A l’occasion d’un voyage en Azerbaïdjan, nous avons pu rencontrer Donald Guerrier in extremis -nous avons littéralement sauté dans un taxi pour nous rendre à l’aéroport juste après l’interview -. Notamment passé par le Wisła Cracovie et Qarabag, l’international haïtien porte désormais les couleurs du FK Neftchi Bakou.

Bonjour Donald, peux-tu commencer par te présenter et nous parler de ta carrière ? 

 Je suis haïtien, j’ai commencé ma carrière à Haïti, au Violette Athletic Club, puis dans un club qui s’appelle América des Cayes. De là, j’ai rejoint la Pologne. J’ai joué quatre ans au Wisła Cracovie. J’ai joué 77 matchs, j’ai marqué 20 buts. Je suis allé en Turquie, à Alanyaspor (24 matchs, 6 buts) avant de débarquer en Azerbaïdjan. A Qarabag, j’ai joué beaucoup de matchs en tant que latéral gauche et milieu. J’ai marqué six buts en tant qu’arrière gauche. Mon contrat s’est terminé avec Qarabag et j’ai signé avec le Neftchi Bakou.

Est-ce que la ferveur du Wisła te manque ? 

Oui … (rires) Tout ça me manque et en plus j’étais jeune. Il y a des choses que je ne savais pas encore, j’ai grandi et j’ai appris sur le Wisła. Les fans me manquent trop ! La façon dont ils crient, dont ils influencent le match. Tout ça me manque.

Quel est ton meilleur souvenir de cette époque ?

Je mets un beau but, le but de l’année, un but de 35 mètres face au Korona Kielce. Lorsque j’ai marqué, je n’ai pas célébré, ce qui a étonné pas mal de monde. Mais à mes yeux, un but est un but. J’en avais déjà mis des beaux avant, et il y en aura d’autres plus tard !

Passer de Haïti à la Pologne, ce n’est pas un parcours très commun. Comment s’est passée cette première expérience en Europe ? Comment es-tu arrivé là-bas ? 

Je jouais à l’América des Cayes, une ville cotière, c’est à dire au sud. Cayes, c’est la troisième ville d’Haïti. Moi je viens de Port-à-Piment, c’est une petite ville, on peut dire un bidonville situé proche de Cayes, à 1-2 heures de route. Nous avons disputé un match amical face à l’Espagne de Casillas. Tout le monde nous attendait à prendre une raclée – moi le premier ! – mais nous avons fait bonne figure, j’ai marqué et nous n’avons perdu que 2-1. Après ce but, j’ai reçu beaucoup d’offres et j’ai choisi le Wisła Cracovie. J’ai senti que je pourrais y aller pour jouer et m’améliorer. Je n’ai pas regardé l’argent. J’avais d’autres clubs qui offraient plus mais qui ne me garantissaient pas un temps de jeu conséquent, ils avaient de grands joueurs à mon poste.

Comment t’es tu adapté à la Pologne ?

J’ai survécu car, comme je le dis à chaque fois, je suis haïtien.  Tous les Haïtiens qui survivent sont des héros. Ils n’ont rien, rien à manger, ils survivent. Partout où je serai, je trouverai toujours une façon de survivre. Je me souviens la première fois que je suis arrivé en Europe, il faisait très froid, c’était la première fois que je voyais de la neige. La vie était dure. Moi je viens du sud, on aime la communication. En Pologne, c’est différent. Si tu croises quelqu’un dans la rue et qu’il ne te connaît pas, il ne te saluera pas. En France, c’est différent. En Haïti, c’est différent. Si je ne te connais pas, je te dis bonjour. La mentalité en Pologne est différente. C’était dur mais j’ai essayé de comprendre et je savais que je venais pour quelque chose, et pas pour avoir des amis. Je me ferai des amis après.

Tu suis encore le championnat polonais ?

Oui, j’ai regardé le Wisła là récemment. Quand j’ai fini avec Qarabag, j’avais des offres, en Pologne encore. Là-bas, j’ai marqué l’histoire. J’étais l’Haïtien le plus efficace du championnat. Pour le Wisla, je suis le meilleur marqueur étranger. J’ai reçu une offre du Legia, du Wisła Płock, du Lech Poznań, mais j’ai refusé. Je voulais jouer l’ Europe. Il y a le Legia qui jouait les qualifications mais le Wisla était en conflit avec le Legia, alors ça m’a fait réfléchir. Ma copine est polonaise, elle m’a tout expliqué. Son père jouait au Wisła Cracovie. 

Rejoindre le Legia, c’est mission impossible ? Comme les joueurs qui sont passés de Paris à Marseille ? 

Ah oui ! Comme passer de Barcelone à Madrid, cela se fait pas.

C’est quoi la différence dans le jeu entre tes pays ?

Il y a une grande différence. En Pologne c’est très physique, très très physique, avec du jeu direct ! En Azerbaïdjan, quand on prend l’exemple de Qarabag, c’est un bon club qui joue au ballon, tout comme le Neftchi ou Zira. C’est ça la différence. Mais même si j’ai découvert la Ligue des Champions avec Qarabag, le championnat polonais reste plus relevé.  

Entre la Pologne et l’Azerbaïdjan, tu es passé par Alanyaspor, en Turquie…

J’ai été bon dès le début là-bas, mais je me suis vite blessé. Un nouveau coach est arrivé avec son protégé au même poste que moi, un Chilien du nom de Junior Fernandes. Les fans criaient mon nom, « Do- Do- Do- Do », mais l’entraîneur ne me faisait pas jouer. Un jour, lors d’un match contre le Besiktas, le public me réclamait et il ne m’a fait entrer que dans le temps additionnel. Quelques secondes de jeu, une frappe sur le poteau et coup de sifflet final. J’ai dit au coach: « La prochaine fois que tu décides de me faire rentrer dans le temps additionnel, je ne rentre pas. » Il pensait que je rigolais. J’en ai parlé au président, qui a semblé bien embêté à l’idée de contrarier son entraîneur. A l’occasion d’un mach contre Osmanlispor, j’ai mis mes menaces à exécution et j’ai refusé d’entrer sur le terrain. Après, l’entraîneur m’a dit : « Soit tu pars et je reste, soit je pars et tu restes ». Je suis allé voir le président pour lui dire que je voulais partir. Il m’a demandé de trouver une offre, et que si l’offre était suffisante ils pourraient me laisser partir. C’est finalement avec Qarabag que ça s’est fait. 

Est-ce que tu as un agent ? 

Avant, j’en avait un. Maintenant, je suis seul. Si un agent m’obtient un contrat, il prend son pourcentage et moi le mien. L’agent peut t’avoir des deals, tu n’es pas forcément au courant de tout, tu n’es pas forcément le plus intelligent.

Comment as-tu été accueilli en Azerbaïdjan ? 

Les gens m’ont bien accueilli en Azerbaïdjan, et le coach Gurbanov aussi. C’est un bon coach.

D’ailleurs, tu peux nous en dire plus sur le coach ? C’est, en quelque sorte, le boss du foot azéri. 

Oui, c’est vrai. C’est un bon mec, un bon coach. Il a du caractère. Il est bon, il est comme un père pour les joueurs. Il est toujours du côté des joueurs. J’ai bien aimé. C’est grâce à lui que j’ai eu autant de succès en Azerbaïdjan. J’ai été élu meilleur joueur étranger du championnat azéri, meilleur arrière gauche, etc. Il m’a forcé à travailler dur. Tout ce que j’ai reçu c’est grâce à lui. Je me souviens, quand je suis arrivé, il m’a dit : « Si tu m’écoutes, si tu m’aides, je vais t’aider ». Il avait raison. 

Il y a beaucoup de francophones au Neftchi…

Il y a Soni qui vient d’Haïti, Mamadou, Mbodj, Monrose et Dabo. On s’occupe du son dans le vestiaire. A l’entraînement, je ramène mon speaker pour la musique mais pour les matchs c’est Monrose qui gère ça. Chacun son rôle. Quand je suis arrivé ici, c’était mort, au vestiaire, à la gym, il n’y avait pas de musique, rien. Je suis allé voir le coach pour lui demander si ça le gênait, et ce n’était pas le cas. Sans musique, il n’y a pas de vie.

Et justement ça se passe comment ? 

Au club, il y a les francophones d’un côté et les russophones d’un autre côté. Les Russes ne parlent pas anglais, ils ne parlent que turc ou azéri. Moi, je suis dans le clan des Russes et des Français, je parle azéri.

Quelles sont les ambitions du club ?

On veut être champions et jouer les tours préliminaires européens.

Tu as joué la Ligue des Champions, c’était comment ? Il vous manque quoi pour la jouer plus souvent ?

Le plus dur pour Qarabag aujourd’hui, c’est d’avoir la même mentalité que celle que nous avions à l’époque. Les joueurs qui jouent maintenant doivent se battre jusqu’à la fin. Quand on jouait à l’extérieur, le message c’était « gagner ou nul » mais même à l’extérieur on ne voulait pas perdre. Au Neftchi, je suis allé voir le directeur sportif pour lui exposer ma vision des choses. Il m’a compris. Les joueurs faisaient un peu trop ce qu’ils voulaient. Je suis ici pour une seule chose : gagner ! Tu peux demander à n’importe qui, quand je m’entraîne, je me donne à fond. La façon dont tu t’entraînes, c’est la façon dont tu joues. A l’entraînement, je ne suis pas là pour m’amuser.

Pourquoi avoir rejoint le Neftchi Bakou après Qarabag ? 

J’avais beaucoup d’options : la Turquie, la France, la Grèce, la Thaïlande, même la MLS… J’étais surtout proche de Zürich. Mais les dirigeants me demandaient d’attendre, d’attendre, d’encore attendre. Le 31 août, j’ai craqué. Je voulais quelque chose de sûr et j’ai signé à Neftchi pour une année. 

Pourquoi portes-tu le numéro 77 ?

A América des Cayes, j’avais le numéro 7. C’est mon chiffre préféré. Ensuite, à Cracovie, je voulais le 7. Or, c’était le numéro de Sobolewski, un joueur emblématique du club et ils avaient décidé de ne plus l’attribuer. Alors j’ai pris le 77. Avec ce numéro, j’ai joué 77 matchs et marqué 20 fois. Donc j’ai décidé de le garder en Turquie, où j’ai commencé ma collection de vêtements, « 77 Donald Guerrier ». Donc, je garde le 77 !

Merci à Donald Guerrier pour sa disponibilité.

Tous propos recueillis par Lazar Van Parijs.

Image à la Une : © Lazar Van Parijs.

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