À 29 ans, Azrack Mahamat a déjà une carrière riche en expériences derrière lui. De lINF Clairefontaine à l’AJ Auxerre, en passant par l’Espanyol, la Suède, la Bulgarie ou la Grèce, sans oublier la sélection tchadienne et l’Inde, le natif de Créteil, actuellement sans club, en a vu de toutes les couleurs, ou presque. L’occasion de revenir, dans un long entretien, sur ces expériences de vie, faites de réussite sportive, de salaires impayés et de découverte.

Tu es né à Créteil, mais formé à Auxerre. Comment as-tu atterri dans l’Yonne ?

Avant d’arriver à Auxerre, je suis passé par l’INF Clairefontaine. J’avais fait les concours quand j’avais 12 ans, et j’avais été sélectionné. J’ai fait mes trois ans là-bas, avant d’aller à Auxerre, donc.

De Clairefontaine, tu en gardes de bons souvenirs ?

Ah oui, c’est clair. Au niveau de la formation, c’est l’endroit où j’ai le plus appris. Ça reste le meilleur souvenir pour moi, sans doute.

Auxerre est réputé comme l’un des plus grands clubs formateurs en France. Qu’en penses-tu : cette réputation est justifiée ?

Quand j’étais à Clairefontaine, il y avait pas mal de recruteurs qui se déplaçaient pour pouvoir superviser les joueurs. Et il y avait plusieurs opportunités qui se présentaient, parce que j’avais différentes propositions de centres de formation. J’avais opté pour Auxerre par rapport à sa formation. À l’époque, c’était vraiment réputé pour sortir pas mal de jeunes, et de leur faire confiance. C’est ça qui avait fait pencher la balance.

Pourtant, ce n’est pas une ville gigantesque. Comment expliques-tu que le club soit à ce niveau ?

C’est, si on peut appeler ça comme ça, un petit patelin. Ce n’est pas très grand. À l’époque où j’y étais, Guy Roux était là. La formation était aussi due aux entraîneurs qui étaient mis en place, et la politique tout au sein du club. C’est un tout qui faisait que la formation était bonne à Auxerre.

© ancienscentreaja.e-monsite.com

C’est un petit regret, pour toi, de ne pas avoir pu jouer en pro à Auxerre ?

Je suis resté jusqu’au niveau CFA. À l’époque, j’avais eu la chance de faire quelques entraînements avec l’équipe pro, dont le coach était Jean Fernandez, puisque Guy Roux avait déjà arrêté. Des regrets ? Non, mais bon, quand on est un jeune dans un centre de formation, on aspire toujours à vouloir jouer avec l’équipe première. Ça ne s’est pas fait, mais je n’ai pas spécialement de regrets par rapport à ça.

De là, tu pars à l’Espanyol Barcelone en juillet 2009. Comment s’est fait ce transfert ?

J’avais évolué jusqu’à la CFA à Auxerre, donc j’étais en fin de contrat. J’étais libre, et j’avais la possibilité de m’engager dans le club que je voulais. Très rapidement, pendant le mercato estival, un agent m’avait contacté pour me dire que mon profil l’intéressait, et qu’il était bien avec certains clubs espagnols. Il m’a dit qu’il me proposait, si je le voulais bien, de faire un essai à l’Espanyol Barcelone. Il n’était pas encore fixé au niveau des dates, mais il m’a dit qu’il allait revenir vers moi. Et c’est comme ça que ça s’est passé. J’ai été faire mon essai, puis j’ai été pris.

Et tu débarques dans une véritable ville de foot, bien plus grande…

Ouais, j’arrive dans autre chose. J’arrive à Barcelone, pour ma première expérience à l’étranger. Très gros complexe sportif, des joueurs de renommée internationale. C’était vraiment le haut niveau pour moi.

Tu évolues d’abord avec la réserve, avant de partir en prêt en Suède, à Halmstad, puisque le club avait un partenariat avec cette équipe.

C’est ça. Quand j’ai signé, le club aspirait à me prêter rapidement en deuxième division espagnole, parce qu’ils essayaient de trouver un niveau intermédiaire entre le CFA, où j’évoluais en France, et la Liga, où c’était encore trop tôt pour que je puisse y jouer. Ils espéraient trouver un truc en Segunda A, la deuxième division, mais c’était très compliqué, parce qu’on ne me connaissait pas en Espagne. Par contre, il y avait un partenariat qui venait juste d’être mis en place avec un club suédois, en l’occurrence Halmstad, et ce club était présent lorsque j’ai passé mon essai. Lorsque les négociations ont été établies entre les deux équipes, ils avaient demandé à ce que je puisse venir en prêt. L’Espanyol me l’a proposé. Moi, je ne connaissais pas. Et, sans hésiter, j’ai accepté, parce qu’ils m’ont dit que c’était de la première division. Ça allait être la première fois où je pouvais évoluer dans un championnat majeur.

Tu débarques en Suède, pays scandinave. Ça t’a fait un petit changement de débarquer là-bas ?

J’étais un jeune garçon de 20-21 ans. J’arrive en Suède, je ne parle pas un mot anglais. Mais j’ai été vraiment très très surpris par l’accueil que j’ai eu, qui a été très chaleureux. C’est une expérience que je n’oublierais pas, parce que mes premiers matchs en pro, c’est là-bas que je les ai faits. J’ai quand même gardé de bons souvenirs de ce club-là.

Du coup, tu reviens en Espagne au milieu de la saison, et tu finis par faire deux apparitions en mai 2010 en Liga, dont une contre Valence…

J’avais été prêté du mois d’août jusqu’au mois de novembre, parce que dans les pays scandinaves, la saison se termine à ce moment. À la fin du mois, le coach d’Halmstad voulait que je prolonge le prêt d’une saison. À cette époque-là, je n’avais pas mon mot à dire par rapport à ça, parce que l’Espanyol avait la priorité en ce qui me concernait, et ils voulaient que je revienne. Pochettino, l’entraîneur de l’époque, suivait mes prestations de loin, et avait demandé à ce que je puisse revenir en Espagne. Donc je suis revenu fin novembre début décembre, et j’ai commencé à faire quelques entraînements avec la réserve. Très rapidement, j’ai été faire des entrainements avec l’équipe première. Ça s’est bien passé. Je me souviens : on avait fait une opposition contre les Argentins. Du coup, j’avais échangé avec Pochettino à la fin du match, et il m’avait dit de continuer comme ça. Que, petit à petit, j’allais venir faire des entraînements avec eux, et que si je travaillais bien, il allait me donner ma chance et me faire jouer à la fin de saison. C’est ce qu’il s’est passé. J’ai joué les deux derniers matchs contre Majorque et Valence.

Un bon souvenir ces matchs, non ?

Au niveau football, Valence reste ma meilleure expérience. Il y avait David Villa, David Silva, Joaquin, Manuel Fernandes, Eder Banega… Vraiment le gros Valence. Sans hésiter, c’est mon meilleur souvenir sportif.

Pour en revenir à Mauricio Pochettino, que l’on connaît bien maintenant, tu le voyais devenir aussi réputé quand tu l’as eu à l’Espanyol ?

À cette époque-là, j’étais assez jeune, donc pas forcément assez mature pour savoir les qualités d’entraîneur qu’il avait. Aujourd’hui, avec beaucoup plus d’expérience et de vécu dans le monde foot, Pochettino est un très très bon entraîneur. Je ne suis pas surpris du parcours qu’il est en train de réaliser.

En janvier 2011, te voilà parti pour Melilla. L’objectif, c’était d’avoir du temps de jeu ?

Comme j’expliquais, j’ai joué en Liga à la fin de la saison avec l’équipe première, et j’avais eu une discussion avec Pochettino, qui m’avait dit de bien me préparer pendant l’été. J’étais assez content, et surtout assez tranquille pendant les vacances. J’avais certaines propositions de prêt, des clubs qui me voulaient. Mais il était hors de question pour moi de partir compte tenu de la discussion. Seulement, je n’ai pas repris avec l’équipe première, mais avec la réserve. À ce moment-là, je m’étais dit qu’il n’y avait pas de soucis, et que, peut-être, il y avait un nombre excessif de pros, ou d’autres qui revenaient de prêt. Sachant que Pochettino me connaissait bien, je m’étais dit que j’allais faire le nécessaire avec la réserve et essayer de remonter rapidement avec l’équipe première. C’était l’objectif que je m’étais fixé.

Sauf que les choses ne se sont pas passées comme prévues, et il y a eu des complications. J’étais en sélection avec le Tchad en août, et à mon retour, le directeur sportif de la réserve – parce qu’en Espagne, il y en a un pour la réserve et un autre pour l’équipe fanion, et moi, j’avais un contrat pro avec la réserve – me dit que je ne vais pas avoir la licence pour évoluer avec la B cette saison. À ce moment-là, moi, je suis étonné. Je leur demande comment ça se fait : à la fin mai, je joue avec l’équipe première, en juin ce sont les vacances, en juillet la reprise, et en août je pars en sélection et là on me dit que je ne vais pas avoir la licence ? J’étais resté un petit peu sur le carreau. Finalement, je me retrouve à la fin du mercato un peu bloqué, parce que les offres que j’avais, je les avais refusées. Et je ne les avais plus. Je n’étais pas prêt à partir mentalement dans un autre club. Donc je suis resté et j’ai fait les 6 mois avec la réserve, mais sans aucune évolution sportive, parce que je n’allais plus m’entraîner avec les pros.

Puis j’ai envisagé de me faire prêter à Melilla, dans une équipe d’un niveau National, parce que la B, à ce moment, était descendu à un équivalent CFA. Je suis allé là-bas pour la deuxième partie de saison, de janvier à mai. J’avais été renseigné par quelqu’un qui connaissait un peu mieux l’Espagne que moi, et qui m’avait dit que c’était un club structuré, qui joue souvent le haut de tableau dans sa catégorie, et qu’il ne fallait pas hésiter. Je n’ai pas été déçu. C’était un groupe âgé, à maturité, avec des joueurs de 27-28 ans, ce qui donnait un rendu assez homogène. On a fait une bonne moitié de saison, et on était allé jusqu’aux playoffs de promotion. Malheureusement, on n’était pas monté.

Le système des réserves que tu détailles est bien différent de la France. Tu le trouves mieux pour les jeunes, par exemple ?

Ah oui, moi je trouve ce système magnifique, notamment le fait que les équipes réserves puissent évoluer jusqu’en deuxième division. Dans les deux sens : pour un jeune, et un mec plus confirmé qui redescend, si son club le lui permet, en deuxième division. C’est mieux qu’en CFA ou en quatrième division.

Après ton passage à l’Espanyol, tu tentes le pari bulgare, au FK Etar, en octobre 2012. Pourquoi ? Et comment, surtout ?

Il y a eu des complications par rapport à ma dernière saison à l’Espanyol. Il me restait une année de contrat, mais j’ai préféré résilier, parce que je ne pouvais plus continuer dans ces conditions-là. J’avais été très déçu et touché mentalement, donc j’étais resté presque une année sans jouer, refusant les diverses propositions que j’avais. Après, il fallait remettre la machine en route, et le faire après une année sans jouer, ce n’est pas facile. On n’a plus vraiment le choix, donc on accepte ce qu’on a. J’ai dû repasser par la Bulgarie.

Tu débarques dans une petite ville, Veliko Tarnovo, et un petit club. Comment s’est faite ton adaptation ?

Ça me fait encore découvrir un autre pays. J’arrive là-bas en novembre, il commence à faire froid. Ils ne parlent pas anglais, donc c’est difficile, parce que je ne peux pas véritablement échanger avec les gens. Personne ne parlait espagnol non plus, donc j’étais un peu livré à moi-même. J’arrive dans un petit club du pays, et il fallait que je fasse mes preuves. Je savais pourquoi j’étais venu : c’était une manière de me relancer. Très rapidement, j’ai pu enchaîner les matchs de novembre à mars, et, ensuite, le club a eu des problèmes parce qu’il avait déposé le bilan. La chance que j’aie eu, c’est que j’ai pu enchaîner et me faire voir, donc le Lokomotiv Sofia m’avait contacté pour la saison d’après, en me disant que le président me voulait.

En arrivant à Etar, par rapport à tout ce que tu avais vu en France, en Espagne et en Suède, tu as perçu un vrai changement ?

Ah oui, très clairement. La Bulgarie, c’est, si je peux appeler ça, un des nouveaux pays du football comparé aux grands championnats européens. Si on enlève la France, l’Allemagne ou l’Espagne, la Bulgarie fait partie des nations européennes de seconde zone qui se développent beaucoup plus tard. Et ça se ressent, notamment au niveau des infrastructures, mais aussi de l’organisation des clubs et du football même. Ce n’est pas encore au point, par rapport aux meilleurs championnats.

Quand on évoque ces pays-là, malheureusement, la thématique du racisme revient souvent. Est-ce que tu as pu ressentir ce phénomène ?

Moi, par exemple, je suis noir, et quand je me retrouve en France, on est quand même une grosse partie de la population et on est bien accueilli. Mais ce n’est pas le cas de tous les pays en Europe. Et là, pour le coup, ce sont des choses que l’on peut ressentir. Quand on arrive, il y a toujours une appréhension de leur part. Quand ils voient quelqu’un d’une couleur différente, ils ne sont pas habitués à ça, je dirais ça comme ça. Après moi, personnellement, je n’ai pas eu de problème direct. Mais quand ils ne connaissent pas, ils sont un petit peu sur leurs gardes. Ils y vont avec retenue, sans trop savoir comment aborder cette personne. C’est délicat sur les premiers jours, quand même.

En signant au Lokomotiv Sofia, tu rejoins un club avec un passé, situé dans la capitale. Tu as perçu cette progression ?

Beaucoup mieux. Je me retrouve dans un club qui a une plus grande histoire, plus structuré, et qui se trouve à Sofia. C’est quand même plus agréable. Tout était mieux, à tous les niveaux. Pour moi, c’était une victoire.

La saison d’après, où tu fais 39 matchs, correspond exactement à ce que tu étais venu chercher…

Voilà. Ça faisait un moment que je n’avais pas fait une saison pleine, à enchaîner les matchs, et avoir vraiment confiance en soi. C’est vraiment cette saison-là qui m’a fait du bien. J’ai pu faire de bonnes prestations, avoir de la confiance, et c’est ce qui m’a un peu servi de tremplin pour passer de la Bulgarie à la Grèce.

Dans cet effectif, tu avais Nabil Taïder et Gaël Nlundulu, deux anciens espoirs de clubs français. Ils étaient vraiment au-dessus techniquement ?

Ah oui. Bon, Nabil Taïder jouait déjà en France quand j’étais plus jeune. Techniquement, nettement au-dessus de la moyenne, très facile. Gaël était plus jeune que moi, c’était pareil. Techniquement, on voyait que quand il prenait le ballon, il arrivait à faire des différences à lui tout seul. Donc deux joueurs très à l’aise techniquement.

On trouve beaucoup de profils similaires en Bulgarie, c’est-à-dire des Français ou anciens des championnats pros en France à vouloir venir se relancer. La formation française est cotée en Bulgarie ?

Oui, mais il n’y pas que la Bulgarie qui aime ça, parce que la formation française est réputée. En fait, le fait que certains Français soient venus ici par le passé en laissant une bonne image a ouvert la porte aux autres.

© Marin Marinov/Sportal.bg

Au niveau de la vie en dehors du foot, tu as apprécié la Bulgarie et Sofia ?

Ça nous ouvre aussi à d’autres cultures, et Sofia c’est une bonne ville, agréable. La vie est beaucoup moins chère par rapport à la France, donc quand on a des revenus convenables, on arrive à y vivre agréablement.

En parlant de revenus, as-tu eu des soucis de salaire ?

Pour le coup, j’ai eu énormément de soucis de salaire en Bulgarie. En commençant par mon premier club à Etar jusqu’au Lokomotiv Sofia où, même si c’était mieux, j’ai quand même eu des retards.

Comment tu as géré ça ?

C’était la première fois que ça m’arrivait. Dans la situation où j’étais, j’avais choisi la Bulgarie pour me relancer. Donc pouvoir le faire, il fallait jouer, et enchaîner. Le fait qu’il y ait des retards, je prenais sur moi. J’avais un petit peu d’argent de côté, et c’est ce qui me permettait de subvenir à mes besoins. Mais c’est quand même difficile.

Les efforts ont payé, puisqu’à l’été, tu signes à Platanias, en D1 grecque, un championnat de meilleur niveau.

Il me restait encore une année de contrat avec le Lokomotiv Sofia, mais, à ce moment-là, j’avais trois mois de retard de salaire. Un agent m’avait contacté pour me demander si je pouvais me libérer. Je lui ai dit que oui, à condition d’avoir quelque chose, parce que je ne pouvais pas lâcher le club pour me retrouver sans rien une nouvelle fois, et qu’il me fallait quelque chose de sûr. L’agent m’a garanti qu’il y avait une équipe intéressée par mon profil, en Grèce. Il m’a envoyé la proposition par mail, et à partir de là, je me suis renseigné dans mon entourage auprès des personnes qui connaissaient un peu le championnat grec. J’ai eu de bons retours, donc je n’ai pas hésité à résilier mon contrat.

Tu arrives dans un club honnête du championnat et, surtout, un cadre de vie plutôt sympa…

J’avais eu des échos par l’intermédiaire de mon oncle qui était dans le milieu du foot. Il avait demandé des renseignements auprès de Christian Karembeu, qui travaille à l’Olympiakos. Il connaissait bien le championnat, et il lui avait demandé des informations sur le club, notamment s’il y avait des retards de salaire, et si c’était bien structuré. Karembeu a donné son feu vert, en disant que c’était structuré, où il faisait bon vivre. À partir de ce moment, j’ai résilié pour y signer.

Ta première saison est assez aboutie, avec 34 matchs. Conforme à tes attentes ?

C’était un autre challenge pour moi : autre championnat, autre culture, nouvelle langue. À ce niveau-là, quand même, c’était plus facile qu’en Bulgarie, parce que les Grecs parlent anglais. Du moins, beaucoup d’entre eux. Et puis, à Platanias, on s’est retrouvé avec pas mal de Français. L’objectif, c’était de m’imposer en Grèce et de faire le maximum possible.

En Grèce comme en Bulgarie, les effectifs sont souvent très cosmopolites. Comment fait-on pour cohabiter entre toutes les nationalités ?

Le football est un sport universel. Il faut de tout le monde pour pouvoir faire ce monde-là. Je trouve ça enrichissant de trouver des gens qui viennent des quatre coins du monde pour jouer dans les mêmes clubs.

As-tu senti une différence de niveau entre les joueurs bulgares et les joueurs grecs avec qui tu as pu jouer ?

Globalement, le championnat grec est quand même meilleur que le bulgare, et surtout plus structuré. C’est mieux. Pour les joueurs locaux, je pense que le niveau des Grecs est un petit peu plus élevé que celui des Bulgares.

Tu as apprécié les ambiances à la grecque dans certains stades ?

Ah oui, magnifique. On m’avait parlé de ces ambiances qu’on pouvait y trouver, et que les supporters étaient des vrais fans, qui suivaient leur équipe un peu partout. Bon, nous, on était dans un petit village, donc ce n’était pas spécialement notre cas. Quand on allait à l’extérieur, on tombait souvent dans de grosses ambiances, que ce soit au Panathinaïkos. À l’Olympiakos il y a du monde, mais c’est plus du bling-bling, quoi. Après, ce sont plutôt des fans comme les Stéphanois au Pana ou à l’AEK. Vraiment de bonnes ambiances à jouer.

La population locale était plus fan de foot en Grèce ou en Bulgarie ?

Oui, quand même, malgré que les Bulgares aiment aussi beaucoup le foot. Mais en Grèce, ça se ressent vraiment. Ils sont vraiment à fond dans le foot.

À Platanias, tu jouais avec Kévin Olimpa, l’ancien bordelais. Il a bien commencé avant de ne plus jouer. Pourquoi ?

Kévin, c’est quelqu’un que j’ai côtoyé à Clairefontaine avant qu’il aille à Bordeaux. Après l’INF, il a fait son chemin. Il est parti à Bordeaux et moi à Auxerre. Quelques années plus tard, on se retrouve ensemble, en Grèce. Moi, personnellement, je le connaissais bien, et aussi footballistiquement. Je connaissais un peu toutes ses qualités. Il a fait de très bons matchs, une saison assez solide. Après, il a eu des complications extra-sportives que lui seul connait. Je ne sais pas comment ça s’est passé, je ne peux pas vous en dire plus, mais ce n’était pas rapport à ses qualités.

L’année d’après, tu joues un peu moins. Tu étais moins dans les plans du coach ?

À la fin de la saison, je vais voir la direction avec mon agent, histoire de faire un peu le point, savoir s’ils sont satisfaits ou pas, ce qu’ils pensent de moi. On avait changé de coach sur la deuxième partie de saison. Et il était là pendant cette réunion. Il me dit qu’il était très content de moi. J’étais le joueur le plus utilisé, donc il n’y avait aucun souci, et ils me disent qu’ils veulent me garder pour la saison à venir. Il m’explique comment il veut jouer la saison qui arrive, parce qu’il y allait avoir des départs. Il me dit qu’il compte énormément sur moi. Donc j’étais un peu tranquille dans mon esprit. Sauf que ça ne s’est pas passé comme il me l’avait dit. Il me faisait jouer, puis ne pas jouer, puis jouer, et ainsi de suite. La situation s’est compliquée, et j’ai préféré partir pour avoir plus de temps de jeu.

Du coup, tu signes à Levadiakos. Tu connaissais un peu la réputation de ce club ? Je pense notamment au président qui n’a pas toujours bonne presse.

À cette époque-là, je ne connaissais pas la réputation du président. Je suis vraiment parti dans une optique où il fallait vraiment que je retrouve un point de chute pour pouvoir jouer et retrouver du temps de jeu. C’était la priorité. Durant ce mercato, j’étais sur le point de m’engager avec un club turc de première division. Malheureusement ça ne s’est pas fait, parce que la direction a changé d’avis. Je me suis retrouvé à Levadiakos, et j’ai pu jouer, enchaîner. Sans savoir la réputation que ce président avant. Sportivement, ça s’est très bien passé, parce que j’étais heureux.

En Grèce et en Bulgarie, il faut être capable de mettre de côté les retards de salaire ou autres pour se concentrer sur le terrain…

C’est malheureux à dire, mais j’ai dû faire pas mal de fois abstraction de mes salaires et privilégier l’aspect sportif, parce que j’avais besoin de ça pour retrouver quelque chose de mieux après. Et pour pouvoir retrouver quelque chose de mieux après, ça passe par les prestations sur le terrain. Il est difficile de trouver mieux sans jouer. Il fallait se montrer, être sur le terrain. C’est comme ça, dans certains pays. Sur la totalité d’un salaire, on est quasi-sûr de ne pas la toucher.

Sur ce plan-là, la Grèce fait mieux que la Bulgarie ?

C’est difficile à dire. Pour que vous puissiez avoir une idée, quand j’étais en Bulgarie, dans mon premier club, j’ai dû toucher deux mois sur les cinq. Ensuite dans le deuxième, au Lokomotiv Sofia, sur 10 mois, j’en ai touché sept. À Platanias, le club avait la réputation d’un club qui attend. Et ça s’est confirmé, parce que la première année, je n’ai pas eu de soucis à ce niveau-là. Par contre, sur la deuxième, il a commencé à y avoir des retards. Il y a des clubs qui ont plus de difficultés que d’autres, et en Grèce, il y a pas mal de soucis financiers.

Après Levadiakos, tu as tenté l’aventure indienne. Tu as saisi une opportunité, ou tu avais cette envie de découvrir l’Inde ?

Ce n’était spécialement une envie, parce que ce n’était pas spécialement une chose à laquelle je pensais. C’était une opportunité qui s’est présentée par l’intermédiaire d’un agent qui m’avait déjà contacté lors de la première édition de l’Indian Super League à l’époque où j’étais en Bulgarie. À cette époque, j’essayais de me relancer, et il me proposait vraiment quelque chose d’exotique, donc j’avais directement refusé. Il est revenu quand j’étais à Levadiakos, en me disant qu’il avait une proposition pour moi. Là, je me suis dit : pourquoi pas. Donc j’ai poussé le dossier pour en savoir plus par rapport au détail, et ça s’est fait rapidement.

Croquis réalisé par Althaf PJ. | © @keralablasters

Tu avais déjà vu pas mal de pays, mais je suppose que l’Inde était encore un endroit bien différent…

Là, c’est plus l’Europe. Je me retrouve en Asie, à plus de dix heures de vol, vraiment déconnecté. Mais encore une fois, au niveau de la culture et de la découverte, même humainement… Je pense que c’est la plus grosse expérience que j’aie vécue depuis que je fais du foot.

Sportivement, tu vas jusqu’en finale de l’ISL, où tu échoues aux tirs au but.

C’est ça. On a fait un bon tournoi, parce que là-bas, c’est considéré comme tel. On a fait une finale, où on perd contre Kolkata aux penaltys. Malgré ça, ça reste une très très bonne expérience.

Tu as eu le sentiment de participer au développement de ce championnat ?

Bien sûr. Je n’ai peut-être pas participé comme les premiers qui y ont été, parce que certains y sont allés la première année, voire la deuxième ou la troisième, et ils y sont toujours. Mais j’y ai participé au moins une année, donc je pourrais le dire que je l’ai fait quand même !

La vie en Inde, ça t’a fait un petit dépaysement ?

Ah oui, totalement. C’est un petit peu comme on peut le voir dans les films indiens. On se retrouve avec une forte population, beaucoup de trafic. Mais, sincèrement, moi, j’ai bien aimé.

Ton retour en Europe se fait à Trikala, en D2 grecque. Pourquoi ce choix ?

En Inde, ils n’ont pas la possibilité de faire des contrats longue durée. C’est considéré comme un tournoi, et non pas comme un championnat au niveau de la FIFA. Je m’étais entretenu avec le propriétaire de mon club, et il espérait que je revienne pour la saison à venir qui démarre la semaine prochaine (entretien réalisé le xx novembre). Il m’avait dit de trouver un contrat où que ce soit, mais qui me permettrait d’être libre au mois de juin. Là, à cette époque, j’avais quelques propositions, mais la seule de 5 ou 6 mois, c’était Trikala. J’avais pour optique de revenir en Inde, donc c’est pour ça que je me suis engagé en deuxième division en Grèce.

Tu es sans contrat actuellement. C’était pour revenir en Inde prochainement, donc ?

C’était le projet établi, aussi bien personnellement qu’avec mon agent. Mais je me retrouve, encore une fois, dans une situation délicate. Je n’ai pas pu retourner en Inde pour cette saison, donc je me retrouve sans club pour cette saison.

Comment gères-tu cette période difficile ?

Ce n’est pas facile. J’ai déjà vécu cette situation dans le passé, quand j’étais plus jeune, donc c’est la deuxième fois. C’est difficile à vivre dans le sens où on se retrouve seul, et c’est indépendant de notre volonté. On peut avoir toute l’envie du monde de vouloir jouer sur un terrain, tant qu’il n’y a pas une opportunité qui s’offre à nous, ça n’arrivera pas. On dépend d’un coup de fil, d’un agent, d’un club, pour pouvoir se remettre en route. Il faut s’entretenir, être costaud mentalement, et ne pas laisser tomber parce que ça peut surgir à tout moment.

Tu as déjà pas mal voyagé. Tu serais partant pour repartir n’importe où ?

Moi, je n’ai pas de problème par rapport aux destinations. Je suis assez ouvert dans les pays, ce n’est pas ça qui me fait peur. À partir du moment qu’il y a un projet, que ce soit sur le sportif ou l’aspect financier, où je me retrouve, je n’hésite pas.

Venons-en à la sélection du Tchad. Ta première sélection date de 2008, quand tu étais encore à Auxerre. Comment ça s’est fait ?

À l’époque, je me souviens bien, j’étais à Auxerre donc, avec la réserve, le groupe CFA-CFA 2. La sélection m’avait convoqué. J’avais 18 ou 19 ans, et le fait qu’ils me convoquent pour un match officiel, c’était un honneur pour moi, notamment le fait d’avoir la possibilité de jouer des matchs internationaux. Je n’ai pas hésité.

Tu fêtes ta première cape au Soudan. Une ambiance bien différente de ce dont tu avais l’habitude à l’époque…

J’étais en réserve et je me retrouve à jouer un match contre le Soudan. Nous, le Tchad, on a eu des problèmes avec ce pays, donc on a dû jouer sur terrain neutre, en Égypte. C’était une confrontation avec pas mal de tension. Il y avait un petit peu de football et de politique dans ce match-là. Mais ça reste une bonne expérience.

Ces années en sélection, avec les voyages et les compétitions, t’ont enrichi sportivement et humainement ?

Quand on joue des matchs internationaux, c’est une autre intensité. Les gens défendent vraiment leur pays, donc il y a peut-être une motivation qui est plus extrême par rapport à l’envie qu’on peut avoir dans les clubs. Après, humainement, ce sont des découvertes d’autres pays, d’autres cultures. Je trouve ça magnifique de pouvoir voyager, arriver dans des pays qu’on ne connaissait pas ou qu’on n’avait jamais vus.

Tu avais déjà eu l’occasion de retourner au Tchad avant d’aller en sélection ?

Oui, j’y allais avant la sélection. Si ce n’était pas tous les ans, c’était une fois tous les deux ans.

Quel est ton regard sur les sélections africaines ?

Je vais parler pour la nôtre, parce qu’il y a des sélections africaines qui sont quand même mieux organisées que nous, plus structurées. Malgré ça, ce n’est pas encore perfectionné, et je trouve ça dommage, parce qu’il y a pas mal de joueurs de qualité en Afrique. Avec un peu plus d’organisation et de moyens, les sélections africaines pourraient être plus présentes sur le plan mondial.

Tu as déjà essayé de convaincre un joueur de venir jouer pour le Tchad ?

Ici en France, on est très peu, donc ça reste compliqué que je puisse trouver des gens. Mais ceux qui ont évolué en France, que j’ai connu, même dans les niveaux inférieurs, n’ont pas hésité à jouer et défendre les couleurs du pays.

Pour finir, si tu avais un moment notable, dans toutes tes expériences, à faire ressortir, ça serait lequel ?

(Il réfléchit longuement). C’est vrai qu’à travers ces pays, j’ai vu pas mal de choses. En fait, ce sont les retards de paiement. En arrivant en Bulgarie, surtout quand on sort de la France, où il n’y a jamais ces problèmes. J’arrive en Espagne, je n’ai pas ces soucis, et en Suède, pareil. Les Suédois, par rapport à ça, sont très réglo. Ils ne rigolent pas. Et de là, je me retrouve en Bulgarie. En fait, quand les joueurs ne sont pas payés, c’est limite quelque chose de normal. Ça veut dire que la tendance est inversée, et que les joueurs ont du mal à réclamer leur salaire par peur de se faire virer, ou autre. C’est vraiment quelque chose qui m’a marqué.

Et les joueurs les plus talentueux avec qui tu as pu évoluer, ce serait lesquels ?

C’est assez vaste comme question (rires). Quand je suis arrivé à l’Espanyol, Ivan De La Peña était là, à l’époque. J’étais impressionné de le voir à ce niveau-là, surtout qu’il approchait de la fin de sa carrière. Chaque fois que je le voyais à l’entraînement, j’apprenais. Il m’avait vraiment marqué. Dans ma génération, il y a Jires Kembo, qui est un très bon ami à moi. On a grandi ensemble, et on est passé par Clairefontaine. J’ai pu voir son évolution à Rennes et aux Émirats. Il y a aussi Callejon, qui est au Napoli maintenant. À l’Espanyol, je m’entraînais avec lui, mais je ne le connaissais pas. Incroyable, ce joueur.

Martial Debeaux


Image à la une : © africatopsports.com

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