On parlait quelques semaines plus tôt des relations troubles entre Slovaquie et Hongrie, entre haine viscérale et rivalité sportive, voir l’excellent article « Les Hongrois en Slovaquie, récit d’une fracture au sein d’un pays » de Pierre Vuillemot. La lecture de cet article m’a rappelé l’existence d’un homme, considéré par certains comme le meilleur joueur hongrois de tous les temps : Ferenc Puskás László Kubala.
Un destin hors du commun
Attention, nous parlons d’un homme qui a joué pour trois sélections majeures sans participer à une phase finale de compétition internationale, qui a poussé le grand Barça à édifier son mythique Camp Nou ou qui a su déjouer la mort comme dans un prequel de Destination Finale. Si ces évènements sont proches de l’anecdote, sa carrière, sa personnalité et son talent eux, en sont très loin.
Tout commence en 1927 dans la capitale hongroise, plus précisément à l’est du Danube, dans les quartiers populaires de Pest, où il nait de parents issus de la minorité slovaque. Le jeune László fait ses classes au Ganz Torna Egylet Budapest, le club de l’usine locale, avant de rejoindre Ferencváros (récemment observé par Romain Claudel « On a vécu Újpest vs. Ferencváros »), club emblématique de Pest, son « côté » de la capitale. Nous sommes en 1945, László a tout juste 18 ans quand son père, Paul, décède d’une crise cardiaque.
« Ma mère se sentait tellement seule…alors nous sommes retournés dans sa ville : Bratislava et j’ai signé dans le club local. J’allais devenir international hongrois, mais finalement j’ai joué pour la Tchécoslovaquie. » László Kubala
Une décision qui marquera sa vie et sera le début d’une carrière singulière, car au-delà du drame familial, la Hongrie l’accuse de fuir le service militaire. Toujours est-il qu’en deux saisons en Slovaquie, Kubala trouve le temps de marquer 14 buts pour le Slovan Bratislava, de jouer 6 matchs pour 4 buts en sélection et accessoirement d’épouser Anna Daučík, la sœur du sélectionneur tchécoslovaque, Ferdinand Daučík.
Rattrapé par la patrouille, Kubala quitte Bratislava pour échapper une nouvelle fois au service militaire, tchécoslovaque cette fois-ci. Il retourne au pays et signe au Vasas SC de Budapest pour une saison. Il honore ses 3 premières sélections sous le maillot magyar, qui resteront ses 3 dernières.
L’exil comme détonateur
En 1948, la République de Hongrie devient la République populaire de Hongrie. Autrement dit, les communistes prennent le pouvoir grâce à la tactique du salami : « tranche après tranche, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien ». Et justement l’une de ces tranches, László Kubala et sa popularité grandissante, qui n’a toujours pas satisfait ses obligations militaires.
« Je suis retourné en Hongrie et je me suis inscris au Vasas. Mais je pensais déjà à partir en Italie jouer au football. J’ai appelé, je me suis échappé. »
Alors continue son odyssée : il fuit son pays clandestinement, sous une bâche de camion, déguisé en soldat soviétique. Après un court transit dans un camp de réfugié politique en Autriche, il débarque en Lombardie, à Busto Arsizio, résolu à jouer au football. Il se présente spontanément à l’entrainement et se joint au groupe. Dès les premières touches de balle son talent saute aux yeux des dirigeants locaux qui l’alignent pour quelques matchs amicaux.
Ses prestations attirent rapidement l’ogre italien de l’époque, le Grande Torino. Kubala accepte de jouer pour les Grenats à l’occasion d’un amical sur le terrain du Benfica Lisbonne. Toutefois, il ne montera pas dans l’avion, préférant rester au chevet de son fils malade. Au retour de Lisbonne, l’avion s’écrase percutant un mur de l’Eglise Superga à Turin, ne faisant aucun survivant parmi l’équipe au cinq Scudetto consécutifs. Le Grande Torino ne s’en remettra jamais vraiment. Kubala de son côté prend son destin en main et fait cap vers l’Espagne.
La légende catalane
En Espagne, il intègre une tournée de matchs amicaux avec Hungaria, une équipe composée de réfugiés du bloc soviétique, créée avec son beau-père, Daučík. Il éclabousse de son talent les recruteurs espagnols et déclenche un classico dans les coulisses. Le Real Madrid de Santiago Bernabeu lui fait un pont d’or, le Magyar n’acceptera qu’au prix d’une exigence surprenante : il ne jouera que sous les ordres de son beau-frère. Le Président Bernabeu se donne le temps de la réflexion…tergiversation idéale pour le FC Barcelone qui s’engouffre dans la brèche et accepte les conditions du joueur, au nez et à la barbe de son grand rival.
La suite est bien connue des supporters blaugrana. Malgré quelques difficultés administratives liées à son passé, László le Hongrois devenu Ladislao le Catalan devient incontournable. Car si pour le moment nous n’avons évoqué que son destin tortueux, c’est bien sur le terrain que Ladislao va forger sa légende.
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« Kubala était un génie. Son jeu était limpide. C’était un plaisir de le voir balle au pied. »
C’est cette phrase, aux airs d’adoubement par son rival Alfredo Di Stefano, qui illustre le mieux l’artiste. Kubala dribble la tête haute, voit le jeu et s’ouvre le but comme personne. Son talent lui permettra de marquer 194 buts et de garnir son armoire de trophées : 4 championnats, 5 coupes du Roi et 2 titres européens.
Mais Kubala n’est pas un homme de statistiques. Ce qu’il aime, c’est la foule et les grands matchs. Tout le monde veut voir Kubala et Kubala veut être vu. A l’étroit dans un stade de 60 000 places, il faut édifier un stade, plus grand, plus moderne, plus neuf : traduisez Camp Nou. Il sera rejoint en Liga par d’autres joueurs hongrois, notamment un certain Ferenc Puskás. Toutefois, c’est sa rivalité avec Di Stefano qui marquera l’époque, bien avant l’affrontement statistique entre Cristiano Ronaldo et Messi. Cette rivalité restera sportive, car en dehors du terrain, les deux hommes s’admirent et passent leurs vacances ensemble.
Seul regret, sa carrière en sélection restera anecdotique, la faute à un destin toujours aussi capricieux : entre suspension administrative, blessure, tirage au sort et boycott, il ne participera jamais à une phase finale. C’est certainement pour cette raison que Puskás reste à ce jour le nom associé au football hongrois. Mais peu importe, pour les socios du FC Barcelone, qui l’ont désigné meilleur joueur de l’histoire du club, « Pelé, Maradona ou Di Stéfano ont tous du mérite, mais Kubala est unique ».
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Aurélien Paradowski
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