Temps de lecture 5 minutesEuro 2016 : Turquie vs. Croatie – A Mostar, qui va gagner ?

– Rüstü.

– Game Over.

– Quelques minutes avant …

– La dernière action peut être très belle. Modric fait le travail, attention au centre… LE BUT ! C’est Klasnic qui marque! Fabuleux ! A la dernière minute ! Slaven Bilic exulte.

– C’est la belle histoire de l’année. Incroyable retournement de situation dans les dernières secondes. On pensait avoir droit à une séance de tirs aux buts.

– Les joueurs turcs étaient à la ramasse. Quelle sortie ratée de Rustü. Peut-être un reste de sa colique chronique.

– Les Turcs savent que c’est fini. Le rêve est terminé.

– Sauf si on joue encore.

– On ne remet même pas en jeu. Balle dans la surface, Semih Şentürk traîne. BUT ! Quel but du gauche extraordinaire ! Quelle frappe de ce joueur !

– Les cris de la foule.

– Incroyable équipe turque. Ils sont incroyables ces Turcs.

– Bilic est fou furieux après le quatrième arbitre qui n’a pas demandé le dernier changement.

– Les tirs aux buts arrivent.

– Modric va être le premier frappeur. Il a déjà marqué un pénalty dans cette compétition. Il n’y a pas de ballon, Modric patiente. Plus ça dure, plus il a de chance de louper. L’attente est     terrible. Pas raté, c’est à côté des buts de Rustu.

– Que ça commence mal et que ça commence bien pour les Turcs.

– Au tour de Turan. Auteur de deux buts dans ce championnat d’Europe. Arda Turan gagne trop de temps. Mais il marque. Peu convaincant, mais chanceux. On est dans le sens de la         réussite turque.

– Srna. Déjà une énorme pression. C’est au fond.

– Un nouveau tireur s’avance côté turc. Şentürk, le buteur. Il a marqué du pied gauche, alors il tire du pied droit. C’est dedans.

– Un troisième tireur croate arrive. C’est le joueur de Schalke 04, Rakitic, du haut de ses vingt ans. C’est à côté.

– Ce serait miraculeux de louper 2 pénaltys sur 3 et de gagner une séance.

– Altintop, c’est au fond. 3 sur 3 pour la Turquie, c’est un sans faute.

– Balle de match pour les Croates pour rester en vie. Petric s’avance calmement. C’est arrêté.

– Fabuleux. La Turquie le fait pour la première fois. C’est extraordinaire cette histoire.

– L’égalisation était trop lourde à porter. Ils avaient match gagné…

Loin de ses commentaires d’Arsène et de Christian Jeanpierre, à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, des dizaines de personnes sont admises à l’hôpital après l’affrontement des fans de football croates et bosniaques après le match. Beaucoup de musulmans bosniaques soutiennent la Turquie dans les compétitions internationales pour des raisons historiques et culturelles qui remontent à cinq siècles de domination ottomane dans les Balkans. Les Croates de Bosnie, eux, considèrent l’équipe nationale croate comme la leur. Alors que les Bosniaques scandaient des « Nous sommes Turcs ! », acclamant les rouges tout le match, les Croates ont riposté, faisant 27 blessés. Environ 1000 policiers, avec le renfort des forces spéciales, sont intervenus, bouclant le centre-ville et utilisant des gaz lacrymogènes ainsi que des véhicules de combat pour séparer les supporters rivaux, qui se lançaient mutuellement des pierres et des bouteilles..

Des tirs provenant d’armes à feu, attaques de voitures et vitres brisées alimentent l’agitation d’une nuit comme on en voit peu. Un accident pourtant loin d’être isolé. Avant celui de 2008, le dernier affrontement majeur datait de 2006. La Croatie affrontait le Brésil en Coupe du Monde. Ce match occupant le haut de l’affiche ne laissa pas insensibles les Bosniaques de la ville qui décidèrent de soutenir peu discrètement le Brésil. Échaudés après la défaite 1-0 et les provocations bosniaques, un grand nombre de Croates s’attaquèrent aux voitures et aux vitrines de magasin du côté bosniaque de la ville. Le centre-ville rappelait les heures les plus sombres de Belfast, entre verres, pierres et barres utilisés pour frapper des membres de l’autre communauté, cris et appels à l’aide. Un homme de 23 ans a même été grièvement blessé par un tir. La police, n’étant pas préparée, n’est arrivée que plus tard pour essayer de dissiper les masses. Le gaz lacrymogène utilisé a provoqué une panique générale. Six policiers ont été blessés au total pour une soirée qui s’annonçait pourtant sans grand danger. Mais l’histoire la plus marquante est celle de la mort d’une jeune fille en 1998.

La sordide histoire d’Emina Catic

Emina Catic, 25 ans, survivante de la guerre de Mostar, était assise à la terrasse d’un restaurant. Elle qui était orpheline comme tant d’autres, en raison d’un père tué par les forces serbes en 1992 qui tiraient des obus ravageant la ville. Emina et sa mère, elles, réussirent à survivre au carnage avant qu’une contre offensive commune entre les Croates et les Bosniaques poussent les Serbes à quitter les hauteurs de la ville en juin 1992. Un an plus tard, Mostar était de nouveau en guerre en raison d’une lutte pour le contrôle de la ville entre les alliés d’antan. Les Croates poussèrent leurs opposants vers la rive est de la ville. Mais ces derniers résistèrent, empêchant la ville de passer sous le joug croate. La rivière Neretva devint ainsi la frontière naturelle entre les deux communautés en guerre. Cela n’empêcha pas les Croates de détruire le symbole de l’historique ville ottomane, le magnifique pont construit en 1566 sous les ordres de l’empereur Suleiman le Magnifique. Durant cette offensive, le HVO (croates) en profita pour tirer sur de nombreux civils piégés dans l’enfer de l’Est de Mostar, dont la maman d’Emina.

La vie d’Emina Catic avait pris fin une nuit d’été 1998, non en 1992 ou en 1993.

Bien que tragique, cette histoire est celle typique d’une famille d’Herzégovine. Les survivants devaient faire de leur mieux pour reconstruire leurs vies et avancer, ce qu’Emina tenta de faire. Assise donc en terrasse du côté Est de la ville lors d’une chaude journée de juin 1998, la jeune fille profitait du temps avec ses amis, comme des centaines d’autres personnes à Mostar. Soudainement, l’autre Mostar – le côté croate, à l’ouest – explosa dans une cacophonie de klaxons, cris et de coups de feu. La Croatie venait de battre l’Allemagne 3-0 à la surprise générale en quarts de finale de la Coupe du Monde. Des milliers de coups furent tirés dans les rues de Mostar ce soir-là. Une de ces balles toucha Emina Catic au cou. Elle s’écroula et mourut instantanément. Trois autres citoyens de Mostar-Est furent blessés par balle ce soir-là, soit volontairement soit par accident. Loin de faire sensation dans la ville, la mort d’Emina n’eut pas bonne presse. Le lendemain, une grenade était jetée à Mostar-Est par des extrémistes croates. L’enterrement, lui, ne fut suivi que par une douzaine de proches, voisins et amis. Une nouvelle tombe enrichit le cimetière, déjà peuplé par de nombreux jeunes morts au combat. Celle-ci fut différente. La vie d’Emina Catic avait pris fin une nuit d’été 1998, non en 1992 ou en 1993.

Depuis ce temps, à Mostar, rien n’a vraiment changé. Les matchs de la Croatie suscitent toujours autant d’engouements et de dérapages des deux côtés. Surtout quand la Turquie est l’adversaire. Ce dimanche 12 juin, une partie de la ville fera la fête. En espérant que celle-ci se fasse sans coups de feu.

Damien Goulagovitch


Image à la une : © ELVIS BARUKCIC/AFP/Getty Images

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