Temps de lecture 7 minutesEuro 2016 : La Croatie passée par toutes les émotions

Il est peu de dire que la Croatie aura marqué l’Euro 2016. Avec son football offensif d’abord, qui a impressionné tous les observateurs, ne perdant que contre un cynique Portugal. Avec les retournements de situation ensuite, comme dans les matchs fous contre la République Tchèque ou l’Espagne. Avec ses supporters enfin, qui ont stoppé un match et fait beaucoup parler d’eux.

Alors que nous ne savions pas à quoi nous attendre avec une concentration de talents, mais après des qualifications compliquées et un sélectionneur sans expérience, l’Euro croate aura été plutôt une réussite. Mais l’issue est la même qu’en 2008. Une élimination à l’issue du premier tour après les poules, lors d’un match serré, presque irrespirable. Conforme à nos prévisions, le milieu de terrain aura été excellent et les jeunes joueurs apparus contre l’Espagne ont apporté un vrai plus, eux qui représentent le futur de la sélection. Même la défense, malgré ses incertitudes que nous vous relations en présentation de l’équipe, a largement tenu la route.

Ante Cacic, réussite ou échec ?

On retiendra l’image de Zdravko Mamic hurlant ses ordres à Cacic depuis la zone VIP du match contre la République Tchèque. Ante Cacic a accepté d’être le visage et la publicité d’une zone VIP croate remplie de criminels endurcis, de meurtriers et de voleurs. Porte-parole de son employeur au moment de l’incident avec les fans – « Ce sont des terroristes du sport » – l’ex-réparateur de télévision n’a présenté aucune analyse tactique de la défaite face au Portugal. Pour cause, il a été d’une lenteur inimaginable à effectuer le moindre petit changement alors que son équipe était totalement stérile et que le Portugal prenait un ascendant tactique. Du reste, sa passivité s’est sentie tout au long du tournoi, comme quand il n’a rien fait contre le déclin physique de ses joueurs (Turquie) et l’effondrement mental (République Tchèque). Preuve de son manque d’instinct footballistique. Ajoutons son manque de leadership et de charisme. Il en résulte une difficulté à motiver, contrôler le vestiaire et gérer les égos de certains.

Pour être juste, il faut aussi lui reconnaître ses qualités quant à la mise en place tactique. Le plan de jeu cohérent, bien suivi par les joueurs, s’est vu lors des trois premiers matchs. L’organisation défensive de toute l’équipe a été excellente, et a annihilé les velléités des adversaires qui n’ont pu se procurer que très peu d’occasions. Du reste, offensivement, dès la récupération du ballon, le jeu collectif a été proprement construit. Les milieux ont pris l’ascendant, et les éclairs de génie de Perisic et consorts ont fait la différence. Cela témoigne de l’excellent travail de préparation. Donc, Cacic a une bonne compréhension théorique du jeu et du contexte tactique grâce à ses connaissances et ses études sur les meilleurs tacticiens du moment, contrairement à ce que l’on aurait pu penser après ses fantaisies lors de son passage au Dinamo.

Maintenant, Ante Cacic pourrait s’en aller, ou peut-être pas, mais qu’est-ce qui va vraiment changer ? Rien, ou presque. Tant que les élus le sont par des gens qui veulent défendre leurs intérêts…

La réaction d'Ante Cacic à la lecture de cet article. © Handout/UEFA/Getty Images
La réaction d’Ante Cacic à la lecture de cet article. © Handout/UEFA/Getty Images

La cohésion collective

Cela n’aura échappé à d’aucuns, la Croatie a montré une formidable cohésion durant cet Euro. Le collectif a transcendé les joueurs, à l’image de la défense que l’on n’aurait jamais pensé aussi performante. Et ce n’est pas précisément du fait de Cacic. Il est difficile d’en parler, mais les tragédies familiales au sein de l’équipe, comme celle qu’a connu Darijo Srna, ont encore élevé le niveau de proximité entre les joueurs. Le principal concerné, d’ailleurs, a été au sommet de son art tout le long du tournoi. La psychologie des êtres humains veut que, dans de telles situations stressantes, une connexion émotionnelle très forte surgisse. Ainsi, une grande perte personnelle peut grandement servir pour la cohésion au sein de l’équipe. Cette perte devient un motif supplémentaire, bien que douloureux, qui n’est certainement pas négligeable. L’image de tous les joueurs venant voir Modric blessé contre les tchèques illustre bien cette mentalité.

Le deuxième facteur est l’interruption du match par les fans à Saint-Etienne. Un autre événement qui peut être utilisé dans la construction de la mentalité « seul contre tous ». Un événement qui devrait, normalement, être un problème et apporter que du négatif peut se révéler formidable pour fonder un sentiment d’unité et une motivation exacerbée. Autant pour les joueurs que pour les supporters qui vibrent avec leurs héros.

Une victoire de prestige et des révélations

Tous les supporters croates se souviendront de la victoire contre l’Espagne le 21 juin à Bordeaux, leur permettant de prendre la première place du groupe. Il faut dire que la dernière fois que l’Espagne avait perdu un match à l’Euro, on était en 2004 et le football était un peu différent. Arsenal était champion d’Angleterre ; tandis que Leicester descendait en Championship. Le Werder était champion d’Allemagne et le Deportivo La Corogne finissait troisième d’une Liga remportée par Valence et son entraîneur Rafa Benitez.

Sans Luka Modric et 4 autres titulaires du XI type, tout débutait mal avec une ouverture du score précoce espagnole (7′). Mais avec une organisation sans faille et une projection vers l’avant vive et technique, la Croatie a pu égaliser au meilleur moment, et même prendre l’avantage grâce au génie de Perisic. Après avoir sorti les tenants du titre, la Croatie s’est mise également à rêver, pourquoi pas, de gloire. Les joueurs, avec talent et discipline, ont produit leur meilleur match depuis l’ère Bilic. Pourtant, l’optimisme n’était pas de rigueur après les incidents et la fin de match contre la République Tchèque. Rien d’étonnant quand on regarde le tableau d’ensemble : les Croates ont toujours offert ce qu’ils ont de mieux quand ils sont moins attendus. Nous pouvons citer en exemple la célèbre victoire sur l’Italie en 2002, le tirage au sort malheureux contre la France en 2004, la victoire sur les Allemands de 2012 et même la défaite des Espagnols en 2012. Autant de matchs dans lesquels la Croatie a joué à son meilleur niveau, et est sortie avec la tête haute. Ce fut le cas lors de cette rencontre face à la Roja.

Lors de ce match, certains jeunes se sont révélés. Marko Pjaca a réussi 8 dribbles et a créé un danger constant sur son aile. Il aurait d’ailleurs pu obtenir un pénalty après avoir pris le meilleur sur son adversaire qui l’a crocheté. Marko Rog a bien bloqué Iniesta en le harcelant. Son agressivité sur le porteur de ballon adverse et son jeu tout en mouvement ont contribué à la belle victoire. Sime Vrsaljko a correctement défendu quoiqu’un peu nerveux, et Tin Jedvaj possède une très bonne lecture du jeu qu’il combine à une excellente technique. Un profil idéal en association avec un défenseur plus rugueux, de type Corluka. Tout cela est de bon augure quand on sait que Rakitic, Corluka, Modric et Mandzukic sont à l’âge de la maturité et au pic de leur carrière. Ce tournoi était l’un des derniers où ils pouvaient jouer à ce niveau. Il faudra également penser au départ de Srna, qui a annoncé sa retraite internationale. Souvent décrit comme usé ces deux dernières années, il a fourni d’incroyables performances durant l’Euro et son aura manquera.

La star Perisic

« Poulet » a bien grandi. Surnommé ainsi parce qu’il aidait son père dans sa ferme à poulet sur la côte croate, Ivan Perisic a commencé sa carrière par un déchirement. Celui de quitter l’Hajduk, le club supporté fièrement par la famille, pour signer à Sochaux afin de sauver l’affaire familiale de son père. Le transfert aboutit, et Ivan partit vivre à Sochaux avec sa mère et sa sœur. Si l’argent récolté a aidé le père resté en Croatie, la carrière de Perisic n’a pas décollé puisqu’en trois saisons, il n’a pas joué une fois en équipe première. Heureusement, le Club Brugge le sortit de l’ornière. En Belgique, il finit meilleur buteur et meilleur joueur de la saison. Il fait également ses débuts en équipe nationale sous les ordres de Bilic. Sélection dans laquelle il était « prêt à ramasser toutes les balles perdues lors des entraînements ». Il n’en aura pas besoin. Depuis 2014, il est le meilleur joueur croate, et sa contribution a été essentielle à l’euro 2016. Menace constante sur l’aile gauche, l’actuel joueur de l’Inter Milan (peut-être plus pour longtemps) a brillamment réussi les 3 matchs de poule où il a été décisif. Outre son superbe but contre la République Tchèque, on retiendra son match contre l’Espagne durant lequel il a offert un but à Kalinic et a marqué pour donner la victoire aux siens.

Ivan Perisic a la Croatie dans le coeur et les cheveux. © Paul Gilham/Getty Images
Ivan Perisic a la Croatie dans le coeur et les cheveux. © Paul Gilham/Getty Images

Les points négatifs

Après les matchs de poule et avec un tableau dégagé, on attendait la Croatie aller loin, et on a été déçu. Tout comme Şentürk il y a 8 ans, Quaresma a crucifié la Croatie dans le temps additionnel. Tomber contre une équipe du Portugal aussi pragmatique et défensive est cruel. Et la politique du risque minimal s’est propagée à la Croatie qui avait pourtant le potentiel de tenter autre chose. Au-delà de la passivité de Cacic, l’attaque a posé un problème. Mario Mandzukic n’a pas été à son aise dans cet Euro. Son style de jeu semble ne pas convenir à l’équipe. C’est une raison qui explique pourquoi les mouvements offensifs croates ont toujours pêché à l’approche de la surface. Malgré cela, il a déployé son fighting spirit, et sa débauche d’énergie en a fait le premier défenseur. Kalinic, lui, a montré qu’il était un bon attaquant de complément, très mobile, bon techniquement et sentant les bons coups. Souvent décrié pour son efficacité, il a tout de même marqué un but crucial et aurait mérité de jouer plus.

L’autre mauvais point est extrasportif. En lançant des fumigènes et arrêtant le match, les fans croates ont une nouvelle fois montré une image négative et ont failli punir leur équipe. Cependant, ils ont mis l’accent sur toutes les incohérences au sein de leur fédération. Beaucoup espéraient faire honte à la fédération afin qu’elle démissionne, dans le but de déclencher des changements positifs dans le football croate.

La suite

La suite sera divisée entre plusieurs sentiments. L’anxiété, d’abord, pour savoir si une punition va être attribuée à l’équipe pour les éliminatoires de la prochaine Coupe du Monde. L’anxiété aussi de continuer à voir le même genre d’actes que contre la République Tchèque si la fédération reste telle qu’elle, les ultras de la Torcida ayant promis un chaos dans cette configuration. L’impatience, ensuite, de voir si quelque chose peut être construit sur les bases de cet Euro. Srna est parti, mais des jeunes se sont révélés et vont jouer dans des plus grands clubs. Les autres tauliers resteront et l’équipe devrait pouvoir décrocher une qualification pour la Russie 2018. Mais le point d’interrogation reste le coach, et ce que voudra faire l’équipe dirigeante. Et ce dernier point reste le plus problématique pour l’avenir de la sélection.

Damien Goulagovitch


Image à la une : © KENZO TRIBOUILLARD/AFP/Getty Images

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