« 50.000 personnes vivaient ici, maintenant c’est une ville fantôme ». Cette phrase culte connue par tout les amateurs de jeu vidéo reprend à la perfection la situation de la tristement célèbre ville de Pripyat. A cinq kilomètres de la centrale de Tchernobyl se dresse un amas d’immeubles et de bâtiments aujourd’hui délâbrés qui pourraient être un parfait décor pour la série The Walking Dead. Comme toute bonne ville soviétique qui se respecte, Pripyat possédait un bon nombre d’équipes sportives en son sein. Le football ne fait pas exception, retour sur la petite histoire du FK Stroitel Pripyat.

Une ville nouvelle pour une énergie nouvelle

Dans les années 70 du siècle dernier, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques commence à développer un programme pacifique de développement de l’énergie nucléaire. Le nucléaire, cette source d’énergie nouvelle, permet une production importante d’électricité, ce qui est vital pour le développement. Dans tout le pays va commencer la construction massive de centrales nucléaires et l’un des projets les plus ambitieux à l’époque sera établi à proximité de la ville de Tchernobyl, une petite ville à 100 kilomètres au nord de Kiev. La « Centrale Nucléaire V.I. Lénine » va donc voir le jour au milieu des années 70 en Ukraine, créant des dizaines de milliers d’emplois mais aussi la construction d’une nouvelle ville: Pripyat. En URSS, ces villes sont appelées atomogradami et permettent aux employés des centrales d’avoir une résidence juste à côté de leur lieu de travail. Pripyat était une de ces villes, où la plupart de ses 50.000 travaillaient à la centrale. Mais la ville était particulière, considérée par l’URSS comme une ville exemplaire, vouée à un grand avenir, Pripyat sera même honorée avec des prix pour la meilleure architecture par exemple.

Pripyat dans les années 80 ©pripyat.com
Pripyat dans les années 80 | © pripyat.com

Cette même période va coïncider avec la création du FK Stroitel Pripyat, le club du football de la ville. Composé essentiellement de joueurs qui évoluaient auparavant dans le village voisin de Chistogalovka, le meilleur club dans le district et de la région, le Stroitel était sur la voie d’un avenir radieux sur le plan régional et pourquoi pas national. En 1979, Stanislav Goncharenko rejoint à 19 ans le club de Pripyat. Ancien jeune du centre du Spartak Moscou et de quelques clubs de Kiev, le Stroitel est le premier club majeur sénior dans la future carrière du célèbre joueur et entraîneur de futsal en Ukraine (ndlr: il dirige actuellement le club de futsal de Lviv). Il évoluera avec le Stroitel jusqu’en 1981, puis rejoindra le club de Kirovohrad dans lequel une grave blessure mettra un terme à sa carrière de footballeur.

FK Stroitel Pripyat: Anyuhin Valery Alekseev Aleksey, Chardonneret Vladimir Sliusar Sergey Velichko Sergey Bondarenko Sergey Bordachenko Vladimir Besedin Vladimir Gergel Nicholas Koystrenko Nicholas Terendy Anatoly, Tyutyunov Vladimir Zubko Vasiliy, Panasyuk Vladimir Arsenyuk Vyacheslav, Valentin Litvin ©discover-tchernobyl.com
FK Stroitel Pripyat: Anyuhin Valery, Alekseev Aleksey, Chardonneret Vladimir, Sliusar Sergey, Velichko Sergey, Bondarenko Sergey, Bordachenko Vladimir, Besedin Vladimir, Gergel Nicholas, Koystrenko Nicholas, Terendy Anatoly, Tyutyunov Vladimir, Zubko Vasiliy, Panasyuk Vladimir, Arsenyuk Vyacheslav, Valentin Litvin ©discover tchernobyl

Dans ses premières années, le Stroitel participe à des tournois régionaux ainsi qu’au championnat et à la coupe de la région de Kiev, des compétitions ouvertes aux clubs amateurs locaux. Ce n’est que quelques années plus tard, à partir des années 80, que le club évolue à un niveau plus élevé qui offrait la possibilité d’obtenir un titre d’équipe professionnelle en cas de victoire du championnat. En effet, chaque saison en Ukraine, une équipe obtient un billet pour la deuxième ligue soviétique et obtient alors le statut de club professionnel. Les équipes sont réparties en zones et en fin d’année les vainqueurs des zones s’affrontent dans une phase finale pour savoir qui obtiendra le précieux sésame. L’équipe participe à ce championnat pour la première fois en 1981 sous la direction d’Anatoly Shepel, ancien joueur du Dynamo Kiev et du Chernomorets Odessa. La dernière saison disputée par Goncharenko avec le Stroitel voit le club de Pripyat finir champion de la région de Kiev et participer pour la première fois de son histoire à la phase finale. Les premiers matchs contre des équipes de haut niveau seront difficiles et le Stroitel devra se contenter d’une cinquième place, au grand dam de Goncharenko et Shepel qui quittent le club la saison suivante.

1981. Championnat UFC

  1. Refrizherator  Fastov: +30 points
  2. Bolchevik Kiev: +27 points
  3. Mashinoistroitel Borodyanka: +25 points
  4. Progress Nezhin: +25 points
  5. Stroitel Pripyat: +25 points
  6. Lokomotiv Poltava: +24 points
  7. Olimpyets Kiev: +21 points
  8. Okean Nikolayev: +16 points
  9. Shakhtar Alexsandrya: +15 points
  10. Lokomotiv Znamenka: +15 points
  11. Sakharmik Gorodishche: +1 point

L’année suivante n’est pas une réussite pour le Stroitel Pripyat. Bien que le club remporte une nouvelle fois le championnat, ils finiront bon dernier des phases finales avec seulement huit petits points. La meilleure saison du club vient en 1985 où le Stroitel est très proche de remporter les phases finales. Bien lancé et leader, le club de Pripyat s’effondre pourtant dans les dernières rencontres et finit finalement deuxième à seulement quatre petits points d’Ahtyrka malgré une dernière victoire 13-0 contre le Lokomotiv Znamenka.

L'Avangard Stadium avant © discover_tchernobyl.com
L’Avangard Stadium avant | © discover tchernobyl

Rageant pour l’équipe qui dispute la dernière saison de son histoire… Au début de l’année 1986, les dirigeants de Pripyat décident de construire un nouveau stade, l’arène accueillant les matchs à domicile étant trop petite et non conforme aux ambitions du club. L’Avangard Stadion est donc construit en banlieue de la ville et a une capacité de 5000 places. La cérémonie officielle d’ouverture devait avoir lieu le 1er mai 1986 lors de la reprise du championnat. Malheureusement, le stade n’aura jamais servi…

Le 26 avril 1986, dans une chaude journée de printemps, Pripyat ne le sait pas encore, mais celle-ci va devenir une ville morte. Quelques heures auparavant, dans la nuit, le réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl a explosé, la plus grande catastrophe d’origine humaine vient d’avoir lieu. Le réacteur crache l’atome vers le ciel mais la vie continue normalement dans Pripyat. Un jour plus tard les autorités cachent toujours l’incident aux habitants de la ville mais également à toute l’URSS et au monde entier. 36 heures après l’accident, l’évacuation des habitants débute, les autorités ne voulaient pas provoquer de panique. De nombreuses années plus tard, cette décision est toujours critiquée, personne ne comprend comment les autorités ont pu laisser les habitants au contact de la radiation aussi longtemps…

L'Avangard Stadium aujourd'hui © www.iloe.pro
L’Avangard Stadium aujourd’hui  | © www.iloe.pro

Le 26 avril devait avoir lieu un match de demi-finale de la coupe de Kiev entre le Stroitel et Borodyanka, mais arrivant à Pripyat et voyant tout ces gens avec des combinaisons et des masques, les joueurs adverses sont de suite repartis. Ironie du sort, suite à ce forfait, Borodyanka accède à la finale de la coupe de Kiev sans jouer et remportera le trophée pour la première fois de son histoire. Le 26 avril devait également avoir lieu un tournoi entre les équipes de jeunes mais celui ci fut finalement annulé. En 1987, le Stroitel Pripyat devient le Stroitel Slavutich du nom de la ville créée pour accueillir les liquidateurs de Tchernobyl, le club dans lequel évolue Alexander Vishnevsky ancien coéquipier de Goncharenko à Pripyat, survivra deux saisons. En 1988, après une dernière place dans les phases finales, le club est dissous et n’existera plus jamais.

De nombreux joueurs du club de Pripyat sont devenus liquidateurs et ont permis d’éviter une seconde explosion qui aurait pu empêcher toute vie en Europe pendant des siècles. Nombreux sont ceux qui sont décédés de cancers à ce jour. La triste histoire du Stroitel Pripyat prend fin, dans une ville où ne résonnera plus que le bruit du silence.

Antoine Jarrige


Image à la une : © discover tchernobyl

3 Comments

  1. ClausdeNantes 19 juillet 2016 at 22 h 43 min

    Article très intéressant. Continuez le boulot c’est toujours un régal de vous lire et de connaitre un football que je connais si peu. L’article sur le club du Haut-Karabagh (j’ai oublié le nom) était également intéressant.

    Je me demande si il existe d’autres clubs exilés ou dont la disparition à été provoquée par une catastrophe

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  2. Tarik 1 septembre 2016 at 16 h 40 min

    Excellent article, en tant qu’amateur de foot et connaisseur de l’histoire de Pripyat, j’ai beaucoup aimé vous lire. 🙂

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  3. Simon 15 juillet 2020 at 23 h 26 min

    Article extrêmement intéressant !

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