
Ensuite, en Algérie (CS Constantine) aussi ça s’est mal passé ?
Je suis venu car il y avait un beau projet financier et l’équipe jouait la Ligue continentale. Sauf que j’ai été payé 1 mois sur 9 ! Et que je ne me sentais pas à l’aise… Ils me faisaient sentir que je n’étais pas algérien. Pour moi qui suis franco-algérien c’est compliqué car en France on te dit que tu es Algérien et en Algérie on te dit que tu es Français… Il y avait 2 joueurs qui n’étaient pas payés : un autre Français et moi ! J’ai fini par résilier le contrat. Je me suis dit que j’étais maudit et que j’allais rentrer en France, jouer dans un petit club de CFA ou CFA2 pas loin de chez moi. Heureusement, j’ai eu le soutien de ma femme, de ma famille et ce sont eux qui m’ont donné la force de continuer.
Finalement, tu rebondis à Tuzla, en Bosnie. C’est David, ton agent slovène actuel, qui t’a trouvé ça ?
Non, non, pas du tout. C’est un ami à moi, de Lyon. On s’est croisé par hasard, mais alors vraiment par hasard, dans un café ! Il me demande ce que je deviens. Je lui dis que c’est la galère, que je ne sais plus quoi faire. Il se trouve qu’il connaissait le fils du président de Tuzla City, que c’était même un très bon ami à lui ! Il m’a demandé de lui envoyer un CV, des vidéos, pour me voir. Je lui ai envoyé ça un jeudi, j’avais mon billet d’avion le samedi ! Ils étaient intéressés par mon profil donc je suis allé là bas pour une semaine d’essai et j’ai signé dans la foulée.
Je croise un vieil ami par hasard dans un café, il me demande ce que je deviens. Je lui dis que c’est la galère, que je ne sais plus quoi faire. Il se trouve qu’il connaissait le fils du président de Tuzla City, que c’était même un très bon ami à lui !
Comment tu as fini par trouver ton agent actuel ? Et comment trouver un bon agent ?
Je lui avais déjà parlé quand je voulais quitter l’Algérie. On connaissait aussi des joueurs en commun, des Français qui jouent en Roumanie désormais. Je sentais que c’était un mec de confiance, qui travaille, qui vient te parler de lui-même, te demande si ça va, comment se sont passés tes entraînements. Il y a un suivi on va dire. Ce n’est pas un agent intéressé qui va te dire « Donne moi mes 10% » ou des trucs de ce genre, comme beaucoup le font.
Tu connaissais quoi de la Bosnie avant d’y arriver ?
Je suis passionné d’histoire donc je m’étais interessé à ce qui s’était passé dans les années 1990 avec la dissolution de la Yougoslavie et les problèmes entre Serbes, Croates et Bosniaques. En revanche, niveau football, à part Dzeko et Pjanic… (rires).
Du coup, c’est une bonne surprise le niveau du foot local ou pas ?
Franchement, j’ai été agréablement surpris par notre équipe. On a fait un super début de championnat et on était leader avant le match d’aujourd’hui ! Sinon, c’est un football comme en Bulgarie avec des joueurs assez physiques, beaucoup de puissance, très strict tactiquement. Il y a de très bonnes équipes comme Zrinjski, Sarajevo, Zeljeznicar…
Et la mentalité ?
Là aussi, j’ai été très agréablement surpris. Je me demandais si ça n’allait pas être comme en Bulgarie mais pas du tout. Je suis à 100% intégré même si je ne parle pas la langue. Ils essaient de me parler en anglais, de me mettre à l’aise, de faire des blagues.
J’ai vu qu’il y avait des Bosniens d’ethnies Croates, Serbes et Bosniaques dans l’effectif. Il n’y a aucune tension entre eux ?
Non, pas du tout. Après on a un Suisse d’origine Bosniaque qui joue ici, je lui ai posé la question : « Ca ne vous dérange pas en tant que Bosniaque qu’il y ait des Serbes ou des Croates ? » Il m’a répondu : « Ecoute, c’est l’ancienne génération, eux ils y sont pour rien« . C’est vrai, on ne peut pas leur en vouloir par rapport aux erreurs des autres. Il n’y a aucune animosité, ils parlent tous la même langue et sont unis. On forme vraiment une équipe.
Ils se sentent Bosniens, donc ?
En vérité, c’est assez compliqué politiquement. Tu as un président pour la République Serbe de Bosnie, un président pour les Bosniaques et un président pour l’Herzégovine, la partie Croate de la Bosnie. Ca reste assez flou pour moi qui suis ça de l’extérieur. Je suis quand même surpris par certaines choses : par exemple la police n’est pas la même si tu es en Bosnie, en République Serbe ou en Herzégovine. L’alphabet n’est pas le même en République Serbe de Bosnie. C’est spécial.
Tu peux nous en dire plus sur ce bon début de saison et sur ce club qui n’est pas historique ?
Non, c’est vrai, le club a émergé récemment, ils étaient en D2 il ya 2 ans. L’an passé, c’était leur première saison en D1 et ils jouaient le maintien. Le président a décidé de faire un projet sur les 4 ou 5 ans à venir. Le but ce sera de viser la Coupe d’Europe. On a de bonnes conditions avec un super terrain d’entraînement, un beau stade pour les matchs. On ne manque de rien et tout est carré : les salaires, les primes… Rien n’est laissé au hasard, c’est une vraie structure professionnelle.
Le bon début de saison, pour moi, est lié au collectif. On a un vrai état d’esprit d’équipe. Chacun joue pour le partenaire, il n’y a pas d’individualité, aucun gars qui fait son soliste de son côté. On est soudé et uni. Du coup, on est allé cherché des résultats avec le coeur. Bon, aujourd’hui, on a perdu mais à l’aller on avait déjà perdu contre cette équipe, c’est notre bête noire !
Si je comprends bien, le club est sorti de terre grâce à un riche propriétaire. Tu peux nous en dire plus sur lui ?
Oui le président est un Bosniaque mais il a vécu toute sa vie aux Etats-Unis. Pour monter ce projet, il s’est entouré de bons professionnels, notamment le directeur sportif qui est un ancien international, Samir Muratovic. Il met tout en place pour que le projet fonctionne.
Il y a une rivalité avec le club traditionnel de la ville, le Sloboda, qui vient de fêter ses 100 ans ?
Je n’en ai pas beaucoup entendu parler, je sais que c’est un club historique ici. Ils ont donc beaucoup plus de fans que nous. Ce que je sais aussi, c’est qu’ils ont de gros soucis de dette, il y a 3 ou 4 mois de retard de salaire… On se partage le même stade, c’est comme Inter Milan – Milan AC, toutes proportions gardées ! On commence notre entraînement quand ils finissent le leur. Je ne sens pas de haine ou de mauvaise ambiance entre les deux clubs. Je pense que c’est une bonne rivalité, saine.
Et la vie, à Tuzla, c’est pas la folie j’imagine ? J’ai lu que c’était une ville industrielle.
Ouais, ouais… Ouais. Il y a un petit centre ville, un petit centre commercial. Après quand tu es footeux, tu vas à l’entraînement, tu te reposes, tu manges, tu dors. Mais on ne manque de rien, j’ai tout ce dont j’ai besoin.
Il y a un petit centre ville, un petit centre commercial. Après quand tu es footeux, tu vas à l’entraînement, tu te reposes, tu manges, tu dors. Mais on ne manque de rien, j’ai tout ce dont j’ai besoin.
Il y a des traces de la guerre, comme à Sarajevo ?
Ah non, pas ici !
Des ambiances t’ont marqué ?
Il y a un club, Borac, qui a pas mal de supporters. Ils s’étaient déplacés en masse pour nous voir jouer. Il y a aussi eu le derby, c’était beau à voir avec des craquages de fumigènes, des banderoles… Je n’ai pas encore joué contre les clubs de Mostar mais visiblement il y a une grosse ambiance à Velez. A Zeljeznicar et Sarajevo aussi, d’après ce que je sais, mais on n’a pas encore joué contre eux.
Tu te fixes des objectifs perso pour cette saison, toi qui es milieu offensif ?
Le premier objectif quand je suis arrivé, c’était de retrouver du plaisir. Car cela fait maintenant longtemps que je n’ai plus pris de plaisir à jouer au football avec tout ce qui s’est passé dans ma carrière. Je ne vais pas mettre la charrue avant les boeufs, je suis nouveau ici. Je m’adapte, je commence à retrouver du plaisir et du temps de jeu. Je ne veux penser à rien d’autre que ça.
C’est pareil au niveau du plan de carrière ?
Oui, quand tu es dans ce genre de situation, tu vis au jour le jour. Tu n’as pas d’idée à court, moyen ou long terme. Tu te réveilles en te disant que tu vas aller t’amuser à l’entraînement tout en étant pro. On verra bien ce qu’il adviendra. J’ai signé 2 ans ici et si ça se passe bien je resterai. Après le foot, c’est fou. Tu peux être au top et tout le monde te veut un jour et être au fond le lendemain, et plus personne ne veut de toi.
Quel bilan tu tires de toutes tes aventures ?
Je suis quelqu’un de religieux donc je me dis que ce qui devait m’arriver m’est arrivé, que c’était écrit. C’est sûr que je me dis qu’il y a des choses que j’aurais pu faire différemment, des choix de carrière aussi qui m’ont coûté ma place. Si tu m’avais dit il y a 3 ans que j’allais passer de Porto – où j’étais – à la Bosnie, je t’aurais ri au nez. Mais il faut prendre les choses du bon côté car les mauvaises pensées ne peuvent que détruire.
Damien F
Tous propos recueillis par Damien F pour Footballski
Images de l’article : collection du joueur