On sait tous que la première édition du Championnat d’Europe de Football eut lieu en France en 1960 et on sait tous aussi que le premier vainqueur de l’Euro est l’Union Soviétique grâce à un but dans les prolongations de Ponedelnik contre la Yougoslavie (2-1). Le football est un sport si populaire, si simple dans sa conception qu’on peut en retrouver une trace partout, dans les lieux les plus reculés comme dans les lieux où le foot semble être le dernier des soucis. Le Goulag est l’un de ces lieux.
L’Euro du Camp 7
Nikolaï Starostin (Lire aussi : Nicolaï Starostin, du Spartak Moscou au goulag), fondateur du Spartak Moscou a écrit en détail l’importance du football au Goulag, lui-même ayant été déporté. À travers ses écrits, il a décrit le jeu comme un moyen de survie au Goulag, que ce soit grâce à son aura en tant que fondateur du Spartak vis-à-vis des détenus comme des chefs de camps. Mais peu de détenus ont eu la « chance » de bénéficier de leur image, de leur talent et de survivre en continuant à faire ce qu’ils faisaient de mieux, jouer au foot.
Pour la masse de prisonniers détenus dans ces camps, le football fut aussi le moyen de retrouver une forme de normalité dans un contexte totalement hors norme. L’histoire du « Championnat d’Europe de football » en 1955 dans le camp numéro 7 connu sous le nom d’Ozerlag (Camp du lac) en Sibérie en est l’exemple. Ce camp regroupa une masse de prisonniers politiques étrangers, jusqu’à 2000 sur les 30 000 détenus du camp. Ces prisonniers venaient de Hongrie, de Pologne, de Roumanie, d’Allemagne, de Corée, de Chine…
Il est à noter que jusqu’à la mort du Petit Père des Peuples (Staline), les prisonniers politiques n’avaient aucun avantage que ce soit sur les autres détenus soviétiques. Dans des conditions de travail et physiques difficiles, il est difficile d’imaginer voir ces détenus jouer au foot.
Ce n’est qu’à partir de 1953, c’est-à-dire à la mort de Staline, que les choses commencèrent à s’améliorer pour eux. Le changement de statut de ces camps spéciaux leur permit d’organiser des activités et des événements sportifs utilisés à des fins de propagande, améliorant ainsi la vie du camp et, par la même occasion, incluant une réduction du nombre d’heures de travail ou encore de voir les barreaux enlevés aux fenêtres des baraquements. Un luxe.
Les prisonniers politiques jouant au foot eurent l’autorisation du camp pour construire par la suite un terrain de football. Ils se fabriquèrent les filets avec les moyens du bord et obtinrent par la Croix rouge des ballons pour jouer.
À l’été 1955, l’Ozerlag organisa une compétition inédite dans l’histoire, un Championnat d’Europe regroupant 4 équipes nationales inédites à cette époque : L’Allemagne qui regroupa des prisonniers de la RDA et de la RFA, la Pologne, la Hongrie et l’Union Soviétique. Cette dernière était composée en fait de Harbiners, personnes ayant été citoyens du Mandchoukouo, État du nord de la Chine dirigé par l’Empereur chinois Puyi entre 1932 et 1945, mais totalement sous contrôle japonais. À ce moment-là, ces personnes apatrides n’étaient même pas soviétiques, mais le deviendront pour la plupart suite à leur libération et à leur réhabilitation.
La première personne à avoir parlé de ces matchs fut l’un des organisateurs, un harbiner du nom de Vsevolod Cheusov. Il raconte que, la taille du terrain étant plus petite que la normale, les équipes étaient composées de 8 joueurs. Malgré cela, la compétition eut lieu et les 4 équipes se firent face. Les scores, les buteurs, les beaux gestes, les cartons… rien de cela n’est connu. La seule chose que l’on sait c’est que ce sont les Allemands qui ont remporté la Coupe. La photo des joueurs hongrois et des vainqueurs allemands la tenant le prouve. Certaines personnes se rappellent de cet événement méconnu, mais les survivants sont peu nombreux. Un seul participant fut retrouvé. Il s’agit de Janos Kertesz, un joueur de l’équipe hongroise.
Une histoire de plus qui nous montre le besoin de prendre du recul sur ce qu’est le football et ce qu’il nous apporte. Juste un peu de normalité dans un contexte actuel ô combien démesuré.
Vicent Tanguy