A seulement 21 ans, Arnaud Guedj a déjà vécu de nombreuses galères, dont notamment deux expériences délicates en Europe de l’Est. Récit d’un début de carrière compliqué mais prometteur.
Peux-tu te présenter un peu pour nos lecteurs ?
Moi c’est Arnaud Guedj, j’ai 21 ans, j’ai mon bac et deux ans de BTS mais je ne suis pas allé jusqu’au bout à cause du football, ma grande passion. Quand j’ai eu une opportunité, j’ai laissé mes études de côté. J’ai commencé ma carrière au Mans, où j’ai joué huit ans, puis j’ai passé trois ans à Nice suite au dépôt de bilan du MFC, et ensuite je suis parti à l’étranger. Je suis quelqu’un de simple, très famille et calme.
La première chose qu’on voit sur ton profil, c’est que tu es ancien international français U16 !
Quand j’étais au Mans, je suis allé en équipe de France suite à des détections. Il y avait une sorte de brassage de joueurs à Clairefontaine au cours d’un stage, et à l’issue de cette sélection il y avait un tournoi en Turquie et j’ai été retenu dans le groupe de seize joueurs. J’ai joué trois matchs. Pour moi c’était un peu compliqué de débarquer dans cette équipe. La plupart des joueurs avaient des contrats dans des gros clubs comme Lyon et Marseille et moi, j’étais le petit du Mans qui n’avait pas de contrat et pas d’argent. Au début, j’ai été impressionné et ça a été difficile. J’étais très stressé et ça a eu un impact sur mes performances. Heureusement, jour après jour je me suis amélioré et j’ai fait une bonne fin de stage, ce qui m’a permis d’intégrer le groupe. En Turquie, je n’étais pas titulaire mais j’ai réalisé quelques entrées. Le retour final qu’on m’a fait c’est que j’avais de grosses qualités mais qu’il fallait que je sois plus mature et plus adulte dans mon football. On a joué contre la Belgique, la République tchèque et l’Ukraine. On pouvait déjà voir des différences de jeu entre les différentes nations. Pour être franc, en France on est très technique, on a un très bon encadrement mais on manque d’assiduité et de physique.
Après ce tournoi, tu quittes le Mans pour Nice…
En sortant de l’équipe de France, j’ai eu plusieurs propositions, dont une en provenance de Nice. Un agent m’a proposé un essai là-bas, mais j’avais aussi d’autres possibilités comme à Valenciennes. On a bien étudié les propositions et, finalement, j’ai choisi Nice. Ce choix s’est porté principalement sur le fait qu’il y avait Claude Puel comme coach et qu’il avait tendance à s’appuyer sur les jeunes, ce qui ne se faisait pas partout.
Et là-bas, tu joues finalement avec les jeunes et la réserve…
Oui. J’ai fait quelques entraînements avec les pros, mais assez peu en fin de compte. Malheureusement, j’ai eu beaucoup de blessures qui ont fait que je n’ai jamais pu signer de contrat à Nice. Je n’ai même pas pu signer de contrat aspirant parce qu’ils étaient en fin de budget. En arrivant, j’ai joué avec la génération 96. J’étais titulaire, mais j’ai commencé à avoir des pépins physiques. Ils voulaient me faire signer mais ils m’ont dit que ce n’était pas possible avec mes blessures à répétition. Ma dernière année en CFA a été compliquée, je ne jouais pas tous les matchs et tu sais comment ça se passe dans les clubs qui ont une équipe réserve. Certains joueurs du groupe pro redescendent parfois dans la réserve et te prennent ta place.
Tu as fait des études au-delà du bac, ça se passe comment quand tu es jeune pour gérer foot et études ?
Franchement, c’est plus facile que ça en a l’air. On a des horaires aménagés, ce qui permet de pouvoir associer les deux. C’est important d’avoir une activité autre que le football, parce que quand tu penses foot tout le temps, ce n’est pas la meilleure chose.
Et après, petite surprise, tu pars en Ukraine !
De base, je ne pensais pas du tout partir à l’étranger. J’ai commencé à faire des essais dans des clubs français comme Valenciennes et Laval, mais les circonstances ont fait que je n’ai pas signé. Par exemple, à Laval c’était parce qu’il y a eu un changement de président et le nouveau dirigeant a fait le ménage et ne comptait pas sur moi. C’est donc cela qui m’a fait partir en Ukraine. Un jour, on m’a appelé pour un essai là-bas. Un agent m’a contacté après avoir eu des échos de l’un de mes anciens coachs à Nice. L’agent cherchait un milieu pour jouer à l’étranger, et a échangé avec mon représentant. C’était une opportunité intéressante, avec la possibilité de signer pro au bout. Mon agent a pris des renseignements sur le pays et j’ai pris la décision d’y aller. J’ai fait deux-trois entraînements et un match avant de signer professionnel.
Ce n’était pas trop dur pour toi à, 19 ans, de te dire que tu allais partir de Nice pour rejoindre l’Ukraine ?
Si je m’étais posé trop de questions, je pense que je n’y serais pas allé. Ma famille savait que je voulais devenir footballeur professionnel et ils ont tout fait pour que j’y parvienne. Au-delà du foot, même voyager, découvrir une autre culture, c’est quelque chose de très enrichissant. Au final, je sors de cette expérience avec plein de beaux souvenirs. J’ai joué contre des clubs comme le Shakhtar et le Dynamo Kiev, qui sont des clubs qui jouent régulièrement l’Europe et qui ont une riche histoire. Par rapport à ma famille, dès mes 16 ans j’ai quitté le cocon familial. Que ce soit à Nice ou en Ukraine, j’ai très peu vu mes parents au final…
Quelle était ta première impression de l’Ukraine ?
Au début, c’était impressionnant. Tu atterris à Kiev, qui est une grosse ville. En voiture, tu remarques qu’il y a des gros bâtiments partout. Ce n’est pas Paris ! On a fait un long chemin, quatre heures de route et quand tu quittes Kiev, tu t’aperçois que le pays est en retard. Il y a 200 kilomètres entre ma ville et la capitale, on emprunte des routes sinueuses, parfois des routes de campagne pour arriver à destination. Tu sens que tu es dans un pays qui traverse de grandes difficultés, qui doit se reconstruire.
Tu avais appris quelques bases pour te faire comprendre en Ukraine ?
Non, même pas ! Ce qui était vraiment compliqué, c’était le cyrillique. Quand je suis arrivé là-bas, on m’a demandé d’apprendre les bases et ce qui touche au football. Au club, on avait un traducteur donc ça a bien aidé.
En plus, tu as eu la chance d’évoluer avec beaucoup de francophones au Zirka !
C’est ça, je n’étais pas tout seul. On était sept Français je crois, donc ce n’était vraiment pas mal. Heureusement que j’étais avec eux, parce qu’en dehors du football c’était super compliqué… Je prenais beaucoup de plaisir sur le terrain, mais pas en dehors. J’ai eu des gros problèmes de salaire, je n’ai pas été payé pendant six mois. J’avais un logement mais impossible de payer le loyer, on était obligé de manger au club faute de moyens… On se battait avec le président pour avoir nos sous, heureusement à la fin il nous a donné ce qu’il nous devait. Pendant la trêve hivernale, je n’étais même pas sûr de retourner là-bas. Je n’avais eu aucun appel, aucune info sur la reprise. Un jour, je reçois un appel m’indiquant que je peux revenir et qu’ils me prennent le billet d’avion. Sauf que moi, j’habite au Mans et pas à Paris. Ils ne voulaient pas me payer le train et comme je n’étais pas payé, je ne pouvais pas prendre de billet. Mes parents ont dû me l’acheter. Quand tu es professionnel, c’est moyen…
Pourtant, sur le terrain, tout se passe bien…
J’ai réussi à prendre du plaisir parce que je suis quelqu’un qui arrive à faire la part des choses. Même si dans l’extra sportif c’était n’importe quoi, on était rejeté par les joueurs ukrainiens dans le vestiaire, mais moi je vivais mon rêve : j’étais footballeur professionnel et je donnais toujours mon maximum sur le terrain. Lors de la première partie de saison, je n’ai pas joué tous les matchs parce que je n’étais pas prêt physiquement et j’avais du mal à suivre le rythme. En deuxième partie de saison, j’ai vraiment explosé et c’était top. J’ai eu la chance de jouer des matchs contre des grosses équipes, dans de belles enceintes.
Malheureusement, le club a été relégué…
Oui, à cause de nombreux facteurs. Déjà, il y a énormément d’histoires de corruption dans le pays, notamment dans le football. On était directement au contact de ça, parfois on était au courant, parfois non. Ils évitaient d’en parler à nous, parce que quand tu es français et qu’on te dit de truquer un match, tu ne sais pas forcément faire. On entendait les rumeurs du vestiaire donc on était au courant et ça, c’était quasiment à chaque match. Le capitaine m’a déjà demandé à la fin d’un match de laisser ma prime de victoire à l’arbitre. Le fait qu’on soit pas payé, c’est sûr que ça a eu un impact sur la motivation. Pas vraiment sur moi, mais chez les joueurs qui avaient une famille, des enfants et un loyer à payer. Au final, le club a dû nous payer, mais il ne tenait plus la route financièrement (ndlr : le club a déclaré forfait pour le reste de la saison en deuxième division).
Tu as joué dans un pays qui vit une période difficile avec le conflit dans le Donbass. Tu as senti cette tension au quotidien ?
Pour être honnête, pas vraiment. Tout d’abord, les clubs des villes rencontrant des problèmes évoluent dans la capitale, donc on a joué beaucoup de matchs à Kiev. Après, j’ai surtout ressenti ça en échangeant avec les kinés, qui nous ont beaucoup parlé de l’histoire du pays. Dans le vestiaire, tu avais des joueurs pro ukrainiens qui ne voulaient même pas parler russe, tu ressentais la haine, vraiment. Sinon, je n’ai pas ressenti directement la guerre, même si tu passes parfois dans des villes en ruines.
L’Europe de l’Est est réputée pour avoir des supporters très chauds, tu as pu le constater ?
C’est vrai que certains sont particuliers. Lors de certains matchs, il y avait beaucoup de supporters, parfois quasiment personne. J’ai eu la chance de ne jamais avoir de problèmes de racisme. Un ami à moi a été la cible d’insultes et de cris de singe contre le Chernomorets, c’est le seul incident de ce genre que j’ai vécu.
Comment décrirais-tu le championnat ukrainien ?
Il y a deux gros, le Shakhtar et le Dynamo, qui battent tout le monde. Pour le reste c’est plus homogène. Globalement ça reste du bon niveau ! En comparaison avec la France, je pense que c’est niveau milieu de tableau de Ligue 2. Un gros de Ligue 2 peut marcher sur le championnat en enlevant les deux grosses équipes.
Au niveau vie locale, ça s’est passé comment ?
On était principalement entre nous, mais on s’entendait bien avec un autre groupe de joueurs locaux qui nous faisaient découvrir la région. Dès qu’on avait du temps, on allait dans la capitale pour profiter. Après, ce n’est pas la même ambiance qu’en France, les gens sont moins accueillants et plus sur la défensive donc parfois on était un peu perdu, on comprenait pas.
En définitive, tu n’es resté qu’un an en Ukraine…
De base, j’avais signé deux ans là-bas, mais au mercato estival j’ai demandé une résiliation du contrat. Ils ont accepté mais la condition était que je devais m’assoir sur plusieurs mois de salaire qu’ils me devaient encore. Ensuite, j’ai eu quelques contacts avec Châteauroux, qui voulait me faire signer. Ça a capoté, car je devais remplacer un joueur qui n’est pas parti au final. Un club albanais est venu vers moi dans le même temps, le KF Skenderbeu. La première fois, j’ai décliné. Ils sont revenus une nouvelle fois vers moi car j’étais encore libre. Je me suis dit que Skenderbeu, c’est le club phare en Albanie, ils ont plusieurs participations à la Ligue Europa. Le fait qu’ils soient revenus plusieurs fois vers moi, c’était agréable donc je me suis lancé dans cette aventure. C’était la fin du mercato et je devais me trouver un club. J’ai signé mais, au final, ça ne s’est pas passé comme je le voulais.
Tu arrives dans un club qui est certes champion d’Albanie mais qui est exclu de Coupe d’Europe pour 10 ans et qui a eu une énorme amende de l’UEFA. Tu savais ça avant d’arriver ?
J’étais au courant de deux trois choses avant de venir. Mais ce n’était rien par rapport à ce qu’il y avait là-bas. J’ai côtoyé certains joueurs qui ont joué plusieurs saisons dans cette structure et qui m’ont indiqué que le club était vraiment mal, sur le déclin, surtout au regard des résultats. Et j’ai connu la même histoire qu’en Ukraine, avec des retards de paiement. J’ai résilié parce que j’avais des problèmes au club. Je ne suis pas un fouteur de merde mais, je ne sais pas pourquoi, les joueurs locaux étaient vraiment très remontés contre les étrangers ! Je ne sais pas si c’était parce que je prenais une place, mais c’était assez particulier. Dès que ça n’allait pas, c’était de notre faute ! Un jour, l’agent qui m’a proposé Skenderbeu m’appelle après le match et me dit qu’il ne comprend pas pourquoi les joueurs ne me font pas de passes sur le terrain… Ils nous mettaient les bâtons dans les roues et être dans les petits papiers du coach, c’était compliqué.
Tu as senti ce problème de corruption au Skenderbeu et en Albanie en général ?
Non, parce qu’ils ont dû calmer le jeu après les amendes de l’UEFA. C’est moins flagrant en Albanie qu’en Ukraine. En Ukraine, ils ne se cachent pas du tout.
En suivant le foot albanais, on peut voir lors de certains matchs des stades pleins à craquer, tandis que d’autres sont complètement vides. Pourquoi ?
En fait, c’est par rapport aux affiches. Quand on a joué contre le Partizani, le stade était plein, l’ambiance était fantastique. La semaine suivante, tu peux jouer contre une équipe moins cotée et ton stade est vide… C’est comme ça.
Au niveau infrastructures,, ça donne quoi là-bas ?
Quand tu as connu le Mans et Nice c’est sûr que c’est un autre monde. Les vestiaires donnaient parfois l’impression de se retrouver en district, les terrains étaient catastrophiques, sauf le nôtre parce qu’on avait la meilleure pelouse du championnat. Pour jouer, ce n’est vraiment pas idéal. Je me rappelle de certains matchs où on jouait dans des villages, à côté de mosquées ou de grands immeubles.
Que retiens-tu de la vie en Albanie ?
On était seulement deux francophones dans l’équipe, donc ce n’était pas vraiment top. Néanmoins, j’ai eu la chance de partir avec mon petit frère qui jouait, lui, avec les U19. Ils voulaient l’intégrer dans le groupe pro jusqu’à mes problèmes avec le club. Les gens sont plus accueillants qu’en Ukraine. De plus, la ville où j’étais était beaucoup plus développée que celle d’Ukraine. Le climat était très agréable, parfois j’allais en Grèce pour me reposer, la vie extra-sportive était bonne.
Malheureusement, six mois plus tard tu quittes l’Albanie. Comment tu vois ton avenir maintenant ?
Quand j’ai résilié mon contrat, j’ai eu quelques propositions de clubs d’Europe de l’Est, en Arménie, en Bosnie et en Lettonie. J’en ai parlé avec mon agent, mais j’ai préféré attendre pour trouver un projet stable lors du mercato estival. Ma priorité reste tout de même de retrouver un bon projet en France.
Pour finir, quelques petites questions rapides. Spécialités albanaises ou ukrainiennes ?
Spécialités albanaises.
Femmes albanaises ou ukrainiennes ?
J’ai une copine (rires). Mais les Ukrainiennes sont plus jolies que les Albanaises.
Langue albanaise ou ukrainienne ?
Langue albanaise.
Merci à Arnaud pour le temps qu’il nous a accordé. Bonne continuation à lui dans sa carrière !
Antoine Jarrige