Ce sont deux histoires de footballeurs du Kosovo qui fuient illégalement leur pays. Deux histoires d’individus qui représentent malheureusement une tendance qui prend de l’ampleur depuis de nombreux mois.
Shemsi Osmani, champion du Kosovo en 2014
Shemsi Osmani est un joueur réputé du championnat kosovar. Membre du Llamkos Kosova, champion la saison dernière, le footballeur de 26 ans devait même rejoindre Hajvalia cet hiver. Mais un choix de vie l’a mené loin du Kosovo: « Ce fut une décision très difficile à prendre. Mais pour offrir un meilleur futur à mes enfants et ma famille, j’ai décidé de partir car le football au Kosovo ne se développe pas, les problèmes financiers deviennent plus nombreux. Comme tous les Albanais du Kosovo qui partent, je suis d’abord passé par la Hongrie avant d’arriver en Allemagne où je suis en ce moment. »
Mais l’exil n’a pas été de tout repos: « Le chemin a été très dur. Je suis parti avec ma femme et mon fils. Nous avons mis trois jours pour arriver en Allemagne. Des Albanais du Kosovo ont été maltraités par la police hongroise et la police serbe aussi. Mais la police hongroise est bien pire que celle de Serbie. »
Shemsi Osmani explique que la situation économique n’était plus viable pour lui, en tant que footballeur au Kosovo: « Je suis très déçu. La saison dernière, je jouais à Llamkos Kosovo (le champion). Je n’ai pas reçu un seul salaire sur toute la saison, cela a rendu notre vie impossible. Toute ma famille vivait grâce à mon salaire de footballeur. »
Aujourd’hui, il rêve toujours de football mais ce n’est plus sa priorité: « J’espère faire un essai dans un club, n’importe quelle équipe allemande. Il y a aussi la possibilité de trouver un autre travail. Je ferai un choix rapide, il faudra peut-être retourner à une vie normale. » Pour Osmani, qui attend un deuxième enfant, il parait bien loin ce titre de champion du Kosovo gagné au printemps dernier…
Afrim Ademi, champion du Kosovo en 2010
Le second se nomme Afrim Ademi. Gardien de but né en 1989. Il conte son histoire pour la presse kosovare : « Je voulais quitter mon club de Trepca pour aller jouer à Llapi mais la fédération a bloqué ce transfert, cela m’a beaucoup déçu. Le club me bloquait, la fédération aussi. J’ai pris la décision de partir. »
Son exode est long de 30 heures et le voit passer deux frontières : « Je suis parti avec ma petite amie. Nous avons changé deux fois de bus pour aller à Subotica en Serbie. Ensuite on a pris un taxi vers la frontière hongroise avant de la franchir à pied. »
Une fois en Hongrie, le couple n’était pas au bout de ses peines : « En Hongrie, nous avons été arrêtés et mis en prison. Pendant 30 heures. Ensuite nous avons pu partir pour l’Allemagne. Aujourd’hui, nous sommes dans un appartement avec d’autres demandeurs d’asile. L’Allemagne nous a offert 140€ par personne. »
Un exode en masse dans l’indifférence générale
Chômage aux alentours de 50%, système politique gangrené, manque d’espoir dans le futur du pays: les raisons de ces départs sont multiples. Le Koha Ditore, quotidien kosovar, racontait ces jours-ci que la station de bus de Prishtina était devenue le lieu de rassemblement nocturne de tous ces Kosovars en quête d’un avenir ailleurs. Chaque soir, une dizaine de bus remplis de jeunes, d’individus, de très jeunes enfants, de familles prennent la direction de Belgrade avant que les exilés tentent de rejoindre la Hongrie et l’Union Européenne avec l’Allemagne, la France ou la Scandinavie comme destinations finales rêvées.
Près de 20 000 Kosovars quittent leur pays chaque mois selon le Koha Ditore et l’hémorragie est effective depuis quelques mois maintenant. Les Kosovars subissent un régime de visa très strict (uniquement une poignée de pays limitrophes et la Turquie leur ouvrent les portes sans visa nécessaire) et ils savent donc que la route vers l’Union Européenne les placera dans l’illégalité. L’ambassadeur d’Allemagne au Kosovo, Angelika Viets, expliquait début janvier que « les problèmes économiques n’étaient pas une raison pour demander l’asile. Les refus seront de 100%. La seule manière de rester en Allemagne est d’avoir un permis de travail. » Malgré tout, les Kosovars estiment que ce départ incertain reste une meilleure solution que de rester dans un pays qui leur offre si peu.
Quinze ans après la guerre, le Kosovo a bien évolué sur l’échiquier international, devenant un pays reconnu grâce à une diplomatie tout-terrain. Cependant, les conditions de vie des Kosovars n’ont pas connu des améliorations proportionnelles et les départs quotidiens restent pour l’instant sans réponse. Afrim Ademi lance ce message à ses collègues footballeurs du Kosovo : « Travaillez, travaillez et essayez de quitter le Kosovo de manière légale. » Mais plusieurs dizaines de footballeurs ont déjà choisi l’exil.
Tristan Trasca
Je ne peux que vous conseiller l’interview de Dukagjin Gorani chez nos amis du Courrier des Balkans si vous voulez mieux comprendre la situation sociale actuelle au Kosovo