Des insultes à des policiers, des entraînements à moitié éméché, une Bentley à Samuel Eto’o envolée… Marko Arnautović est un sacré client pour les tabloïds depuis plusieurs années. Immensément doué mais décrié partout où il est passé, le natif de Vienne est un joueur de son temps, celui du XXIe siècle. Très vite propulsé comme un crack du football mondial, Arnautović a mis un bon bout de temps avant de se remettre au question et de repenser au collectif. Sa rédemption est intervenue avec son nouveau statut au sein de la sélection autrichienne, celui d’un titulaire indiscutable qui est enfin devenu régulier. Et si on était devant le vrai Arnautović ?
Avec 28 points sur 30 possibles et 22 buts inscrits contre cinq encaissés, l’Autriche présente tout simplement le deuxième meilleur bilan des éliminatoires européens, derrière l’Angleterre (30/30 possibles). Une réelle résurrection, tant cette équipe nationale semblait à l’agonie depuis des dizaines d’années. La qualification pour le prochain championnat d’Europe, en France, représente l’accomplissement d’une génération qui arrive enfin à maturité. Son symbole ? Marko Arnautović. Le joueur de 26 ans est l’un des acteurs majeurs de ce renouveau autrichien, avec dix titularisations et trois réalisations lors de cette campagne. Au-delà des stats, c’est surtout le sentiment d’un joueur qui a enfin trouvé la paix intérieure, loin des problèmes de jeunesse et des propos déplacés.
Un parcours tumultueux
Né à Vienne, le jeune Marko débute le football à l’âge de 8 ans, au sein du club de FAC Jugend. Il se fait très vite remarquer et intègre l’équipe des U13 de l’Austria Vienne. S’il réussit à mettre un pied à l’étrier, son inconstance et ses problèmes de caractère font qu’il change très vite d’équipe : il passe au Vienna Jugend, aux jeunes du Rapid, de nouveau à l’Austria, un retour au bercail au Floridsdorfer AC. Cinq clubs en sept années, un signe peu anodin pour un jeune joueur, qui a déjà du mal à se stabiliser.
Son salut va venir d’un tournoi de détection, où sont présents des observateurs néerlandais du FC Twente. Arnautović commence chez les U19, mais intègre rapidement l’équipe A qui évolue en Eredivisie. Professionnel à 18 ans, Marko va très vite faire sur le terrain par son aisance technique. Malgré sa grande taille, 1,92 m, Arnautović est doué balle au pied, ce qui le distingue très vite de ses coéquipiers de Twente. Au-delà de son parcours intéressant aux Pays-Bas, avec 14 réalisations et 10 passes décisives, il se fait également remarquer (déjà) en-dehors du terrain. Dans une célèbre anecdote rapportée dans le Daily Mail, le jeune Marko révèle qu’il ne savait pas faire du vélo, sa première tentative : il fonce dans une voiturette. Une première expérience tumultueuse qui en suivra d’autres.
Afin de parler de ses trois autres expériences en club en Italie, Allemagne et Angleterre : à savoir l’Inter Milan, le Werder Brême et Stoke City, trois experts de ces championnats évoquent ses différentes expériences. Merci à WalterK (Inter), Chloé (Werder) et Rémi (Stoke) pour leurs témoignages.
Inter Milan : « le nouveau Ibra » a vite déchanté
À l’Inter, Arnautović aura connu sans doute le plus gros échec de sa jeune carrière. Arrivé blessé et sans repère dans l’équipe, il devient très vite un paria aux yeux de Mourinho.
« Il n’est pas à disposition de l’équipe, mais du staff médical. »
Pour Walter K, supporter interiste, son premier souvenir de Marko à l’Inter reste sa présentation. Mourinho avait ainsi refroidi tout le monde quand il fallait commenter son arrivée avec un cinglant « Il n’est pas à disposition de l’équipe, mais du staff médical. » Blessé jusqu’en janvier, on voyait surtout des photos de lui, rigolant notamment avec Balotelli, devenu rapidement son binôme. Au final, il n’aura fait que deux fins de matchs et une deuxième mi-temps contre Siena, un match rocambolesque gagné 4-3. Mais, même de retour de blessure, ce qu’on lisait de lui, c’était des soirées arrosées, des entraînements pas à 100%, des blagues avec des coéquipiers… et dire que c’était l’année du Triplete ! Comme le rappel Walter, « À cette époque, il fallait être au taquet, pas le temps pour Mourinho d’éduquer une colonie de têtes brûlées. Avec Balotelli, c’était déjà trop. L’option d’achat à 10 millions d’euros n’a pas été levée bien entendu, et son retour à Twente s’est effectué dans l’anonymat. Il y avait suffisamment le feu à l’Inter durant l’été 2010 pour s’occuper d’un tel cas. »
Cependant, les Pays-Bas, Marko n’y restera pas longtemps et ne portera pas le maillot de Twente. Car, si l’Italie fut un échec, il eut l’opportunité de rejoindre la Bundesliga et l’Allemagne. De Nerazzurri, Arnatuvoic deviendra un Werderaner. Un maillot vert qu’il portera bien plus longtemps que celui du club milanais.
Werder : un potentiel évident mais du mal à s’affirmer
Avec trois années en Allemagne, il se stabilise enfin après un début de carrière très mouvementé. Il s’impose très vite comme un titulaire, et une valeur sûre en attaque pour Thomas Schaff. Si Arnautović n’est pas très efficace sur le plan offensif, il démontre un réel sens du collectif qui lui permet de ne plus passer pour un égoïste. Malheureusement, son passé le rattrape, comme en avril 2013 lorsqu’il se prend pour Vin Diesel en réalisant une course nocturne à 200 km/h sur l’autoroute contre… Elia, son coéquipier au Werder. L’équipe lutte alors pour sa survie, et le technicien allemand suspend les deux ailiers jusqu’à la fin de la saison. Une fin rocambolesque qui fera dire à Othmar Larisch, l’un des recruteurs de Brême :
« Il a de lourds problèmes psychologiques sinon il n’agirait pas ainsi. Il doit sûrement faire un complexe d’infériorité. Je lui conseillerais d’aller consulter un psychologue. »
Pour Chloé, son passage au Werder a été plutôt mitigé. « Quand il est arrivé il a eu des problèmes avec le capitaine, Torsten Frings, qui l’a qualifié comme étant « arrogant ». Cela s’est réglé malgré tout. Sa première saison a été bonne, il était titulaire régulier, a marqué quelques buts mais a raté beaucoup d’occasions, comme toujours. Ceci dit, il était bien dans le dispositif. En Ligue des Champions, ce n’était pas fameux non plus d’ailleurs, il avait du mal à se montrer. »
Après cette première saison, Arnautović montre une nouvelle fois quelques difficultés. Des difficultés par forcément aidées par une longue blessure … subit lorsqu’il jouait dans son jardin avec son chien. Même quand il ne le fait pas exprès, Marko reste ce joueur rocambolesque jusque dans les blessures. Ainsi, en Allemagne, notre Autrichien laissera surtout cette image d’éternel espoir doté d’une finition douteuse mais aussi, et surtout, de ce sale gosse capable d’être suspendu par son club après avoir été surprit en état d’ébriété, volant en main en compagnie de son coéquipier Elia, après une défaite contre Leverkusen. Comme le rappel Chloé, « Arnautović a eu pas mal de problèmes de comportement, c’était toujours un peu électrique. »
Après ces saisons en demi teinte, notre cher Marko Arnautović décide de quitter les Wurst, les Schnitzel et la bière pour les Fish and Chips, les Kidney Pie et … la bière. Il faut bien garder une continuité dans une carrière de footballeur, et ça, notre Marko l’a bien compris !
Stoke City : un profil taillé pour la Premier League
Après sa mise à l’écart de l’équipe première du Werder, Arnautović se met d’accord avec Stoke pour quitter l’Allemagne, pour la modique somme de deux millions d’euros. Bien moins exposé dans une équipe qui joue le ventre mou de la Premier League, l’Autrichien va devenir un cadre des Potters, et petit à petit faire parler de lui beaucoup plus sur les terrains que dans les journaux à scandales.
Il arrive en 2013 à Stoke City, une équipe, comme nous l’explique Rémi Carlu, alors réputée pour son jeu direct et long du fait de la longue période où le club a été entraîné par Tony Pulis. Ainsi, Remi nous rappel que « l’image de Stoke était alors les touches longues de Delap, une défense très solide ou encore la jambe cassé de Ramsey mais, depuis l’arrivée de Mark Hughes à l’été 2013, le club a pour volonté de changer son jeu, une nouvelle vision qui s’applique avec le recrutement de joueurs plus techniques dans un effectif jusqu’alors composé de joueurs en majorité britanniques, limités techniquement, mais assez physiques et valeureux. »
Depuis rejoint par des joueurs comme Bojan, Shaqiri, Affelay, Joselu ou encore Van Ginkel, Arnautović rejoint Stoke dans cette nouvelle dynamique de jeu en étant l’un des premiers « gros poissons » dans le recrutement du club du Staffordshire. Comme nous l’explique Rémi Carlu, « La politique du club était claire, conserver une défense très solide, dure sur l’homme, mais avoir un jeu offensif un peu plus technique et débridé. Politique nécessaire en somme si Stoke veut évoluer, un club ne se contentant plus de défendre mais capable de faire du jeu en ayant la maitrise du ballon dans le camp adverse. » Arnautović arrive donc dans cette optique, dans un club qui semble être assuré de terminer dans le top 10.
Toujours d’après Rémi, « Arnautović réalise une bonne première saison 2013/2014 devenant rapidement un cadre de l’équipe et jouant 30 matchs pour quatre buts et sept passes décisives. Cependant, sa dernière saison est plus mitigée tant sur le plan statistique que celui de l’apport global. Il a moins joué et se montre surtout très irrégulier. » Une constance dans le jeu de l’Autrichien. « Il peut ainsi sortir de gros matchs comme passé au travers, et, au cours d’un même match, peut être étincelant sur une séquence, puis s’éteindre. Ce qui est assez dommage car il a un profil extrêmement intéressant (très à l’aise techniquement, percussions/provocation, contre ou jeu combiné, physique étonnant pour un ailier gauche, vitesse). »
Toujours dans la description du jeu de l’Autrichien, notre spécialiste Premier League revient également sur son apport défensif. Ainsi « Arnautović a un gros potentiel défensif du fait de son gabarit, il peut réaliser de bonnes choses par séquence mais ne fait pas les efforts de manière régulière, c’est notamment pour cette raison que l’on a retrouvé Moses sur l’aile l’année dernière. Son « body language » n’est pas convaincant, loin de là. Une certaine nonchalance est détectable, ce qui fait qu’il ne fera pas tous les efforts comme, par exemple, aider le latéral, couper la ligne de passe ou encore proposer constamment une solution de passe. Il reste quand même très intéressant à gauche grâce à sa percussion balle au pied. Une percussion qui lui permet de rentrer pour frapper de loin ou encore exécuter des courses dans la surface comme lors du dernier match contre Villa où il a marqué (propos recueilli début octobre, ndlr). » Malgré tout, pour Rémi, Marko Arnautović « est tellement doué balle au pied qu’il reste un vrai « game changer » capable de faire gagner son équipe quand il le souhaite, ce qui semble être le cas cette saison. »
Indispensable en sélection, il achève sa rédemption
Si David Alaba est devenu naturellement le patron de l’équipe nationale d’Autriche, Arnautović a, par son talent, longtemps été considéré comme un membre d’une « génération maudite » qui ne parvient pas à se qualifier pour une grande compétition. Avec Harnik, Janko, Prodl ou Junuzovic, il a échoué à participer aux Coupes du Monde 2010 et 2014, et à l’Euro 2012. Des phases qualificatives qui ont souvent montré l’écart de niveau entre l’Autriche et les nations phares du football européen.
Cet écart s’est sensiblement réduit lors de la dernière campagne, où Arnautović fut un acteur majeur. Positionné en ailier gauche dans un 4-2-3-1, il est au coeur du jeu et se trouve très facilement avec ses coéquipiers. Beaucoup plus collectif qu’à ses débuts, le feu follet a participé activement à la brillante qualification des siens pour l’Euro français. Pour les festivités, il n’ a même pas bu une goutte d’alcool ou foncé dans un hôpital avec un Hummer. Le nouveau Arnautović semble arrivé à maturité, ses performances lors du prochain championnat d’Europe sera scruté par de nombreux observateurs… et les alcooliques anonymes.
A plusieurs moments, nous avons oublié d’évoquer un facteur essentiel dans cette carrière chaotique : Arnautović n’a que 26 ans et semble cumuler derrière lui un véritable passé de taulard. Les mauvais conseillers, le manque de maturité et l’insouciance ont contribué à lui décerner ce titre peu flatteur de « sale gosse » du football. Une réputation qui semble aujourd’hui derrière lui, à force de travail et d’une réelle transformation mentale, tel un repenti. Sa relation pleine de confiance avec le sélectionneur suisse de l’Autriche, Marcel Koller, démontre qu’Arnautović semble enfin en pleine possession de ses moyens. Il pourra démontrer que cette rédemption se vérifie également sur le terrain, en juin prochain, avec l’Euro 2016.
Adrien Mathieu
Photo à la une : © Michael Kranewitter
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très cool