En 2001, les dirigeants du Zenit déclaraient que le n°12 ne serait plus jamais porté par un joueur pour rappeler l’importance du « 12e homme » au club. Retour sur l’histoire qui lie le club de la ville la plus européenne de Russie à ses supporters.
Les Bomzhi de Leningrad
Malgré de multiples changements de propriétaire et de nom (Stalinets Leningrad de 1925 à 1940, puis Zenit Leningrad de 1940 à 1991), les supporters ont toujours joué un rôle prépondérant dans la vie du club pétersbourgeois, et cela surtout depuis la fin des années 70. A cette époque-là, seul le Dynamo Kiev parvient à rivaliser avec les clubs moscovites grâce notamment à son buteur Oleg Blokhine, élu joueur de l’année en URSS trois saisons d’affilées (1973, 1974, 1975). Le Zenit, lui, végète dans les bas-fonds du championnat soviétique. Mais le tournant intervient en 1977 lorsque les dirigeants de l’époque nomment Yuri Morozov, ex-joueur du Zenit et coach renommé, à la tête du club.
Après deux années de désaccords avec ses joueurs, Morozov conclut qu’il est nécessaire de développer une nouvelle génération de joueurs: des joueurs talentueux bien évidemment, mais surtout du cru. Des vrais léningradois. L’année suivante, en 1980, le club finit 3ème du championnat soviétique, soit son meilleur classement final de toute son histoire. Cette belle saison sur le plan sportif s’accompagne notamment d’un bel élan populaire.
En effet, cette année marque la date de création du premier groupe d’ultras : « Secteur 33 », en référence au secteur au Kirov où les supporters les plus chauds se retrouvaient à chaque match. Pour rappel, à l’époque il était possible de consommer de la vodka ou bien de la bière à l’intérieur même du stade. Par ailleurs, la date anniversaire se situe chaque année au 21 septembre du fait que le groupe avait effectué son premier déplacement en masse le 21 Septembre 1980 pour un match à Moscou contre le Spartak. De ces premiers déplacements vient d’ailleurs un des surnoms des supporters du club, les « Bomzhi » (бомжи en russe, clochards en français) : c’est l’époque où les supporters peu fortunés qui de déplaçaient dans toute la Russie passaient leurs nuits dans les gares faute de pouvoir se payer un logement pour la nuit. D’autre part, c’est aussi à ce moment-là que deux ultras, Alexey et Andrey, écrivent l’hymne du club : «Город над вольной Невой» (« La Ville sur la Neva libre » en français. Les paroles de cette chanson sont sur le rythme d’une œuvre du compositeur Solovyev-Sedov : « Chanson du soir ». Et bien qu’elle ne soit toujours pas officiellement choisie comme l’hymne du club, les supporters la considèrent comme telle.
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Qu’importe les kilomètres, blanc et bleu sera notre cœur
Lors de la saison 1983-1984, le club remporte le premier titre de son histoire et ses supporters se déplacent de plus en plus pour soutenir ses « сине-бело-голубые » (« les blancs et bleus » en français). Mais malheureusement pour les fans du Zenit, tout ne se passe pas comme ils l’auraient espéré et le club est relégué en deuxième division en 1991 à la suite de nombreux problèmes administratifs liés notamment à la chute de l’URSS. Mais lorsque le club remonte en 1995 avec Pavel Sadyrin à sa tête, celui-ci connaît un fort regain de popularité. Le club déménage au Petrovsky et en 1999, près de 7 000 supporters se déplacent à Moscou pour voir l’équipe gagner son premier trophée depuis la chute de l’URSS contre le Dinamo Moscou (victoire 3-1, ndlr). Pour célébrer, les joueurs fêtent ça devant un million de supporters sur la Place du Palais juste en face de l’Ermitage ! En 2008, près de 12 000 supporters se massent à Manchester pour voir l’équipe de Dick Advocaat remporter sa première coupe européenne de son histoire en battant les Glasgow Rangers 2 à 0.
Ainsi, depuis ces succès récents, le soutien populaire n’a cessé d’augmenter. En effet, le club et les supporters coopèrent de plus en plus et l’exemple le plus probant se trouve être les déplacements annuels à Vladivostok (malheureusement le FC Vladivostok est aujourd’hui en deuxième division, ndlr). En effet, jusque lors, pour chaque déplacement dans la ville la plus à l’Est de la Russie, le club affrétait des avions spéciaux pour emmener ses supporters. Le record du nombre de supporters à s’être déplacés à Vladivostok est de 1 500 supporters. Et même, en 2006, trois supporters ont effectué les 9 500 kilomètres en autostop ! En 2008, Denis E-2, un membre historique du « Secteur 33 », a effectué son 300 ème match à l’extérieur. En 1991, il avait même été le premier supporter de l’histoire à réaliser le Grand Chelem, soit aller à tous les matchs à l’extérieur d’une même équipe sur une saison complète. D’autre part, le club organise chaque année un tournoi au Petrovsky dans lequel tout supporter peut participer. Enfin, depuis 2008, le club s’est doté d’un département spécial au sein de son organigramme, le Comité de coordination des supporters du Zenit (Координационный совет болельщиков «Зенита» en Russe), composé des différents leaders de groupe de supporters afin d’améliorer les relations club-supporters et de gérer l’aspect logistique des animations en tribunes et des déplacements, entre autres.
Les dérives, les traditions, les principes et un Manifeste
Mais, malheureusement, cette passion pour le club pétersbourgeois s’accompagne de nombreux débordements. La venue de Roberto Carlos avec l’Anzhi en 2011, match durant lequel une banane lui avait été lancée, pourrait être pris comme exemple. Alexey Rumyantsev, le leader de Landscrona, nouveau nom des ultras du « Secteur 33 », avait d’ailleurs en référence à cet incident tout simplement commenté : « Ce n’était qu’une blague, dommage s’il la mal prise ». Ou bien encore, lors du déplacement de l’Olympique de Marseille à St-Pétersbourg en 2008, lorsque, plusieurs joueurs noirs olympiens avaient été pris à partie pars des supporters déguisés en membres du Ku Klux Klan.
En d’autres termes, le rachat du club par Gazprom à la fin de la saison 2005, synonyme d’une capacité plus importante à recruter à l’étranger, a entrainé un renforcement de l’identité du club par les supporters. Le fait le plus marquant de ces dernières années remonte sans aucun doute au lundi 17 décembre 2012. Ce jour-là, Landscrona publie sur son site le « Manifeste Sélection 12, Traditions et Principes ».
Ce manifeste répond selon les dires du groupe ultras au besoin de protéger l’identité pétersbourgeoise et de promouvoir un football responsable.
Dans celui-ci, le groupe détaille en six points les critères de sélection nécessaires avant d’acheter un joueur. Ce manifeste répond selon les dires du groupe ultras au besoin de protéger l’identité pétersbourgeoise et de promouvoir un football responsable.
Ainsi, le manifeste se concentre sur l’idée que le club, malgré son capital financier important, doit continuer de ressembler à sa ville : « blanche, russe et orthodoxe ». En effet, le texte met en évidence une envie de se défendre face à une menace extérieure qui pourrait alterner l’identité-même du club. Le groupe ultras explicite ainsi son envie de ne voir aucun joueur d’origines africaines ou de minorités sexuelles porter les couleurs du Zenit. Le texte ajoute également que les joueurs du club ne devraient « pas se comporter comme des stars, fumer, ni boire ».
Petit rappel historique, le premier joueur étranger à avoir porté les couleurs du Zenit remonte seulement à 1980 quand le Finlandais d’origine russe Boris Chuklov signait pour le club et en 2008, le club remportait la Coupe de l’UEFA avec une équipe quasi-exclusivement issue des anciennes républiques soviétiques. Et malgré cette réussite, l’arrivée successive de Gazprom a entraîné une nette augmentation d’entraîneurs et de joueurs étrangers au club, d’où le besoin exprimé par Landscrona de « stopper cette perte d’identité ». D’ailleurs, lors des signatures de Witsel et Hulk en 2012, de nombreux supporters débattaient pour déterminer s’ils étaient assez blancs pour porter les couleurs du club.
A l’approche de la Coupe du Monde dans trois ans sur ses terres, la Russie essaye néanmoins de combattre ce fléau. Une commission anti-hooliganisme a même été créée, mais les résultats se font encore attendre. Les supporters radicaux sont bien souvent soutenus de manière plus ou moins active. Pour la petite anecdote –révélatrice – le 3 octobre dernier, je me rendais au Petrovsky pour le match face à Rostov et derrière moi se tenaient quatre fans du Zenit qui portaient une écharpe représentant l’ordre impérial et militaire de Saint-Georges. Celui-ci symbolise les couleurs de la gloire militaire russe et est de nos jours utilisés par les ultra-nationalistes, par opposition au drapeau russe « libéral », même s’il a été celui de la Russie depuis Pierre le Grand au début du XVIIIème siècle.
Malgré ces dérapages récents, le Zenit a toujours été suivi par des supporters très passionnés et fiers de représenter leur ville surtout quand il s’agit d’évoquer la rivalité entre Moscou et St-Pétersbourg. Certains sont capables de parcourir des milliers de kilomètres pour aller soutenir leur équipe, et c’est bien cette image-là qu’il faut garder en tête.
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Tu fusilles du regard ceux qui ne te ressemblent pas
Tu marmonnes quelque chose sur la vraie culture russe
Voilà une réponse de cette même culture russe
Oseras-tu dire que Pushkin n’est pas un poète russe ?
De même, le club continue de sensibiliser le grand public à travers divers actions et, notamment, avec une collaboration avec le rappeur russe Noize MC afin d’y délivrer une chanson antiraciste cassant certains slogans que l’on peut entendre comme « Il n’y a pas de noir dans les couleurs du Zenit ». Ainsi, Noize MC revient dans son « Pushkin Rap » sur la vie du poète Alexander Pushkin, véritable maitre de la littérature russe et enfant de la ville, qui avait un arrière-grand père noir.
Robin Bjalon
Photo à la une : © Capture Youtube