Temps de lecture 6 minutesLe football dans les RSS – #24 l’Azerbaïdjan : Anatoly Banishevsky. Légende aux contours sombres

A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous poursuivons en ce début d’année avec la cinquième: l’Azerbaïdjan. Episode 24 : retour sur la carrière et la légende d’Anatoly Banishevsky.

21 Novembre 1965, le Stade Maracanā accueille le match amical opposant le Brésil à l’URSS. Recevoir la Sélection soviétique est un évènement au pays du football. C’est seulement la troisième fois que les deux Nations s’affrontent. Rempli par 123 000 spectateurs dont le Sénateur Robert Kennedy présent à cette occasion, le Maracanā voit la Seleçao mener en début de deuxième grâce à Gerson (51e) puis Pelé (54e), qui trompe Yashine d’une belle frappe dont il avait le secret. Les spectateurs sont aux anges mais à la 59e, un homme va sonner la révolte soviétique. Anatoly Banishevsky, attaquant de 19 ans évoluant au club du Neftyanik Bakou, profite d’une mauvaise relance de Manga pour renvoyer des 30 mètres le ballon au fond des filets.

Durant quelques secondes, les tribunes furent plongées dans le silence, digérant ce qui venait de se passer, puis explosèrent en entendant le nom du buteur. Pelé s’arrêta et me regarda d’un air pétrifié. Il ne savait pas que 25 minutes plus tard, Slava Metreveli remettrait les deux équipes à égalité. Mon but fut considéré par l’un des journaux brésiliens référents de l’époque comme but de la décennie.

Le but est introuvable en vidéo, aucune caméra ne s’attendant à un but à cet instant ni de cette manière. Quoiqu’il en soit, ce but fut le plus marquant de sa carrière et reste dans l’histoire comme le premier Soviétique à marquer contre la Sélection brésilienne, qui plus est au Maracaña !

Début de carrière en boulet de canon

Résumer Anatoly Banishevsky à ce but serait une erreur. Ce qui ressort de sa biographie, c’est son inconditionnel attachement à Bakou. Né dans la capitale azérie le 23 février 1946 dans une famille de pratiquants moloques (mouvement religieux du christianisme qui prône le respect littéral de la Bible), le jeune Anatoly connaît un début de carrière explosif. Repéré sur un terrain pour enfants par le Lokomotiv Bakou, « Bania » comme l’appelleront ses coéquipiers explose les compteurs en empilant les buts pendant trois saisons. Le Neftchi Bakou n’hésite pas longtemps en le recrutant en 1963, alors sous les ordres de Boris Andreevitch Arkadiev qui lui tressa alors des éloges :

Un jeune garçon, dont nous entendrons parler bientôt, est en train de grandir parmi nous. Ce garçon est intelligent, décisif et sent terriblement le foot. Sa jeunesse fait qu’il est encore à polir, mais bientôt il sera fin prêt et deviendra alors un attaquant avec la grâce de Dieu.

Et rapidement, il monte les échelons puisque l’année suivante, il intègre l’équipe première qui évolue alors en division supérieure d’URSS et joue dès ses 16 ans son premier match en Ligue majeure soviétique.

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Une progression fulgurante aussi avec la Sélection soviétique puisque Nikolaï Morozov le sélectionne à l’âge de 19 ans. La sélection du « gamin » fut critiquée par les médias de l’époque, gênés par la jeunesse et l’inexpérience de Banishevsky. Malgré cela, il montre toutes ses qualités offensives d’entrée en marquant sept buts en huit matchs. Il participe aussi en 1966 à la Coupe du monde en Angleterre durant laquelle il marque un but face à la Corée du Nord. Il joua l’ensemble de la Coupe du Monde comme titulaire avec la sélection Soviétique qui finira au pied du podium après sa défaite contre le Portugal d’Eusebio (2-1). Plutôt pas mal pour un « gamin » de 20 ans sans expérience…

Cette année 1966 est le sommet de sa carrière. Elle coïncide avec l’apogée du football azerbaïdjanais. En effet, le Neftchi, principal club de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan atteint le podium de la Ligue majeure soviétique finissant troisième, meilleur résultat de toute l’histoire du foot azerbaïdjanais dans le Championnat soviétique. Entouré des meilleurs joueurs azerbaïdjanais de l’époque tels que Kazbek Tuaev, Aleksandr Trophimov ou encore le portier Sergey Kramarenko, Anatoly Banishevsky inscrit 19 buts en 51 matchs de Championnat.

A Bakou et nulle part ailleurs !

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Ces performances ne passent pas inaperçues à lépoque, notamment après la Coupe du Monde 1966 où certains clubs anglais s’intéressèrent à lui. La société allemande Adidas lui proposa un contrat d’un demi-million de dollars pour ses services, mais le rideau de fer était incompatible avec des participations à des promotions diverses.

Quelle différence où je pouvais jouer ? Je n’aurais jamais aimé jouer autre part qu’à Bakou

Mais contrairement à certains, Anatoly Banishevsky ne faisait pas face aux interdits des autorités soviétiques pour quitter le pays. Il ne souhaitait tout simplement pas quitter Bakou. « Quelle différence où je pouvais jouer ? Je n’aurais jamais aimé jouer autre part qu’à Bakou » dira-t-il plus tard. Cette ville lui convenait en tout point et le fait même de s’installer dans la capitale ne l’intéressait nullement, au grand damne des clubs moscovites ou ukrainiens qui pressaient pour s’attacher ses services. Vladimir Ponomarev alors joueur du CSKA raconte :

Moi et Anatoly étions adversaires sur un terrain mais amis dans la vie. Se quereller avec lui était impossible tant il était gentil. En son temps, Anatoly Banishevky était après Eduard Streltsov l’attaquant le plus dangereux. Tous les clubs moscovites ont tenté de s’emparer de lui mais il n’est jamais parti de Bakou. Je me souviens qu’en 1969, moi et l’entraineur du CSKA Vsevolod Bobrov le persuadâmes de venir. Le club lui prépara un appartement de trois pièces mais au final, il n’a pas atterri à Moscou.

L’un des plus célèbres joueurs azerbaïdjanais restera donc toute sa carrière à Bakou. Elle lui permettra d’être un attaquant majeur du championnat soviétique de la fin des années 60. Il fera notamment partie de la liste des 33 meilleurs footballeurs de la saison en URSS, finissant par trois fois deuxième en 1965, 1966 et 1967 et membre du Club Grigory Fedotov rassemblant les quelques joueurs soviétiques ayant marqué plus de cent buts dans leur carrière.

Un comportement qui dérange

Malgré ce début de carrière tonitruant, la suite de sa carrière ne sera pas aussi flamboyante que prévue à cause d’un comportement hors terrain non conforme aux obligations d’un sportif. En 1971, Bania n’est pas loin de se faire écarter avec cinq autres joueurs du Neftchi pour « violations graves de la discipline sportive ». Il faudra l’intervention de son soutien le plus puissant en la personne du Premier Secrétaire du Comité central du Parti communiste Heydar Aliyev pour sortir de cette situation avec une simple remontrance. Cependant, ces écarts de discipline culminèrent en 1972 lors de la finale de l’Euro. L’URSS rentra aux vestiaires après avoir pris un sérieux revers 3-0 contre la RFA de Gerd Muller. Anatoly Banishevsky raconte :

Nous avions perdu sur le score de 3-0. Après le match, un responsable important du sport rentra dans les vestiaires et nous passa un savon. Nous traitant de traitre à la Patrie, j’ai fini par craquer et je lui ai répondu « si vous n’aimez pas notre jeu, vous auriez dû entrer sur le terrain pour nous montrer comment faire ». Le visiteur s’est retourné et est sorti du vestiaire. Je n’ai plus jamais été appelé en Sélection après cela.

Il fut, de retour au pays, considéré comme l’un des principaux responsables de la défaite. Plus rien ne fut pareil après cela, pas même en club où il ne joua presque plus. Un temps, il arrêta le football jusqu’en 1976, date à laquelle il reprit du service au Neftchi. Incapable de jouer 90 minutes à cause de ses ennuis d’alcool, il rentrait parfois en toute fin de match, acclamé par la foule et durant ces quelques miettes de temps de jeu, il pouvait à lui seul changer le cours de la rencontre. Mais à ce moment-là, le physique ne suivait plus et c’est ainsi que deux ans plus tard, il mit un terme à sa carrière de joueur.

Un bouquet de maladies fatal

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Par la suite, il tenta une carrière d’entraineur dans différents clubs durant les années 80. Entre 1981 et 1983, il prit les commandes de son club de cœur, le Neftchi mais l’idylle de dura pas pour des questions de divergences avec les dirigeants. Malgré la maladie qui le gagne (il était miné par un diabète qui le poursuivait depuis longtemps), il partit entrainer entre 1987 et 1988 les jeunes de l’Equipe nationale du Burkina Faso. Mais là-bas, Banishevsky dut faire face à des tensions politiques importantes, notamment un coup d’état en octobre 1987. Devant aussi faire face à une pancréatite causée notamment par une consommation excessive d’alcool il rentre définitivement en URSS. Sa santé se détériora rapidement et il termina sa vie quasiment dans la misère. Il mourut le 10 décembre 1997 à seulement 51 ans.

Sa franchise aura eu en définitif raison de lui. Banishevsky restera cependant dans la mémoire des Azerbaïdjanais comme l’un des plus grands footballeurs de leur histoire. En 1991, lors de la cérémonie des 80 ans du foot azerbaïdjanais, on rendit hommage à Banishevsky en lui rendant son titre de Grand maitre du sport soviétique qui lui avait été enlevé à la suite de la défaite durant l’Euro 72. Une manière de montrer que peu importe son comportement ou son hygiène de vie, Banishevsky fut un joueur de grand talent.


Vincent Tanguy

Photo à la une: Sputnik.az

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