Qui aujourd’hui ne connait pas Mircea Lucescu ? Vous en connaissez sans doute la carrière ukrainienne et turque, voire pour les plus anciens sa carrière italienne. Mais aujourd’hui, je vous propose un bond dans le passé, il y a une trentaine d’années, quand Lucescu débutait sur un banc avec des idées déjà bien arrêtées et une superbe génération de joueurs, dont le très talentueux Romulus Gabor.

Un grand joueur devenu naturellement entraîneur

Avant de devenir entraîneur, Lucescu fut un très grand joueur roumain. Il fut notamment un des symboles du Dinamo Bucarest de la fin des années 60 et des années 70 avec lequel il gagna sept titres de champion de Roumanie.  Il resta plus d’une dizaine d’années dans le grand club de la capitale et devint bien plus qu’un joueur là-bas, si bien qu’il est aujourd’hui toujours lié au club du Dinamo, si ce n’est physiquement, au moins spirituellement.

Il porta également le maillot de la Roumanie à une époque où la Tricolorii réussit pour la première fois depuis 1938 à se qualifier pour une coupe du Monde. En 1970, au Mexique, Lucescu était le capitaine de cette sélection qui gagna un match mais en perdit deux. Une toute autre époque à coup sûr… Il y a peu, Radu Nunweiller, ancien coéquipier de Lucescu en sélection, donna une interview à Prosport.ro où il expliqua le contexte dans lequel évoluait cette génération et le fait qu’être un joueur impliquait bien plus de choses qu’aujourd’hui : « A l’époque, il était bien plus difficile de se qualifier, mais avant le match contre le Brésil, nous avons eu un problème. Ils jouaient avec les mêmes couleurs que la Roumanie. Nous n’avions pas de deuxième jeu de maillots alors Mircea est parti en ville pour acheter des maillots. Il acheta des sortes de maillots, un ou deux dollars la pièce, bleus clairs avec du fil et des aiguilles. J’ai cousu les numéros. Aujourd’hui, si je vous raconte cela, vous avez du mal à le croire ! Je le répète, c’était un Mondial ! »

Après sa longue carrière au Dinamo, Lucescu partit pour Hunedoara pour terminer sa carrière de joueur. Dès 1977, il porta le maillot du Corvinul, bien loin de la ferveur du Dinamo. Mais à partir de 1979, à l’âge de 34 ans, il devint entraîneur-joueur de cette équipe. L’ensemble était composé de joueurs expérimentés avec Dumitrache (trois fois champion de Roumanie avec le Dinamo et élu deux fois meilleur joueur roumain à la fin des 60’s) ou Nunweiller (cinq fois champion de Roumanie avec le Dinamo) mais aussi de jeunes loups comme Rednic, Andone, Klein ou Gabor : un quatuor qui fera les belles heures du football roumain.

Un entraîneur aux méthodes très modernes

Déjà à cette époque, Lucescu avait une formule pour expliquer sa philosophie de jeu : « Je suis pour un jeu spectaculaire. Si vous jouez bien, vous pouvez perdre une fois ou deux mais avec le temps vous gagnerez. Si vous jouez mal, vous pouvez gagner une fois ou deux mais avec le temps vous allez perdre. »

Lucescu et son fils Razvan, devenu entraîneur

Du côté des joueurs, on se rappelle de la méthode Lucescu avec nostalgie. Gabor expliquait notamment que Lucescu les emmenait au théâtre, au cinéma ou dans des musées. Plus que des joueurs, l’entraîneur essayait aussi de faire grandir les jeunes hommes avec lesquels il travaillait, car beaucoup d’entre eux continuaient à étudier à  l’institut d’ingénierie d’Hunedoara à l’époque. Lucescu et Gabor jouaient également aux échecs ensemble. Lucescu apportait une très grande importance à la culture des joueurs et leur éducation, conditions sinequanone selon lui pour qu’ils puissent être performants.

Lucescu parlait aussi de l’éducation des supporters sans laquelle l’éducation des joueurs et leurs prestations sur les terrains seraient vaines à moyen terme. Cette méthode permit à Hunedoara de remonter en Liga I en 1980 avant de connaître une belle saison en 1982-1983 avec une troisième place en Liga I mais Lucescu était déjà parti à cette époque.

1981, année charnière

A l’été 1981, la coupe du monde des moins de 20 ans se disputa en Australie. Au sein de l’équipe de Roumanie figurait notamment Romulus Gabor, un superbe meneur de jeu. Après un parcours exceptionnel (une seule défaite après prolongations contre la RFA en demi-finale), la Roumanie prit la troisième place et Gabor remporta le ballon d’or de la compétition récompensant le meilleur joueur du tournoi, deux ans après un certain Maradona. Lors de ce Mondial, il évolua au contact de ses connaissances Rednic, Andone et Klein. Gabor était décrit par Gabi Balint, ancien joueur de l’équipe de Roumanie, comme « un des plus grands talents de la Roumanie des années 1980. Il jouait parfaitement des deux pieds avec le ballon. »

Gabor, Ballon d’Or

Le même été, Lucescu quitta Hunedoara pour s’installer sur le banc de l’équipe nationale et y retrouver ses joueurs fétiches. Il fit débuter les Gabor, Klein et compagnie sous le maillot de l’équipe de Roumanie. Cette génération participa à l’Euro 1984 battant notamment l’Italie championne du monde 1982 pour se qualifier. En 1986, la Roumanie ne put se qualifier pour le Mondial mexicain, suite au match nul lors du dernier match qualificatif de groupes entre l’Angleterre et l’Irlande du Nord, un match arrangé selon Lucescu qui s’en explique dans l’ouvrage de Jonathan Wilson Behind the Curtain. Malgré tout, cette génération avec Lucescu à sa tête fit partie de la régénération du football roumain dans laquelle l’entraîneur et ses jeunes ouailles d’Hunedoara eurent leur part active.

Gabor et Klein : symboles d’une génération dorée au destin tragique

Le nom de Mihael Klein est aussi très important dans l’histoire commune de tous ces hommes. Latéral gauche très apprécié, il fut un des paris réussis de Mircea Lucescu que ce soit à Hunedoara ou plus tard en sélection nationale et un catalyseur de l’ensemble. Klein resta plus de 10 ans au Corvinul Hunedoara, alors même qu’il était devenu capitaine de l’équipe nationale. Il mourut en 1993 des suites d’une crise cardiaque lors d’un entraînement alors qu’il évoluait au Bayer Uerdingen. Il avait 33 ans. Toute la Roumanie le pleura et le souvenir d’un joueur déterminé et mobilisateur pour le collectif reste prégnant.

En ce qui concerne Gabor, Lucescu déclara un jour qu’il avait eu plus de talent que Gica Hagi. Mais Gabor ne tira pas complètement profit de cet immense talent. Tout d’abord, il ne se laissa jamais convaincre par les sirènes de l’étranger ni même par celles de Bucarest où il refusa toutes les approches du Dinamo ou du Steaua. Victime de deux gros accidents aux tendons d’Achille en 1987 et 1989, la légende veut qu’il aurait sans doute été mieux protégé s’il avait joué pour un grand club. Ses blessures le poussèrent à prendre sa retraite internationale à 26 ans, laissant un grand regret quant au potentiel d’une association entre Hagi et Gabor en 1994 à la World Cup.

Gabor fut d’une fidélité sans borne pour Hunedoara, qu’il connut de 1978 à 1991, lui qui était né dans le coin. Il connut les heures glorieuses avec Lucescu, Klein et les autres mais resta aussi dans les heures plus difficiles alors que tout le monde partit, malgré de nombreuses offres dont une du New York Cosmos de Pelé mais Gabor voulait rester près des siens. Gabor déclara à la presse roumaine en 2013 : « Je n’ai jamais joué pour l’argent. Je vous parle d’honneur. Beaucoup sont allés au Dinamo pour se faire remarquer, mais je n’avais pas besoin de cela. Je n’ai jamais pensé qu’il n’était plus possible de faire des performances à Hunedoara après l’ère Lucescu. Je souffre et je suis déçu que l’on ait pas réalisé plus que ce que nous avons fait. Ce fut une histoire de passion et d’honneur. J’ai été récompensé pour cela. »

Plus tard, Gabor devint entraîneur d’Hunedoara sans succès puis fut adjoint notamment au CFR Cluj. Andone et Rednic prirent également le costume d’entraîneur, suivant le chemin tracé par leur mentor Lucescu, devenu un des plus grands entraîneurs roumains de tous les temps.

Une histoire d’hommes, d’honneur et de filiation. Une histoire un peu désuète.

Tristan Trasca

Interview de Lucescu alors entraîneur d’Hunedoara en 1981 : [youtube 1l-AaB44bb4#t=240]

Cet article a déjà été publié sur HorsJeu.

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