Nous avons commencé à étudier les problèmes du football lituanien avec le cas Kruoja, exclu de la ligue pour cause de paris truqués. D’autres clubs importants n’existent plus ou sont embourbés dans un marasme sans nom, comme dans le cas du FK Dainava. Ce club autrefois prospère et populaire se retrouve dernier de troisième division, sans le sou. A qui la faute ?

FK Dainava, grand nom du football lituanien

Avant de parler des choses qui fâchent, commençons par l’histoire de ce club inconnu en France. Pour comprendre ce qu’il représente en Lituanie, il faut remonter jusqu’aux racines. A l’époque, le football du pays n’en est qu’à ses balbutiements quand la ville d’Alytus commence à voir se former des équipes de football. Un stade est même construit en 1924, qui est toujours celui du club. En 1935, le FK Dainava est établi. Son nom (provenant de Daina : une chanson) est celui anciennement donné à la région, désormais nommé Dzūkija. La première équipe s’est formée avec des tireurs d’élite comme joueurs. Cela en fait l’un des plus anciens clubs de Lituanie. A titre de comparaison, Žalgiris a été fondé en 1944, FBK Kaunas en 1960 et Ekranas en 1964. Les années d’or se déroulent dans les années 70s et particulièrement en 1975 quand Dainava remporte le championnat de Lituanie. A l’époque, les joueurs n’étaient pas seulement considérés comme des champions, mais comme des « maîtres de la balle de cuir ». Alors que la ferveur devient forte dans toute la région, la suite se complique. Après l’indépendance, le club passe seulement deux saisons en A lyga, dont la dernière avec seulement 6 points… Au début des années 2000s, la situation tourne même au vinaigre puisque Dainava est rayé de la carte du football lituanien. Deux clubs d’Alytus, FK Alytis and FK Vidzgiris, se feront remarquer en I lyga (D2) quelques années plus tard, ravivant l’espoir de reformer Dainava. Le groupe de supporters impliqués de Dzūkų Tankai fait alors appel à un businessman local pour lui signifier qu’il n’y avait qu’un club possible pour cette ville. Ainsi, les deux clubs de la ville fusionnent en 2011 pour redonner naissance au mythique FK Dainava.

Une ère moderne représentative de l’état football lituanien

Dainava, Lituanie, Alytus
Avant le premier match de la saison au stade d’Atylus, Dainava avait perdu tous ses matchs sur les scores indiqués sur le tifo. La bannière signifie : « Peu importe que nous soyons en première ou dernière place « 

Les fêtes de Noël 2014 ont du être bien tristes pour les fans et quelques fidèles du FK Dainava. Un mois plus tôt, leur club clôturait la saison à la dernière place du championnat lituanien avec neuf petits points. Les défaites 6-0, 7-0, 9-1, ou même 12-0 rythmaient les week-end de la première partie de saison, tous plus déprimants les uns que les autres. A la fin du championnat, l’équipe ne pouvait même plus s’entraîner et jouer au stade municipal de la ville, Alytus. Officiellement, parce que la législation n’autorisait pas l’utilisation de gazon artificiel du stade entre le 31 Octobre au 30 Avril. Officieusement, parce que la municipalité était en conflit avec la direction. Ainsi, les joueurs étaient obligés d’aller à Kaunas, pour disputer leurs matchs à domicile, avec leurs propres voitures et leur propre argent. Sur le terrain, les spectateurs hallucinaient de voir que les numéros de maillots des joueurs ne correspondaient même pas avec ceux du short. La situation était tellement désespérée que les remplaçants ramassaient les balles faute de volontaires. Lors d’une défaite 12-0 à Atlantas Klaipedia, l’équipe se déplace à 11, avec … deux gardiens. L’un d’entre eux est alors contraint de jouer milieu de terrain. Contre Zalgiris, le déplacement se fait à 12. Le gardien entre cette fois-ci en position d’attaquant, manquant tout juste d’ouvrir son compteur personnel !

Pourtant, un an plus tôt, un directeur général français et un président italien ancien joueur de Série A, fraîchement arrivés avec la promesse de la gratuité du stade et d’une aide de 60.000€ de la municipalité, avaient de belles ambitions pour le club : « Nous voulons maintenir l’équipe en A lyga et développer la formation dans un premier temps ». Sauf que les choses se compliquent rapidement. Les anciens propriétaires avaient bloqué le compte bancaire du club à cause de fausses factures, ce qui empêchait aux nouveaux arrivants de recevoir l’argent des sponsors ou de la municipalité. De plus, le club était interdit de recrutement du fait des dettes cumulées des gestions précédentes. Conséquence, l’équipe U19 démarre le championnat avec des maillots fabriqués par une entreprise locale. Le niveau des U19 est alors très faible même si le meilleur d’entre eux a eu droit a un essai (non concluant) à la Sampdoria. Mais il est difficile de monter un projet sur les jeunes en Lituanie, la fédération piquant les meilleurs jeunes de 14/15 ans des clubs pour les vendre eux-mêmes aux clubs européens, sans compensation. Pire, la fédération lituanienne ne donne pas d’argent et il faut payer leurs arbitres (20.000€ l’année).

Le coach biélorusse, Sergei Aleinikov, ancienne connaissance du président à l’époque de la Juventus, quitte la navire. L’italien ramène alors dans ses bagages un entraîneur qui a travaillé pour sa sélection de San Marin, dont le nom est associé à l’interminable « Calcioscommesse », à l’époque où il officiait à Bellinzona. Depuis, il a été innocenté en Suisse et en Italie. Pour son premier match sur le banc, Dainava gagne 2-0 après 14 défaites en 14 matchs, 82 buts encaissés et 1 marqué ! La fête est totale et les sirènes des ambulances retentissent pour fêter l’exploit. Mais l’état de grâce ne durera qu’un match, en témoigne le match suivant perdu 9-1 à Zalgiris (malgré le score de 1-1 à la 44ème). En juillet, à la levée de l’interdiction, le club recrute 19 joueurs : 17 étrangers et 2 lituaniens, tous venus jouer gratuitement sauf le gardien de l’équipe nationale U21, payé 500€/mois. Le pari ne s’avère pas concluant, les joueurs n’ayant pas un niveau suffisant. Le président part en Septembre sans donner de nouvelles. Les secrétaires en font de même fautes de paiements et certains joueurs locaux grognent à propos des non versements de salaire depuis quelques mois. Perdu pour perdu, le but du club est de réduire les dettes à tout prix, de façon à être repêché puisque sur les derniers mois, il était certain que Banga et Ekranas allaient être relégués sans compter que Siauliai et Granitas avaient aussi de gros problèmes.

Des histoires de matchs truqués ont aussi émaillé toute la saison du club d’Alytus. Les défaites suspectes attirent l’œil et la police, la ligue, la fédération, l’UEFA et surtout les médias passent régulièrement dans le coin, sans constater quoi que ce soit d’illicite. La ligue envoyait bien un sous traitant de la fédération superviser les matchs mais celui-ci n’a aucun pouvoir juridique et aucun moyen d’enquêter. Ces trucages présumés n’ont pas limité le flux des étrangers qui venaient puis repartaient aussi vite quand ils comprenaient qu’ils n’allaient pas jouer (sur les 17 étrangers seuls 6 étaient autorisés sur le terrain et 3 sur le banc) ou en raison du temps trop long des procédures de licence internationales pour les italiens. Il faut dire que le président a une double casquette. Ramūnas Jakubauskas, membre du groupe ultras Dzūkų Tankai, nous en dit plus : « Avec son agence, il espérait se construire un bon business avec un club dans une D1 d’Europe. Il emmenait ses joueurs ici pour leur faire engranger de l’expérience ». Ce qui explique le nombre énorme de joueurs étrangers (surtout italiens et deux français) ayant débarqué au club. Au final, tout l’argent qui arrivait servait à payer les bus, les appartements ou les charges sociales. Les joueurs, eux, venaient pour avoir l’occasion de s’exprimer dans une division 1, comme un joueur du Milan AC. Exit donc les locaux qui demandaient trop, comme le meilleur buteur de D2, souhaitant venir pour … 3000€ net par mois.

Les deux étrangers s’attirent vite les foudres de la communauté de football lituanienne, pas tendre avec les étrangers. Les accusations pleuvent de tous les côtés et certains médias s’en donnent à cœur joie, quitte à récolter des procès. Toutefois, selon Ramūnas, les raisons de l’échec du club sont à chercher ailleurs : « La saison n’a pas été bizarre qu’en raison du probable scandale de matchs truqués. Nous avions déjà connu ça avec la direction précédente. Puis ça n’a pas été prouvé, les matchs en question auraient aussi pu être perdus en raison de « jours sans » ou un manque d’expérience puisque l’équipe était très jeune. Nous avons beaucoup de problèmes dans notre communauté de football à Alytus. Tout le monde veut se faire de l’argent mais nous ne nous rassemblons pas et ne travaillons pas ensemble pour le même but. Chacun fait son truc dans son coin – c’est le grand problème d’une petite ville »

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Un pyro show habituel qui fera dire au commentateur « Maintenant, vous pouvez vous sentir comme en Italie »

Noir, c’est noir

Seul point positif de la saison, la dette a été réduite à tel point qu’un seul club en avait moins : celui du village de Trakai, grâce à son richissime investisseur. L’équipe joue et s’entraîne à Vilnius, dans un stade où la fédération a tous ses bureaux… Toutefois, fatigués de la situation, le propriétaire décide de trouver un repreneur fiable qui n’arrivera pas. Même la mairie refuse, le maire étant assez occupé par les élections pour les poste de maire et les attaques des médias l’accusant de blanchiment d’argent. Sans personne aux commandes, le FK Dainava fait partie, le vague à l’âme, de ces anciens pensionnaires de A lyga relégués en division inférieure. Les ultras de Dzūkų Tankai sont quand même une petite trentaine à encourager leurs joueurs en troisième division. Les plus affûtés peuvent même … chausser les crampons : « les gamins jouent pour le FK Dainava mais s’il manque du monde les ultras jouent ! En Lituanie, les choses sont différentes ». Créé en 2001, Dzūkų Tankai a gagné le respect en étant actif alors qu’il n’avait aucune équipe à encourager. Une fois le club rétabli en 2011, le groupe est directement devenu l’un des plus gros du pays avec un nombre compris entre 100 et 200 personnes par match. Depuis le début des problèmes, bien entendu, le nombre est fortement descendu. Si certaines tribunes sont politisées en Lituanie, celle de Dainava ne l’est pas d’après Ramūnas : « Nous avons une croix celtique sur notre logo mais c’est uniquement un symbole historique à la création du groupe. Maintenant, nous sommes apolitiques et nous acceptons tout le monde avec nous ».

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Depuis, les dirigeants qui ont relancé le club en 2011 sont revenus. Sauf qu’ils ne font pas l’unanimité parmi les fans en raison de leur gestion laissant la part belle aux dettes. Tandis que Dainava est dernier du championnat, Ramūnas compte sur un rebond rapide du club historique : « Nous vivons des heures terriblement noires. Mais au moins, nous avons toujours notre club, contrairement à Ekranas. Pour la promotion, même si l’on est derniers, on peut toujours trouver une solution [sourire]. Ici, il y a des promotions et relégations mais tout se joue par rapport à l’argent. Si tu as de l’argent, tu fais ce que tu veux. Actuellement, il y a des discussions avec la municipalité, mais je pense que l’on restera dans les ligues inférieures pour repartir de zéro. Ce sera mieux ». Avec l’espoir de partir de rien pour retrouver un jour une nouvelle génération de maîtres de la balle de cuir. Peut-être quand le football ne sera plus pris en otage par l’argent et les investisseurs.

press.krasrepen@gmail.com

Merci à Ramūnas pour sa grande aide sur cet article.

La page des ultras de Dzūkų Tankai

 

Damien Goulagovitch

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