Formé à Metz, Erwann Moukam (22 ans) a tenté l’aventure à l’Asteras Tripolis, en Superleague, à 20 ans, en y signant son premier contrat professionnel. Un épisode contrasté, avec de nombreux soucis en interne, notamment. Mais une expérience enrichissante, pour cet ancien international dans les équipes de jeunes de la France. Entretien.

Comment es-tu arrivé dans le football ?

Pourquoi le football ? Parce que c’est une affaire de famille. Mon père a joué au foot, ma mère aussi. Tout le monde a joué au football dans la famille. Vraiment tout le monde. Il n’y en a jamais un, mis à part moi, qui a atteint le niveau professionnel en Europe. On va dire que c’est dans les gènes familiaux.

Tu as commencé où géographiquement ?

J’ai commencé vraiment dans un petit quartier du Cameroun. C’était vraiment les petits tournois, les trucs comme ça. À l’âge de 6 ans, quand je suis arrivé en France, j’ai joué pour le Racing Club de Strasbourg. De débutant jusqu’à l’âge de 13-14 ans. Ensuite, pour des raisons familiales, il a fallu que je déménage à Metz, et comme il y avait un club professionnel là-bas, je m’y suis implanté.

C’est là que tu as fait ta formation. Comment le club t’a repéré ?

Ils me connaissaient déjà un peu, parce que j’avais fait pas mal de tournois avec Strasbourg, et on a souvent joué contre Metz. Quand j’ai dit que j’arrivais dans la région, c’était tout bénef’ pour eux.

Tu as intégré le centre de formation du coup ?

Au début, j’habitais chez mon cousin, pendant deux ou trois ans. Ensuite, j’ai intégré le centre de formation pendant deux ans. Et après j’ai pris mon appartement.

Ça reste tes meilleurs souvenirs ces moments-là ?

Quand tu traverses un autre cap, la formation reste une chose impossible à oublier. En plus à Metz qui, à l’époque, avait un classement plus haut que ce qu’ils ont maintenant au niveau du centre de formation. C’était vraiment exceptionnel.

En plus, tu étais en sélection de jeunes avec la France en parallèle…

J’étais en U16, on a fait un tournoi en Turquie. Après, j’avais encore été appelé quelques fois. Dans la foulée, j’avais fait un rassemblement en Finlande, en U17. C’étaient de belles choses à vivre.

Comment s’est terminée ton histoire à Metz ?

Ça faisait déjà quelques années que je jouais en CFA. C’était ma troisième année. J’ai commencé par six mois, la première année, avec des joueurs comme Alhassane Keita, Bouna Sarr. On a fait une bonne année, et on s’est maintenu, tout était nickel. L’année d’après, comme les clubs pros ont souvent des effectifs très jeunes, on est descendus en CFA 2. Directement derrière, on a joué les premiers rôles, et on est remonté dans la foulée, en terminant premier. À l’issue de ça, Metz ne voulait pas prolonger le bail. Tout simplement. On s’est arrêté là, et après j’ai dû essayer de trouver ce que je pouvais à gauche et à droite, pour pouvoir me relancer. J’avais un peu des offres en National, mais bon, comme j’avais l’opportunité d’aller jouer en Grèce… Je ne connaissais pas du tout, et je me suis dit : « Pourquoi pas ?« .

© africatopsports.com
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L’Asteras, tu en savais quoi de ce club ? Comment le transfert s’est fait ?

Mon ancien agent est venu vers moi, et il m’a dit : « Écoute, j’ai un club ici en Grèce, ils jouent l’Europa League, est-ce que ça t’intéresse ?« . Moi, je ne connaissais pas, mais forcément ça m’intéresse, vu que je viens de sortir de quelques années de formation. Je me dis qu’il faut y aller. J’y vais, j’atterris à Tripoli, et c’est clair que ça faisait un changement. Je ne connais personne, je ne parlais pas un mot d’anglais. J’arrive dans le club, et je commence avec la réserve, durant un mois et demi. Ensuite, je vais avec le groupe professionnel. C’est allé assez vite, parce qu’il y a eu pas mal de blessés. Le coach, Staikos Vergetis, me dit que j’allais être dans le groupe, donc c’est à partir de là que j’ai commencé à gratter 10, 15 minutes lorsqu’il me faisait entrer au moment où l’équipe en avait besoin.

Tu fais 11 apparitions la première année. Tu as perçu ça comme un apprentissage ?

Exactement. Pour moi, c’était vraiment ça, dans la mesure où je découvrais le monde pro, et c’était mon premier contrat professionnel. Je me disais qu’il ne fallait pas que je lâche, vu que je découvrais un peu tout. Tout était nouveau pour moi. C’est vrai que tu découvres, tu te dis que tu ne vas pas en demander trop, mais une fois que tu es dans le truc, t’as envie de jouer. J’ai fait pas mal de déplacements, et c’est dur quand on ne te fait pas entrer. Si tu es un compétiteur, tu es pris par ça, tu as envie de jouer, d’évoluer. Je me suis que 11 apparitions la première saison, ce n’était pas dramatique, même si j’avais espéré mieux.

La deuxième année a été un peu similaire, finalement. Tu n’as vraiment eu plus d’opportunités…

Je me suis dit que la première année était plutôt de bon augure pour la suivante, que j’allais revenir à bloc et qu’ils avaient vu ce que je valais. Je pensais que ça allait vraiment être sur la continuité et sur les mêmes bases. Pendant la préparation, je m’en rappelle, j’étais bien, et un de mes présidents m’avait dit que je faisais une super prépa. Mes coéquipiers étaient impressionnés sur la régularité que je montrais aux entraînements et en match. J’avais fait le plein de confiance, tout était nickel, le tout à un nouveau poste que je ne connaissais pas du tout et où il y avait beaucoup de blessés : celui de latéral droit. Pour moi, ce n’était pas si important la place où j’allais jouer, donc je me suis dit que j’allais prendre ça et que je pourrais me montrer et faire quelque chose de bien. Ça m’a plutôt réussi, c’était vraiment cool.

Ensuite, on arrive à une semaine du début du championnat. J’avais le plein de confiance, le coach comptait sur moi, il me disait qu’il fallait que je garde le cap, et que ça allait très bien se passer. Je regarde la liste des 18 joueurs convoqués, et je ne suis pas dedans. Moi, je suis un peu choqué, et démoralisé. Ça m’a demandé pas mal d’efforts pour arriver jusqu’à là, et ne pas être récompensé en étant dans le groupe m’a fait mal. C’était une déception, je ne comprenais pas. Après, les résultats se sont enchaînés. J’avais beau demander au coach le pourquoi du comment, même lui ne savait pas me répondre. C’est là que j’ai compris que la décision ne lui appartenait pas.

Ce fut une deuxième saison un peu à l’image de la première, encore pire je dirais. Pire sur le plan moral, on va dire, et sur la façon dont le club fonctionne. J’ai perdu un an, mais elle m’a au moins servi d’apprentissage. De leçon, aussi. Évidemment, ça fait grandir. C’est enrichissant.

C’est le président qui fait l’équipe, et après il y a ses pions qui dirigent.

Pourtant à la fin de cette deuxième année, tu as gratté du temps jeu, en étant plusieurs fois titulaire.

Il y a eu un changement de coach, et le nouveau m’aimait beaucoup. Il voyait mes qualités, et pour lui, j’étais vraiment une valeur sur laquelle il pouvait compter. Lui, il m’a fait jouer. Il ne s’est pas posé de question. Pareil pour d’autres joueurs de l’équipe qui ne jouaient pas et qui avaient des qualités. Je pense que j’ai fait quand même de belles prestations. Mais bon, je vais expliquer exactement ce qu’il s’est passé. C’était le match contre le PAOK, qu’on a perdu 2-0. Je devais commencer titulaire, mais non, parce qu’il fallait mettre un Argentin à ma place. Lui, ça ne lui appartient pas. C’était comme ça, et c’est tout. Le coach me l’explique comme il peut, moi je le comprends et je l’accepte. Je respectais le fait qu’il puisse venir m’expliquer les choix.

Ensuite, il me fait rentrer à la mi-temps. Je me souviens, c’était son dernier match à la tête de l’équipe, et le fait qu’il m’ait fait rentrer à la pause moi plutôt qu’un autre Argentin, ça lui a coûté sa place au sein du staff. Il a été viré directement après le match. Avant ça, il m’a fait jouer, il m’a fait confiance. On a eu vraiment une très bonne relation, parce qu’il savait ce dont j’étais capable. C’était le seul qui a su me donner confiance.

Le problème au club serait donc que le président décide de l’équipe ?

Pour moi, totalement. À 100%. C’est le président qui fait l’équipe, et après il y a ses pions qui dirigent. Tout le monde le sait, même le coach. À chaque fois qu’il y en a un nouveau qui arrive, il va dire : « C’est moi qui décide ici. » S’il y a un coach censé, comme on a en France, Angleterre, Allemagne ou Belgique, c’est le meilleur qui joue. Il peut y avoir des écarts sur le plan du comportement, chose qui n’était pas du tout mon cas. Ce n’était pas les meilleurs qui jouaient. C’est plutôt : on met les Argentins, et on voit qui on peut mettre autour.

Quand j’ai fait mon premier match amical, ça m’a frappé : les Argentins ne jouaient qu’entre eux, ils ne nous connaissaient pas.

L’Asteras est, en plus, qui a toujours eu beaucoup d’Argentins dans son effectif. Est-ce que ça créait des clans dans l’équipe ?

Moi j’étais choqué d’un truc. Je ne sais pas si c’est la manière de faire des Grecs, mais quand je suis arrivé, j’entre dans le vestiaire – déjà en France, quand on fait ça, on doit dire bonjour à tout le monde – et je vais saluer tout le monde. Et il y en a qui, parfois, me donnaient la main gauche (rires). Quand tu viens de France, ça te choque, parce que tu te dis : « C’est quoi ce manque de respect ? ». Autant ne pas me saluer que de faire ça. Peut-être que c’est une façon de faire …

Tu rentres dans le vestiaire, et tu le vois tout de suite. Au fond à gauche, tu as tous les Argentins. À côté, en face de l’entrée, tu as les Grecs. Et à côté, encore dans un autre coin, c’étaient nous les Africains, avec les Brésiliens. Enfin, tout à gauche du vestiaire, tu trouvais les Italiens, les Serbes, les Roumains, et tout ça. Il y avait vraiment des clans, que ce soit en dehors ou au sein du groupe. Quand j’ai fait mon premier match amical, ça m’a frappé : les Argentins ne jouaient qu’entre eux, ils ne nous connaissaient pas. C’est une réalité. Je ne dis pas que c’est à cause de ça que je n’ai pas réussi, parce qu’il y a plein de paramètres qui rentrent en compte, mais c’est une réalité.

Sur ces deux années, est-ce qu’il y a des souvenirs sportifs que tu garderas ? Des ambiances, des trucs comme ça …

Au niveau de l’ambiance, je me rappelle du match contre le Panathinaïkos lors des playoffs, la première année. C’était un beau match, dans lequel j’étais entré en cours de jeu. Ça m’avait impressionné. Il y a aussi la rencontre contre l’Iraklis, en Coupe, où on avait fait 1-1 chez eux. L’ambiance était vraiment exceptionnelle.

Sur la deuxième année, le seul match que je retiens c’était à Larissa, match aller de Coupe. C’était la première fois que je jouais devant autant de spectateurs, avec une ambiance pareille. C’est mon plus gros souvenir au niveau des tribunes, comment le match s’est déroulé pour moi. C’était vraiment sympa.

Le fait de ne pas avoir pu goûter à ces deux phases de poule d’Europa League est un regret, forcément…

La deuxième année, j’aurais pu être dans la liste, mais ce ne fut pas le cas. Même si tu ne comprends pas pourquoi, c’est clair que c’est une grosse déception. C’est une très bonne compétition, où tu affrontes de belles équipes. Quand Tottenham ou Schalke, je me suis dit que j’aurais voulu y participer. Ça laisse des regrets énormes. Énormes. Mais bon, c’est comme ça, c’est le football.

Cet été, tu as décidé de résilier ?

Oui, c’était clair : j’ai décidé de résilier, pour pouvoir me réengager ailleurs. C’était simple. Moi j’avais besoin d’une lettre qui m’autorisait à partir à l’essai. J’entre dans le bureau de Georgios Borovilos. Je lui dis : « Écoutez, il me faut une lettre pour partir à l’essai. » Lui, déjà, il croyait que j’avais 5 ans de contrat, alors que c’est lui qui m’en avait donné trois. Il m’a répondu : « Pourquoi tu ne casses pas ton contrat ? On te donne ton dernier mois, et tu pars. Comme ça, tu pourras aller où tu veux. » Je lui dis que ça pourrait ne pas marcher. Il m’a dit que si je restais là, je n’allais pas jouer, et pas m’entraîner avec l’équipe. Tu seras tout le temps à part.

Dans ma situation, je me suis dit que j’allais prendre le risque. Casser mon contrat s’est fait en trois heures, tous les papiers étaient réglés. J’étais prêt à partir, et j’ai pris le risque. C’est de là que j’ai décollé pour Belgique.

Avec le recul, ces deux années t’ont fait progresser ?

Déjà, je suis content d’avoir connu le monde professionnel. Mine de rien, c’est quand même une ambiance à part de ce que tu découvres quand tu étais en jeune. Mentalement, maintenant, je suis prêt, avec tout ce qu’ils m’ont fait là-bas. Enfin, je pense l’être. Je suis prêt à aller dans un vestiaire un peu plus costaud. Sur les qualités de joueurs, c’est autre chose. En tout cas, sur le plan mental, c’est clair que ça a été une très très bonne formation.

Au niveau footballistique, que penses-tu de la Grèce ?

(Il hésite). Cela dépend de l’équipe sur laquelle tu tombes. Par exemple, la première année, on a joué contre l’OFI. Pour moi, ça avait un niveau de CFA en France. La deuxième année, tu avais plus de matchs de bas de tableau Ligue 2. Globalement, le football grec – j’enlève les trois tops qui pour moi sont imbattables – se rapproche plus de la Ligue 2 française.

Est-ce qu’il y a des joueurs, dans ton club ou ailleurs, qui t’ont impressionné sur ces deux années ?

Il y a un joueur à l’Asteras qui jouait peu, et qui m’a impressionné par sa technique, c’était Nicolas Fernandez. Il avait une de ces techniques … Pour moi, c’est pur, celle d’un gaucher extraordinaire. Il y en a aussi qui sont passés, comme Lobato, un Espagnol, que je trouvais très fort. Il y a également Rachid Hamdani, qui est toujours au club. Il a un volume de courses et une activité dans le jeu … Beaucoup de joueurs ont ça, mais avec Hamdani, lui, il a justesse technique en plus. Il m’a vraiment choqué.

Dans les autres équipes, il n’y en a pas un qui m’a impressionné, vraiment. Quand je dis impressionner, c’est voir quelque chose que je n’avais pas encore vu. Par exemple, Rachid Hamdani, j’ai connu des mecs en CFA, pendant ma formation, qui avaient du volume de jeu, mais techniquement n’étaient pas justes. Ou des mecs qui avaient une technique, comme Nicolas Fernandez, mais lui c’était vraiment au-dessus de la moyenne. Le dernier joueur que je rajoute, c’était Ritchie Kitoko, qui évoluait au poste de latéral droit. Il jouait peu, mais pour le peu de matchs qu’il a fait, il avait une force défensive, et une intelligence dans le jeu. Même dans l’impact physique … Parfois aux entraînements, quand je devais jouer contre lui, j’étais pas bien (rires). Pourtant on est de très bons amis, je suis même le parrain de son fils. Mais à l’entraînement, je lui disais : « Bon Ritchie, essaie d’être cool ! » C’était 2×8 minutes, et je savais que j’allais passer 16 minutes difficiles. Même quand il est à 30%, tu as l’impression qu’il est à fond. Ce sont ces joueurs-là qui m’ont marqué.

J’ai appris que tous les jours, quand tu arrives à l’entraînement, tu ne seras peut-être pas le meilleur, mais dans tout ce que tu vas faire, il faudra que tu sois à fond à 100%.

Et les joueurs grecs, tu les jugerais comment ?

Ce sont de bons joueurs, mais, pour moi, comment dire … ils pensent qu’il n’y a qu’en Grèce qu’ils peuvent faire leur carrière. Pourtant, je prends l’exemple de Kourbelis, le capitaine actuel de l’Asteras. C’est un 93, il a 23 ans, soit un an de plus que moi. S’il voyait un peu plus loin, il pourrait faire une très bonne carrière. Il y a aussi Gianniotas, qui est à l’APOEL Nicosie. De lui, j’ai appris que tous les jours, quand tu arrives à l’entraînement, tu ne seras peut-être pas le meilleur, mais dans tout ce que tu vas faire, il faudra que tu sois à fond à 100%. Il m’a dit que ça venait de son passage en Allemagne, que c’est de là qu’il a appris la culture allemande du travail. Ce qu’il faisait à l’entraînement, parfois j’étais choqué. C’était d’une détermination… Parfois, tu arrives à l’entraînement, et tu as un petit peu moins envie, comme dans tous les boulots. Lui, il n’y a pas un jour, même quand il était blessé, où il faisait moins.

Les joueurs grecs, dans l’ensemble, peuvent aller haut s’ils voient plus loin. Eux, ils se contentent de leur petit truc, leur petit club où ils sont bien, tranquilles. Il y a vraiment de bons joueurs. Gianniotas, ce n’est pas le meilleur techniquement, mais il fait tout avec une détermination, qui fait qu’aujourd’hui il est, pour moi, l’un des meilleurs joueurs grecs, qui pourra même évoluer à un plus haut niveau.

Tu penses que les clubs, notamment ceux qui jouent les premières places, ne font pas assez confiance aux Grecs ?

C’est vrai que quand je regarde l’effectif de l’Olympiakos sur les deux années où j’ai joué en Grèce, il est rare que j’entende qu’il y a 5 Grecs alignés. Je trouve que les clubs connus du pays comme l’Olympiakos ou le Pana devraient se servir de ce nom-là, non pas pour essayer d’aller plus loin en Europe, parce qu’ils vont la jouer toutes les années, mais pour pouvoir prendre les meilleurs de leurs équipes, en jeunes et en réserve, pour leur donner confiance et pour faire quelque chose de bien. Une fois qu’ils auront compris ça, je pense qu’on entendra plus souvent parler des joueurs grecs dans ce monde. Il faut juste qu’ils leur fassent un petit peu plus confiance, et ça ira tout seul. De bons joueurs, il y en a plein.

La première année, il y a une personne du vestiaire – un joueur noir – qui a été victime de racisme. […] Le racisme, c’est grave, c’est passible d’emprisonnement ici en France, par exemple. Le coupable a été exclu une semaine, même pas, et après il est revenu dans l’équipe comme si tout allait bien.

Pour en revenir à l’Asteras, c’est un club qui, de l’extérieur, est plutôt bien réputé, qui travaille bien. Toi qui l’as connu de l’intérieur, tu irais dans ce sens ?

Qui travaille bien, c’est clair. Le dernier préparateur physique qui est venu est quelqu’un qui fait bien son métier. Même ce qu’ils nous proposaient au niveau du contenu des entraînements, c’était bien. Chaque coach a sa façon de faire, mais je trouve que dans l’ensemble ça allait.

Après, il y a avait pas de mal de problèmes en interne. Je vais prendre deux exemples clairs, pour que les gens comprennent l’impact que ça a. La première année, il y a une personne du vestiaire – un joueur noir – qui a été victime de racisme. Qu’est-ce qui se passe ? Le club commence à dire qu’il n’est pas raciste, en postant des trucs un peu partout sur les réseaux sociaux. Nous, les Blacks, on est des mecs cools, du moins ceux qui étaient là la première année. Un truc comme ça, qui se passe aussi ouvertement dans un autre club, en France, en Espagne ou n’importe où, la personne, peu importe son statut au club, est renvoyée. Le racisme, c’est grave, c’est passible d’emprisonnement ici en France, par exemple. Le coupable a été exclu une semaine, même pas, et après il est revenu dans l’équipe comme si tout allait bien.

Ensuite, un autre exemple. Une fois, j’ai pris ma voiture pour emmener en urgence ma femme qui avait des soucis au ventre à Athènes, pendant la nuit. Je vais voir un médecin français là-bas. Le lendemain, je viens m’entraîner. On me dit : « Tu as été où avec la voiture ? On a vu ta plaque. » J’ai répondu que j’avais emmené ma copine, que certes c’était pendant la nuit, mais je suis revenu pour l’entraînement à 10h le lendemain. Ils me répondent : « Qu’est-ce qui nous le prouve ? ». Le docteur envoie un papier tamponné, mais ils m’ont quand même mis à l’écart pendant plus de 15 jours. Quand je suis revenu à l’entraînement, ils faisaient deux équipes et je n’étais même pas dans l’une des deux, surtout quand on était beaucoup à l’entraînement. C’était pendant la première année, et après ça a été comme ça tout le temps. C’était pour accentuer l’importance de chaque jouer aux yeux du président. Pour moi, c’était vraiment injuste. Même les Grecs étaient mis avec nous, ils étaient « punis » comme nous, par rapport aux Argentins. Les Grecs pouvaient se tromper deux fois, nous une fois, mais les Argentins …

Il y a un joueur, dont je ne vais pas citer le nom, qui a fait une deuxième partie de saison… Il a marqué trois buts, et il a joué une trentaine de matchs, voire plus. C’était hallucinant. Je me disais : « Il faut quand même que je me tienne prêt, parce qu’il va peut-être réaliser qu’il faut qu’il me donne ma chance ».

Cet été, il y a Sonhy Sefil (Auxerre) et Lionel Zouma (Sochaux) qui ont signé au club. Ils ont pris conseil auprès de toi avant de venir ?

J’étais beaucoup en contact avec eux, parce que le temps que je parte, je suis quand même resté un mois. Je leur ai un peu expliqué la situation au club, parce qu’il faut qu’ils sachent. S’ils voient comment ça se déroule, ils vont dire : « Ce gars c’est un salaud, il ne nous a pas tout dit ». Je leur ai expliqué exactement mon cas, même celui de Rachid Hamdani, aussi, et pourquoi, parfois, il était mis sur le banc. Mais après, c’est chacun son cas. Je leur ai dit : « Peut être que vous, ça ne sera pas pareil, mais attention au fonctionnement ici. Vous faites comme vous voulez, c’est vous qui allez signer votre contrat ». En gros, je les ai mis en garde. Comme ils sont encore là-bas, je ne dirais pas les retours qu’ils m’ont faits, pour ne pas leur porter préjudice.

Ces fonctionnements en interne que tu décris, c’est la cause de l’état actuel du football grec selon toi ?

Je trouve que c’est dommage, parce que les installations, ils les ont. Toute l’année, on avait un super terrain, pour l’entraînement ou les matchs. On avait une salle de muscu, des saunas : pour moi, je n’avais rien à envier à un club français. Les équipements, le vestiaire, tout était nickel. C’est juste que le fonctionnement est à revoir. Il faut quelqu’un qui connaisse le football, et pas un businessman.

Tu parlais un peu avec d’autres Français qui évoluaient en Grèce ?

J’ai un peu parlé avec Paul Keita, parce qu’il y avait sa situation à Kalloni où il avait des retards de paiement. La première année, j’étais en contact avec Laurent Agouazi. Il avait des retards aussi, mais c’était d’un mois, pas très méchant. Pour lui, ça s’est bien passé, mais il a préféré partir à cause de ça, et se rediriger vers la France.

À l’Asteras, niveau paiement, c’est carré ?

Franchement, sur ça, tu ne peux rien leur reprocher. Ils assurent toujours. De ce côté, il n’y a vraiment pas de problèmes. C’est l’un des clubs où il faut aller en Grèce si tu veux être sûr d’être payé.

Tu as suivi leur intersaison cet été ?

Oui bien sûr, parce que Hamda (Rachid Hamdani) y joue encore. J’ai vu qu’ils n’avaient pas pu jouer au début à cause des problèmes du championnat, et là j’ai vu qu’ils ont pris 3-0 contre Panionios, et qu’ils ont perdu 2-1 contre le PAOK. Je connais les personnes avec qui ils fonctionnent, je vois un peu dans quel état d’esprit il est là-bas … C’est dommage. Ça m’énerve un peu, parce que je sais que l’Asteras peut vraiment faire quelque chose de bien. Quand je dis un truc de bien, c’est qu’ils peuvent battre n’importe qui en Grèce. Seulement, il faut mettre en place des personnes qui connaissent le football, et qu’ils traitent tout le monde pareil, du plus vieux au plus jeune du groupe. Une fois que ça sera réglé, le club va avancer, mais vraiment.

Depuis que tu as résilié, comment ça se passe pour toi ? Tu t’entretiens physiquement, tu as des contacts ?

Quand je suis parti, je suis allé faire un essai à Louvain, à l’OHL. Au bout d’une semaine, et au dernier moment, trois minutes avant la signature, ça ne s’est pas fait. Aujourd’hui, je n’en sais pas plus. Sinon, j’ai continué à m’entraîner avec le FC Metz pendant pas mal de temps, et je le fais toujours. Chose qui est vraiment nickel, sinon ça aurait été un peu difficile, de ne pas s’entraîner, de rester comme ça… Heureusement que Metz m’a bien accueilli. Comme je l’ai dit, je reviens à la maison ! Il faut être patient et costaud, parce que forcément, je recherche quelque chose de bien, ou du moins de professionnel. C’est compliqué de retrouver ça, parce qu’il n’y a plus beaucoup d’argent dans les clubs. On essaie de faire avec, mon agent m’appelle de temps en temps pour me demander ce qui m’intéresse ou pas. Il me dit de garder le cardio, parce que les clubs ont toujours besoin d’un ou deux joueurs libres pour faire face à un blessé de longue durée.

Regrettes-tu ton départ en Grèce, à 20 ans ?

Avec un peu de recul, aller en Grèce dans un club de première division ? J’irai, parce que je pense que ce n’est pas partout pareil. Retourner à l’Asteras ? Aujourd’hui, je ne pense pas avoir les épaules assez solides pour retourner là-haut. Tu viens à l’Asteras Tripolis, ou en Grèce tout court, quand tu as un « nom ».

Sinon, la vie en dehors du foot en Grèce, ça a donné quoi ?

Super ! Ma femme est venue vivre avec moi deux ans là-bas, c’était super. On a vu plein de choses, on a pas mal voyagé en Grèce. On a été à Santorini, à Mykonos, à Tolos, en Crète. On a fait plein d’îles, et on avait la plage à 25 minutes de Tripoli, du côté de Kalamata. La vie en Grèce n’est pas chère, en plus, et il faisait souvent beau. De ce côté-là, chapeau la Grèce !

Un petit mot pour terminer ?

S’il fallait conseiller les jeunes joueurs qui ont des pistes en Grèce, c’est de faire attention, parce que ce n’est pas tout le temps rose comme on pourrait le voir dans les autres clubs. De bien se préparer mentalement, aussi, parce que ça ne sera pas tout le temps facile. Si un club te fait jouer, il y aura forcément un retard de paiement. Mais c’est quand même une expérience à prendre, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

Martial Debeaux

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