Si cet Euro 2016 ne verra aucune équipe Footballski aller au bout, il va sans dire que le football de l’Est et ses joueurs ont souvent marqué les éditions précédentes de cette grande compétition. De quoi vous proposer notre XI de légende à travers une série de onze portraits. Onze joueurs qui ont su marquer l’histoire de la compétition.


Revaz Dzodzuashvili fait partie de l’environnement footballistique géorgien depuis près de 40 ans. Défenseur du Dinamo Tbilissi puis entraîneur de nombreuses équipes, il s’est fait sa place à coup de tacles glissés sur le terrain comme en dehors. Impitoyable autant avec ses adversaires qu’avec lui-même, il est ce qu’on pourrait appeler un sang chaud. Quoi de plus normal d’ailleurs quand on a fait partie de cette colonie de « Soviets Brésiliens », désignant les géorgiens en équipe d’URSS. Aujourd’hui on part à la découverte de Revaz Dzodzuashvili, latéral intraitable, capable de se préparer pendant six mois dans le seul but de tordre George Best.

XI de légende : Défenseur latéral gauche – Revaz Dzodzuashvili

L’envie de bien faire

Revaz Dzodzuashvili voit le jour à Kutaisi, ville du Nord de la Géorgie, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Une période dure qui influença le caractère du futur latéral du Dinamo Tblissi et de la sélection d’URSS. Bien que la Géorgie ait été choisie par Joseph Staline (né Joseph Djoughachvili) comme le lieu de détente de l’intelligentsia soviétique, la petite république soviétique sera secouée pendant toute la période soviétique par les délires mégalo du natif de Gori assisté de son maître-bourreau Lavrenti Beria. Puis à l’inverse, elle subira la politique de déstalinisation mise en place par Khrouchtchev à partir de 1953.

Ces histoires de politique intérieure, le petit Revaz n’en a pas grand-chose à faire. Lui se voit plutôt attiré par le terrain et non par les bannières. Et même si le Torpedo Kutaisi est un club de premier plan dans le championnat local géorgien, il n’a d’yeux que pour le maillot bleu du Dinamo Tbilissi qui est le représentant quasiment iconique de la Géorgie dans le grand championnat d’URSS. Après un parcours classique à jouer dans les équipes de jeunes de sa région native d’Iméréthie puis du Torpedo Kutaisi. En 1963, c’est la consécration pour lui. A tout juste 18 ans, il est invité à rejoindre l’équipe réserve du club mythique. Cependant les choses ne se déroulent pas comme prévu. Dzodzuashvili, dont la pointe de vitesse et le sens de l’engagement sont déjà bien développés est habitué à jouer en attaque, dans un système à deux attaquants. Or, le duo d’entraineur Gogoberidze-Kachalin ne voit pas en lui un titulaire capable de s’imposer devant Slava Metreveli, Ilya Datunashvili ou Mikheil Meskhi. Le jeune joueur ne souhaite pas se contenter de regarder sur le banc cette équipe remporter son premier championnat soviétique. En 1964, il fait ses bagages : retour à Kutaisi.

Ⓒ handinglove.co.uk
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Légèrement impatient mais sûr de sa force, le joueur intéresse le Chernomorets Odessa, alors dans l’élite du football soviétique. Il ne convainc cependant pas les recruteurs ukrainiens une fois sur place et se voit renvoyer vers l’autre Dinamo de Géorgie, celui de Sukhumi, la capitale abkhaze. Un club loin de ses ambitions mais qui s’avéra la meilleure décision pour son futur épanouissement. En effet l’entraîneur du Torpedo Kutaisi de l’époque Vsevolod Blinkov est en recherche de défenseurs rapides et techniques. Il consulte alors son vieil ami Yuri Gramatikopulo, entraineur de…Sukhumi qui lui conseille alors de reprendre Dzodzuashvili, que lui-même avait reculé d’un cran au milieu de terrain.

La greffe semble enfin prendre effet et Dzodzuashvili s’épanouit pleinement en défense centrale. Mais Blinkov veut aller plus loin et souhaite développer un jeu porté vers l’avant, avec une meilleure connexion attaque-défense. Il déplace ainsi Dzodzuashvili dans le couloir droit où sa vitesse et son allant offensif sont le mieux exploités pour aller déborder et porter la balle à ses attaquants. Voyant les dégâts occasionnés par le jeune latéral dans le deuxième échelon soviétique, le Dinamo Tbilissi rappelle Revaz Dzodzuashvili en 1968, où il disputera plus de 300 matchs en huit ans.

Désormais converti en rempart infranchissable mais également très offensif car capable de multiplier les courses pour couvrir son couloir, il va construire son futur succès personnel sur la base de duels restés dans les mémoires.

Dzajic good, Revaz Best

Ayant gagné sa première cape avec la sélection soviétique en 1969, Dzodzuashvili se prépare alors à participer aux éliminatoires de la Coupe du Monde 1970 au Mexique. Dès l’annonce du tirage au sort, l’URSS hérite de la Turquie et de l’Irlande du Nord, Malte s’étant retiré. Dzodzuashvili se concentre alors sur un seul joueur, la star de Manchester United George Best, qui deviendra son unique objectif pour les 6 mois qui suivront. Comme il le raconte à Sport Express en 1996 :

« Croyez moi ou pas mais pour ce match je me suis préparé pendant 6 mois au préalable ! J’ai demandé au coach et il a réussi à dénicher une cassette documentaire de 40 minutes sur Best. Bien sur, même après avoir regardé 20 fois la vidéo, cela ne change pas la vraie expérience du jeu. Mais cela peut aider. Et pendant 6 mois, j’ai travaillé frénétiquement sur ma vitesse, mon placement, ma technique et ma condition physique. Best fait partie des meilleurs joueurs de l’histoire, on avait l’impression que rien n’était compliqué avec lui, je ne pouvais pas relâcher ma respiration. Mais j’ai réussi à complètement l’éteindre lors de nos deux confrontations, et c’est une immense fierté pour moi. »[1]


L’équipe d’URSS se qualifiera ensuite pour les quarts de finale de cette coupe du monde 1970, battue à l’issue d’un match très tendu contre l’Uruguay. Un dénouement qui laissera un gout amer à Dzodzuashvili qui accusera des pressions politiques d’être à l’origine des choix contestés du sélectionneur Gavriil Kachalin avec notamment la non titularisation de Lev Yachin pour la compétition ou l’affaire Eduard Streltsov. Le jeune latéral n’a déjà pas peur de dire ce qu’il pense, sachant que Kachalin, vainqueur du championnat avec le Dinamo Tbilissi en 1964 reviendra entraîner dans la capitale géorgienne à la suite de la Coupe du Monde. Il va cependant vite se reconcentrer en vue des éliminatoires de l’Euro 1972, où l’Irlande du Nord se dresse de nouveau devant lui. Une nouvelle fois le défenseur se montre intraitable face à Best et l’URSS l’emporte 1-0 au stade Lénine de Moscou avant d’accrocher le 1-1 synonyme de première place de son groupe de qualification à Belfast.

En quart de finale, faisant office de tour de barrage pour la phase finale du tournoi, les soviétiques se voient enfin opposés à la Yougoslavie du grand Dragan Dzajic, alors au sommet de sa gloire. Le latéral droit va donc disputer un nouveau duel de haut vol comme il les aime tant avec l’ailier gauche yougoslave. La puissance, la frappe et surtout la vitesse et la ruse de Dzajic le poussent à redoubler d’effort mais il tient à boucler son couloir. Lors du match aller au stade de l’Etoile Rouge, le serbe reste muet, avant que la sélection yougoslave ne craque par trois fois deux semaines plus tard au stade Lénine. Dzajic reconnaîtra plus tard avec une grande classe que Dzodzuashvili avait complètement éteint son jeu et ce sur les 4 confrontations que les deux joueurs auront dans leur carrière. Malgré une défaite 3-0 en finale face à la RFA, Revaz Dzodzuashvili est nommé dans l’équipe du tournoi, aux côtés de ses coéquipiers Evgeniy Rudakov et Murtaz Khurtsilava, mais également de Gerd Muller, Paul Breitner ou encore Franz Beckenbauer, Ballon d’Or cette année là. Quelques mois plus tard la sélection soviétique manque encore la dernière marche d’un tournoi en s’inclinant face à la Pologne pour une qualification en demi, Dzodzuashvili concédant notamment un bête penalty sur une simulation de Robert Gadocha.

Diriger par l’exemple

Malgré ses plus de 300 matchs avec le Dinamo Tbilissi et ses 49 sélections  en équipe d’URSS, le palmarès de Dzodzuashvili restera vierge hormis une médaille de bronze à ces mêmes Jeux Olympiques. En 1976, passé 30 ans, il sent sa condition physique décliner, ne peut plus autant répéter les efforts et ne se sent plus en confiance auprès du nouvel entraîneur Nodar Alkhakatsi, qui mènera le Dinamo à la victoire en C2 en 1982. Ayant toujours eu une exigence extrêmement élevée dans ses capacités physiques, il se résout alors à arrêter sa carrière, peut-être un peu trop tôt comme il l’avouera quelques années après. A propos de cette fin de carrière il déclarera notamment :

« Pendant ces 10 années de professionnalisme j’ai joué contre des adversaires très forts, mais aussi contre des entraîneurs ! Prouver que vous êtes fort, sans cesse, c’est très difficile. Arrive un jeune entraîneur, et vous devez encore prouver ? Je pense qu’il comptait sur moi pour aider mais je ne voyais pas finir ma carrière entre la réserve et le banc. »[2]

Cette exigence il va immédiatement l’appliquer en tant qu’entraîneur, où, au contraire de sa carrière de joueur, il va enchaîner les expériences diverses. A la réputation très dure il reste rarement très longtemps dans les clubs où il passe, comme le montre ses multiples expériences au Torpedo Kutaisi (1978, 1988-1989, 2001-2002). Reprenant les rênes du Dinamo Tbilissi en 1991 il n’y reste que deux saisons, poussé par des problèmes relationnels avec sa direction. Il tisse également une relation particulière avec la Lettonie ou il entraînera la Skonto Riga en 1996 puis la sélection lettone en 1998-1999, avant de faire quelques piges en Arabie Saoudite, en Russie, en Lituanie ou encore au Kazakhstan, où ses méthodes donnent à chaque fois des résultats corrects, mais n’arrivent pas à fédérer sur la longueur. Pour les qualifications à la coupe du monde 2002, il est associé à son grand ami David Kipiani à la tête de la sélection géorgienne. Encore une fois, l’expérience tourne court et malgré une troisième place acquise dans son groupe de qualification, la confiance n’est pas renouvelée entre Dzodzuashvili et la fédération.

Proche de ses joueurs mais également extrêmement exigeant, il reconnait par exemple qu’il préfère des joueurs célibataires où en tout cas n’ayant pas encore fondé de famille dans son équipe, de peur que celle-ci les distraie et les motive uniquement pour l’aspect financier. En 2011 il se fait également remarquer en incendiant littéralement Zviad Sichinava, le président de la fédération géorgienne et Temuri Ketsbaia, alors entraîneur de la sélection géorgienne, qu’il accuse d’avoir précipité la chute du football géorgien. Tout cela en présence d’autres légendes comme Murtaz Khurtsilava, Alexandr Chivadze ou encore Revaz Arveladze.

Avec le temps, ses envolées lyriques ont fini par faire sourire les géorgiens, habitués à voir ce vieux monsieur s’emporter et s’agiter sur les plateaux. Mais quelque part, ils savent également qu’il est peut-être le témoin le plus légitime d’une époque où la place de la Géorgie et de ses joueurs était incontestable dans le football soviétique.

Antoine Gautier


Image à la une : Ⓒ dspace.nplg.gov.ge

[1] Yuri Simonyan, Tbilissi. Sport-Express « №40 1996

[2] Yuri GOLYSHAK. « Sport-Express », 11.10.2002

XI de légende : Gardien –  Lev Yashin, le grand monsieur du football soviétique

XI de légende : Défenseur latéral droit – Giourkas Seitaridis, la droite forte

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