Le rendez-vous est fixé à 16h. Après être descendu en bus du sommet où est situé le Strakhov, nous retrouvons notre ami Frantisek au centre-ville, à Karlově náměstí. L’objectif est de faire un tour de la ville en visitant tous les endroits qui ont marqué l’histoire du Slavia Prague.
Notre route nous conduit d’abord devant l’ancien café U Karla IV. C’est ici que l’idée fondatrice du premier club de cyclisme a été pensé par des jeunes d’un club littéraire. Les membres jouaient à plusieurs sports dont le tennis, mais la volonté de la plupart était de fonder un club de cyclisme. Ils sont par la suite allés voir un agent d’administration, lui demandant comment créer un nouveau club. Ce dernier répondit qu’il aurait des discussions avec ses collègues pour la validation et si c’était bon, le nom Slavia pourrait être placé derrière. C’était le début du club de cyclisme Slavia Prague en 1892. Plus tard, c’est ici que viendront les habitants férus de sport pour consulter les résultats sportifs.

La suite du parcours nous emmène devant le lycée Křemencárna qui a un lien fort avec le Slavia, puisque la grande majorité des membres du club littéraire étudiaient ici et que six d’entre eux ont joué le premier match de l’histoire du club. Ce lieu a eu aussi son importance lors du premier derby des S pragois. Les fans du Sparta et du Slavia, qui avaient tout pour se détester, se divisèrent dès le premier derby, en 1896. Premier motif du litige : l’arbitre était un fan du Slavia (qui était aussi l’organisateur du tournoi) et le match n’a duré que huit minutes en raison de l’invasion de terrain des fans. Le Sparta fut retiré de la suite du tournoi. Le Slavia, quant à lui, jouait illégalement puisque les lycéens n’avaient pas le droit de jouer au football selon la constitution de la monarchie. La moyenne d’âge de l’équipe du Slavia était de 16 ans, il avait donc fallu truquer les noms et dates de naissances… Les règles d’alors étaient bien différentes : la première équipe qui marquait trois buts gagnait le match !

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Plus loin, le pub U Fleků, est comme un lieu de pèlerinage pour les dalmates puisque c’est ici qu’a été fondé l’Hajduk Split. Après avoir vu un match, des étudiants croates discutèrent avec des joueurs du Slavia et des étudiants impliqués dans le club. C’est à cet endroit qu’ils en profitèrent pour rédiger une constitution qui sera la base de la création de l’Hajduk en 1911. Une plaque commémorative est toujours accrochée sur un mur de la terrasse, où doivent venir régulièrement des fans de Split. Le lien entre les deux clubs est toujours perpétué puisqu’il y aurait une branche de la Torcida à Prague. Une rencontre amicale s’est déroulée il y a un an, finissant à la 60ème minute… par une invasion de terrain ! Pas d’émeute, mais des supporters des deux camps se retrouvant bras dessus, bras dessous brandissant des fumigènes et entonnant des chansons à l’unisson anti Sparta et anti Dinamo. En guise de souvenir, chaque supporter de l’Hajduk a ramené avec lui un morceau de pelouse ! Le Slavia a aussi été une source d’influence pour le club serbe du Vojvodina Novi Sad qui possède les mêmes couleurs (et aussi une étoile) que le Slavia.

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Puis vient, Brejškům, l’endroit où le SK Slavia a été créé en 1896. Pour le trouver, il faut emprunter un passage dans un hall au beau milieu d’une rue commerçante. En descendant des escaliers, on arrive au sous-sol. Un café littéraire se trouve devant nos yeux, rempli de portraits en rapport avec la création du club Slavia, notamment avec le cyclisme. Il sera impossible de s’arrêter boire une bière ici en raison de la réservation par un groupe privé mais nous pouvons admirer le lieu où a été organisé la première réunion du club. Après la création du club de cyclisme, plusieurs sports existaient déjà comme le tennis, patinage ou hockey sur glace. Les membres décidèrent d’étendre les activités au football. Le logo et les couleurs du club furent décidés dans ce café. Dans la monarchie des Habsburg d’alors, plusieurs entités se partagent des territoires. Les lands tchèques, eux, avaient un drapeau blanc et rouge. Ces couleurs étaient érigées comme un symbole de la nation tchèque, à la façon du drapeau du Royaume de Bohême. En 1848, année d’émeutes dans toute l’Europe, furent formés les premiers partis politiques tchèques en Autriche-Hongrie. Lors de ces émeutes, les tchèques mirent ce drapeau à l’envers, et il fut décidé d’utiliser cela pour le Slavia, comme symbole d’une idée de la nation Tchèque. Beaucoup d’intellectuels qui ont créé la nation tchèque étaient membres du Slavia. Ainsi, on pouvait retrouver un ancien du club en tant que tout premier Ministre des Finances. Le second président, lui, était un ancien défenseur au Slavia. C’est aussi eux qui impulsèrent le renouveau de la langue tchèque, parlée uniquement dans les endroits reculés à l’époque car la langue dominante était l’allemand.

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Pour ces raisons idéologiques qu’il fallait propager au peuple tchèque, l’équipe jouait au pays alors que la A, trop forte, s’aventurait à l’étranger pour trouver des défis à sa taille. Les matchs contre les équipes allemandes, symboles de la monarchie totalitaire, étaient notamment très tendus. Tchèques et Allemands n’étaient pas précisément des peuples amis. A cette époque, le Slavia devient très populaire dans tout pays, ce qui restera aujourd’hui où nous pouvons trouver des fans du club dans tout le pays, même dans les régions de Brno et Ostrava qui supportent en très grande majorité leurs clubs locaux, Zbrojovka et Banik. Le Sparta, en faveur des résultats sportifs, deviendra plus tard autant supporté dans les frontières. Devant cette popularité, il fallut voir les choses en grand et construire un stade pour le Slavia : ce fut en 1901 à Letna.

Le stade sera progressivement élargi mais le parti communiste tchécoslovaque, qui prit le pouvoir à la faveur d’un coup d’état en 1948, ne lui laissa pas une grande durée de vie. La colline de Letna était le lieu propice pour construire une statue gigantesque de Staline. Ils n’hésitèrent pas à détruire le stade et tout ce qu’il y avait autour. Terminée en 1955, elle fut détruite en 1962 par l’intermédiaire de Nikita Khroushchev et le dégel qu’il souhaitait. Durant ces années, les habitations de Prague croulaient et les habitants ne trouvaient pas les denrées suffisantes pour les produits de consommation courante, que les commerçants réservaient à ceux qui pouvaient donner des services ou des devises. La statue de 17000 tonnes, elle, coûtait un prix exorbitant et était surnommée « la queue à la boucherie » par les pragois, en référence aux pénuries et l’attente dans les commerces. En 1967, le Sparta Prague réaménageait son antre sur la colline qui se trouvait plus loin. Depuis le Letna Stadium a malheureusement cédé sa place au naming mais le Sparta joue toujours au même endroit.

Après avoir évoqué l’histoire du Slavia, nous allons nous poser avec notre interlocuteur dans une brasserie jouxtant une université. Les bières descendront comme les sujets de conversation. Nous parlons notamment du président de Jablonec, également président de … la ligue. Étrangement, ce club très modeste a fini troisième du championnat précédent et les fans se battent contre cet homme. Le Viktoria Plzen n’est pas non plus vraiment populaire en raison de ses liens d’influence. Le vice-président de la ligue sort avec la fille qui est chef des arbitres et les deux sont de Plzen, ce qui expliquerait le nombre de penalties accordés au Viktoria et les temps additionnels plus ou moins revus en fonction du score. Pour compléter le top 3 de l’an dernier, il y aurait des rumeurs comme quoi le Sparta et son président milliardaire seraient contraints de payer pour gagner certains matchs. Du côté de Pribram, cinquième du championnat l’an passé, ce ne sont pas des rumeurs qui accablent le club. Le président a été impliqué dans un grand scandale il y a dix ans et peut toujours exercer ses activités aujourd’hui. Ce « chef de la mafia » met beaucoup d’argent pour faire réussir un cub qui possède un stade et des infrastructures de deuxième division.

Ales Rebicek, Slavia
Ales Rebicek dans ses œuvres

Du côté du Slavia, la situation n’est pas claire non plus. Les dettes sont énormes et le club serait au bord de la faillite mais le manque de transparence donne peu d’infos sur la situation réelle. Les montages financiers sont légion et on ne sait pas à qui le stade appartient même si le terrain, lui, appartient bien au Slavia. Le président Ales Rebicek pourrait tremper dans des affaires sales et se servir du club pour du blanchiment d’argent. Malgré cette situation, cela n’empêche pas les fans de soutenir de belle manière leurs joueurs au stade. Le Slavia est aujourd’hui une institution au bord du gouffre. Même dans ce cas, la première question qu’on pose aux nouveaux à l’école est toujours « T’es fan du Sparta ou du Slavia? » Et tant pis s’ils supportent les Bohemians ou le Viktoria Zizkov, la question n’est pas prête de changer.

 

Un grand merci à Frantisek pour sa gentillesse, son amabilité et la passion qu’il nous a transmise. Vous pouvez retrouver les épisodes précédents de notre FootballskiTrip à Prague ICI.

Damien Goulagovitch

2 Comments

  1. boumaye 20 août 2015 at 16 h 18 min

    Au sujet de « la queue chez le boucher », le surnom de cette statue massive représentant Staline vient bien de la pénurie vécue au quotidien par les tchèques et de la nécessité de faire la queue pour se procurer un grand nombre de produits de consommation (viande, Papier toilette, fruits etc…) mais aussi de la statue elle-même qui représentait le peuple derrière Staline.

    Une image pour bien se rendre compte de ce qu’elle représentait.
    http://minilien.fr/a0puz5

    La photo explique d’elle même le surnom je crois.

    A part ça, félicitations pour le site, c’est toujours un plaisir à lire.

    Reply
  2. Pingback: Ján Kozák jr., des terrains aux greens - Footballski - Le football de l'est

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