Depuis plus de 150 ans, l’Australie est une terre d’immigration pour de nombreuses générations de Macédoniens. Cette population s’est servie du football pour s’intégrer et se créer une vie sociale mais l’Australie a aussi pu bénéficier des qualités des fils de Macédoine pour son équipe nationale. Voyage entre exil, rôle social du football et rêve d’une vie meilleure avec notamment l’international macédonien Daniel Georgievski, né en Australie.

Maso Cup, compétition australienne entre clubs macédoniens

Fin janvier, le traditionnel tournoi entre clubs macédoniens d’Australie était organisé. La Maso (Macedonian) Cup 2015 avait lieu à Sydney avec 12 clubs au fort accent macédonien. Ce tournoi se vit comme une véritable fête du football macédonien en Australie avec une compétition pour les seniors, une pour les féminines et une pour les vétérans. Une belle occasion de célébrer la culture macédonienne et l’importance du football pour cette diaspora.

Depuis 2008, cette coupe est organisée chaque année à la même époque (seule exception en 2010). Cette année, les Rockdale City Suns l’ont emporté pour la troisième fois de l’histoire, devenant le club le plus titré dans la compétition. Ce club de Rockdale se nommait originellement Rockdale Ilinden Football Club. Ilinden est une évocation très importante dans l’histoire du peuple macédonien puisqu’il s’agit du soulèvement des Macédoniens contre l’empire Ottoman afin de réclamer leur indépendance en 1903. Ce soulèvement n’eut pas la réussite escomptée et ce fut également une des premières raisons de l’exil de Macédoniens aux quatre coins du monde.

Les Macédoniens arrivent par dizaines de milliers en Australie tout au long du XXe siècle

Une grande tradition d’exil existait depuis les années 1880 pour les Macédoniens, elle porte le nom de « Pechalba ». Il s’agissait de jeunes hommes de région rurale qui partaient seuls à l’étranger afin d’économiser assez d’argent avant de rentrer au pays pour acheter plus de terrain et construire une maison pour toute la famille. Cette tradition de travailleurs macédoniens a mené ces hommes aux Etats-Unis, à travers l’Europe et jusqu’à l’Australie; destination privilégiée suite à l’implémentation de règles plus strictes pour les immigrés aux Etats-Unis dans les années 1920. A l’époque, le voyage était un véritable périple, avec 30 jours de bateau depuis le port de Gênes en Italie.

guglielmo marconi
Le Guglielmo Marconi en baie de Sydney, un des bateaux utilisés par les migrants depuis Gênes

Une deuxième importante vague d’immigration vers l’Australie fut provoquée par la guerre civile grecque à la fin de la seconde guerre mondiale ainsi que les politiques discriminatoires des gouvernements grecs. Puis vint la troisième vague mise en branle quand le gouvernement yougoslave encouragea ses travailleurs à aller à l’étranger. Ce troisième flux migratoire mena de nombreux jeunes hommes macédoniens sur la côte est à Wollongong, Sydney ou Newcastle mais aussi à Melbourne dans les années 1970. Bien entendu, la vocation agricole d’une certaine population macédonienne les mena également vers des territoires plus isolés comme Port Hedland au nord-ouest du pays.

Si les « Pechalba » venaient dans l’optique de gagner de l’argent pour rentrer au pays, l’inspiration des immigrés macédoniens changea dans les années 1960-1970. Découvrant une société prospère où le travail était facile à trouver (de nombreux Macédoniens ruraux ont travaillé dans des usines australiennes), les immigrés macédoniens ont décidé de s’installer peu à peu en Australie, faisant venir le reste de leur famille depuis les Balkans. Aujourd’hui, il est estimé qu’entre 150 000 et 200 000 Australiens sont issus de cette immigration macédonienne.

Preston Lions & Altona Magic : ces clubs dans la communauté

Bien entendu, ces Macédoniens comme nombre d’immigrés étaient dans cette ambivalente nécessité de s’intégrer dans un nouveau pays tout en perpétuant leur culture propre. Le football devint très vite un instrument de vie sociale pour la communauté macédonienne en Australie. Ces immigrés, travaillant dans des métalleries, usines alimentaires ou même sur les docks, ont participé à des championnats entre entreprises où les équipes de certaines usines étaient majoritairement composées de footballeurs macédoniens.

Mais bien vite, des clubs macédoniens furent créés. Le Preston Makedonia Soccer Club, aujourd’hui appelé Preston Lions Football Club, fait office de club légendaire puisqu’il fut le premier créé à la fin des années 1940. Comme l’explique le site Internet du club, celui-ci fut fondé pour « rassembler la communauté macédonienne nouvellement arrivée, afin de se socialiser et pour offrir une chance à la jeunesse australo-macédonienne d’apprendre et de jouer au ‘jeu mondial’ qui était si populaire dans leur mère patrie la Macédoine. » Le club prospère depuis 60 ans et a connu dans les années 1980 une grande période de succès dans l’état de Victoria, gagnant à la fois le championnat de l’état et la coupe. A l’époque, plus de 8000 personnes se déplaçaient pour aller voir cette équipe.

preston makedonia

L’Altona Magic Soccer Club est un autre exemple de ces clubs de la communauté. Leur slogan est d’ailleurs : « Amener le jeu à la communauté. » Créée en 1968, cette équipe qui joue en rouge et noir est connue comme le Vardar d’Australie, en référence au grand club macédonien de Skopje. Ce club a également connu le succès au plus haut niveau de l’état de Victoria dans les années 1990 et 2000.

Si l’identité macédonienne de ces clubs reste forte, ces clubs participant à des événements célébrant la culture macédonienne au-delà du football (gastronomie et cinéma notamment) et disposant toujours d’un noyau dur de dirigeants et joueurs macédoniens, ils sont également ouverts à la vie sociale au-delà de la communauté. Le club d’Altona rappelle ainsi ses objectifs actuels sans mentionner la communauté macédonienne : « Notre mission est de travailler en conjonction avec les autorités locales et la communauté au sens large ainsi que les business locaux pour continuer à développer le sport australien et promouvoir un style de vie sain et actif chez les jeunes. Le club continuera à promouvoir le football localement, développant le football chez les enfants et les jeunes jusqu’à l’équipe première afin de continuer à former des stars du football australien. »

La communauté macédonienne donne ses fils aux Socceroos

En effet, les exemples de joueurs d’origine macédonienne ayant revêtus le maillot de l’équipe d’Australie sont nombreux. Le plus connu reste Mile Sterjovski, passé par le LOSC au début des années 2000. Sterjovski fut notamment formé par le club macédonien de Wollongong United. Il reste cependant le seul de ces Australiens d’origine macédonienne à avoir eu une si belle carrière internationale avec 43 sélections, allant jusqu’à jouer la Coupe du Monde 2006.

sterjovski

Malgré tout, d’autres noms ressortent : Sasho Petrovski (2 sélections) est notamment passé par le club de Sydney Macedonia, Ben Kantarovski est passé par toutes les sélections de jeunes et reste à 23 ans un grand espoir du football australien (notamment mis à l’essai par le Bayern), Sasa Ognenovski (formé au Preston Lions) a connu 22 sélections avec les Socceroos dans les années 2010, John Markovski (passé par les Preston Lions et Altona Magic) a porté 20 fois le maillot australien dans les années 1990. De nombreux autres joueurs d’origine macédonienne ont connu quelques sélections en équipe d’Australie depuis les années 1970.

A eux seuls, les Preston Lions et Altona Magic ont fourni une bonne trentaine d’internationaux A et jeunes à l’Australie. Sachant qu’il existe une quinzaine de clubs de football de la communauté macédonienne dans le football australien, vous pouvez imaginer le nombre de joueurs issus de ces clubs qui ont porté le maillot des Socceroos.

Malgré tout, le chemin inverse s’effectue également. Certains internationaux macédoniens comme Daniel Georgievski sont ainsi nés en Australie. Le jeune Nicola Kuleski vit aujourd’hui ce dilemme. Né en Australie, il joue actuellement dans les équipes de jeunes du Sydney FC mais évolue avec les sélections de jeunes de la Macédoine. Il expliquait à la version australienne de FourFourTwo: « C’est un grand honneur de jouer pour la Macédoine. Cependant, si je suis appelé en équipe d’Australie, je serais également honoré. »  On peut comprendre le difficile choix de ce jeune homme, qui n’est pas un cas isolé. D’autant plus que son père, Blagoja Kuleski, fut un grand défenseur macédonien au début des années 1990, notamment au Vardar Skopje avant de venir finir sa carrière en Australie.

Les problèmes ethniques européens reproduits à travers le football

Cependant, cette prolifération de clubs de communautés européennes a également transféré des problématiques européennes en Australie. Ainsi en 1996, la fédération australienne a pris la décision d’interdire les noms de clubs faisant référence à une communauté spécifique. Les Vardar, Ilinden, Makedonia ont ainsi disparu.

Mais cela n’a pas tout réglé. Les matchs entre clubs de communauté macédonienne et communauté grecque sont ainsi très tendus. En 2005, la rencontre entre les Preston Lions et South Melbourne (club grec) a donné lieu à d’énormes problèmes, poussant la police montée à entrer sur le terrain comme vous pouvez le voir sur la vidéo ci-dessous. En 2013, les autorités locales ont décidé de faire jouer ce match à huis-clos pour éviter des incidents.

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En 2011, le terrain du club d’Altona Magic fut saccagé avec le dessin d’une croix nazie et d’un drapeau grec, ainsi que des tombes creusées à même la pelouse. A l’époque, le directeur de l’association United Macedonian Diaspora expliqua : « C’est un vrai sujet d’inquiétudes. La façon dont cela a été fait est morbide et dégoûtante. Cet acte a été perpétré pour faire ressurgir d’horribles souvenirs aux Macédoniens ayant fui la Grèce pendant la guerre civile. Le symbole avec les tombes creusées sur le terrain est très inquiétant et troublant. » Aujourd’hui encore, tout match entre clubs de communauté macédonienne et de communauté grecque est considéré à hauts risques.

Finalement, le football est une métaphore de l’intégration des Macédoniens en Australie. Il leur a permis de s’installer et de se créer une vie sociale notamment dans la communauté mais aussi de devenir des acteurs reconnus de la nation australienne. Cependant, le football sert aussi à commémorer l’identité macédonienne dans sa beauté et ses heures plus compliquées qui ont notamment conduit à l’exil de centaines de milliers de Macédoniens vers l’Australie.

 

Tristan Trasca

Le témoin de cette histoire : Daniel Georgievski

Daniel Georgievski est un joueur bien connu des amateurs de football roumain pour avoir joué pendant deux saisons au Steaua Bucarest, évoluant notamment en Ligue des Champions. Il nous raconte son histoire en tant qu’Australien d’origine macédonienne.

« Ma famille est partie en Australie en 1985, soit trois ans avant ma naissance. Mon oncle vivait déjà en Australie et mes parents voulaient débuter une nouvelle vie dans un autre pays. Je n’ai pas vraiment grandi dans la communauté macédonienne, si ce n’est avec mes cousins, car notre quartier était très multiculturel. De nombreuses nationalités se côtoyaient et les Philippins étaient d’ailleurs les plus représentés. »

georgievskiDe fait, Georgievski n’a pas vraiment vécu cet entre-soi macédonien : « Je ne sais pas vraiment comment la communauté macédonienne est considérée en Australie parce que je ne suis pas resté seulement au sein de la communauté. Ce qui est certain, c’est que la communauté a eu tendance à rester entre elle dans certaines zones, comme l’ont fait la plupart des immigrés d’autres pays quand ils sont arrivés en Australie. »

Mais comme tout enfant de Macédonien, il fut élevé dans l’amour du football : « Le football est important pour tous les Européens. Nous avons été élevé avec l’amour de ce jeu, j’ai toujours regardé les résumés des matchs des grands championnats européens quand ils passaient à la télé australienne. Ce n’était pas souvent à mon époque, quand j’étais jeune ; par exemple, le championnat italien n’était montré que le dimanche matin. »

Georgievski a cependant vite quitté l’Australie pour l’Europe afin de vivre de sa passion, jouant notamment en Croatie et en Roumanie. Un choix qui le mènera à porter le maillot de l’équipe nationale de Macédoine : « J’ai choisi la Macédoine car ce fut le seul pays à m’offrir une place au niveau international. L’Australie ne s’est intéressée à moi que quand j’ai commencé à jouer en Champions League il y a un an et demi. A l’époque, cela faisait déjà 7 ans que je représentais la Macédoine dans les sélections de jeunes et au niveau senior. »

Malgré tout, Daniel a choisi de retourner en Australie cet été. Pour le football et pour sa famille : « Le choix de venir jouer en A-League était avant tout sportif, bien plus que personnel. Mais cette décision fut aussi influencée par la possibilité de me rapprocher de ma famille, voir mes neveux grandir est aussi important pour moi. »

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