Entre le début de l’écriture de cet article et sa publication, la liste se sera sûrement allongée. Cette liste, c’est celle des entraîneurs virés depuis le début de la saison en Grèce. L’instabilité des coachs, comme celle des clubs, est d’ailleurs une spécialité locale, qui participe grandement à la (mauvaise) réputation du championnat à l’échelle de l’Europe. Et qui contribue à l’affaissement sportif de clubs autrefois réputés sur la scène européenne (Panathinaïkos, Aris Salonique) et d’une sélection championne d’Europe en 2004 éliminée de la course à l’Euro 2016.

José Manuel Roca Cases est né le 28 février 1976 à Ohiruela, en Espagne. Son nom ne vous dit sûrement rien, sauf si vous connaissez par coeur l’ensemble des joueurs formés au Real Madrid. Gardien d’1m87, il effectue une grande partie de sa carrière dans les divisions inférieures espagnoles avant de, comme beaucoup de ses compatriotes, venir garnir la colonie ibérique en Grèce. Il y restera cinq saisons, partagées entre le club de Panthrakikos, Doxa Drama et l’Olympiakos Volou, avant de se reconvertir en coach une fois les crampons raccrochés. Après avoir coaché le club de la ville de Volos, il prend les rênes de Panthrakikos. Il sera la première « victime » de cette saison 2015-2016.

111 jours pour Leonel Pontes

Le 15 septembre, il quitte en effet la direction de l’équipe, comme beaucoup d’autres l’ont fait avant lui. Comme d’autres le feront aussi après. Le suivant sur la liste est le Portugais Leonel Pontes, ancien adjoint des catégories de jeunes et de la réserve du Sporting Portugal. Nommé le 9 juin 2015 à la tête du Panetolikos suite à la fin du contrat de Makis Chavos, son prédécesseur, son mandat ne durera que 111 petits jours, soit 3 mois et 19 jours très précisément. Il est gentiment remercié au lendemain d’une défaite 5-1 contre Kalloni dans le cadre de la cinquième journée. L’illustration de la politique de clubs souvent modestes, qui ne laissent pas le temps nécessaire à leurs techniciens, pourtant reconnus dans d’autres pays pour leurs capacités à imposer leur méthode. De quoi dégrader l’image d’un football habitué à faire les titres de la presse étrangère pour ses invraisemblables histoires de clubs qui virent trois coachs par saison, de joueurs non-payés et de matchs présumés truqués.

Le plus édifiant, c’est que ce phénomène n’épargne aucun club de l’élite grecque. Cette année, l’AEK, qui venait pourtant de remonter dans l’élite, s’est séparé de Traianos Dellas (le roc de la défense centrale de 2004, nommé ensuite à l’Atromitos suite au départ de Michalis Grigoriou, lui aussi renvoyé) et le Pana de Yannis Anastasiou (en place depuis mai 2013, une anomalie pour un technicien grec), malgré un classement encourageant (4ème et 2ème respectivement). Comme si la mauvaise gestion de ces clubs et les joueurs loin de leur niveau attendu (comme Michael Essien, constamment blessé et qui n’a toujours pas disputé le moindre match avec les Verts) étaient entièrement leur faute. Alors, certes, cela permet de faire venir des coachs prestigieux en Grèce (Gus Poyet à l’AEK, Andrea Stramaccioni au Pana), mais pourront-ils vraiment durer ? Il y a fort à parier qu’aucun des deux ne pourra aller au bout de son contrat. Pour être ensuite remplacés par d’autres « noms », qui ne réussiront pas forcément mieux. Et ainsi de suite.

Quand Malesani et Gattuso entrent dans la légende

D’ailleurs, le club au trèfle blanc a « consommé » 15 coachs depuis la saison 2004-2005. Aucun n’a su (ou pu, c’est selon) réellement imposer sa patte, mis à part le Portugais Jesualdo Ferreira, en poste pendant près de deux ans. Presque un record. D’autres, comme l’Espagnol Fabriciano Gonzalez, ont dû se contenter de deux petits mois. Forcément, cette instabilité lasse les coachs eux-mêmes, comme l’Italien Alberto Malesani (février 2005-mai 2006) auteur d’une conférence de presse restée dans les mémoires grecques où il prononce 21 fois le mot « cazzo » (pas besoin de traduction pour savoir que ce n’est pas un mot doux) et remet en cause ses propres supporters. Autant dire qu’il n’a pas laissé une trace indélébile dans le coeur des supporters athéniens.

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Il faut croire que les techniciens italiens ne sont pas faits pour la Grèce. Gennaro Gattuso en a fait l’amère expérience. Aux rênes de l’OFI Crète, un club très fragile financièrement (qui sera d’ailleurs en faillite à la fin de cette saison-là), il n’y restera que quatre mois en 2014, fatigué par la situation catastrophique qui impacte ses propres joueurs. Il laissera quand même une conférence de presse mémorable, dans un anglais teinté d’un accent italien digne des films de Scorcese, où l’on a pu apercevoir son caractère bien trempé qu’on lui connaissait à son époque glorieuse du Milan AC. Les images restent, et la réputation du championnat en prend (encore) un coup.

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L’Olympiakos n’y échappe pas

© Flickr / Doha Stadium Plus Qatar
© Flickr / Doha Stadium Plus Qatar

Même le grand rival de l’Olympiakos, pourtant habitué aux doublés coupe-championnat ces dernières saisons, connaît ce même phénomène d’instabilité. Sur la même période, 17 techniciens se sont succédé à la tête des Rouge et Blanc. Le plus regrettable, c’est que dans cette liste figurent des techniciens qui ont, par la suite, démontré un vrai talent pour établir un projet à long terme. Si des coachs comme le grand Zico ou Ewald Lienen (actuel coach de Sankt Pauli) n’ont pas dépassé la barre des six mois, d’autre comme Leonardo Jardim (actuel coach de Monaco) ou Míchel (arrivé à l’OM cet été) ont eu un peu plus de temps pour montrer qu’ils pouvaient faire franchir un palier supplémentaire au club, notamment en Ligue des Champions. Malheureusement, un jeu jugé trop défensif pour le premier et la gestion d’Ibrahim Afellay pour le second auront eu raison de leur avenir, malgré une première place au classement à chaque fois. Vitor Pereira, arrivé en cours de saison pour remplacer l’Espagnol, s’en est allé en Turquie une fois la saison terminée.

Face à un président aussi « excentrique » que Marinakis, l’entraîneur est souvent le premier fusible à sauter quand les choses vont moins bien, malgré des résultats sportifs souvent satisfaisants. Tout joueur qui signe en Super League (voire en Football League, la deuxième division) sait que son coach a de fortes chances de ne pas terminer la saison, et que son successeur peut connaître le même sort. Les présidents de club usent trop souvent de cette facilité, sans jamais penser au déséquilibre qu’ils peuvent créer en changeant d’entraîneur. Difficile ensuite d’assurer une continuité dans des effectifs où les transferts de joueurs sont déjà très nombreux. À titre d’exemple, l’Olympiakos brasse chaque été 35 joueurs qui reviennent de prêt ou qui arrivent libres ou suite à un transfert. Certains d’entre eux, en trois ou quatre ans, ont connu autant de coachs, et doivent chaque année recommencer à zéro pour se faire une place dans l’effectif. Difficile d’être titulaire quand l’entraîneur qui vous a fait venir se fait virer après dix journées.

La sélection comme (mauvais) exemple

Pendant longtemps, la sélection grecque semblait loin de cette instabilité chronique. Otto Rehhagel et son règne de neuf ans, puis Fernando Santos et ses quatre ans avaient établi une certaine tradition de la stabilité. Bizarrement, les résultats semblaient au rendez-vous, et jamais la sélection n’avait semblé aussi forte et régulière. La Grèce aurait-elle gagné l’Euro 2004 sans le travail préalable de l’Allemand durant trois ans pour constituer un groupe soudé et solidaire ? Personne n’a la réponse. Mais ce qui est sûr, c’est que les deux hommes ont eu le temps de construire un groupe, le voir grandir et le perfectionner à l’approche des grandes échéances. Un « luxe » que les sélectionneurs suivants n’ont pas pu avoir. Malgré sa bonne réputation, Claudio Ranieri a sauté après quatre matchs seulement (dont trois défaites), idem pour Sergio Markarián. Impossible ensuite de bâtir un groupe et d’instaurer une quelconque stabilité. Bien sûr, ces deux sélectionneurs ont leur part de responsabilité dans cet échec cuisant, mais ils auraient pu également trouver une solution sur le moyen terme pour redresser la barre. Mais on ne peut pas faire de miracles en quatre matchs, ni transformer une équipe en plein doute en une machine de guerre.

La nomination récente de Michael Skibbe doit inverser ce phénomène qui a causé énormément de tort au football hellène, au plus bas depuis bien longtemps. Mais l’optimisme n’est pas de rigueur. Entre 2011 et 2015, le technicien allemand a dirigé cinq clubs dans trois pays (Turquie, Allemagne et Suisse), sans jamais y laisser une trace indélébile. Face à l’ampleur de la reconstruction qui l’attend, la question du profil choisi peut poser question, tant Skibbe semble loin d’être celui parti pour former un nouveau groupe et le faire progresser. Mais qui serait intéressé pour venir entraîner une sélection capable de perdre deux fois contre les îles Féroé tout en sachant qu’il peut être viré après trois matchs ? Forcément, le choix est limité. Laissons-lui donc du temps pour montrer ce qu’il compte faire, et ne le jetons pas en pâture dès la première défaite. L’histoire du football grec a montré que les coachs avec de meilleurs résultats ne sont pas toujours ceux avec le profil le plus attrayant. N’est-ce pas Otto Rehhagel ?

Martial Debeaux


Image en un : © Flickr / John Dobson

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