Chez Footballski, nous avons déjà pu discuter avec de nombreux joueurs, dirigeants, supporters en Europe de l’Est. Mais qu’en est-il des arbitres ? Nous avons pu découvrir ce monde à part avec Emanuela Rusta, première arbitre féminine FIFA en Albanie.
Bonjour Emanuela, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Emanuela Rusta, j’ai 26 ans et j’habite à Elbasan, en Albanie. Je suis professeure dans une école mais je suis également arbitre dans le football depuis 2015. J’ai longtemps joué au basket, mais j’ai finalement décidé de me mettre au football. J’y ai découvert une nouvelle passion !
N’est-il pas difficile de partager ton temps entre l’école et le terrain ?
Non, c’est plutôt facile pour moi. J’ai un emploi du temps aménagé. Le matin, je donne des cours à l’école et j’ai l’après-midi de libre. Ce qui me laisse beaucoup de temps pour m’entraîner pour ma seconde profession.
Pourquoi as-tu décidé de devenir arbitre de football ?
C’est principalement dû à des amis. Une bonne connaissance à moi est le meilleur arbitre du pays. Il m’a beaucoup parlé de son travail et des opportunités grandissantes dans le football en Albanie. J’ai donc décidé de me lancer dans cette nouvelle aventure, et je suis satisfaite de mon choix. Beaucoup me demandent : pourquoi arbitre et pas joueuse ? Et bien tout simplement parce que je me sens mieux en tant qu’arbitre plutôt qu’en tant que joueuse.
N’est-il pas difficile d’être une femme dans le milieu du football ? Notamment en tant qu’arbitre dans des matchs masculins ?
Bien sûr, ce n’est pas facile. Mais si tu es la meilleure sur le terrain, si tu ne fais pas d’erreur et si tu es juste, alors il n’y a aucun problème. Et ce n’est pas difficile. Je suis la première arbitre FIFA du pays, c’est un honneur pour moi et je suis supportée par de nombreuses personnes dans le pays.
Ta position de première arbitre FIFA féminine du pays est-elle également importante pour la cause du féminisme en Albanie ? Est-ce que tu ressens également cela dans ton travail ?
Oui, c’est véritablement un point important. De nombreuses femmes me soutiennent dans ce sport « masculin ». Elles croient en moi et nous sommes d’accord sur le fait que n’importe quel sport peut aussi bien être pratiqué par un homme que par une femme. Il ne faut pas de séparation, il ne faut pas de barrière.
D’ailleurs, comment juges-tu le développement du football féminin en Albanie ?
Il reste encore beaucoup à faire, mais de nombreux progrès ont été faits. La fédération investit beaucoup dans le football féminin, nous avons de meilleures équipes, de meilleures joueuses et le niveau du championnat national augmente d’année en année.
Penses tu qu’un jour, l’équipe nationale féminine pourra se qualifier pour un Euro, voire même une Coupe du Monde ?
Oui, vraiment ! Il y a une véritable ferveur en Albanie derrière l’équipe nationale. Je pense que nous le pouvons, si nous travaillons dur et si nous restons focalisés sur nos objectifs.
Quelle a été ta réaction quand tu appris que étais sélectionnée pour arbitrer un match de Kategoria Superiore (la première division albanaise) en mars 2019 ?
J’étais fière de cette nomination ! Au début, c’était plutôt amusant car les gens ne savaient même pas que j’étais arbitre et je ne pense pas qu’ils imaginaient un jour qu’une femme puisse arbitrer un match d’hommes. De plus, c’était pour le derby entre Partizani et le KF Tirana, le match le plus chaud du pays. Même si je n’étais qu’arbitre de surface, c’était pour moi une expérience inoubliable. J’ai été impressionnée par l’ambiance dans les tribunes, j’ai eu beaucoup d’émotions tout au long du match mais au final ça c’est bien passé ! Maintenant, je dois travailler pour qu’un jour ce soit moi l’arbitre principale pour ce genre de matchs.
Comment se prépare-t-on pour un tel match quand on est arbitre ?
C’est important d’avoir une bonne préparation mentale. Si on est bien dans sa tête, alors on sait déjà que le match se déroulera bien. Il faut savoir se ménager, ne pas sembler faible et impressionné vis-à-vis des joueurs. Il faut faire son travail correctement, ne pas commettre d’erreur et donner son meilleur sur le terrain.
En quoi consiste l’entraînement d’un arbitre en semaine ?
Je m’entraîne tous les jours sur le terrain l’après-midi, après avoir donné mes cours le matin. Je vais également à la salle de sport. J’ai un entraîneur personnel et je travaille énormément sur l’aspect mental pour être plus concentrée quand je suis sur le terrain et pour prendre les bonnes décisions. Je m’entraîne aussi sur le positionnement en match, pour connaître les zones où se situer afin de pouvoir prendre les meilleures décisions.
L’année dernière, un arbitre a été agressé lors d’un match à Kamza. Quelle a été la réaction des arbitres suite à cet incident ?
Ndlr : En pleine lutte pour le maintien et menant 1-0, Kamza jouait un match important contre Laçi. Les visiteurs ont égalisé à la dernière minute sur penalty. Au coup de sifflet final, des supporters locaux sont entrés sur le terrain et ont agressé physiquement l’arbitre.
On était tous très mal après cette situation… Cela ne devrait jamais arriver dans le football et dans le sport en général. Ce n’est pas l’esprit du jeu, le football n’est pas un sport de combat. Suite à cette situation, la fédération a pris des décisions importantes en punissant sévèrement Kamza (le club n’a jamais pu se relever et est en D2) et les hommes qui sont entrés sur le terrain. La loi a changé et toute personne entrant illégalement sur un terrain de football risque désormais entre un et trois ans de prison.
On parle beaucoup de corruption dans le football albanais, notamment avec le Skënderbeu. Que fait la fédération face à ce fléau ?
Skënderbeu affirme toujours n’avoir jamais truqué le moindre match, mais pour le Comité des Sports, les preuves sont bien plus fortes que les mots. Ce n’est pas bien et c’est honteux pour notre pays, mais notre fédération fait beaucoup pour combattre ce mal. Il reste encore beaucoup de travail néanmoins. Le fait d’avoir interdit les paris sportifs dans le pays y aidera certainement.
Quels sont tes prochains objectifs dans le football ?
Je veux progresser, tout d’abord sur la scène nationale en ayant la possibilité d’être le plus souvent possible arbitre principale de rencontres en Kategoria Superiore. Après, j’aimerais évidemment gravir les échelons au niveau de la scène internationale. Mais c’est une autre histoire !
Comment peut-on se faire remarquer en tant qu’arbitre pour progresser dans les échelons ?
C’est différent des joueurs qui, eux, sont sur le terrain. Il faut faire de bons matchs, se faire remarquer par les observateurs qui, petit à petit, nous suivent de plus en plus. Il faut toujours faire son meilleur et, ainsi, nous pouvons atteindre l’élite.
Penses tu qu’un jour, une femme arbitrera la finale de la Ligue des Champions ?
Bien sûr ! La femme, c’est l’avenir !
Quels sont tes conseils pour les jeunes qui veulent devenir arbitre ?
Ce n’est pas la honte d’être arbitre. Il faut croire en soi. Rien n’est impossible s’ils donnent le maximum dans cette passion.
Nous remercions Emanuela pour sa disponibilité et lui souhaitons une bonne continuation dans le monde de l’arbitrage.
Tous propos recueillis par Antoine Jarrige
Image à la Une : © Emanuela Rusta