Tous juste remis de nos émotions européennes et de la qualification du Vardar Skopje qui venait ponctuer de la meilleure des manières notre semaine européenne, nous voilà de retour sur la route, direction le Kosovo. Le temps de nous installer dans notre auberge et de prendre nos marques à Prishtina, le samedi après-midi est déjà là, et quoi de mieux que l’ouverture de la saison 2017-18 du championnat kosovar pour appréhender ce nouveau pays ?


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Deux choix s’offrent à nous, soit un Llapi-Drenica, au nord du pays, soit un Feronikeli-Vllaznia, dans les environs de Prishtina. La proximité l’emportera, mais également la curiosité à l’endroit de ce club qui porte fièrement son histoire ouvrière et même minière, chose remarquable dès le premier coup d’œil sur son blason. Nous profitons d’abord de la matinée pour prendre des places pour le match de basket Kosovo-Estonie qui se déroulera le soir même au palais des sports de Prishtina et vendues devant un des monuments les plus célèbres de la capitale, le Newborn, sculpture élaborée en 2008 à la suite de l’indépendance du pays. Changeant de couleurs au gré de la situation du pays elle était à notre passage peinte de façon à représenter un mur effrité, les lettres N et W couchées à terre (« No War« ), pour alerter semble-t-il sur la volonté de construire un mur entre les parties serbes et albanaises de Mitrovica. Ce premier contact avec Prishtina se poursuite par la visite de la cathédrale Mère Teresa (Nenë Teresa en albanais). En pleine construction on peut cependant rentrer sans problème, et demander en italien à une nonne pour aller en haut de la flèche admirer le paysage, le prix de 1€ pour l’ascenseur permettant de financer les travaux qui doivent se terminer au plus vite pour permettre la consécration de l’édifice.

© Footballski

Direction ensuite la gare routière de Prishtina afin d’essayer de trouver un bus pour Drenas (et non Glogovac, le nom serbe que personne ne connait ici mais qui s’affiche comme tel sur le Google Maps des touristes français que nous sommes). La gare se situant relativement loin du centre-ville et l’agencement des rues étant assez hasardeux à Prishtina, nous demandons notre chemin plusieurs fois et nous faisons confirmer que nous partons vers une destination assez peu habituelle pour des touristes, à base de « Drenas, mais qu’est-ce que vous allez foutre à Drenas ? » Sentiment confirmé quand il s’agit de trouver le bon bus à la gare, « Drenas ? Ben c’est celui à 15h15, mais Drenas quoi… » Confortablement installés dans un bus qui fleure bon la Yougoslavie avec ses multiples options telles que la climatisation à la kosovare (laisser la porte avant ouverte en roulant) et télévision diffusant les meilleurs clips de variété du pays, nous nous sentons d’office dans l’ambiance locale, le chauffeur étant prêt à s’arrêter tous les 80 mètres pour prendre des gens. Au bout de 40 minutes de trajet, il faut un œil de lynx pour repérer sur la droite le stade, presque caché, aplati derrière les constructions modernes d’un quartier pavillonnaire, au milieu des champs. Un petit quart d’heure de marche en sens inverse plus tard nous voilà aux portes du stade, ou plutôt du terrain, tellement les tribunes ont l’air petites de loin, juste de quoi abriter les vestiaires.

Graines de tournesol et tribune de presse

La petite marche depuis le centre-ville de Drenas (qui ne vaut effectivement pas vraiment le coup) nous fait craindre de rater le début du match. Heureusement, le coup d’envoi est repoussé d’une heure par rapport à l’horaire prévu, et les abords du stade se révèlent bien plus animés que l’on pouvait penser en arrivant. Une heure avant le coup d’envoi, des spectateurs arrivent régulièrement, les stands de graines et boissons sont bien présents, le billet d’entrée est à 2€, tout laisse présager un bel après-midi. D’autant que flotte dans l’air une douce odeur, fraîche et fruitée, presque trop puissante pour venir des buissons qui longent le chemin menant au stade. Et en effet, pour fêter le premier match de la saison, les responsables du club local ont prévu un petit souvenir, un sent-bon pour la voiture aux couleurs du club. On ne pouvait pas imaginer marketing plus ciblé quand on se rend compte du nombre de voitures avec des plaques étrangères sur le parking. Expatriés en Suisse, Allemagne, Belgique, France, les Kosovars reviennent au pays passer les vacances d’été. Il semblerait que ce soit aussi l’occasion d’aller supporter son club de cœur pour les premiers matchs de la saison. Dès la rentrée, des centaines d’écusson du KF Feronikeli se baladeront donc accrochés au rétroviseur des expatriés, et cela aux quatre coins de l’Europe. Malin.

Un autre parfum toujours rafraîchissant pour nous est celui du rectangle vert dont nous nous rapprochons, qui est ici d’herbe naturelle et de grande qualité. Une fois présentés comme reporters intéressés pour écrire sur le club et le match, nous voici dirigés vers la tribune de presse, petit cabanon en tôle verte et blanche posé de l’autre côté du terrain, en face de la tribune principale. Le type d’installation habituelle pour ce genre de stade, largement suffisant pour accueillir, s’imagine-t-on, un ou deux journalistes et un officiel. Nous sommes donc assez surpris de découvrir deux caméras de télévision, une journaliste et bientôt un commentateur radio à cet endroit. Certes, on parle du match d’ouverture d’un championnat national, mais on a été habitué à une couverture médiatique bien plus faible dans des pays réputés plus aisés. C’est l’occasion de sympathiser avec le cameraman de RTK (Radio Télévision Kosovare), qui nous apprend que lui ne filme pas en direct mais fera un résumé pour le Stade 2 local diffusé le lendemain soir, (le match de Llapi étant lui en direct) et ce dans un très bon français, monsieur ayant vécu plusieurs années en Suisse avant de revenir au Kosovo au début des années 2000, dès la fin de la guerre. Bientôt à l’âge de la retraite, cela lui fait plus de 40 ans à suivre le football kosovar, un excellent témoin de l’histoire locale. L’autre cameraman travaille pour RT21 mais nous n’irons pas plus loin dans les amabilités, étant donné qu’il ne semble guère apprécier la présence d’éléments inhabituels dans sa cabane, du genre français et reporters. Peut-être est-il simplement supporter du Feronikeli, qui fait maintenant son entrée sur le terrain.

On l’a dit en préambule, le terrain semble excellent. Les tribunes qui nous font face ont beau être assez petites, elles couvrent toute la longueur du terrain et sont en fait toutes neuves. De grandes poutres métalliques sont prêtes à accueillir un toit qui doit arriver d’ici le début de l’automne. Remplies aux trois-quarts, elles donnent ainsi une ambiance très sympathique à ce petit stade. A notre gauche, une trentaine d’ultras de Vllaznia, club tout juste promu en première division pour la première fois de son histoire, ont fait le déplacement et sont déjà très chauds. A notre droite et derrière nous, des champs à perte de vue, et surtout le profil sombre du complexe minier qui domine de sa haute cheminée la ville et la plaine et donne son nom au club local : Feronikeli (production de fer et de nickel). Créé en 1974, le club a toujours été étroitement lié à l’usine, indispensable à l’économie de la ville et de la région. Construite en 1984 pour traiter le minerai extrait dans la région depuis des années déjà, elle figure en bonne place sur le blason.

© Footballski

Peu de mineurs aujourd’hui sur le terrain mais une équipe de Feronikeli qui domine de la tête et des épaules son adversaire dans cette première période. Logique pour un club qui fait partie des meilleures équipes du pays, double vainqueur du championnat notamment en 2016 et 2015, ayant même réussi le triplé avec la coupe et la supercoupe cette année-là. Portés par une quarantaine d’ultras bouillants, les Vert et Blanc tentent ainsi d’inscrire un but très rapidement, ce qui donne une première période avec un gros engagement physique, la seule arme de Vllaznia, au-dessous techniquement. Et cette tactique fonctionne jusqu’à la mi-temps puisque les visiteurs, s’appuyant notamment sur une paire de relayeurs très complémentaires et coupant bien les attaques feronikelaises, peuvent rentrer au vestiaire en tenant le nul 0-0.

Sous la chaleur de l’été kosovar

Cette première période stérile, conjuguée à la chaleur écrasante de ce coin de campagne kosovare, semble avoir assommé les ultras locaux qui se sont éteints progressivement dans ce match. Tout le contraire de ceux de Vllaznia ou plutôt d’un des supporters visiteurs, maillot violet époque yougoslave indéterminée sur le dos, qui a décidé que la terre entière était son ennemie aujourd’hui: joueurs, policiers, et même ses propres camarades, qui finissent par l’écarter du terrain en essayant de le calmer un peu. Peine perdue. L’homme refait quelques apparitions sous l’œil stoïque des policiers au bord du terrain, à chaque fois raccompagné par ses propres collègues, eux-mêmes fatigués de l’entendre insulter la terre entière à chaque action. On apprécie également côté visiteurs le supporter qui lance sa propre bouteille d’eau à un de ses joueurs approchant le long de la touche, et se trouve bien perplexe quand le joueur, appelé sur une action chaude, laisse la bouteille en plan le long de la ligne, derrière les grilles… Et oui, il fait chaud pour tout le monde.

© Footballski

Les Tigrat e zi (Tigres noirs, en référence à une section de l’UCK) ont pour eux une belle banderole. Pour autant le stade Rexhep Rexhepi, du nom d’un ancien joueur et capitaine, mais aussi membre de l’UCK mort au combat en 1999, ne rugit plus, et l’ambiance se ramollit à mesure que la tension monte sur le but de Vllaznia. Ce qui ne fait qu’exciter encore plus notre collègue de RT21 qui, dépassé par le nombre d’actions chaudes se multipliant et ayant eu la bonne idée de jeter son crayon de dépit à travers la cabane, finit par me chourer le mien pour prendre en note les minutes des actions durant le temps additionnel. Soudain un frisson parcourt le public quand l’attaquant de Vllaznia s’écroule dans la surface. L’arbitre ne dit rien, l’action se poursuit, la défense de Vllaznia est prise de vitesse et Feronikeli inscrit le but de sa victoire. 1-0 face à un promu à la dernière seconde, Feronikeli aurait sans doute imaginé un scénario plus simple. Côté Vllaznia on peut sortir la tête haute après un rude combat mené jusqu’à la dernière minute.

En ce qui nous concerne, nous devons rapidement prendre congé, les cameramans étant appelés pour faire les interviews en bord de terrain. La sortie du stade est l’occasion d’admirer toute la panoplie de voitures que l’on peut rencontrer au Kosovo, entre les BMW, Mercedes et Porsche rutilantes des expatriés et des locaux prêts à s’endetter pour en jeter, mais aussi des vieilles Yugo ou de simples tracteurs, tous à touche-touche dans l’étroite route qui mène au stade. Ces belles voitures on les retrouve le long de l’autoroute menant à Prishtina, semée de part et d’autre de « Wedding hall, » villas de carton-pâte, prêtes à marier à tour de bras la jeunesse du pays, et notamment celle qui revient d’Europe de l’Ouest pendant les vacances. Talons, robes digne du Festival de Cannes, dorures et paillettes, et bien entendu la grosse voiture pavoisée de drapeaux albanais et éventuellement kosovars. C’est un petit échantillon du Kosovo moderne qui défile nous nos yeux. Le soir-même a lieu un match historique pour la sélection nationale de basket, qui se qualifie pour la première fois de son histoire pour une phase finale de qualification aux championnats du monde en s’imposant contre l’Estonie (et gagne ainsi le droit d’affronter des nations telles que la Russie, l’Espagne, la Lituanie ou la France). Mais d’ici là, on savoure le paysage, la grande plaine de Kosovo paraissant si paisible en cette fin de journée. Le football au Kosovo a un beau passé (on en reparlera). Quant à son présent, il nous semble plutôt intéressant. Le niveau n’est pas mauvais et le public est là. Qu’en sera-t-il de son avenir ? Une bonne question pour guider la suite du voyage.

Les notes footballski :

Standing du stade (3/5)

Un stade proportionnel à la taille de la ville, tribunes neuves et bientôt couvertes. Très bon terrain naturel et vue à la fois sur l’usine locale et les champs environnants. Un bel endroit.

Disponibilité des billets (4/5)

Billets disponibles à l’entrée du stade uniquement. Vue la faible capacité (2 000 places), soyez sûr d’arriver un peu en avance pour les gros matchs contre Prishtina et Trepça. Le reste du temps vous ne devriez pas avoir de souci.

Tarif (5/5)

1,50€ pour ce match d’ouverture, 1€ pour les plus petites affiches. Un prix très accessible, même pour le Kosovo.

Ambiance (2,5/5)

La culture football et ultra existe bel et bien au Kosovo. Le kop de Feronikeli a fait un peu la fine bouche selon nous, voyant son équipe dominer mais pas concrétiser. Côté Vllaznia, on a fait ce qu’on a pu. Face à des gros kops comme ceux de Gjilan, Drita ou Trepça, les supporters locaux ne doivent pas pouvoir se permettre le silence. Vu le stade, ce ne sera jamais un chaudron mais il y a tous les ingrédients pour passer un bon moment.

Accessibilité et transports (1/5)

Le point noir assurément. Depuis Prishtina et si vous n’avez pas de voiture, des bus passent régulièrement en semaine, beaucoup moins le week-end. Soyez-sûr de l’horaire et demandez régulièrement dans le bus à quel moment vous arrêter ou vous serez bons pour une marche plus ou moins longue depuis le centre-ville de Drenas. Au cas ou vous auriez épuisé toutes ces solutions, un taxi depuis Prishtina vous coûtera au moins 20€. Accessible uniquement par une petite route de campagne permettant à peine à deux voitures de se croiser, prévoyez également une bonne demie-heure de bouchon pour sortir de l’endroit.

Boissons (2/5)

Les classiques graines et boissons fraiches sont vendues à la sauvette aux abords du stade. Boissons forcément plus très fraiches à la mi-temps quand le thermomètre affiche 35°C.

Quartier environnant (2/5)

Si le panorama est sympathique et assez bucolique, cela reste un quartier résidentiel à l’écart du centre-ville. Si vous souhaitez découvrir la région, un retour à Prishtina s’impose, à moins de poursuivre votre route vers l’ouest en direction de Gjakove ou Pec.

Antoine Gautier


Image à la Une : © Footballski

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