Les débuts à l’OM, la réserve de Grenade, les essais aux 4 coins de l’Europe, les nuits dans les gares routières d’Espagne… Abdel Medioub n’a que 21 ans mais a déjà connu plusieurs vies dans sa vie de footballeur. Aujourd’hui titulaire en défense centrale au Dinamo Tbilissi – « le meilleur choix de carrière de sa vie » – le marseillais revient pour nous sur un début de carrière pas forcément linéaire.
Tu es né a Marseille, quels sont tes premiers souvenirs liés au football ?
Je n’ai pas tellement de souvenirs de mon premier entraînement, ma mère m’y a emmené quand javais 3 ans, dans un petit club près de là ou j’habitais. Mais ce qui restera gravé à jamais, c’est quand j’ai signé ma première licence à l’OM quand j’avais 8 ans. Je m’en rappelle encore. Quand j’ai commencé à jouer là bas, je me suis dit que c’était pour la passion en priorité, mais dans un coin de ma tête, je me disais qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. Parce qu’à l’OM, le club te donne des responsabilités dès le plus jeune âge, te met de la pression, ton entourage aussi. Donc tu essayes de te surpasser même si tu as 8 ans.
Tu es resté jusqu’à quel âge à l’OM ?
Je suis resté jusqu’à mes 13 ans. Après, il y a eu quelques problèmes. L’OM m’a proposé d’intégrer le centre mais je suis parti. Disons qu’il y avait beaucoup de requins à cette époque qui me disaient de ne pas rester à l’OM, que je ne percerais pas. Ils m’ont conseillé de faire des essais à Monaco, Saint-Etienne, Bordeaux… J’ai fait tous ces essais en quittant l’OM, mais au final… j’aurais dû rester à l’OM.
Et à ce moment, tu te retrouves où ?
Je ne pouvais pas retourner à l’OM. Heureusement, entre temps, j’avais reussi le pôle espoir, à Aix en Provence. J’y suis resté pendant 2 ans en centre de pré-formation. Puis les essais que j’ai fait n’ont rien donné de concluant. J’avais 13, 14 ans, je rentrais dans une période où je grandissais et j’avais des problèmes de genoux. Même moi, à l’époque, je me trouvais moins bien sur le terrain. J’ai connu une belle période de 8 ans à 12 ans. Et ensuite, une période un peu ‘sombre’ de 13 ans à 17 ans. Prendre 15 centimètres en un an, par exemple, ça n’aide pas.
Et ensuite ?
Ensuite, je réussis a réintégrer l’OM à 17 ans. Par contre, ils ne me faisaient pas de cadeaux, j’étais dans la 3ème équipe, en U17 DHR. Quand je suis arrivé, ils m’ont dit « Tu es le seul à avoir ce parcours, on ne sait pas trop comment faire« . Je me souviendrais toute ma vie de l’entraîneur qui m’a dit « On est entre le marteau et l’enclume ». C’était en plus une saison très compliquée. On s’est fait virer d’un tournoi à Lille et on s’est même fait virer de la ville ! Le maire est venu nous donner des billets de train pour qu’on dégage. Autant te dire que ce n’est pas trop passé auprès des dirigeants. On s’est tous fait virer, joueurs, staff. Ils ont même supprimé l’equipe. Après ça, j’en avais marre, je suis rentré jouer dans mon club de quartier. Finalement, je retrouve mes sensations, je joue avec des collègues que j’apprécie. Je suis defenseur, je joue tranquille, sans pression, je marque, je fais des passes decisives. En Gambardella, on va jusqu’en en 64èmes de finale !
Comment tu intègres la Nike Academy ?
L’entraineur de mon club de quartier connaissait quelqu’un de cette académie, donc pratiquement toute l’équipe se retrouve à faire un essai. On était 2000 au début, puis on s’est retrouvé à 50. Sur ces 50 Marseillais, ils en ont pris 18. Ils faisaient la même sélection autour de Paris. On s’est retrouvé à faire un ‘Classico’ à Clairefontaine. On gagne 2-1 et je marque. Dider Deschamps devait choisir 2 joueurs et il m’a pris ! On s’est retrouvé à representer la France à la Nike Academy en Angleterre, à Birmingham. J’étais dans la short list pour la phase suivante, mais entre-temps, j’ai effectué un essai à Grenade en Espagne. J’ai dû faire un choix et j’ai preféré intégrer le club espagnol plutôt que la Nike Academy.
Ça t’aurait mené à quoi la Nike Academy ?
Disons que c’est une academie qui essaye de te faire progresser physiquement mais aussi tactiquement, en te faisant jouer pratiquement tous les 3 jours contre des équipes de Premier League ou D2 anglaise, afin que tu te fasses repérer. Un peu comme l’UNFP.
Le coach me demande de venir dans son bureau. Il me dit que le club est interessé mais que je coûtais trop cher. Je ne comprenais pas, j’étais gratuit, libre ! Bon, j’ai compris par la suite qu’il y avait une magouille d’agent derrière…
Tes galères en Espagne débutent !
Oui, déjà les conditions de vie etaient horribles, il faut bien le dire. Je touchais 100 euros par mois. J’étais dans un appartement avec 3 autres joueurs et je restais souvent dans ma chambre. J’avais pas grand chose à faire, il y avait la barrière de la langue. Tu imagines faire toute l’année le chemin appartement-entraînement-appartement-entraînement avec 100 euros par mois ? Et, bon, en décembre de cette année là je suis devenu papa. A 18 ans, seul dans un autre pays, en gagnant 100 euros par mois. C’était dur, mais avec le recul, je suis content d’avoir connu ces moments.
Tu sais pourquoi ils vous mettaient dans ce genre de conditions ? Vous étiez les recrues dont ils ne savaient pas trop quoi faire ?
Moi je touchais 100euros par mois mais il y avait aussi un gardien canadien qui n’avait même pas de salaire. Il était juste nourri et logé. Il y en avait un autre dans ce cas. A l’appartement, il y avait un joueur qui était déjà pro, avec un bon salaire, qui restait là pour économiser. Les U19 étaient logés un peu partout dans la ville. Sinon, la saison était bien partie, je me suis entraîné deux fois avec l’équipe première qui jouait en Liga avec les El-Arabi, Foulquier, King… Sinon, je m’entraînais avec la réserve qui était en Segunda B (3eme division) plutôt qu’avec les U19. Au final, je n’ai pas eu ma chance et comme je me suis énervé pour cette raison en fin de saison, j’ai été un peu blacklisté. J’en profite pour faire un test à Wolverhampton, en Championship. L’essai se passe très bien, je reste deux mois, je joue une fois dans le grand stade. A un moment, le coach me demande de venir dans son bureau. Il me dit que le club est interessé mais que je coûtais trop cher. Je ne comprenais pas, j’étais gratuit, libre ! Bon, j’ai compris par la suite qu’il y avait une magouille d’agent derrière. J’étais déçu, je n’avais plus rien. Je suis rentré à Marseille pendant quelques mois.
Tu débarques en 4ème division Espagnole…
Oui, à Extremadura, dans une ville un peu paumée. C’est sur que ça faisait pas rêver mais quand tu réfléchis à la vie, tu te demandes ce que tu vas faire en restant à Marseille, au quartier.
Mais avant ça, je vais te raconter un truc. Je suis parti faire un essai à Aviles dans le nord de l’Espagne. Ca s’est bien passé mais les joueurs me disaient que ca faisait 3 mois qu’ils attendaient leurs salaires…
Je me rappelle un soir, j’avais vraiment plus d’argent, et je devais prendre un bus pour Caceres, dans le sud-ouest. Je pars jusqu’à la station de Gijon, ça me coûte déjà 3 ou 4 euros. Et quand je veux prendre le bus, j’apprends que ça coûte entre 20 et 30 euros ! Je n’avais pas ça sur moi… Je demande alors à un cousin de me prendre le billet. C’est bon, je fais 8 heures de bus jusqu’à Caceres. J’arrive vers 2 ou 3 heures du matin. Quelqu’un devait venir me chercher à 9h à la station de bus. Du coup, je commence à dormir par terre dans la station. J’ai pas dormi bien longtemps, un mec du ménage m’a fait sortir !
Au final, on vient me chercher à 9h, je fais mon essai en étant cramé. Je joue quand même correctement et ils veulent me faire signer. Par contre, ils me donnent 600 euros et me laissent me débrouiller pour trouver un appart et le payer. Au final je trouve un appart à 30 minutes de la ville, avec deux autres joueurs. Je fais quand même venir mon fils et sa mere. Au final ça a été une saison ca-ta-strophique. J’ai joué un seul match dans la saison, l’entraîneur faisait jouer que les vieux. Il y a eu des moments où on avait plus grand chose à manger à la maison, c’etait très compliqué.
En fin de saison , dès qu’on a été champion, il me fait jouer. Je fais un gros match, on gagne et l’entraineur de l’equipe d’en face me demande de venir avec lui pour la saison d’après. Mais je me fais mal au dos en finissant la saison. Je rentre à Marseille me reposer, l’entraineur m’appelle pour me comvaincre de venir. Donc j’y vais. Cette fois il me propose 700 euros et un appart, donc les conditions sont déjà mieux. J’y vais, ça se passe bien, je fais ma saison, mais la douleur au dos revient et elle est forte. On doit me faire des piqûres pour les deux derniers matchs que je joue.
Finalement je fais une IRM et en fait, j’avais une hernie discale. Au moment où ça se passait mieux, j’étais tellement dégoûté… Ils me proposent des soins musculaires mais je choisis de rentrer en France pour me faire opérer. Je vais à Capbreton pour la rééducation, avec un super encadrement. Au final, je me fais opérer en novembre et je rejoue en fevrier. On etait 4ème ou 5ème, je reprends progressivement ma place de titulaire, on ne perd plus un match jusqu’à la fin de saison et en plus on finit champions. On joue les play-offs et on monte en Segunda B. Vu ma fin de saison, j’avais plusieurs clubs et leur réserves qui étaient interessées. J’avais Tenerife, Las Palmas…
Un jour, il y avait un défenseur central suspendu, un autre blessé et un dernier qu’il n’avait pas retenu parce qu’il avait fait un match horrible la semaine d’avant. Il restait un arrière droit et moi. Bah il a mis l’arrière droit en defense centrale.
Tu reviens à Grenade, malgré ce que tu nous a raconté tout à l’heure ?
Oui j’avais cet esprit un peu revanchard et du coup je suis revenu à Grenade. C’était peut-être une erreur. Cependant, si je n’étais pas revenu à Grenade, je ne serais pas au Dinamo. D’ailleurs, dans ma jeune vie de footballeur, c’est vraiment le meilleur choix possible d’avoir signé au Dinamo. Je ne jouais pas du tout à Grenade, mais vraiment zero minute, J’étais en tribune tous les week-end. Je me souviens qu’un jour, il y avait un défenseur central suspendu, un autre blessé et un dernier qu’il n’avait pas retenu parce qu’il avait fait un match horrible la semaine d’avant. Il restait un arrière droit et moi. Bah il a mis l’arrière droit en defense centrale… qui se blesse pendant le match. Le coach décide alors de faire descendre un milieu en defense… Il faut se rendre à l’évidence : je ne jouerai jamais ici. J’en parle avec mon agent, le club, et on me propose le Dinamo Tbilissi, qui a un entraîneur espagnol.
Quand tu entends parler de la Géorgie, tu te dis : bon qu’est-ce que je vais foutre là-bas, faut pas déconner… Mais bon dans la vie il n’y a rien sans rien, surtout que j’avais pas grand chose. J’ai pris mon courage à deux mains et puis en fait j’ai été très surpris, de l’encadrement, des infrastructures. L’entraineur ne me connaissait pas, c’était un essai. Premier jour : je suis moyen. Deuxieme jour : je suis très bon. Troisieme jour : on fait un match où je suis de nouveau très bon. Je gagne ainsi ma place pour la pré-saison à Antalya. Au fur et à mesure, je gagne aussi ma place dans le groupe et aujourd’hui je ne regrette pas du tout d’être venu ici.
Au Dinamo, vous êtes 6 ou 7 venant des divisions inférieures espagnoles, le coach vous a expliqué ce qu’il voulait faire avec vous ?
On était 6 au debut, puis 3 sont partis rapidement pour rendement insuffisant. On n’est désormais plus que 3 ‘espagnols’. Un gardien et deux défenseurs centraux. On était une belle colonie, maintenant on est plus que 3, sans compter l’entraîneur et le préparateur physique qui sont espagnols. Vu que je parle plutôt bien espagnol maintenant, je me suis intégré.
Justement, comment s’est passée ton acclimatation à ce nouveau club ?
J’ai été très surpris parce que dès qu’on est arrivé, tout le monde nous a bien reçu. Les papiers ont été vite bouclés, on m’a trouvé un appartement très rapidement. On est considéré comme des rois ici.
Et quand tu joues tes premiers matchs de championnat, quelles sont tes impressions sur le niveau ?
J’étais assez surpris du niveau technique de certaines equipes. Le haut de tableau équivaut au niveau National en France, voire même bas de tableau de Ligue 2. Ca joue bien au ballon, comme Saburtalo qui est toujours en course en Europe et va peut-être jouer les Playoffs (ndlr : ils se sont finalement fait éliminer par l’Ararat après cette interview). Franchement, gagner un match en Géorgie, ce n’est pas facile, on a gagné pas mal de matchs 1-0 avec un but d’ecart. Pourtant, on a pas mal de bons joueurs. Rien à voir avec la Tercera en Espagne. On va dire que ça manque juste un peu de physique mais au Dinamo on a des très, très bons joueurs.
Lesquels ?
Déjà Levan Shengelia, c’est un joueur exceptionnel. Il y a aussi mon ami sénégalais, Arpang Daffe, qui a d’ailleurs marqué un très beau but en Europe. Nika Ninua, Papava… C’est le plus grand club du pays, qui a gagné une coupe d’Europe en 1981. L’entraîneur adjoint était joueur à l’epoque.
Sinon, la ville en elle-même est propre, je n’ai rien vu en terme de délinquance. Tu vois, moi qui suis de Marseille bon… ça change (rires). C’est pas ici que tu verras des voitures brûler.
Dans le vestiaires, comment ça communique ?
En anglais avec les géorgiens, même s’ils ne parlent pas tous cette langue. J’ai quelques notions de russe, mais vraiment des notions vite fait. Après, il y a les espagnols, et Daffe avec qui je parle francais.
Et ton niveau personnel tu l’as vu évolué ?
La première chose, c’est que j’ai la confiance du coach. Grâce à ça, j’ai beaucoup progressé ici, tactiquement, même physiquement avec le staff qu’on a. Je me rends compte que je ne connaissais pas ma marge de progression avant le travail qu’on a fait ici. Je suis vaiment différent qu’en arrivant. On peut dire que j’ai vraiment appris le football d’un défenseur : anticipation, placement, relance… Je suis super content d’être venu, ca a porté ses fruits.
Question vie quotidienne, comment ca se passe, est-ce que tu as été surpris par des choses ?
Ce que j’aime bien, c’est manger dans les restaurants, j’aime la cuisine même si je ne cuisine pas trop. Donc je suis servi, surtout que la vie n’est pas chère. Je me fais pas mal plaisir dans les restaurants. Sinon, la ville en elle-même est propre, je n’ai rien vu en terme de délinquance. Tu vois, moi qui suis de Marseille bon… ça change (rires). C’est pas ici que tu verras des voitures brûler. La police a rien à faire. Tu vas dans le centre de Marseille, tu as une cannette par terre tous les 10 cm. Avant de venir ici, je pensais atterir dans un village un peu pourri et en fait c’est moderne. Tu as des belles églises, des abbayes, un petit fleuve, en plus c’est tolérant. J’ai pas vu de racisme ici, on te fait pas chier, on te fait pas de remarque.
Tu as eu l’occasion de voir un peu du pays, avec les déplacements aussi ?
Non pas vraiment, c’est rare qu’on se déplace et qu’on dorme a l’hôtel parce que c’est un pays assez petit. Et la plupart des matchs sont à Tbilissi en plus. Le déplacement à Batumi, je n’ai pas pu le faire, j’étais malade, mais il parait que c’est une très belle ville, au bord de la mer. Sinon, non, j’ai pas trop eu le temps de voir autre chose.
Tu es en Géorgie pour 6 mois, en prêt de Grenade, comment tu envisages la suite ?
Je suis en prêt jusqu’à fin novembre oui, la fin du championnat. Et pour la suite, bah déjà ne pas rentrer à Grenade (rires). Je l’exclus, je ne veux pas revenir une troisième fois. Pour l’instant, je suis bien ici. Après, on est encore en août, on ne sait pas comment le mercato va se passer, si une opportunité se présente, dans un bon pays de football, avec de bonnes conditions et un bon projet. Je suis encore jeune, je ne sais pas ce qu’il peut se passer, je verrai.
Tu n’es pas encore dans l’optique de rentrer en France par exemple ?
C’est certain qu’en tant que marseillais, mon rêve serait de jouer à l’OM. La France est mon pays donc pourquoi pas rentrer en France si une occasion se présente. Même en Ligue 2, ça me ferait vraiment plaisir.
En parallèle à ça, tu as pu goûter à la selection U23 avec l’Algérie en septembre. Est-ce que quand tu joues pour le Dinamo Tbilissi, ça parle aux sélectionneurs ?
Oui, grâce à ma saison, j’ai été selectionné avec l’équipe olympique, les U23. On va jouer le Ghana en double confrontation, et si on passe, on va jouer la CAN U23 en Egypte en novembre. Mais oui, maintenant il y a plus de visibilité qu’avant. Avec Wyscout, par exemple, les gens regardent pas mal, ils s’intéressent beaucoup à ce genre de petits championnats. Comme je te l’ai dit, ici, il y a beaucoup de joueurs de qualité donc ca ne m’étonnerait pas qu’en décembre, il y en ait qui partent pour d’autres championnats.
Antoine Gautier
Tous propos recueillis par Antoine Gautier pour Footballski
Photo de couverture : Facebook FC Dinamo Tbilisi
Photos d’illustration de l’article (Nike Academy et Grenade) transmises par Abdel Medioub pour les besoins de cet article.
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