« Je dois dire merci aux supporters serbes qui nous ont soutenus. Bravo également à tout ce peuple, il est évident qu’il cultive une passion pour notre sport. » Le Portugal de Jorge Braz vient de s’incliner en quart de finale de l’Euro 2016 de futsal face à l’Espagne, futur vainqueur. Enflammé par les fulgurances du portugais Ricardinho, le public de l’Arena Belgrade -fidèle à sa réputation- a sublimé ce choc et plus largement, ce championnat d’Europe organisé chez lui, en Serbie. Et c’est tout le futsal de l’Est qui en sort grandi.
Quand l’Est se fait une place
11.161 spectateurs présents lors de la première rencontre entre le pays hôte et la Slovénie. Un record pour un match d’ouverture d’un Euro de Futsal. Le sélectionneur portugais Jorge Braz ne pouvait employer de terme plus approprié que celui de « cultiver » : développer, former, s’intéresser à quelque chose, s’y adonner.
Il serait optimiste, voire utopique, de revendiquer au futsal serbe une résonance future similaire à celle du basket, du volley ou encore du water-polo. En revanche, nul doute que l’engouement pour la discipline devrait perdurer en Serbie, comme peut en témoigner Alen Mordej, le gardien slovène : « j’ai senti une réelle passion durant la compétition, les tribunes étaient remplies, même quand la sélection serbe ne jouait pas. »
Une ferveur qui a poussé la Serbie de l’élégant Marko Peric jusqu’à la petite finale du tournoi, au pied du podium, derrière le débutant – mais pas si surprenant – Kazakhstan. Suit dans le classement final, la Russie, immuable dauphin de l’Espagne. Une représentation massive des pays d’Europe de l’Est et Orientale qui, événement rarissime dans le domaine du sport roi, reste assez ordinaire au Futsal.
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— Valerio Scalabrelli (@ScalabroFS) 6 février 2016
« En plus d’être un vaste territoire où la discipline y est populaire, c’est l’une des régions de futsal les plus fortes du monde : les équipes sont fortes physiquement, compétitives et douées techniquement », confie Doug Reed, international anglais passé par les championnats serbe et croate. Il poursuit : « La Russie et l’Ukraine, peut-être les plus performantes, possèdent un style similaire avec une circulation rapide du ballon et des déplacements sans ballon de qualité. Les nations des Balkans comme la Croatie, la Serbie ou encore la Slovénie progressent à grande vitesse. Des équipes compétitives avec de très bons joueurs d’un contre un. »
Le classement mondial des équipes nationales de futsal corrobore l’opinion du consultant du groupe Eurosport durant l’Euro : sur les 10 premières nations, quatre sont issues d’Europe de l’Est et Orientale : la Russie (3è), l’Ukraine (8è), le Kazakhstan (9è) et l’Azerbaïdjan (10è). La Serbie arrive juste derrière. À titre de comparaison avec le football, le premier pays des PECO à apparaître au sein du classement FIFA -aussi controversé soit-il- est la Roumanie (16ème).
« Serbia impressed Europe once again », « Serbia crushed Portugal », « Futsal makes Serbia great »…#futsalrocks pic.twitter.com/C8TOJqJ2hC
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De son côté, Alen Mordej évoque plus largement un « ADN » : « Je pense que c’est propre aux joueurs de cette région avec des qualités physiques naturelles et une technique innée, capables de décider du sort d’un match. » En plus de prédispositions, les locaux profitent d’un hiver aussi long que froid pour rallier les gymnases et « cultiver » cette discipline si particulière.
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« Je me suis très rapidement aperçu que j’étais arrivé dans un vrai pays qui connaît le futsal »
Français expatrié en République Tchèque depuis bientôt cinq ans, Andrew Argent, freestyler international de renom, y a redécouvert le futsal, l’authentique : « J’ai commencé par taper à la porte du Slavia Prague Futsal, un club professionnel. Je me suis très rapidement aperçu que j’étais arrivé dans un vrai pays qui connaît le futsal… » En France, son bagage technique faisait de lui un des meilleurs « futsalers » de la région normande. Plus précisément de « foot en salle » : « Le futsal était pour moi une curiosité. Enfin, je connaissais en France, celui qui se pratique habituellement dans les quartiers. On offre aux jeunes un créneau en association avec la Mairie et la Maison des jeunes du quartier pour permettre de faire du foot en salle plus que du futsal. »
Nuance abyssale : « Le foot en salle c’est se retrouver entre amis et par définition s’amuser en mettant un maximum de petits ponts, montrer le dernier geste technique à la mode… C’est ce que j’ai vécu dans mon adolescence. Il n’y a pas de réel encadrement donc pas d’entraînement à la pratique du futsal. »
Question de culture, question d’image. Si le futsal français a depuis évolué (tout est relatif mais c’est un autre -vaste- débat), sa situation, dépeinte par Andrew Argent permet d’accentuer celle de la République Tchèque : « Les gens pratiquent le futsal depuis de nombreuses années, sans aucun communautarisme, toutes les classes sociales se mélangent. Pour revenir à l’entraînement avec le Slavia Prague, j’ai vite déchanté lors des premiers exercices : une mobilité extraordinaire, des redoublements de passes, un jeu en deux ou trois touches de balle grand maximum… »
Un spectacle qui en France, reste -pour le moment- confiné et réservé aux seuls férus. Le rayonnement médiatique de la discipline est tout autre en République Tchèque :
« En termes d’affluence en tribunes ce n’est pas le top mais certains clubs comme le Slavia et le Sparta Prague peuvent compter sur des groupes de supporters des équipes de football. Deux fois par an, ça donne des derbys entre le Sparta et le Slavia Prague avec quasiment 800 spectateurs. Puis les rencontres sont diffusées sur la chaîne nationale, comme si en France, il y avait une dizaine de matches retransmis par saison sur France Télévisions à 21h00. »
Naturalisation ou formation, l’Est fait des choix
La réputation du « futsal de l’Est » est également inhérente à ce que d’aucuns considèrent comme un fléau, d’autres, comme une nécessité : la naturalisation plus ou moins excessive. Quart de finale du dernier Euro. La Russie est opposée à l’Azerbaïdjan. Sur Eurosport, le commentateur évoque un « duel entre Eder Lima et Rafael, les deux Brésiliens. » Lapsus révélateur ?
Si la tendance semble s’atténuer en Russie, ce dernier restera comme une référence en matière de naturalisation. Symbole de cette méthode, Eder Lima, justement. Le natif de Sao Paulo possède la double-nationalité et évolue avec la sélection nationale depuis plusieurs années. Considéré comme l’un des meilleurs pivots du monde, ses remarquables performances ont permis à son pays d’adoption de se placer rapidement parmi les places fortes du futsal mondial. À défaut de trophées.
Absent majeur de la finale de l’Euro 2016, Eder Lima n’a pu que contempler la démonstration espagnole et surtout, la troisième finale consécutive d’un Euro perdue par la Russie. Joueur du Gazprom Ugra (qualifié pour le Final Four de l’UEFA Futsal Cup en avril, l’équivalent de la Ligue des Champions) et résident moscovite depuis quasiment 10 ans, sa naturalisation semble aujourd’hui légitime. Ce qui n’était pas l’avis de tous les observateurs de l’époque.
Doug Reed, notre international anglais qui possède également un blog sur l’actualité du futsal international, pointe l’inanité d’un tel procédé :
« Personnellement, je ne suis pas fan des naturalisations dans ces cas-là. Les joueurs locaux sont le reflet d’une culture, d’un environnement et donc d’un style de jeu propre au pays. Ce qui fait la beauté du jeu et le rend intéressant ce sont justement ces différences visibles lors des rencontres internationales. »
Actuellement, les nations comme l’Azerbaïdjan ou encore le Kazakhstan usent généreusement de ces facilités administratives. La première nommée, éliminée par la Russie en quart (avec un triplé d’Eder Lima), comptait dans ses rangs Rafael ou encore Augusto (passé par la France et le Sporting Paris). Concernant la seconde, qu’on définissait comme « pas si surprenante » troisième de l’Euro 2016, avait pour cadres les trois « brésilo-kazakhs » Douglas Junior, Leo et le gardien volant Higuita (aussi fantasque et talentueux avec les pieds que son homologue colombien). À la tête de l’escouade, Cacau, entraîneur brésilien dont le génie n’est plus à prouver.
« Je comprends plus lorsque ce sont des nations du futsal moins établies comme l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Elles ne pourraient probablement pas atteindre l’Euro et obtenir de tels résultats sans ces naturalisations », enchaîne Doug Reed, qui transpose la problématique à l’Angleterre : « Pas certain que ce soit le meilleur moyen pour l’avenir du futsal anglais. Dans tous les cas, la Fédération n’est pas assez puissante ou proche du gouvernement pour naturaliser aussi facilement des joueurs étrangers. » Avant d’apporter une alternative concrète : « Dans notre cas, nous n’avons qu’un joueur à la double-nationalité car il réside depuis plusieurs années en Angleterre. En réalité, je pense que l’apport de joueurs étrangers doit se faire au sein du championnat afin d’augmenter son niveau et par la même occasion, faire progresser les jeunes. »
La Russie en bénéficie aujourd’hui avec un championnat de grande qualité et une certaine homogénéité entre le Gazprom Ugra, le Dina Moskva, le FC Dynamo ou encore le Sinara Ekaterinburg. Le club kazakh du Kairat Almaty, champion d’Europe en titre (à en faire pâlir le club de football), s’appuie sur… Douglas Junior, Leo, Higuita et sur le banc, Cacau. Les quatre fantastiques de la sélection nationale. Si l’exemple, mauvais donc -tant le Kairat, pardonnez l’euphémisme, écrase le championnat kazakh- infirme l’hypothèse de Doug Reed, c’est notamment dû à la particularité du pays.
À l’instar de l’Azerbaïdjan, où le futsal jouit peut-être d’une plus grande ampleur que le football, il est assez aisé pour un joueur étranger de rejoindre un club pour une pige d’un mois en Coupe d’Europe. Avec, à la clé, un salaire élevé (quelques primes officieuses en plus) et des infrastructures souvent paradisiaques. Puis, si tant est qu’une compétition internationale approche et que les deux parties, pays et joueur, trouvent un accord, un mois suffit pour obtenir la naturalisation.
Sans juger les méthodes -à chacun la sienne en fonction des objectifs recherchés- certains ont décidé d’opter pour une vision à long terme. C’est le cas de la République Tchèque, nation plus qu’émergente du futsal, comme l’atteste Andrew Argent, témoin privilégié de la situation. En relation avec la Fédération, l’expatrié possède également une Académie à Prague : « C’est un pays passionné par toutes les formes de football diversifié. Ainsi j’essaie de mixer les disciplines entre le football, le freestyle et bien sûr, en priorité, le futsal. » Preuve s’il en faut du succès croissant du concept : « Nous avons ouvert l’Académie en août 2015 avec 15 enfants. Nous sommes aujourd’hui, sept mois plus tard, à 91 enfants enregistrés. »
Même philosophie du côté de la Slovénie. Au pays d’Alen Mordej, on fonctionne étape par étape, marche après marche : « C’est le choix de la Fédération de miser sur la formation et je pense que c’est le bon. Quasiment tous les joueurs de l’équipe nationale évoluent au sein du championnat local, nous sommes donc de plus en plus compétitifs et les jeunes peuvent progresser rapidement. Des U9 jusqu’aux U19 en passant par les U12, U15 ou encore U17, ils possèdent leurs propres championnats. C’est très important pour le futsal slovène. »
Une marche ou plutôt une étape de plus pour la Slovénie, l’organisation du prochain championnat d’Europe de futsal en 2018. Un événement qui se prépare dès aujourd’hui dans les instances fédérales confie l’ancien portier de Toulon en D1 française : « On s’active déjà. Nous voulons un Euro aussi bien organisé que nos voisins. Concernant la sélection, les rassemblements vont se multiplier ainsi que les matches amicaux. Cette année nous allons commencer à travailler sur le projet concernant l’euro de futsal 2018. On aura davantage de regroupement et de match amicaux. Le plus important dans les 2 prochaines années sera d’investir dans 2 nouveaux joueurs qui pourront jouer cette compétition, car pour le moment nous n’avons que 6 joueurs de haut niveau auxquels il faut en rajouter 2 pour espérer un bon résultat.»
En attendant, la Serbie et le Portugal se sont retrouvés à Belgrade le 22 mars dernier pour le match aller des barrages qualificatifs à la Coupe du Monde 2016 en Colombie. Si la Serbie s’est inclinée, 6.602 spectateurs étaient présents à l’Arena Belgrade : un nouveau record pour n’importe quel match qualificatif à une compétition internationale. Puis, le tremblement de terre de ces barrages avait pour épicentre la Slovénie. Les hôtes de l’Euro 2018 ont fait tomber les champions d’Europe en titre (1-0) qui restaient sur une série de 27 victoires consécutives. Damir Puskar, gardien super-héroïque du soir, avait légitiment le droit de plastronner sur son Clark le lendemain matin au travail.
So @UEFAFutsal @UEFAcomPaulS I guess #Spain players didn’t go to work today like Slovenians. #DamirPuškar pic.twitter.com/sdHXuoqyUY
— David Jakopič (@DavidJakopic) 23 mars 2016
Et si les deux pays se sont inclinés au match retour, la Slovénie a une nouvelle fois tenu tête à l’Espagne en réalisant une grosse performance malgré une défaite 5-1 qui s’est seulement décantée dans les dernières minutes du match. Quand bien même, existaient-ils meilleurs arguments pour le développement de la discipline en Europe de l’Est qui, finalement, semble « cultiver » bien plus qu’une simple passion pour le futsal ?
Steeven Devos / Tous propos recueillis par Steeven Devos pour Footballski.fr, à l’exception de la toute première citation venant du site de l’UEFA
Image à la une : © Football Association of Serbia / fss.rs