Coincé entre Cracovie et l’Ukraine avec l’autoroute A4 comme seul véritable échappatoire, Rzeszów, ville à l’apparence si tranquille, devient plusieurs fois par an un territoire de guerre. Une guerre où s’affrontent les fans du Resovia Rzeszów et ceux du Stal Rzeszów. Couleurs, aspect économique, histoire, stades, ambitions, tout oppose ces deux clubs. Plongeons dans une rivalité des bas-fonds du football polonais, car, il faut le dire, aucun de ces deux clubs n’a brillé en première division. Faites tomber le bonnet et les gants et laissez-vous entraîner dans la petite mais brûlante Guerre Sainte de Pologne, celle du derby de Rzeszowa.

Avant de mettre le nez dans les rangs des soldats, regardons un peu ce qu’est le terrain de bataille. Rzeszów, capitale de la voïvodie des Basses-Carpates que l’on prononce « Chéchouf » en français, est créée en 1354 par Casimir III Le Grand. La cité sera tout au long de son histoire un point stratégique de l’économie commerciale de la région, et ce malgré le fait qu’elle soit moins peuplée que Przemyśl, qui n’est pourtant pas très loin. Depuis une quinzaine d’années, Rzeszów est fleurie. Les parcs à profusion et la qualité de l’air en font un endroit agréable à vivre. Son centre-ville minimaliste et ses quartiers faits de grands blocs à perte de vue sont aussi tout à fait charmant malgré ce que l’on pourrait penser en le disant de la sorte. Preuve en est, 180 000 habitants vivent dans la belle endormie alors qu’ils n’étaient que 28 000 en 1950. La ville a donc vite grandi, tout comme la haine opposant ses deux équipes de football.

Place centrale de Rzeszów, photo qui résume ben la tranquillité et la douceur de vie dans cette ville. | © potolkimaker.com

Sovi et Stalowcy

Parlons maintenant de ces clubs, en faisant honneur aux anciens. Le CWKS Resovia est le plus âgé. Si dès 1903, le football s’installe dans la ville avec des petits matchs amicaux dans des parcs et terrains vague, l’équipe du Resovia voit le jour deux ans plus tard avec un groupe de jeunes gymnastes qui se font appeler parfois « Resovia » parfois « Championy » ou encore « Czerwono-Czarni. » Après quelques préparations assez sommaires, les Championy sont prêts à jouer leur premier match en septembre 1907. Une rencontre qui se solde par une défaite 10-0 à domicile contre l’équipe du Wisła Cracovie, mais permet de remettre les idées en place et montrer tout le chemin restant à parcourir. Quelques années plus tard, lorsque le club est officiellement inscrit dans les instances, le nom de Resovia (Rzeszów en latin) est choisi comme un symbole d’attachement à la Pologne, les couleurs blanc et rouge sont, elles, choisies en marque d’attachement à la patrie.

Le stade de la faculté d’éducation physique de la ville, et parallèlement terrain de jeu du Resovia. | © slowfoot.pl

Non loin du stade des Rouge et Blanc, en se baladant sur les bords du Wisłok, en longeant la grande rue Hetmańska, on se retrouve face à un stade très imposant doté d’une magnifique tribune de l’autre côté de la pelouse. Il s’agit du stade de la ville, celui qu’utilise le club du ZKS Stal Rzeszów. Le club des Bleu et Blanc a vu le jour en novembre 1944 par l’initiative des ouvriers de l’usine de construction d’avions de la ville. Bronislaw Szczoczarz, qui en devient le premier président, souhaite créer un club pour pouvoir faire jouer les jeunes et les nouveaux habitants de la ville venus chercher du travail là où il était.

Longtemps soupçonné d’avoir été aidé financièrement par l’usine, les Stalowcy revendiquent des fonds récoltés lors des galas de danse, dans les patinoires ou autres manifestations. Les couleurs du club se trouvent être le bleu et blanc dès leur premier match, en juillet 1945, et les premiers matchs les opposants au Resovia se déroulent quelques semaines plus tard avec déjà, des scores très serrés malgré la jeunesse du club.

Aucun point commun …

Si la ville dispose de deux « gros » clubs de football, elle n’en est pas moins une ville multisport. Avec l’Asseco Resovia notamment, qui est un des plus gros club du pays en ce qui concerne le volley-ball. Ce sport étant le second plus populaire en Pologne, l’Asseco brille en compétitions européennes et détient le troisième plus gros palmarès du pays malgré une armoire à trophées bien moins remplie que celle du Skra Belchatów. La section volley ayant vu le jour au milieu des années 30, elle a dû attendre une vingtaine d’années avant d’avoir sa propre arène et se glisser en première division. Le club se bat donc depuis près de 70 ans pratiquement chaque saison pour le titre et il faut le dire, prend une partie importante du budget sportif de la ville.

Si on parle de budget de la ville, il faut aussi parler de la seconde section sportive la plus titrée de la ville, le ZKS Stal Rzeszów dans la section speedway (ou żużel en polonais). Ce sport si particulier (et troisième sport le plus populaire de Pologne) mettant en scène des courses de quatre motos sans frein disposant de quatre tours pour s’imposer sur une piste de forme ovale, a vu arriver dans ses rangs en 1951 le Stal Rzeszów. Les premiers matchs se déroulant au début sur la piste entourant le carré d’herbe du Resovia ont vu un public venir en nombre malgré le fait que le club avait lui aussi son équipe à l’époque. Quatre années plus tard, une fois que la section speedway du Resovia dissoute et que le Stadion Miejski construit, le déménagement de tous les matchs du Stal, peu importe les sections, ont eu lieu dans cette nouvelle entre. À partir de là, la section speedway du club a commencé à progresser et remporte même deux championnats de Pologne au début des années 60. Depuis, le club n’a pas eu de titre mais les pilotes inscrits au club s’illustrent régulièrement sur des compétitions individuelles et l’équipe est très régulièrement en première division depuis près de 50 ans.

« Une vie ici, je fais un rêve d’exterminer une tribu inégale » – Tifo déployé par les ultras du Resovia sur un des immeubles non loin de leur stade.

… mais du football

Liga I, II, III, IV, Liga Okręgowa, coupe de Pologne ainsi que matchs amicaux et coupes locales, ce derby a eu lieu dans toutes les compétitions possibles à l’exception de la première ligue. Jusqu’à présent, la « Petite guerre sainte » cumule 105 matchs, dont 48 victoires du Stal, 20 nuls et 37 victoires du Resovia. Mais fait intéressant, lorsque l’on regarde seulement les matchs officiels, la tendance s’inverse avec 31 victoires des Résoviens, 15 nuls et 28 victoires des Stalowcy le tout en 73 matchs. De quoi partager encore un peu plus les deux clubs et permettre aux ultras de se trouver un chiffre positif à sortir sur les sites internet et forums de supporters.

Comme tous ultras qui se respectent, les Sovi mettent en avant les 112 ans de leur club, le premier de l’actuelle Pologne avec des couleurs et un nom revendiquant un attachement patriotique. Les Stalowcy, quant à eux, rient de ces 112 années sans aucun titre majeur et aucune saison joué en première division, avant d’aller chercher dans l’armoire à trophées -quelque peu vide- afin d’y sortir la seule coupe du club. Une coupe de Pologne prenant la poussière et remportée en 1971, pendant l’âge d’or des bleu et blanc, faisant la fierté du club et de ses supporters.

N’importe quel fan des deux équipes aura du mal à sortir un match en particulier de cette longue histoire, mais après quelques secondes, certains vous diront « Ah si, celui de 1999, dans le stade du Resovia! » Ce match, ce derby, tout le monde le connait dans l’extrême sud-est polonais. Ce match, c’est celui d’un record.

Nous sommes donc en 1999, le coup de sifflet retentit, le match débute, les supporters locaux sont en furie comme jamais. Trois minutes de jeu plus tard, envahissement du terrain, violences extrêmes et un match qui ne reprendra jamais. Ce match, c’est celui d’une défaite sur tapis vert pour les Rouges, mais ce n’est pas tout. En plus de se voir infliger cette défaite, ces trois points vont surtout permettre aux Bleus de monter en troisième division, une double pénalité pour les hommes du Resovia qui sonne encore comme l’une des plus grandes victoires du Stal. Des souvenirs pouvant déclencher des heurts entre les deux camps à tout moment.

Et les supporters dans tout ça ?

Vous l’avez compris, ce qui rend ce derby spécial, c’est avant tout les tribunes et ses supporters. Si aujourd’hui Rzeszów est populaire pour abriter le troisième derby le plus chaud de Pologne, après celui de Łódż et Cracovie, c’est essentiellement grâce à tout le folklore que l’on retrouve dans les gradins de la ville.Et ça, les clubs l’ont bien compris. Ainsi, il n’est pas rare de voir 2 000 places accordées aux supporters visiteurs afin d’obtenir une véritable ambiance de derby, une tension extrême entre les deux camps et ainsi offrir une bonne dose d’adrénaline pour les joueurs sur le terrain.

https://www.youtube.com/watch?v=5RCTL_R0eNY

Récente vidéo d’un fight réalisé sur une route, à gauche Sovia, à droite les Stalowcy.

Si le Resovia est aujourd’hui le club le plus populaire des Basses-Carpates, il n’en ai rien de son adversaire. Disons-le, le Stal n’a jamais vraiment su se faire d’amis, ce dernier ne jouit pas d’une grande réputation et est plutôt la cible de chambrages et moqueries, la seule relation à peu près potable que le groupe de supporters du club possède se trouve être avec le Karpaty Krosno. Une amitié récente et probablement liée au fait que le Karpaty est ennemi du Stal Sanok qui, lui, est un ami de longue date avec le Resovia.

Comme vous le voyez, les aventures des ultras polonais sont dignes des feux de l’amour. C’est ainsi que côté Sovia, une longue alliance vieille de 33 ans avec les ultras du ŁKS Łódż, club très populaire dans le pays, vient tout juste d’être rompue. Si les raisons de ce divorce douloureux ne sont pas connues, il semblerait que cette rupture soit liée à un récent rapprochement avec les Wisła Sharks qui, quant à eux, possèdent une amitié avec les ultras du … Widzew Łódż. De plus, une autre amitié est revenue sur le devant de la scène entre les ultras du Resovia et ceux de l’Unia Tarnów qui partagent tous deux une haine virulente envers le Stal Rzeszów et le Raków Częstochowa. Bref, vous l’aurez compris, les crêpes parties ne se font qu’en comité réduit dans les basses Carpates.

Quoi de mieux pour finir cet article que de montrer cette contre-offensive des supporters du Stal lors d’un derby à l’extérieur ? Le tout en mode Garden Party. En vous souhaitant un bon derby.

Kévin Sarlat


Image à la une : © slowfoot.pl

2 Comments

  1. Agatheb2k 3 avril 2017 at 14 h 23 min

    Qui eut cru qu’il se passait tant de choses dans la province polonaise la plus pauvre ?

    Reply
  2. Pingback: #99 Les images de la semaine - Footballski - Le football de l'est

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