Temps de lecture 21 minutesEuro 2016 : Jozef Venglos, la légende du Docteur

Jozef Vengloš est certainement l’une des plus grandes figures du football slovaque, et plus globalement tchécoslovaque. Véritable globe-trotter du football, ce dernier aura parcouru les terrains du monde entier. De sa Slovaquie et de son Slovan Bratislava à l’Australie en passant par l’Ecosse ou encore l’Angleterre, il s’agit tout simplement du tout premier entraîneur non-britannique à poser ses fesses sur un banc de touche anglais.

Enfant de Ružomberok mais cœur Belasí

Figure marquante d’une époque où le football tchécoslovaque était respecté et craint par toute l’Europe, Jozef Vengloš commence ses beaux jours à Ružomberok en 1936, ville du nord de la Slovaquie plus connue pour avoir été la capitale de la région des Tatras durant la Seconde Guerre mondiale ou pour son équipe de basket féminine que pour le MFK Ružomberok, le club de football local. C’est ici, à Ružomberok, que le très jeune Jozef apprend à aimer le football, sa plus grande passion, ce sport à qui il consacrera toute sa vie. Dès ses seize ans, en 1952, Vengloš arrive se faire une place avec l’équipe A de sa ville natale qui se trouve alors en seconde division. Interrogé par le magazine papier Diabetik (Numéro 2 / 2007), l’intéressé déclarait que sa passion du football lui était venue depuis sa tendre enfance. Dès que ce dernier avait du temps libre en dehors de l’école, il se dévouait au sport et en particulier au football. Même si, dans le même temps, le basketball à Ružomberok était extrêmement populaire grâce aux frères Dušan et Boris Lukašík, Jozef pouvait cependant profiter de la zone géographique privilégiée de Ružomberok pour faire du ski. Ružomberok  étant célèbre aujourd’hui pour être une ville touristique en période hivernale grâce à son Skipark, l’un des meilleurs du pays.

« À Ružomberok, on était dans un environnement sportif bienveillant et nous, en tant que joueurs, nous avions assez de liberté. Le football a été et est toujours ce qui remplit ma vie, c’en est devenu mon mode de vie. »

Malgré tout, Ružomberok était bien trop petit pour lui, le futur globe-trotteur. Alors qu’en France, durant ces années, les jeunes gamins rêvaient du Stade de Reims de Kopa ou de l’OGC Nice de Fontaine, en Tchécoslovaquie, l’un des clubs qui fait rêver se trouve à Bratislava. Le plus grand, le plus fort, le meilleur tactiquement. Le Slovan Bratislava est alors à la genèse de sa plus belle période. Trustant les podiums et les titres, dans cet âge d’or du milieu des années 50 où il est emmené par des Ján Popluhár, Michal Vičan et autres Pavol Molnár ou Viktor Tegelhoff. Comme Jozef, ce dernier était également issu de Ružomberok, et comme lui, deux ans plus tard, en 1954, Jozef Vengloš viendra renforcer le milieu de terrain du club de Bratislava.

© skslovan.sk
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À 19 ans à peine, Lola, surnom donné au joueur après avoir reçu un baiser de Gina Lollobrigida dans un tournoi à Viareggio en 1956, réalise déjà le rêve de milliers de gamins, son rêve, le rêve bleu, le rêve Belasí. Au cœur d’une équipe très forte, que ça soit avec ses pieds ou dans ses personnalités, Vengloš soulève avec elle son tout premier trophée dès sa première année dans la future capitale slovaque. Intelligent et combatif, sur qui tout le monde peut compter, il s’impose jusqu’à devenir rapidement le capitaine de cette équipe malgré son très jeune âge.

En plus de fouler les pelouses, Jozef Vengloš fait aussi le choix de continuer ses études et profite de son arrivée à Bratislava pour entrer à l’Université pédagogique dans le département d’éducation physique, avec comme spécialité la psychologie. Bien que ce parcours soit de plus en plus rare aujourd’hui, Jozef, lui, ne semblait pas plus perturbé que ça par son choix. Ce dernier profitait des multiples voyages de son club afin d’étudier durant les différents trajets et temps libres. Un mode qu’il décrivait comme « une symbiose entre certains de [ses] intérêts et passe-temps. » Emmené par Leopold Šťastný, le Slovan réussit à décrocher le premier titre de champion tchécoslovaque en dehors de Prague en 1949. De même, le club continuera de remporter des trophées tout au long des années 50. Un entraîneur pour qui Jozef garde de très grands souvenirs et une profonde admiration.

« Jim Šťastný (Jim est le surnom de Leopold Šťastný, NDLR) était très instruit, un grand homme qui a dépassé les limites de son temps. Il utilisait une approche pour les joueurs avec des méthodes de formation. »

Pendant 13 ans, fidèle à un seul et même club – à l’exception de son service militaire qui l’oblige à jouer au Dukla Pardubice (1959-60), Jozef Vengloš a fièrement porté les couleurs de son Slovan Bratislava, où il fut de multiples fois capitaine. Un club avec lequel il a réussi à entretenir un lien unique, fort et inébranlable. Lui qui portera le blason des Belasí fièrement jusqu’au Ghana, en Guinée ou encore au Sierra Leone, lui qui, durant des années, glanera des titres, des coupes et la reconnaissance d’un club, voire de tout un peuple. Pendant 13 ans, l’enfant de Ružomberok s’est fait adopter pour devenir un pur produit de la capitale slovaque. Mais surtout, lui qui pendant toutes ces années a travaillé avec vigueur et acharnement, regardant de près les choix de ses entraîneurs, leur façon de diriger et de préparer les matchs, lui, le néo-docteur et son œil chirurgical, avait déjà préparé sa reconversion avant l’heure. Car si le joueur était respecté, l’entraîneur écrira sa légende.

© skslovan.sk
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À 30 ans seulement, Vengloš fait ses adieux à sa carrière de joueur. La faute à des problèmes de santé. Dans un premier temps, lors d’un match entre la Tchécoslovaquie et la France, ce dernier est frappé par des douleurs à l’estomac. Soignant une longue inflammation des sinus, son corps avait alors développé un cycle inflammatoire et a dû subir une intervention chirurgicale difficile. Le deuxième moment est encore plus compliqué et signe la fin de sa carrière. Alors en Amérique du Sud et centrale avec ses coéquipiers, certains attrapent la jaunisse. De là, cette malchance empêche les joueurs concernés de continuer le stage. Vengloš est alors hospitalisé pendant plusieurs semaines. Des semaines sans aucun entrainement, où son corps n’a plus vraiment de force. S’il essaye de revenir sur les terrains par la suite, rien n’y fait, la jaunisse lui aura coûté sa forme physique. Et pourtant, dans ce malheur, Vengloš tue les longues heures dans son lit d’hôpital en étudiant les différents systèmes tactiques et en relisant les notes qu’il avait pu prendre avec le Slovan Bratislava. Si son mentor était Šťastný, Vengloš écrit alors ses premières lignes de néo-entraîneur. Un entraîneur qui influencera par la suite toute une génération.

De joueur fidèle à entraîneur globe-trotteur

En 1965, alors en voyage en Australie avec le Slovan Bratislava, Vengloš n’utilisera jamais le billet retour qui allait dans le package. Le Slovan Bratislava rencontrait le Sydney FC dans un match de cette tournée australienne, et les locaux lui demandent s’il n’est pas intéressé de rester au pays afin de partager ses connaissances et de former une nouvelle génération de joueurs australiens. En guise de premier club ? Le Sydney FC Prague. Forcément.

Formé en 1957 par les immigrés tchèques venue en Australie après la Seconde Guerre mondiale, le Sydney Prague était considéré à l’époque comme l’un des meilleurs clubs du pays en dominant la NSW State League ou en remportant de nombreuses AMPOL Cup. Comme nous l’explique Nicolas Cougot du site Lucarne Opposée, « le football australien des années 50-60 était un football communautariste et ethnique. Chaque communauté immigrée avait son club, les Sydney Olympic sont grecs, les Melbourne Knights sont croates, ils s’appelaient d’ailleurs SC Croatia à leur début, tout comme le Sydney United 58. Il y avait le Sydney SC Yugal qui était yougoslave… Bref, c’était très fermé en somme. En plus de cela, peu de clubs sortaient de leurs États, le football avait du mal à gagner en popularité même s’il y avait des essais, avec l’Ampol Cup par exemple, tout en rajoutant que, la NSW State League était, et est toujours, la ligue de l’État de Nouvelle-Galles-du-Sud. Ce qui est différent, c’est qu’alors qu’elle peut être considérée comme ce qui se faisait de mieux à l’époque des années 50-60, avec d’autres ligues d’autres États jusqu’à l’arrivée de la NSL puis de la A-League, aujourd’hui on peut la considérer comme la D2 au pays, avec d’autres ligues d’États.« 

C’est dans cet environnement que Jozef le Tchécoslovaque pose ses valises à Sydney pour une petite saison avec le club de Prague. Une première qui se poursuivra du côté de la Nouvelle-Galles-du-Sud en reprenant l’année suivante la sélection de cet État. Avant de continuer son ascension en reprenant la sélection australienne de football en 1967, soit deux saisons après son arrivée au pays, et ce jusqu’en 1969. Pourtant, comme il l’expliquait dans cette interview, l’intéressé n’a « jamais eu comme ambition de devenir entraîneur professionnel« , ajoutant qu’il voulait pratiquer cette activité « à temps partiel avec en complément l’enseignement scolaire, afin d’être en contact avec les connaissances théoriques pour les appliquer dans la pratique. »

Il remporte quelques trophées en Australie et on retient également de lui une chose, son apprentissage de l’anglais. Il déclarait ainsi au magazine Sport (N°40, Jeudi, 18.02.2016) que l’Australie lui a permis de « grandement améliorer [son] anglais »ce qui l’a aidé à pénétrer plus facilement les milieux professionnels de l’UEFA et de la FIFA.

Si les résultats ne se voient pas forcément du premier coup d’œil, une partie du travail effectué par le Slovaque en Australie arrivera lors de l’admirable qualification des Socceroos pour la Coupe du Monde 1974. Composée de joueurs comme Scheinflug, Raul Blanco, Johnny Warren, Ray Baartz, Manfred Schäfer et bien d’autres, une grande partie de cette sélection est passée entre les mains de Jozef Vengloš durant leur jeunesse. Et comme nous le rappelle Nicolas Cougot de Lucarne Opposée, « le déclic’ a été la Coupe du Monde 74 et la qualification australienne. De là est né l’idée d’une compétition de football nationale, la NSL. Malheureusement, ça ne prit pas vraiment. Trop de clubs étaient ancrés à leurs communautés, en plus d’une mauvaise administration et d’une médiatisation ratée.« 

Si l’Australie n’était qu’une simple mise en bouche pour le désormais entraîneur, la suite, elle, sera l’apothéose.

Les années tchécoslovaques et le miracle de Belgrade

De retour au pays, Jozef Vengloš se dirige dans un premier temps vers Košice où il fait du VSS Košice une équipe du haut de tableau, l’emmenant à la seconde place et à l’Europe dès sa seconde saison au club. Dans le même temps, Jozef porte la double casquette en devenant également sélectionneur de l’équipe nationale tchécoslovaque U23. Un double poste qu’il ne gardera que très peu de temps.

© skslovan.sk
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Alors que le Spartak Trnava dominait le championnat tchécoslovaque durant ce début des années 70 grâce à son entraîneur de génie qu’était Anton Malatinský et de son magnifique buteur Jozef Adamec, son rival, le Slovan Bratislava, ne le voit pas forcément d’un bon œil. Le club de Bratislava sort d’une saison 1972-1973 extrêmement douloureuse, pointant à une triste huitième place, et Ján Hucko se fait remplacer sans attendre par l’enfant du club, Jozef Vengloš. Composé de joueurs comme les frères Zlocha et Čapkovič, les deux monstres défensifs qu’étaient Anton Ondruš et Ján Pivarník ou encore Ján Švehlík et Karol Jokl, le Slovan Bratislava a dans son équipe le cœur de la sélection tchécoslovaque. Retrouvant les sommets et les titres en gagnant deux championnats d’affilée et une coupe nationale, Jozef Vengloš a dans ses mains la base d’une génération dorée, de sa génération dorée. Une génération qu’il emmènera jusqu’au sommet.

« Pour moi, il a été merveilleux de jouer pour le Slovan, puis de l’entraîner. » Jozef Vengloš – (Sport, N°40, Jeudi, 18.02.2016)

Ainsi, après avoir redonné ses lettres de noblesse à son club de cœur, Jozef Vengloš décide alors de prendre en charge la sélection tchécoslovaque pour ce qui sera certainement la plus grande réussite de sa carrière. Entraîneur adjoint de Václav Ježek, la Tchécoslovaquie écrit durant ce début des années 70 les plus belles lignes de son histoire footballistique. La sélection est emmenée par la joyeuse bande du Slovan Bratislava composée des défenseurs Jozef Čapkovič, Koloman Gögh, du capitaine Anton Ondruš et de con compère Ján Pivarník ou encore du milieu Ján Švehlík, de l’attaquant Marián Masný et enfin de l’expérimenté gardien Alexander Vencel, père de et remplaçant d’Ivo Viktor lors  de cet Euro 1976.

La Tchécoslovaquie a alors un savant mélange entre technique et combativité. Quand les Slovaques se battent comme des chiens sur tous les ballons, les Tchèques, eux, font le spectacle et marquent les buts. Tout le contraire du duo d’entraîneur. Comme l’expliquait le légendaire Panenka à Dnes, Vengloš était une personne de « culture, instruit et juste. [Il] comprenait le football et [l’avait] vécu. […] Il avait une patience infinie avec nous. Alors que Václav Ježek était plus impulsif et pouvait nous dynamiser, Vengloš était plus apaisé. Ensemble, cette combinaison a fonctionné parfaitement. » Toutes ces années à étudier son mentor Šťastný au Slovan Bratislava, ces années à étudier dans les universités, ce voyage initiatique en Australie, toutes ces expériences porteront Vengloš, son compère Václav Ježek et tous les joueurs de cette génération dorée à soulever le Graal. À remporter le Championnat d’Europe de 1976.

« Les discussions entre nous étaient pleines de vie, fructueuses et franches. Nous avions un respect mutuel, ce qui avait un impact très positif sur l’équipe. Les joueurs ont vu que notre coopération était utile et ça s’est confirmé dans les résultats. Dans les années 70, il (Václav Ježek, ndlr) était officiellement l’entraîneur et moi son assistant, puis nous avons échangé nos fonctions, mais avons toujours été des partenaires égaux » déclarait récemment Vengloš au magazine slovaque Sport (N°40, Jeudi, 18.02.2016)

Pour tous les joueurs de cette génération, leur entraîneur adjoint était l’un des hommes clés. Un homme de base de ce groupe. La tête pensante. Zdeněk Nehoda, l’emblématique buteur de la Tchécoslovaquie, raconte ainsi que « Vengloš est l’un des meilleurs entraîneurs qu'[il a] rencontré dans [sa] carrière. Un expert, psychologue, un homme apaisé et exceptionnel qui a également abordé la situation humaine complexe avec aisance. Sans lui, peut-être que l’on n’aurait pas eu l’Or à Belgrade. » Comme le dit Nehoda, si cette équipe avait du talent, elle avait aussi un certain goût pour la vie. Par exemple, Ján Čapkovič et ses collègues du Slovan Bratislava avaient une certaine attirance et affection pour l’alcool et les cigarettes, pas forcément la meilleure hygiène de vie pour gagner un Euro. Et pourtant. Interviewé par Robin Gremmel pour le projet Slovakronik, Ján Čapkovič expliquait ainsi que son amour pour le « Strik » et ses 2 décilitres de vin et 1 décilitre de soda, il expliquait que « non, non nous ne buvions pas avant les matchs, mais après… on en prenait une dizaine. »

Malgré tout, la Tchécoslovaquie est incroyable et terrasse les meilleurs. Dans la revanche de Spartak Trnava – Ajax Amsterdam de 1969, la Tchécoslovaquie affronte les Pays-Bas d’un certain Johan Cruyff en demi-finales. Et comme face à l’Ajax dans le match retour en Tchécoslovaque, les hommes Vengloš sortent un match parfait. « Cette année-là, l’équipe était très homogène, car composée d’excellents joueurs, mais pas de stars. Nous étions extrêmement soudés. En demi-finale, Johan Cruyff n’avait pas touché un ballon. Il n’avait rien pu faire« , se remémore Jozef Čapkovič, toujours pour Slovakronik. Il en sera de même pour les coéquipiers du Kaiser lors de la finale qui sacre cette bande de joyeux drilles. Une victoire aux tirs au but après avoir terminé sur un 2-2 grâce notamment à un premier tir de Ján Švehlík. Lui, l’enfant du Slovan Bratislava, pour qui Jozef Vengloš a une place toute particulière dans la réussite de sa carrière.

« Jozef Vengloš est l’homme qui m’a formé en tant que joueur et en tant que personne. J’ai tout d’abord trouvé une place stable au Slovan Bratislava puis Belgrade m’a poussé jusqu’en finale. […] Jaroslav Pollák a été exclu lors de la demi-finale et normalement, son remplaçant sur l’aile était  František Veselý. » déclarait ainsi Ján Švehlík. La suite de l’histoire ? Vengloš demande plutôt à ce que Ján remplace Pollák pour cette finale face à l’Allemagne. Un choix qui sera payant, Švehlík étant le premier buteur de cette finale. « Je vous remercie, coach! Je ne l’oublierai jamais. » conclut le joueur. Symbole de l’importance et la réussite de Jozef.

« For God’s Sake Go, Dr Jo! »

C’est par ces mots que le Birmingham Mail faisait sa Une sur l’entraîneur slovaque après une lourde défaite 5-1 à Villa Park face à Manchester City, le 23 avril 1991. Un édito cinglant face à une situation compliquée pour le club de Birmingham qui est aux bords de la relégation, avec une équipe jouant particulièrement mal et dont l’ambiance et le moral des troupes se détériorent de match en match. L’expérience anglaise du « Doctor » fut pour le moins compliquée. Malgré tout, le Slovaque restera à jamais dans l’histoire du football anglais.

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© Birmingham Mail

Cette histoire anglaise débuta à l’été 1990. Graham Taylor, entraîneur du club de Birmingham depuis 1987, quitte son poste pour devenir sélectionneur des Three Lions, et le président Doug Ellis doit trouver son successeur. Alors que les journaux nationaux s’attendaient à un nom britannique connu du grand public, Doug Ellis prend tout le monde de court lors de la conférence de presse pour présenter le nouvel entraîneur du club. Jozef apparaît alors dans la sale de presse tandis que Doug Ellis, le président d’Aston Villa, demande alors aux journalistes de « lever la main, ceux d’entre vous qui connaissent cet homme. » L’ancien sélectionneur de la Tchécoslovaquie est un ovni et devient alors le tout premier entraîneur non-britannique de l’histoire du championnat d’Angleterre.

Pour le présenter, les médias anglais lui affublent le surnom du « Doctor », en référence à ses années à l’université et à son doctorat de philosophie. Parlant couramment quatre langues, Jozef n’a plus aucune crainte de l’étranger ni de l’anglais qu’il a pu expérimenter des années plus tôt en Australie. Malgré tout, en terre anglaise, l’entraineur a tout à prouver. À commencer par se faire un nom du côté de ses joueurs pour qui, comme le dit Paul McGrath dans « Back from the Brink : The Autobiography », « sa nomination a pris tout le monde par surprise parce que, pour parler franchement, personne dans le vestiaire avait entendu parler de cet homme. Cela en dit plus à propos de nous que sur le Dr.Jo. » Alors qu’il sort d’un très beau quart de finale avec la Tchécoslovaquie lors de la Coupe du Monde 1990 en Italie, en Angleterre, ce parcours passe aux oubliettes et n’est que très peu médiatisé.

Si le club de Birmingham est aujourd’hui relégué après un exercice catastrophique, à cette époque, Vengloš prend en main l’une des meilleures équipes de son histoire. Un Aston Villa qui luttait pour le titre face à Liverpool et terminait la saison 89/90 à la seconde place. Un Aston Villa composé de Stuart Gray, David Platt, Paul McGrath ou encore Dwight Yorke. Bref, un Aston Villa taillé pour la première expérience britannique du Dr.Jo. Pourtant, tout ne se passera pas vraiment comme prévu.

Alors que l’interdiction de jouer des compétitions européennes pour les clubs anglais après le drame du Heysel est levée, Aston Villa peut entamer sa saison avec une double confrontation face au Banik Ostrava, un club que l’ancien entraîneur du Slovan Bratislava connait plutôt bien et contre lequel il n’aura aucun mal à se débarrasser. En guise de second tour, les Villans doivent faire face aux Italiens de l’Inter Milan, pour ce qui s’avérera être l’un des tournants de la saison de Vengloš. Victorieux 2-0 dans son stade au match aller, tout Villa Park pensait alors détenir l’homme qui lui fallait en la personne de Jozef Vengloš. Deux semaines plus tard, à San Siro, la désillusion fut de taille avec une défaite 3-0 synonyme d’élimination. La première d’une longue série.

Éliminé de la Coupe d’Europe, le club ne gagnera qu’un seul petit match en championnat, face à Sheffield United, jusqu’à la fin de l’année civile. Pire encore, en janvier, il fut éliminé des deux coupes après une lourde défaite 4-1 face à Leeds en League Cup ainsi que dans un replay face à Wimbledon en FA Cup. Proche de la relégation à la fin de la saison, le club parvient à se maintenir à quelques points de la zone rouge. Et comme le disait David Wangerin dans l’historique When Saturday Comes (Numéro 130, Décembre 1997), « c’est peut-être la seule raison pour laquelle le Dr. Jo ait pu quitter Birmingham sans le nez en sang. »

© Clive Brunskill /Allsport
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Durant cette année de galère, Jo semblait alors imperméable à la réalité du football anglais de cette époque-là. En voulant apporter une nouvelle touche et sa vision du football dans un carcan anglais bien en place, le Slovaque n’a finalement jamais su s’imposer. Pour Kent Nielsen, ancien joueur des Villans à cette époque, « il y avait une grande différence entre ce qu’il voulait et ce que beaucoup de joueurs anglais étaient habitués. Il a fait certaines choses différemment et c’était souvent difficile pour les joueurs d’y faire face. Son point de vue sur le football et ses idées tactiques sont venus plus tard dans le football anglais, mais à l’époque, peut-être que les joueurs de Villa n’étaient pas prêts pour cela. Parfois, un entraîneur étranger doit faire les choses de la même façon à laquelle les joueurs sont habitués, et amener ses idées progressivement. Il y avait trop de choses que Jo voulait changer en même temps. »

Pour Paul McGrath, « le nouvel entraîneur s’est établi comme un homme agréable et accessible très rapidement. Mais ses méthodes d’entraînement étaient pour le moins excentrique. Sans doute qu’elles ont été soutenues par ses irréfutables formules scientifiques. Mais il nous a fait transpirer sur les terrains d’entraînement. » Le défenseur irlandais raconte ainsi que Jozef leur demandait de courir à travers le terrain sans respirer, « comme si vous étiez sous l’eau. » Méticuleux, Vengloš veut apporter sa vision du football et faire bouger la routine quotidienne des entraînements. « Un autre de ses exercices préférés était de nous enseigner comment rouler » explique McGrath. « C’était basé sur le ballet […] S’il reçoit un croche-pied dans un match, un joueur doit être capable d’ajuster la position de son corps comme il le souhaite, lui permettant de rebondir presque immédiatement. » Bien que cette aventure soit un échec, on ne peut pas enlever une chose au Slovaque : il connaissait le football et essayait par tous les moyens de faire progresser et évoluer le football avec ses propres idées, ne suivant que ses convictions.

« Pour être juste [Vengloš] savait de quoi il parlait. Il comprenait le jeu. Mais il était trop en avance sur son temps. À des années-lumière. Nous n’étions pas prêt pour sa science. Pire, sa manière décontractée faisait que les gens n’avaient pas peur de lui. La plupart du temps, il n’avait pas le respect dont un manager a besoin. » – Paul McGrath

Pionnier en Angleterre, Jozef ouvra la porte aux étrangers. De Wenger à Houiller en passant par Mourinho ou Ranieri, tous succèdent à l’entraîneur slovaque. Un entraîneur qui se serait certainement bien plus épanoui dans l’état actuel du football anglais et son ouverture envers les étrangers.

Nouveau pays cherche sélectionneur expérimenté

A la fin des années 80, la Tchécoslovaquie est rongée par les problèmes, incapable de répondre aux demandes de la population. Une population qui découvre avec stupeur la chute vertigineuse du pays sur la scène internationale, passant de mastodonte économique lors de l’entre-deux-guerres à pays quasi insignifiant dans l’échiquier des puissances économiques mondiales. Une déchéance qui amènera 17 novembre 1989 la fameuse « Révolution de Velours », révolution qui se terminera par l’élection de l’essayiste et dramaturge Václav Havel, symbole de résistance au régime enfermé quelques mois avant cette élection.

Le 1er janvier 1993, et après de nombreuses divergences entre Tchèques et Slovaques, la République slovaque indépendante du juriste de profession Vladimír Mečiar, fondateur du parti Hnutie Za demokraticke Slovensko (Mouvement pour une Slovaquie démocratique) après son éviction du comité exécutif par un vote du parlement le 23 avril 1991, voit le jour. Une nouvelle nation qui s’accompagne de la création d’une nouvelle sélection dont le tout premier entraîneur sera Jozef Vengloš.

Le Slovaque, ancien sélectionneur de la Tchécoslovaquie, redevient alors sélectionneur « pour apporter quelque chose à mon nouveau pays« , comme il l’expliquait à Libération en 1995. Le Docteur, qui était alors entraîneur pour le club turc de Fenerbahce, fait le choix du cœur et représente l’homme idéal pour construire les bases d’une nouvelle sélection. Comme un retour dans sa jeunesse, à l’époque australienne où il devait composer avec les moyens dérisoires du pays mis en place pour le football.

 » De toute façon, je n’avais pas hésité un instant quand on m’avait proposé de prendre en main la sélection nationale. J’avais l’impression de devoir apporter en retour quelque chose au foot slovaque, j’aimais ce sentiment national, mais pas nationaliste, de travailler pour mon nouveau pays. « 

Sélectionneur jusqu’en 1995, Jozef aura surtout eu pour rôle de structure une équipe, loin du niveau tchécoslovaque. Alors qu’en 1978, la base de l’équipe victorieuse était majoritairement slovaque, la séparation entre les Tchèques et les Slovaques viendra à un moment où ce sont les voisins tchèques qui étaient bien plus nombreux et talentueux que les Slovaques, dont les têtes d’affiche étaient Peter Dubovský, Ľubomír Moravčík, Vladimír Kinder ou encore Róbert Tomaschek. La sélection fit de son mieux avec des résultats loin d’être catastrophiques. Mais plus encore, Jozef Vengloš aura surtout servi d’exemple pour une future génération et attiré dans son sillage de nombreux entraîneurs, à commencer par Vladimír Weiss et Ján Kozák.

© Clive Brunskill /Allsport
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Alors que le hockey slovaque enflamma la scène internationale avec une médaille d’argent en 2000 lors des Championnats du monde de hockey, puis, deux ans plus tard, avec une médaille d’or lors des championnats du monde de hockey en Suède grâce à des joueurs d’exceptions comme Richard Lintner, Miroslav Šatan ou encore Peter Bondra, le football slovaque, lui, devra attendre 2006 et la Coupe du Monde sud-africaine pour enfin s’exposer aux yeux du monde entier. Un mondial avec sur le banc un certain Weiss, qui avait eu l’occasion de porter le maillot de la sélection slovaque quand le Dr. Jo était sélectionneur.

Un duo slovaque en Écosse

En 1998, la soixantaine passée, Vengloš n’est toujours pas décidé à arrêter cette si longue carrière dans le football. Coordinateur d’un groupe d’étude pour la FIFA World Cup en 1994, nommé président de l’UEFT, l’ancêtre de l’AEFCA, l’Alliance Of European Football Coaches Associations, en 1995, sélectionneur de l’Oman le temps d’une petite année entre 1996 et 1997, coordinateur du groupe d’étude de la FIFA World Cup en 1998 et directeur technique du Slovan Bratislava la même année, Jozef Vengloš a toujours su s’occuper dans le monde du football, c’est le moins que l’on puisse dire. Et quoi de mieux qu’un dernier tour britannique pour continuer cette carrière déjà très riche ?

Cette fois, le fameux Doctor se dirige en Écosse dans le mythique club de Glasgow, le Celtic. Un poste qui ne semblait pas forcément destiné au Slovaque. Dans son livre « Je ne marcherai jamais seul », Gérard Houiller explique ainsi qu’il avait eu l’occasion de rencontrer Fergus McCann, alors président du club de Glasglow, mais que celui-ci « cherchait à imposer ses propres vues, y compris dans le domaine technique. » De quoi tenir éloigné le technicien français d’un poste qu’il proposera par la suite à Jozef Vengloš avec lequel Houiller collaborait dans le cadre d’un groupe d’experts techniques de la Coupe du Monde. Grâce au Français qui le mit en contact avec Jack Brown, directeur général du Celtic Glasgow.

« En rigolant, j’ai dit à Jozef Vengloš que, désormais, je devenais son agent et que je le représenterais à chaque nouvelle étape de sa carrière. » Gérard Houiller dans « Je ne marcherai jamais seul » 

Dès son arrivée, de nombreux supporters gardaient en tête son échec anglais à Birmingham, tandis que Fergus McCann préférait surtout souligner une « richesse d’expérience et de connaissance du coaching qui est difficilement égalable dans le football mondial. » Signant pour un an, la réussite sportive de l’entraîneur slovaque ne fut pas forcément positive avec une seconde place derrière l’ennemi des Rangers ainsi qu’une défaite en finale de la coupe nationale, toujours face aux Gers. Malgré tout, un homme sauve quelque peu la réputation du Docteur, son compatriote Ľubomír Moravčík.

© i.telegraph.co.uk
© i.telegraph.co.uk

Arrivée dans les bagages de Vengloš, la signature de Ľubomír Moravčík n’était pas forcément prévue. Après une très courte aventure allemande de trois mois à Duisburg, Ľubo reçu un coup de téléphone du Dr.Jo, deux hommes qui se connaissent parfaitement. À son arrivée à Glasgow en octobre 1998, la presse et les supporters du club n’en attendaient pas grand-chose, allant du scepticisme au mépris.

« Je ne trouve pas ce que je trouve le plus risible, le fait que le Celtic ne peut pas trouver 500 000£ de leur boîte à biscuits (une expression des supporters faisant référence aux présidents du club qui auraient caché de l’argent plutôt que de l’investir, NDLR) pour signer un talent reconnu comme John Spencer, ou le fait qu’ils dépensent 300 000£ pour un vieux copain du Dr.jo, l’inconnu Ľubomír Moravčík! » Hugh Keevins – Daily Record

S’il est inconnu pour Hugh Keevins, il faut dire que Vengloš sait parfaitement qui il recrute, lui, l’homme qui a donné la toute première cape internationale à Moravčík en sélection nationale slovaque. Bien qu’il ne baragouine que très peu l’anglais, l’entraîneur slovaque croit encore à son compatriote qui « peut jouer sur le côté droit et gauche du milieu de terrain et possède une vaste expérience internationale » et pour qui il est « certain qu’il va parfaitement s’entendre avec les autres grands joueurs du club. »

« Au contraire, la signature de Ľubomír Moravčík à un si faible coût va leur causer davantage d’embarras. » – Jim Traynor

Malgré les critiques, Ľubo réagira de la meilleure des façons : sur le terrain, avec en prime une humiliation des Rangers. On est alors en novembre et le joueur emblématique des Rangers, Derek Johnstone prépare le Old Firm et déclare dans la presse « Josef Vengloš va regretter sa décision de faire jouer ce slovaque inconnu à la place de Mark Burchill dans un match aussi important que le Old Firm. » Résultat des courses, le Slovaque inconnu ouvre le score, se fait parfois violemment tacler, mais revient toujours sur la pelouse pour humilier les Gers avec son compère Henrik Larsson, auteur tous les deux d’un doublé pour parachever une victoire 5-1. Dans l’interview d’après match, un journaliste demanda alors au joueur slovaque de « zéro à héros?« , une phrase à laquelle le joueur répondit via son interprète « Dis lui que je n’ai jamais été un zéro. » Car s’il n’y avait qu’un idiot dans cette histoire, c’était bien de ne pas avoir fait confiance au talent du joueur et aux connaissances footballistiques de Josef Vengloš. Finalement, ce n’était pas une si mauvaise affaire.

Et si Vengloš dut quitter le club comme convenu après une petite année sans aucun trophée, il aura finalement apporté une légende qui répondait au nom de Moravčík. De quoi donner quelques remords aux médias et aux supporters qui auraient peut-être pu croire un peu plus aux capacités de l’entraîneur slovaque. Nul doute qu’avec une ou deux années supplémentaires, l’armoire à trophée du club et de l’ancien sélectionneur slovaque se serait encore un peu plus étoffée.

Une vie pour le football

Alors qu’en France, certains Bordelais pouvaient chanter « une vie pour rien », celle de Vengloš n’était destinée qu’à une chose, le football. Et si la maladie le gagna avec un diabète à ses débuts d’entraîneur, le football fut toujours présent dans sa vie. Pour combattre la maladie, le médecin lui proposa naturellement un traitement, mais surtout un nouvel équilibre alimentaire. Résultat, Vengloš partira entrainer au Japon pour une dernière expérience, mais aussi pour prendre soin de sa santé. Comme il l’expliquait au magazine Diabetik (Numéro 2 / 2007), « je devais aller au Japon. Le médecin traitant m’a dit, tout en prescrivant des médicaments, que le régime et le style de vie des Japonais m’aideront à réduire le niveau de sucre dans le sang. Et c’est arrivé. »

La cause principale de ce diabète ? Le football! Depuis toutes ces années, l’entraîneur slovaque a du faire face au stress, a parcouru des kilomètres et des kilomètres pour son travail en tant qu’entraîneur, mais aussi pour la FIFA. Pas forcément l’homme le plus épargné par la presse – essentiellement britannique, son amour pour le football a toujours su rester intact. Allant jusqu’à continuer de travailler pour la FIFA dans le Groupe d’Étude technique de la FIFA en 2002, dirigeant les travaux du groupe de travail pour l’Euro 2004, devenant directeur du Groupe d’Étude technique de l’AFC à l’occasion de la Coupe d’Asie en 2004 ou encore, en 2013, donnant des conférences sur le football dans plus de 120 pays en tant que patron de l’AEFCA, tout ça à 70 printemps et plus.

Nommé logiquement entraîneur du 20e siècle en Slovaquie, l’enfant de Ružomberok qui passait son temps libre à éplucher les dispositifs tactiques de son club de cœur, le Slovan Bratislava, a marqué d’une pierre blanche l’histoire du football tchécoslovaque, slovaque et mondial. Parfois critiqué, aujourd’hui trop souvent oublié, il a su devenir une figure du football moderne et mondiale. De l’Océanie à l’Asie en passant par le Vieux Continent, Jozef Vengloš n’est que légendes.

Pierre Vuillemot


Image à la une: © Mario Vedder/Bongarts/Getty Images for DFB

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