Son nom ne vous dit sûrement rien. Pour l’instant. Kostas Fortounis joue à l’Olympiakos, en Super League grecque. Un championnat peu médiatisé où l’écart de niveau entre les équipes n’aide pas au bon développement d’un football qui, à l’image du pays, traverse une grave crise. Surtout, Fortounis émerge à un moment où la sélection nationale est au plus mal, avec une piteuse élimination de la course à l’Euro 2016. Pourtant, c’est tout un pays qui a placé ses espoirs en lui.

C’est donc à Trikala, ville moyenne d’environ 50.000 habitants de la région de Thessalie, qu’est né Konstantinos Fortounis en octobre 1992. La légende raconte même que, à l’époque de l’antiquité, la ville nommée alors Trikka fut le lieu de naissance d’Asclépios, Dieu de la médecine. Si Fortounis n’a rien de divin (quoi que), sa carrière commence véritablement dans sa ville natale, à l’AO Trikala, après une formation à l’Olympiakos (2003-2008) qui lui laissera un léger goût d’inachevé. Entre 2008 et 2010, il connaît les joies de l’équipe première, qui évolue alors en Delta Ethniki, le quatrième échelon national. En parallèle, il se montre brillant avec l’équipe U17 grecque, ce qui va lui permettre d’attirer les convoitises d’un club de Super League, en l’occurrence l’Asteras Tripolis. Le premier tournant de sa carrière.

La découverte de l’élite et l’intérêt de la Juventus

Il débarque dans le Péloponnèse à l’initiative de Vangelis Vlachos, séduit par ses performances avec les sélections de jeunes grecques. Aux milieux des sept argentins de l’effectif, et du franco-algérien Salim Arrache, il commence d’abord par gratter du temps de jeu en entrant en cours de match. Il inscrit même son premier but sous les couleurs jaunes et bleu dès son deuxième match d’une frappe en lucarne, sur le terrain de l’AEK lors d’un match nul 2-2 (voir vidéo ci-dessous, à partir de 44′). Il attendra le mois de novembre suivant, et une réception victorieuse d’Ergotelis (3-0), pour connaître sa première titularisation.

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Titulaire lors des deux matchs suivants, il retrouvera ensuite le banc, reprenant un rôle de joker de luxe. Sur le plan individuel, il bouclera cette saison avec un but et deux passes décisives, pour un total de 736’ minutes jouées sur 24 matchs disputés, et une 13ème place peu flatteuse au classement, six petits points seulement devant la zone de relégation. Peut mieux faire donc, même si le garçon d’à peine 18 ans montre déjà certaines qualités, suscitant, par exemple, un intérêt de la Juventus lors du mercato hivernal, et la venue de nombreux émissaires européens à chaque match de l’Asteras à domicile. Le club italien le veut en prêt pour le reste de la saison, avec une option d’achat l’été suivant. Pour son jeune joueur, le club grec réclame à Giuseppe Marotta, directeur sportif turinois, la somme d’un million d’euros, préférant le cash au prêt.

Une expérience allemande

L’opération avec le club transalpin ne se fera finalement pas. La Vieille Dame ne se doute pas qu’elle vient de laisser passer une chance formidable. Et, avec le recul, peut-être que la carrière de Kostas Fortounis vient de prendre un tournant. Déjà trop talentueux pour perdre son temps en Super League, le milieu offensif file au nord de l’Europe, dans un pays qui a formé Kostas Mitroglou et José Holebas : l’Allemagne. Il signe un contrat de quatre ans avec Kaiserslautern, l’ancien club de Youri Djorkaeff, alors en Bundesliga, pour une somme estimée à 250.000€. Présenté comme un joueur avec un « énorme potentiel » par le président du club Stefan Kuntz, il découvre un championnat réputé à l’échelle mondiale pour sa technique et sa qualité de jeu, moins pour son impact physique. Dans un effectif qui compte, à cette époque-là, Anthar Yahia en défense et un certain Kevin Trapp dans les buts, Fortounis continue sa progression.

Konstantinos Fortounis sous le maillot de Kaiserslautern © Thomas Hilmes / der-betze-brennt.de
Konstantinos Fortounis sous le maillot de Kaiserslautern © Thomas Hilmes / der-betze-brennt.de

Malheureusement, la suite des événements ne sera pas forcément réjouissante. Si, individuellement, ses performances sont bonnes (5 passes décisives en championnat), son équipe termine dernière du classement avec 23 petits points au classement. Direction la deuxième division allemande. Une fois de plus, le natif de Trikala est courtisé, que ce soit par la Juventus qui ne l’a pas oublié, ou d’autres clubs importants, comme l’Ajax, Brême ou Wolfsburg. Néanmoins, tout n’est pas négatif cette année-là, puisque Fernando Santos, le sélectionneur national portugais de la Grèce, décide de l’appeler en février 2012 avec les A lors d’un match face à la Belgique. Convaincant, il gagne le droit de revenir face à l’Arménie et la Slovénie, puis de faire partie de la liste des 23 pour l’Euro 2012 à 20 ans, où il dispute les deux premiers matchs contre la Pologne et la République Tchèque, avant de sortir du onze.

Suite à cette parenthèse nationale, le joueur et son entourage vont faire un nouveau choix de carrière intelligent qui va s’avérer payant, à savoir celui de rester dans un club qui lui a fait confiance, malgré la relégation. Pas opposé à l’idée de descendre d’une division, Fortounis profite de ses deux saisons en 2.Bundesliga pour gagner en expérience et étoffer son jeu. La première année se soldera par un échec de justesse lors des barrages d’ascension face à Hoffenheim, et la deuxième par une quatrième place frustrante, couplée à une demie-finale de Coupe d’Allemagne perdue sèchement face au Bayern (5-1). Fortounis en ressort grandi, et son influence dans le jeu ne cesse de croître. Si ses statistiques sont encore à améliorer (2 buts et 5 passes décisives en 47 apparitions ces deux années-là), sa capacité à créer le danger, accélérer le jeu et offrir de bonnes situations à ses coéquipiers est remarquée pour un joueur de son âge.

Un rendez-vous raté avec le Brésil et un retour au pays

La logique aurait voulu qu’il poursuive sa progression au Brésil, lors de la dernière Coupe du Monde. Mais sa dernière saison en club a été compliquée, marquée par de nombreuses blessures. Le train est passé et s’en est allé, sans lui. Fernando Santos ne compte plus sur Fortounis, et c’est devant sa télé qu’il doit assister à la belle épopée de ses compatriotes, stoppés par le Costa Rica en huitièmes de finale. Cette déception fait office de sonnette d’alarme. Il est temps de quitter la deuxième division allemande pour aller progresser au plus haut niveau. Une fois de plus, comme évoqué précédemment, le joueur va faire un choix plutôt surprenant en revenant dans son club formateur, l’Olympiakos. Le club s’est lancé dans une campagne de « nationalisation » de son effectif, en rapatriant de jeunes talents grecs, dans un effectif pléthorique composé essentiellement de joueurs étrangers. La mission s’annonce difficile.

Sous les ordres de Michel, l’actuel coach de l’OM, il attend la 5ème journée de Super League pour avoir ses premières minutes de jeu. En parallèle, il ne participe pas à la phase de poules de la Ligue des Champions, qui verra son club terminer troisième de la poule malgré des victoires contre l’Atletico et la Juventus. Mais, petit à petit, la machine se met en marche. Son temps de jeu augmente, et les entrées en jeu font place à des titularisations. Sa fin de saison sera même impressionnante, avec notamment un magnifique but sur coup-franc en finale de Coupe de Grèce. Avec le titre de champion, il glanera ses deux premiers trophées avec son club formateur qui ne lui avait pas proposé de contrat professionnel.

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À 22 ans, il boucle sa saison la plus aboutie, avec 10 buts et 5 passes décisives en 37 apparitions toutes compétitions confondues. Surtout, il aura réussi à se faire une place dans cet effectif très fourni, gagnant la confiance de Michel puis Vitor Pereira. Il devient logiquement, cette année, un homme de base du dispositif de Marco Silva, le nouvel entraîneur de l’Olympiakos. Impressionnant en pré-saison, il affole tous les compteurs depuis le début du championnat. 7 buts en 7 matchs pour autant de victoires, et 4 passes décisives, le tout en ne disputant que deux matchs dans son intégralité. Le jeune talent aperçu à l’Asteras est devenu le taulier du plus grand club du pays. Actuel meilleur buteur du championnat, il pourrait bien être le premier grec à recevoir cette récompense symbolique depuis Nikos Liberopoulos en 2006-2007. Une éternité.

La progression est surtout visible en Ligue des Champions, où il réalise un match impressionnant face à Arsenal, qu’il ponctue par une passe décisive et un but sur corner rentrant et une victoire 3-2 en terre anglaise. Le monde du football commence petit à petit à découvrir ce talent qui affiche une belle régularité dans ses performances. Vif, technique et doté d’une vision du jeu largement au-dessus de la moyenne, il prend progressivement le relais de Chori Dominguez, vieillissant, dans l’entrejeu de l’Olympiakos. Profitant de la touche amenée par Marco Silva, Fortounis se voit confier les clés du camion, et ce rôle de n°10 au cœur du jeu piréen semble lui convenir à merveille. Sa progression linéaire depuis ses débuts à Trikala se poursuit au contact de l’ancien coach du Sporting Portugal, venu en Grèce avec une conception du football qui convient parfaitement à ses joueurs, Fortounis en premier. Ce dernier, fort de son expérience allemande formatrice, n’est plus ce jeune prometteur aperçu à l’Asteras. Il est désormais le leader technique d’une équipe qui vise la qualification pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions.

L’espoir de tout un pays

Le 29 mars 2015, un petit événement se produit. En prenant part à 25 minutes du match entre la Hongrie et la Grèce (0-0), Kostas Fortounis retrouve la sélection pour la première fois depuis août 2013. Une éternité. Il devra encore attendre le mois de septembre dernier, et son « explosion », pour devenir titulaire régulier d’une équipe nationale en pleine dérive, piteusement éliminée de la course à l’Euro français en terminant dernière de son groupe, derrière les Îles Féroé. Si tout le pays attend beaucoup de Fortounis, c’est parce que tous les talents grecs avant lui ont échoué dans cette mission de sauvetage. Sotiris Ninis ou Ioánnis Fetfatzídis se sont enterrés, alors qu’ils étaient censés devenir les leaders d’une sélection championne d’Europe il y a onze ans de cela. D’autres n’ont jamais su confirmer les belles promesses aperçues dans un championnat où les talents locaux peinent à s’exprimer. C’est dire la tâche difficile qui attend le jeune milieu offensif.

Fortounis, pour sa part, a réalisé pour l’instant des choix de carrière plutôt cohérents, réussissant à vaincre en Allemagne le mal grec de l’exportation de ses footballeurs à l’étranger et en privilégiant le temps de jeu au prestige du club. Revenu au pays, dans un club pas forcément réputé pour lancer de jeunes joueurs, le cadre de l’Olympiakos risque de vite devenir trop petit pour lui s’il continue de répéter des prestations de cet acabit, notamment sur la scène européenne. Le club du Pirée, pas (encore) disposé à vendre l’un de ses rares talents grec, voit déjà les prétendants prestigieux arriver, notamment les clubs anglais, prêts à poser de belles sommes sur la table. Et nul doute que les 500.000 euros investis pour le rapatrier seront largement amortis.

En attendant, il sera l’un des atouts majeurs d’un club qui voudrait bien franchir le cap des poules de la Ligue des Champions, pour montrer qu’il n’est pas qu’un ogre dans le championnat grec, et d’une sélection qui rêve de redevenir ce poil à gratter du football mondial. Avant de s’envoler vers les championnats majeurs plus conformes à son talent qui lui tendent déjà les bras. À 23 ans, Kostas Fortounis a encore l’avenir devant lui. Et il s’annonce radieux.

Martial Debeaux


Photo à la une : © fck.de

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