Ce derby éternel, en ouverture de la saison de prva liga croate, n’était ni le meilleur ni le plus spectaculaire de ces dernières années. Malgré tout, ce fut un bon match, plein de tension, joué dans une vraie ambiance de football devant 25000 fans surmotivés. Parmi eux, il ne devait pas y avoir beaucoup de personnes des hautes sphères de la ligue et du Dinamo. Ces derniers avaient plus de chance d’être devant la télévision du centre de détention provisoire de Remetinac. Encore faudrait-il pour cela que le centre soit abonné à la chaîne du satellite MaxTv, ce qui n’est pas garanti étant donné que la chaîne diffuse quelques films à caractère pornographique…
L’arrestation des frères Mamic
Le 2 juillet risque d’être une date marquante dans l’histoire du football croate. Pendant que le ministre de l’intérieur déclarait à la télévision qu’un mandat d’arrêt avait été délivré pour les hauts fonctionnaires du Dinamo Zagreb, une unité de la police en charge de la corruption et le crime organisé (USKOK) fouillait les maisons et bureaux du directeur général Zdravko Mamic. du manager Zoran Mamic et de l’ex directeur Damir Vrbanovic (maintenant à la fédération). Alors à l’étranger pour la préparation estivale, les trois compères sont soupçonnés d’utiliser le Dinamo pour fraude fiscale, corruption et crime financier. Le joli butin récolté s’élèverait à 10,6 millions d’euros sans compter les taxes et impôts non payés comme lors du transfert lucratif de Luka Modric à Tottenham (21 millions d’euros).
Zdravko Mamic ne s’est bien entendu pas contenté de faire profil bas. Englué dans de multiples scandales, il profitait d’une émission télévisée (via liaison vidéo) à laquelle participait le ministre pour hurler à ce dernier « tu mens! » (récoltant un warning du présentateur), ajoutant qu’il était une des victimes politiques du gouvernement de centre-gauche qu’il nomme « communiste ». Il en a profité pour émettre une énième saillie verbale, celle-ci à l’encontre de l’ancien président Ivo Josipovic et l’ancien ministre des sports Zeljko Jovanovic qui avaient osé critiquer la fédération croate ces dernières années : « ils devraient nettoyer leurs sales bouches de communistes », provoquant un nouvel avertissement du présentateur. Jovanovic, dont l’origine ethnique est serbe, s’était déjà fait attaquer par Mamic et sa grande finesse : « Jovanovic est un homme qui déteste tout ce qui est croate. Un homme qui est un serbe ne peut pas avoir le travail le plus important de la république de Croatie. C’est une insulte au cerveau croate ».
Une des nombreuses attaques d’un homme qui clamait haut et fort que les homosexuels n’avaient pas leur place dans le football « ils sont plus adaptés pour faire de la dance ou du journalisme »… Refusant dans un premier temps de quitter la Slovénie, il décida qu’il viendrait répondre à l’interrogatoire à Zagreb après le dernier match de préparation non sans avoir dénoncé dans un communiqué que lui, sa famille, le Dinamo et l’état croate étaient victimes d’un « pogrom » et un « génocide ». Sans oublier que « le gouvernement de gauche terrorise tous les patriotes croates ». Dans une ultime provocation, il rajouta qu’il pensait se lancer dans la politique en quête de la présidence de la république une fois que la « persécution » serait terminée.
Satisfaits par le travail de la police anti-corruption, des dizaines de milliers de fans du Dinamo sont revenus dans leur deuxième maison, pour la première fois depuis longtemps. La venue du grand rival l’Hajduk et son armée de fans était plus une heureuse coïncidence qu’une réelle raison de l’affluence. Cette fois, le vrai derby n’était pas entre les champions en titre du Dinamo et un Hajduk affaibli dont les espoirs d’un avenir meilleur sont le meilleur atout. Ce match ne comptait pas pour les points ou les trophées aux yeux des supporters du Dinamo mais pour quelque chose de bien plus important : l’identité. Un élément d’appartenance sans lequel de nombreuses vies seraient bien fades. Ces personnes, qui ne sont pas venues à Maksimir depuis des années, ayant trouvé un réconfort dans le futsal, ne sont pas venues pour admirer le talent de Coric, Soudani ou Pjaca mais seulement pour participer au sentiment d’identité collective du club, provoquant des acclamations résonnant de l’est à l’ouest de la ville, peut-être même jusqu’à Remetinac.
« L’atmosphère était fantastique et je voudrais remercier tous ceux qui sont venus nous soutenir, » Pinto
« Je suis heureux que le stade soit plein. C’est la première fois que je vois un Maksimir comme ça » Pjaca
Un derby croate serré avec un Hajduk en progression
Le Dinamo n’est plus largement supérieur à l’Hajduk, comme ce fut le cas l’an dernier. Le club de la côte dalmate s’est rapproché du Dinamo et probablement de Rijeka. Ce qui pourrait augurer d’une très belle saison pleine de suspens.
Dimanche soir, toutes les personnes assistant au match Dinamo-Hajduk ont pu constater le très bon travail du coach de l’Hajduk, Buric, qui a remis sur les rails une équipe déstabilisée par une catastrophique deuxième partie de saison dernière. Les lignes étaient très compactes, les relances se faisaient de façon propre, sans panique, fluidifiant un jeu porté vers l’avant. Les joueurs ont fourni un très gros travail d’équipe, montrant une solidarité à toute épreuve. Pourtant, après la fin de saison dernière et le premier tour d’Europa League contre Kalev, on pouvait se poser de grosses questions sur l’animation défensive de l’équipe. Il faut se rappeler que l’Hajduk jouait sans véritable milieu défensif, sans arrière gauche valable (il n’y en a toujours pas mais l’arrivée de Hvoje Milic est imminente) et l’arrière droit était tout simplement désastreux, en la personne d’Avdija Vrsajevic. Dino Mikanovic, formé au club, est préposé titulaire mais n’a pas pu jouer le derby en raison d’une blessure. En leurs absences, les côtés se sont montrés très vulnérables face à Kalev et aux deux ailiers du Dinamo Pjaca/Soudani .
Du côté du milieu défensif, Jefferson et Mijo Caktas ont récupéré énormément de ballons, entravant la création du milieu du Dinamo. Machado était forcé à jouer plus bas que prévu alors qu’Henriquez a touché très peu de ballons. Pour son premier match, Jefferson s’est révélé excellent. Puissant et infatigable, il ne s’est pas uniquement contenté de récupérer et de mettre le talentueux Ante Coric dans sa poche. Il aussi montré une bonne occupation du ballon. En un match, le joueur arrivé de D2 portugaise s’est déjà imposé comme un joueur indispensable à l’Hajduk. C’est une nouvelle grande satisfaction pour le directeur sportif Goran Vucevic qui est aussi à l’origine des venues de Roguljic et Ohandza cet été.
Devant, le teen-trio de choc (Balic-Vlasic-Roguljic) a été assez remuant et a obligé les défenseurs du Dinamo à jouer musclés tandis qu’Ohandza a confirmé ses bonnes dispositions entrevues en Europa league, faisant un festival sur le but. Le camerounais a bien profité de la défense statique du Dinamo. Même si tout cela n’a rien d’extraordinaire, le mérite est de voir du progrès par rapport à l’an dernier.
Un Dinamo Zagreb préoccupant
Le Dinamo, de son côté, est très loin d’être à son summum. Malgré la volonté de gagner face aux rivaux dans un stade plein, le Dinamo n’a pas percé le mur et ne s’est pas créé de réelles opportunités hormis le but. Kalinic n’a quasiment rien eu à faire. Ceci est alarmant en vue de la prochaine campagne européenne (pas forcément au prochain tour contre la modeste équipe luxembourgeoise de Folu) parce que l’on a comme impression qu’il n’y a pas d’idée claire dans le jeu. S’il montre le même visage, le Dinamo risque de faire un nouveau bide en Europe. Pire, défensivement, le Dinamo s’est montré extrêmement fébrile quand l’Hajduk était dangereux. Pivaric, arrière gauche, est désastreux mais reste titulaire malgré l’arrivée de la nouvelle recrue Barisic. Dans l’axe central, Taravel n’a pas le niveau et Simunovic est loin d’être grandiose tandis que leur remplaçant Sigali n’est pas exactement synonyme de fiabilité. L’international Gordon Schildenfeld est meilleur que les trois mais la ligne défensive haute du Dinamo ne va pas pouvoir convenir à l’un des centraux les plus lents d’Europe. Malgré tout, une énorme satisfaction est à retirer de ce match : le meilleur joueur des bleus a été de loin Pjaca qui a martyrisé le jeune Tudor qui n’arrivait pas à contrer la qualité individuelle et l’imprévisibilité de son adversaire. Un peu dans le style du grand Alen Boksic.
Enfin, on peut conclure cet épisode du jour est que le football croate n’est pas totalement mort. Après toutes les histoires ces dernières semaines avec la croix gammée, Suker, les paris truqués, Sapina, Mamic, l’USKOK, corruption, détournement. Malgré les escarmouches entre les deux factions des BBB qui sont venus entacher l’ambiance, les fans ont vécu ce derby de manière très forte avec leur club. C’est bien là l’authentique culture du football croate.
Damien Goulagovitch