Temps de lecture 6 minutesEuro 2016 : Allemagne vs. Pologne, l’histoire d’une difficile Histoire

Ils se font face en aigles de faïence, scrutant les flots tourmentés de l’Oder/Odra comme frontière de leurs inimitiés historiques. Deux peuples, deux voisins, longtemps ennemis intimes au fil d’une Histoire commune, complexe et belliqueuse. L’Allemagne et la Pologne, comme deux frères si proches et pourtant si loin de l’autre, n’ont eut de cesse, dans l’histoire, de s’affronter, de s’amouracher et de se réconcilier (parfois). Ce soir, pas question de guerre, de partition, de couloir de Dantzig et de traité de paix. Ce soir, c’est le football qui sera juge sur la pelouse verte et grasse de Saint-Denis, dans un stade où les supporters des deux pays se feront face, bardés de leurs étendards. Si le football n’est qu’un jeu, il y a des confrontations qui le transcendent, et les Polonais le savent. C’est pourquoi l’aigle blanc sera leur totem protecteur, et le rouge couleur de la furie d’un peuple qui, ce soir, vénérera 11 héros comme des idoles. Tout un symbole pour deux identités (pas si) semblables, qui se sont toujours comparées l’une à l’autre sans jamais vraiment se comprendre, maîtres d’un jeu politique que la Pologne a souvent perdu.

Une histoire complexe

Il y a des matchs qui se vivent intensément, des matchs qui ravivent comme des feux de joie les cendres encore fumantes du passé. La Pologne et l’Allemagne, c’est une histoire de haine plus que d’amour. L’histoire d’un pays qui a toujours voulu récupérer un territoire qu’il a parfois jugé sien, et une nation indépendante qui voulait préserver sa terre, encadrée par deux autres aigles puissants que sont l’Allemagne et la Russie. L’histoire fait partie intégrante de la vie des Polonais, cette histoire si tragique qui les a vu renier à leur souveraineté, à leur nation, mais qui n’a jamais voulu oublier son identité. L’identité polonaise est forte : la langue tout d’abord, les couleurs ensuite et puis vient, enfin, la pierre angulaire de cette équation. La religion catholique. Une trinité sacrée qui marque l’appartenance de ce peuple à cette terre

De Miesko Ier (en 960) à Andrzej Duda (maintenant), en passant par Boleslas III (1138), Dobrowski et Lech Walesa. Du Royaume de Pologne à la République Polonaise, en passant par la République des Deux Nations et l’Occupation Russo-Allemande, la Pologne se bat, combat sur tous les fronts ses voisins envahissant – la Russie, la Prusse, l’Autriche – pour se faire une place dans l’échiquier politique européen. Le partage de la Pologne (intervenu 3 fois) par les puissances voisines, la 1ere Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale le sort terrible de la ville de Varsovie et le communisme sont des blessures ouvertes profondes presque insondables dans l’histoire polonaise.

Ce fut donc une bataille longue de plus de 10 siècles pour finalement obtenir un pays indépendant aux frontières qui sont les siennes aujourd’hui, à savoir de l’Odra à l’ouest, la mer Baltique au nord jusqu’au Bug à l’est. Je ne vous ferai pas un cours d’histoire complet et universitaire sur les 1000 ans d’Histoire polonaise, ceci pourrait prendre bien plus que le temps qui vous reste avant le début d’AllemagnePologne, et ce n’est pas le but. Mais pour comprendre l’importance de ce match, il faut en effet s’accrocher au contexte historique qui, comme une ombre, flotte au-dessus de cette rencontre, et ce malgré les années, les siècles et la paix.

Certains vous diront que le football ne doit pas être politique, mais le sport n’a-t-il pas été inventé pour éviter des guerres, à travers des compétitions regroupant des nations ? Combattre dans les règles sur un terrain de jeu, pour ne plus se combattre armes à la main, est bien plus louable. C’est donc cette longue histoire polono-allemande dont il sera question sur le terrain ce soir, comme un exutoire dans un esprit de revanche maintenant apaisé de tout un peuple sur l’histoire.

La question de la double nationalité des joueurs polonais en Allemagne

La région de Slask, longtemps sous occupation de l’Allemagne durant l’histoire commune des deux pays, est le creuset de cette question de la double nationalité qui tiraille beaucoup de polonais. Pour résumer cette situation ambiguë, je vous conterai l’histoire du grand-père de ma compagne, né polonais d’origine allemande à Wroclaw, devenu Breslau sous l’occupation allemande, puis redevenu Wroclaw après la guerre. Sa vie est le résumé parfait à l’époque, et encore un peu aujourd’hui, de la non-acceptation dans la société polonaise de la double nationalité.

Piotr a en effet la double nationalité, polonaise et allemande (par son père), comme beaucoup de gens dans cette partie ouest de la Pologne. Durant l’occupation, sa nationalité intrigue autant du côté polonais, « collabore-t-il avec les autorités allemandes ? » et du côté allemand, « peut-on faire confiance à un Polonais ? » Un homme qui pourrait faire partie de l’Armia Krajowa, principale armée de l’ombre en résistance au Nazisme. La guerre terminée, il immigre avec femme et enfants en Allemagne pour travailler, le passeport allemand aidant, et fuir le communisme qui pose sa main lourde sur la société polonaise et l’est de la Pologne.

Encore une fois, la double nationalité de Piotr pose question. Lors d’un voyage en Pologne pour retourner voir sa famille restée au pays, il est incarcéré et envoyé en camp de travail pour la simple raison qu’il était allemand et avait fui la Pologne. Devenu prisonnier politique, sa famille est mise au ban de la société. Il s’en évadera et ne reviendra embrasser la terre froide polonaise que lors de la chute du communisme.

Comme vous avez pu le lire, il fut difficile d’être Polonais et de posséder la double nationalité. Les choses se sont améliorées, mais les regards se font toujours inquisiteurs. Comme si ces deux identités ne pouvaient pas se mélanger dans vos veines, comme l’eau et l’huile, le feu et l’eau. Il fut un temps où être Polonais et Allemand faisait de vous un coupable idéal, mauvais patriote malgré vous.

Même la star, l’idole, Robert Lewandowski qui pourtant est Polonais et ne possède pas de double nationalité, a pu être vu, à ses débuts en dehors de la Pologne, comme un mauvais Polonais suite à son excellente intégration au Bayern Munich, chez « l’ennemi » allemand. Être Polonais en Pologne ou ne pas être. C’est un peu le message que le PiS, maintenant au pouvoir, veut donner à la jeunesse du pays.

© Matthias Hangst/Bongarts/Getty Images
© Matthias Hangst/Bongarts/Getty Images

Des cas comme Miroslav Klose, né à Opole mais ayant grandi en Allemagne après que sa famille soit restée quelques années en France pour fuir le communisme, et ayant choisi la sélection allemande, furent mal acceptés dans le pays de Lech Walesa. Miroslav Klose a toujours indiqué que le pays qui l’avait fait grandir était l’Allemagne, et que s’il était devenu le footballeur qu’il est, c’était grâce à l’Allemagne. D’où la justification de représenter l’Allemagne et non la Pologne. Un message, presque une déclaration de guerre pour grand nombre de Polonais. Un autre binational célèbre – Lukasz Podolski né à Gliwice et dont la famille a dû fuir alors qu’il avait 2 ans – est lui aussi le symbole de ce déchirement ou cet amour pour ses deux pays. Comme beaucoup fuyant le communisme et allemand par ses grands-parents, il passera toutes ses classes footballistiques en Allemagne et choisira lui aussi de jouer pour la Mannschaft. Mais comme il aime le dire : « Au plus profond de moi, dans mon cœur, battent deux pays. L’Allemagne et la Pologne ». Un message parfois dur à accepter pour une partie de la classe politique et de la société polonaise, à la recherche de l’identité purement polonaise, sans faille.

Les choses se sont un peu calmées depuis que la Pologne possède enfin une équipe compétitive sur la scène européenne. Il est vrai que le choix de tous ces talents jouant pour l’Allemagne plutôt que la Pologne était vécu, premièrement, comme une trahison et, deuxièmement, comme un manque de courage des Polonais d’origine jouant pour l’Allemagne préférant les paillettes de la sélection aux 4 étoiles aux Bialo-Czerwoni. Le choix sportif contre le choix du cœur. Toutefois, Lukasz Podolski, DJ à ses heures perdues et encore un peu footballeur, devrait être bien reçu par les supporters polonais au Stade de France ce soir. Mais s’il venait à rentrer et marquer, les sourires et applaudissements des Polonais pourraient se transformer, vite, très vite en flot d’insultes et de rage.

Et le foot dans tout ça ?

Des confrontations AllemagnePologne, il y en aura eu quelques-unes. La première interviendra un jour de décembre 1933, le 3 pour être précis, avec une première victoire allemande sur le score d’un but à zéro. Puis, successivement, en 34, 35, 36, et 38, alors que le pacte de non-agression germano-polonais est signé entre Józef Piłsudski et le Troisième Reich, l’Allemagne continue de remporter la plupart de ses matchs face à la Pologne, avec un petit nul et 3 victoires allemandes. Cette invincibilité footballistique allemande aura tenu pas moins de 81 ans, et ce qu’importe les terrains, qu’ils soient Allemands, Polonais ou neutre. 81 longues années qui prendront enfin fin lors de la dix-septième confrontation de l’histoire, pour que cette population polonaise puisse enfin connaitre le goût de la victoire après cette longue traversée du désert pour les Bialo-Czerwony, malgré des joueurs comme Lato, Deyna, Lubanski ou encore Boniek.

L’Allemagne arrivait donc ce 11 octobre 2014 à Varsovie avec une certaine confiance. Malgré tout, la Pologne a su battre son grand rival pour la toute première fois dans un stade à guichets fermés, et ce grâce à un but d’Arkadiusz Milik et d’un Sebastian Mila tout juste entré en jeu. Et bien que l’Allemagne eut la chance d’avoir de nombreuses occasions pour recoller, Wojciech Szczęsny, sa défense et le peuple polonais tiendront bon jusqu’à la fin pour repartir avec cette nouvelle fierté de battre un ennemi historique.

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © FRANCK FIFE/AFP/Getty Images

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