Souriant et décontracté, c’est un vice-président du Dynamo Kiev enthousiaste que nous avons eu la chance de rencontrer au Lobanovski Stadium. Ce complexe somptueux, situé dans un parc en plein centre-ville de Kiev, abrite le siège administratif du Dynamo. On retrouve ici les bureaux des dirigeants, le centre de formation mais également les nombreux trophées remportés sous l’Union Soviétique et surtout l’ancien stade du Dynamo, qui fait peine à voir aujourd’hui avec ses 16 000 places. Oleksiy Semenenko nous reçoit dans ce cadre atypique le temps d’un entretien sur son Dynamo : héritage culturel, Maidan, politique sportive, ultras …
Comment un commentateur TV en arrive-t-il à devenir dirigeant de club ?
Par passion avant tout ! J’avais fait le tour de ma carrière à la télévision, notamment après la coupe du monde 1998. J’étais l’envoyé spéciale d’une chaîne ukrainienne et ce mondial représente l’aboutissement de mon parcours de journaliste je pense. Vous savez un célèbre proverbe russe dit « Voir Paris et Mourir », c’est ce que j’ai ressenti !
Pour le Dynamo je travaillais déjà en tant qu’attaché de presse à la fin des années 80, j’ai obtenu plus de responsabilités après ma retraite médiatique. Le club m’a ainsi permis de garder un emploi stable et aussi de m’y établir avec ma famille. J’ai pu devenir père et grand-père ici !
On dit souvent que le Dynamo est une institution, cela représente quoi pour vous ?
A l’époque de l’URSS, quand les quinze républiques faisaient partie du même état, c’était un honneur pour nous de gagner des titres et des coupes de l’URSS, surtout face aux clubs moscovites. Le club ukrainien principal durant ces années là c’était assurément le Dynamo surtout sous la période Lobanovski, notamment avec les deux coupe des coupes, en 1975 ou en 1986.
Maintenant dans l’Ukraine indépendante, chaque région a son propre club de foot, et leur but principal est de disputer le titre de meilleur club du pays au Dynamo. Les rivalités sont intemporelles, tout le monde nous enviait le duo Shevchenko-Rebrov de la fin des années 90. Le côté institutionnel vient avant tout de la situation géographique du Dynamo : la capitale.
Notre club ne doit pas devenir pour autant une assemblée de députés, c’est pour cela que nous n’avons jamais déclaré de ligne politique fixe.
Du coup quelles sont les affinités politiques du Dynamo ? Plutôt proche des ouvriers de la banlieue de Kiev ou des élites intellectuelles ?
On croit que le foot est toujours apolitique, même Michel Platini en a fait sa ligne directrice. Cet avis n’engage que moi, dire que le foot reste neutre c’est mesquin puisqu’il peut réunir des milliers de gens de tous horizons politiques. Traditionnellement le club a toujours montré son indépendance vis-à-vis des puissances satellites comme l’URSS ou la fédération de Russie. Le Dynamo a des valeurs patriotiques, preuve en est, les nombreux ukrainiens, formés ici et qui ont évolué sous nos couleurs.
Les politiques savent très bien que le foot est extrêmement populaire. Il existe une volonté de l’utiliser pour leurs propres intérêts. Notre club ne doit pas devenir pour autant une assemblée de députés, c’est pour cela que nous n’avons jamais déclaré de ligne politique fixe.
Comment avez-vous fait pour convaincre vos joueurs étrangers de rester au club pendant les troubles de l’Euromaidan ?
J’aurais bien aimé dire que les joueurs étrangers rêvent depuis leur enfance de venir jouer dans un club ukrainien plutôt qu’un club européen comme le PSG ou le Barça … Mais ce serait un mensonge. Dans notre époque actuelle, le seul facteur décisif pour les joueurs étrangers, ça reste le côté financier. Du coup pour garder nos meilleurs éléments, on a dû augmenter leurs salaires, sans contreparties sportives attendues. Juste la promesse de rester.
Du coup quelles sont vos méthodes pour faire venir des joueurs de renoms malgré les troubles persistants à l’Est ?
On leur promet avant tout du temps de jeu. On ne peut leur offrir un salaire de Premier League mais ils ont l’assurance d’être titulaires, même en cas de méforme. Prenez le cas d’Ideye Brown. Nos scouts l’avaient repérés à Sochaux et il a pu progresser en toute tranquillité chez nous avant de partir pour West Bromwich Albion.
Un pro-russe ? Dans notre vestiaire ? Ce serait le plus horrible des cauchemars.
Si un de vos joueurs se déclarait pro-russe, comment le club gérerait la situation ?
Un pro-russe ? Dans notre vestiaire ? Ce serait le plus horrible des cauchemars. En Ukraine on essaye de fonder un état démocratique avec des principes. Notre équipe doit être unie sur le terrain, bien que chacun puisse avoir ses propres idées qui ne peuvent pas être réprimées … Enfin sauf pour un pro-Poutine.
Le club a-t-il soutenu les ultras qui luttaient activement à Maidan face à Ianoukovitch et les forces de l’ordre ?
Quand la guerre a commencé, les ultras du Dynamo ont été parmi les premiers à s’inscrire en tant que volontaires dans la nouvelle armée, le fameux Bataillon Azov. Le club a d’abord hésité à les soutenir, car il y avait des partisans du gouvernement Iakounovitch au sein de la direction. Malgré ce déchirement interne, plusieurs dirigeants ont donné de leurs poches pour les ultras : gilets pare-balle, trousses de soins, vêtements de confort et même des maillots dédicacés. Aujourd’hui les soutiens à l’ancien régime sont partis et le club garde contact avec les supporters partis à la guerre dans le Donbass.
Du coup quel comportement avait adopté le club lors de la Révolution Orange fin 2004 ?
Il est assez difficile de comparer les deux révolutions. Pour Maidan on défendait notre patrie tandis qu’en 2004 c’était plutôt un enjeu politique. Le club n’avait pris aucun parti lors de ces évènements car le duel Iouchtchenko-Ianoukovitch ne concernait en aucun cas le football.
On a vu des drapeaux russes au milieu des supporters français.
En France on a eu une opinion assez négative des ultras du Dynamo Kiev après les incidents contre Guingamp en février dernier. Comment les percevez-vous ?
C’est de la provocation ! On a vu des drapeaux russes au milieu des supporters français. Quand un pays est en guerre, tous les moyens sont bons pour attiser la haine et on ne peut excuser ce qu’on a vu ce soir-là.
Il ne faut surtout pas faire d’amalgame entre les ultras amoureux de leur club et ces sauvages.
Que répondez-vous alors aux accusations de racisme et de xénophobie au sein des ultras du Dynamo ?
Les ultras sont environ 2000 au stade, quand 5 ou 6 individus affichent une banderole avec un signe fasciste ou néo-nazi, cela donne l’impression que les 2000 sont des nazis. Il ne faut surtout pas faire d’amalgame entre les ultras amoureux de leur club et ces sauvages. Nous collaborons étroitement avec la police pour les éradiquer.
Selon vous le parcours de Dnipropetrovsk en Europa League a-t-il été fédérateur pour les ukrainiens ?
C’est une évidence pour moi si vous prenez les matchs du Dnipro qui se sont disputés à l’Olimpiski (L’UEFA avait interdit aux hommes de Markevitch de jouer chez eux, en raison des normes de sécurité). Lors de la première rencontre face à Qarabag il y avait à peine 5000 spectateurs. Contre le Napoli, en demi-finale, les demandes de billets ont afflué de tout le pays et la rencontre s’est disputée à guichets fermés, avec 60 000 ukrainiens tous unis derrière la cause du Dnipro. Si l’on n’était pas en guerre, personne ou presque ne prêterait attention à cette équipe.
Adrien Mathieu