À moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Biélorussie. Épisode 19 : Sergey Aleinikov.
Joueur biélorusse ayant disputé le plus de rencontres sous le maillot soviétique, Sergey Aleinikov a réussi à se faire une place au sein de plusieurs équipes redoutables, du Dinamo Minsk d’Eduard Malofeev à la Juventus Turin de Dino Zoff, en passant par l’URSS de Valeriy Lobanovskiy. Passé à l’Ouest au tournant des années 1980 et 1990, le milieu défensif a cependant raccroché les crampons dans un anonymat relatif, la faute notamment à de surprenants choix de carrière. Mais son pays natal, lui, a su se souvenir du talent qui était le sien…
Milan, le 31 octobre 1990. Ce soir-là, le mythique stade San Siro célèbre un événement bien particulier : l’anniversaire des cinquante ans de Pelé. Accueilli au son d’un « Happy Birthday » entonné en grande pompe par un chœur, cible de tous les photographes et de toutes les attentions, le Roi s’apprête à disputer un match d‘exhibition opposant une sélection brésilienne à un onze du « Reste du monde ». Cette dernière s’impose finalement 2-1, mais le résultat est plus qu’anecdotique pour les spectateurs, subjugués par le pedigree des joueurs qui s’affrontent. D’un côté Pelé bien sûr, mais aussi Leonardo et Cafu notamment. De l’autre, Marco van Basten, Carlo Ancelotti, Hristo Stoichkov, Rene Higuita, Gheorghe Hagi… et Sergey Aleinikov.
Façonné par Malofeev et Lobanovskiy
Avant d’être invité à participer à cette rencontre de gala, Sergey Aleinikov a parcouru un chemin jalonné de succès. Né à Minsk le 7 novembre 1961, il fait ses classes au sein de la renommée école « Sdiouchor-5. » A 17 ans, le jeune Sergei doit concilier son amour du ballon rond avec la nécessité de travailler à l’usine. Une obligation qui disparaît trois ans plus tard, en 1981, lorsqu’il rejoint le Dinamo Minsk. Sous les ordres d’Eduard Malofeev, ce solide milieu défensif (1,82m) devient un redoutable stoppeur. « En 1981, j’étais encore un jeune joueur du Dinamo Minsk lorsque nous avons rencontré Tbilissi, une équipe très bien classée, a raconté Aleinikov. Nous avons bien tenu pendant 55 minutes, puis j’ai été remplacé alors que le score était de 0-0. Notre équipe a ensuite rapidement encaissé plusieurs buts. J’ai ainsi soudainement réalisé que je valais quelque chose. »* L’année suivante, en 1982, le Dinamo décroche son premier et unique titre de champion d’URSS.
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Sergey Aleinikov enchaîne les performances de haut niveau et, fort logiquement, les portes de la sélection soviétique finissent par s’ouvrir à lui. Il est convoqué pour la première fois en 1984, le sélectionneur de l’époque étant alors… Malofeev, son ancien mentor du Dinamo. Mais le remplacement de l’extravagant entraîneur biélorusse par le plus pragmatique Valeriy Lobanovskiy ne change rien pour le Minskois, qui prend part à la Coupe du Monde 1986. Buteur contre la Hongrie (6-0), Aleinikov se souvient surtout du deuxième match de poule, disputé face à la France d’un certain Michel Platini. « Nous avons réussi à obtenir le match nul (1-1, NDLR). Je pense que j’ai bien rempli ma mission. Les joueurs comme Platini (…) protègent parfaitement leur ballon, restent en place, essaient de surprendre leur adversaire par des mouvements du corps. Mais je connaissais déjà quelques techniques de Michel, et je ne me suis pas laissé avoir ! »* Première de son groupe, l’URSS connaît une grosse désillusion en huitièmes de finale et s’incline contre la Belgique (3-4 a.p.).
Finaliste malheureux de l’Euro 1988
Le pugnace milieu défensif du Dinamo s’est fait sa place au sein de la mécanique parfaitement huilée créée par Lobanovskiy. Il est indispensable ou presque, au même titre que Rinat Dasayev dans le but ou Igor Belanov en attaque. Cette équipe fait peur et débarque à l’Euro 1988 dans la peau d’un prétendant plus que sérieux au sacre. Les Soviétiques réalisent un parcours brillant pour se hisser en finale, où ils retrouvent les Pays-Bas, qu’ils ont battu quelques jours plus tôt en phase de poules (1-0). Mais la donne n’est plus tout à fait la même. Oleg Kuznetsov suspendu, Volodymyr Bezsonov blessé, Sergey Aleinikov est contraint de dépanner en défense centrale. Pas irréprochable, à l’image de toute l’arrière-garde de l’URSS, sur l’ouverture du score de Ruud Gullit, il parvient plutôt bien à museler Marco van Basten… jusqu’à ce que celui-ci inscrive le but du break d’une reprise de volée d’anthologie. Diminué, Igor Belanov voit son penalty être repoussé par Hans van Breukelen et la Sbornaïa laisse filer une couronne qui était à portée de main (2-0).
L’année 1989 marque ensuite un tournant important dans la carrière d’Aleinikov. Après huit années passées au Dinamo Minsk, l’international soviétique (77 sélections au total, aucun Biélorusse n’a fait mieux) compte profiter des espaces béants laissés par la « perestroika » (politique de restructuration de l’URSS mise en place par Mikhail Gorbatchev) pour changer d’air. Suivi de très près par le Genoa, il se rend en Italie mais signe finalement un contrat avec la Juventus Turin, qui débourse environ quatre millions de dollars pour s’offrir ses services. A 27 ans, il devient l’un des tous premiers joueurs d’URSS à rejoindre un club étranger, après Vagiz Khidyatulline en 1988 (Toulouse FC) et Oleksandr Zavarov, arrivé chez la Vieille Dame un an plus tôt également. L’adaptation au calcio n’est pas évidente pour l’ancien du Dinamo, surnommé « Alentikov » par les tifosi bianconeri en raison de sa relative lenteur au milieu de terrain. Mais ce joueur calme, polyvalent et doté d’une bonne frappe de balle plaît beaucoup à Dino Zoff. L’ex-portier de la Squadra Azzurra, alors assis sur le banc du club piémontais, intègre le Biélorusse à son milieu à quatre. Assuré de la confiance de son entraîneur, avec lequel il se lie d’ailleurs d’amitié, Aleinikov monte progressivement en puissance tout au long de la saison, qui se termine en apothéose avec deux titres : la Coupe d’Italie et la Coupe de l’UEFA.
Le déclin, puis la reconnaissance
Mais aussitôt l’exercice 1989-1990 terminé, les dirigeants turinois remercient Dino Zoff et font appel à Gigi Maifredi pour le remplacer. Ce dernier ne compte pas sur Aleinikov et l’invite à trouver un nouveau point de chute (une décision qu’il admettra avoir regretté par la suite). Quelque peu désemparé et mal conseillé, le natif de Minsk rebondit à Lecce, sous les ordres de Zbigniew Boniek. Le point de départ d’une fin de carrière loin d’être à la hauteur de son grand talent. Car rien ne se passe comme prévu dans les Pouilles. Les Salentini descendent en Serie B, les relations avec les supporters sont plutôt tendues et le club giallorosso ne parvient pas à remonter directement parmi l’élite. Jugé indésirable, Aleinikov est mis à l’écart par ses dirigeants, qui espèrent le vendre pour un million de dollars. Faute d’offres dignes de ce nom, le joueur de 31 ans passe de longs mois à s’entraîner seul. Il est finalement transféré au Gamba Osaka en 1993. « J’avais déjà plus de trente ans, a expliqué l’intéressé. Bien sûr, j’aurais aimé continuer ma carrière en Europe, mais je n’ai reçu aucune offre intéressante. Les gros clubs étaient obnubilés par les jeunes joueurs. J’ai donc rejoint le Japon le cœur léger. Je n’ai jamais regretté mon choix. »**
Après trois années plutôt satisfaisantes au pays du Soleil levant, Aleinikov revient en Europe et tire sa révérence en Suède, au IK Oddevold (1996). Attaché à la culture italienne, il retourne ensuite s’installer du côté de Lecce et obtient sa licence d’entraîneur. Cette nouvelle carrière a cependant bien du mal à décoller. Entre les équipes de jeunes (Copertino, Juventus Turin), les clubs des obscures divisions inférieures italiennes (Anagni, Pontedera, Kras) et des passages peu concluants en Russie (Torpdeo-Metallurg, Vidnoye), le Minskois n’arrive pas à se faire une place au soleil. De là à être complètement oublié ? Certainement pas. En 2003, l’UEFA célèbre ses cinquante ans d’existence et demande à chacune des fédérations membres de désigner son « Golden Player », autrement dit son meilleur joueur du demi-siècle passé. La France opte pour Just Fontaine, l’Espagne rend hommage à Alfredo di Stefano, les Pays-Bas honorent Johan Cruijff… Et la Biélorussie, quant à elle, décerne cette distinction individuelle à Sergey Aleinikov. Une manière de prouver que les turpitudes du temps n’atténuent pas le souvenir que l’on garde des gloires du passé.
Raphaël Brosse
Image à la une : sconosciuto (it.wikipedia.org)
*Propos extraits d’une interview accordée à Sport Express et publiée le 9 juillet 1993.
**Propos extraits d’une interview accordée à Sportfakt et publiée le 26 avril 2016.