A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous poursuivons en ce début d’année avec la septième : la Lituanie. Episode #32: le titre fort en symbole du Žalgiris Vilnius.

Si une compétition universitaire reste mineure dans le monde du football, elle revêt une toute autre importance pour un club qui, dans le cœur de ses supporters, est l’équipe officieuse d’une nation réclamant son indépendance et participe certes sous le drapeau de l’oppresseur, mais avec son maillot vert et blanc. C’est l’histoire du Žalgiris Vilnius, victorieux lors des Universiades de Zagreb en 1987.

En 1987, Mikhail Gorbatchev vient de mettre en place la glasnost, ouvrant de nouvelles perspectives en termes de liberté d’expression. Une brèche dans le mur soviétique dans laquelle les peuples baltes vont s’engouffrer pour tracer leur chemin vers la liberté. De leur côté, les joueurs sont bien entendu loin de ces préoccupations. Pour eux, sortir de l’URSS est déjà une expérience hors du commun.

Zagreb 1987

Les Universiades sont organisées sous l’égide de la Fédération Internationale du Sport Universitaire (FISU). Une fédération créée en 1949 qui organise des compétitions universitaires internationales sous l’œil attentif du CIO. L’édition 1987 se déroule du 8 au 19 juillet. DDans cette optique, d’importants travaux de rénovation sont réalisés à Zagreb dès 1984. De nombreux centres sportifs sont créés ou modernisés comme le Cibona Sports Centre, renommé aujourd’hui Drazen Petrovic Basketball Hall, ou encore le centre sportif et récréatif de Jarun. Le bras de la Sava, la rivière qui coule de la Slovénie à la Serbie, est aménagé à cette occasion et le centre de la ville est rénové. Des travaux qui donnent en grande partie la configuration actuelle de la ville.

Comme de coutume pour ce genre d’événement, une mascotte, l’écureuil Zagi, est réalisée par Nedjeljko Dragic, un dessinateur croate parmi les plus réputés de l’époque. L’écureuil possède un petit chapeau noir caractéristique des costumes folkloriques de la région de Zagreb. Le pays hôte, la Yougoslavie post-Tito, est alors traversée par la montée des différents nationalismes. Ainsi, en avril 1987, Slobodan Milosevic, numéro deux du régime yougoslave, est envoyé au Kosovo pour apaiser la minorité serbe qui se considère opprimée par la majorité albanaise. La police locale composée d’albanais réagit violemment à des jets de pierres venus du coté serbe. Milošević déclare à la foule serbe : « On ne vous frappera plus jamais ! » devenant ainsi une figure du nationalisme serbe. Il est élu en mai 1989 Président de la Serbie.

Dans ce contexte, la Yougoslavie désire faire bonne figure et sous le slogan « World of Youth for the World of Peace », 6 423 athlètes de 122 pays participent à la quatorzième édition des Universiades, qui est aussi la première à bénéficier d’un aussi grand nombre d’athlètes présents. Avec, pour la cérémonie d’ouverture et comme stade principal des épreuves, le stade Maksimir.  Ce même stade Maksimir qui sera quelques années plus tard, le 13 mai 1990, le théâtre d’un Dinamo Zagreb – Etoile Rouge de Belgrade qui dégénère, en prélude au sanglant conflit qui s’apprête à déchirer la Yougloslavie.

https://www.youtube.com/watch?v=diME5wclGps

Rien n’est laissé au hasard pour donner de l’importance à l’événement, la star locale, le basketteur au destin tragique Drazen Petrovic (il décède d’un accident de voiture en 1993) porte la flamme lors de la cérémonie d’ouverture.

Le Zalgiris Vilnius à Zagreb

Pour représenter l’URSS, le Žalgiris Vilnius fait office d’équipe nationale soviétique. L’équipe est très jeune et possède un noyau composé de joueurs encore étudiants et donc éligibles à une participation à cette compétition. Le Žalgiris est alors en pleine forme dans le championnat soviétique. S’appuyant sur Arminas Narbekovas, un jeune attaquant en pleine éclosion, le club lituanien termine la saison à la troisième place, à huit points du champion, le Spartak Moscou. Son entraîneur, Benjaminas Zelkevičius, a d’abord été joueur au sein du club (331 match, 50 buts) avant d’en être l’entraîneur à succès. Le gardien Jurkus (qui perdra d’ailleurs sa place de titulaire suite aux bonnes prestations de son remplaçant Kalinauskas à Zagreb), le défenseur Jakubauskas et le capitaine Matskevicius ne peuvent participer à l’aventure puisqu’ils sont déjà diplômés. Hormis ces trois joueurs, c’est donc une équipe complète du plus haut niveau du championnat soviétique qui se présente à Zagreb.

Le tournoi est organisé sur le principe d’une Coupe du Monde de l’époque : les seize équipes participantes sont divisées en quatre groupes dont les deux premiers sont qualifiés au tour suivant. Mais l’aventure commence par un couac d’importance. Les maillots soviétiques n’ont pas été floqués. Au lieu du maillot rouge soviétique, c’est donc le maillot vert et blanc du Žalgiris qui est utilisé pendant toute la compétition. A la grande fureur de la délégation soviétique, bien entendu. Le premier match contre la Corée du Sud est une déception. Les buts d’Arminas Narbekovas et Valdas Ivanauskas ne peuvent empêcher la défaite (3-2).

Cette mauvaise entame ne semble rien présager de bon avant d’affronter le pays hôte. Cependant, le déjà inévitable Narbekovas offre une courte victoire aux Soviétiques (1-0). Au menu du troisième match, la faible équipe du Brésil, déjà corrigée sur le même score (5-0) par la Yougoslavie et la Corée du Sud. Il s’agit donc de soigner la différence de buts pour ne pas être dépendant du score de l’autre match. Et le  Žalgiris soviétique a la bonne idée de s’imposer 6-0, car la Corée battant la Yougoslavie, l’équipe locale est éliminée à la différence de buts, les trois premiers finissant à égalité avec quatre points. Les Brésiliens termineront, eux, bons derniers du tournoi.

Pour les Baltes, l’Uruguay est au programme des quarts de finale, une formalité (6-1). Narbekovas par deux fois, Virginijus Baltusnikas, Stasys Baranauskas, Kestutis Rugzys et Pankratjevas assomment la Celeste. Duel très communiste ensuite en demi-finale contre la Corée du Nord, qui a étrillé 7-2 l’Allemagne de l’Ouest pour se qualifier. Baranauskas et Pankratjevas permettent d’assurer une victoire 2-1 et une place en finale contre la Corée du Sud. Le 19 juillet, 12 000 personnes garnissent les tribunes du stade Maksimir pour voir l’URSS affronter la Corée du Sud, qui s’est débarrassée de la Chine en demi-finale. La Corée a certes battu les Soviétiques en phase de poules, mais ces derniers n’ont cessé d’impressionner et de monter en puissance depuis. Le match s’annonce donc très indécis. La réalité du terrain est toute différente. Avec le maillot vert et blanc du Žalgiris, Sukristovas ouvre le score dés la première minute, Baranauskas plante le second à la 29e, Narbekovas inscrit son sixième but de la compétition à la 41e, et Sukristovas récidive à la 45e minute. La Corée du Sud est KO debout. Pour l’anecdote, Rasiukas vient enfoncer le clou à la 65e. Le triomphe est total !

https://www.youtube.com/watch?v=9hYQ2UvthQY

Et après ?

Un an après les Universiades, Arminas Narbekovas et Arvidas Janonis deviennent champions olympiques à Séoul en battant le Brésil en finale. L’URSS est alors en pleine bourre. La sélection atteint la finale de l’Euro 1988 en Allemagne de l’Ouest, où elle s’incline contre les Pays-Bas de Gullit et Van Basten. Le noyau présent à Zagreb forme plus tard l’ossature de la future équipe nationale lituanienne. La star de la compétition, Arminas Narbekovas n’est lui jamais appelé en sélection soviétique. Il quitte le Žalgiris Vilnius lors de l’explosion de l’URSS et passe ensuite le reste de sa carrière en Autriche, principalement à l’Austria Vienne puis dans divers clubs de moindre importance pour finir sa carrière à 45 ans au SV Weikersdorf. Sa carrière en sélection est minée par les blessures et il ne joue que 13 matchs pour 4 buts. Il se lance par la suite dans une carrière d’entraîneur, mais sans grand succès.

Le meilleur joueur à émerger de cette équipe présente à Zagreb est l’attaquant Valdas Ivanauskas (né en 1966) qui, pour l’occasion, s’est montré plutôt discret. Il représente cinq fois l’URSS et 28 fois la Lituanie. Il part également dans un premier temps à l’Austria Vienne pour ensuite passer cinq saisons à Hambourg. Il devient également entraîneur sans succès probant et occupe actuellement un poste de directeur sportif au Dinamo Brest.

Aujourd’hui encore, le Žalgiris s’attribue fièrement cette victoire. Le contexte de l’époque ne prête cependant pas à une forte médiatisation de ce succès. Profitant de la glasnost, le sécessionnisme balte en profite pour s’exprimer au grand jour. Dès 1986, les Lituaniens redonnent à certaines rues leurs noms d’avant l’occupation soviétique. Cette expression de la volonté de retrouver l’indépendance culmine avec la Voie balte. Le 23 août 1989, une chaîne humaine de 560 km reliant Vilnius à Tallinn rassemble entre 1,5 et 2 millions de personnes pour réclamer l’indépendance des pays baltes le jour du cinquantenaire du pacte germano-soviétique. S’ensuit la Révolution chantante, qui mène à l’indépendance de la Lituanie et de ses voisins estonien et letton.

Viktor Lukovic

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