Souvent, le football est resté à l’abri de la politique. À l’abri des évolutions sociales et économiques des États. Mais parfois, lorsque la situation devient critique, difficile d’échapper à l’immersion de l’extra-sportif dans le football. À l’image de ce qu’il se passe en Grèce. État des lieux.
Le football grec a souvent eu, à tort ou à raison, la réputation d’être sulfureux. Passionné. Fou. Démesuré. Voire, parfois, aux prises à certaines organisations ou présidents de clubs supposés responsables de l’arrangement de certains matchs. Mais, depuis quelque temps, un autre qualificatif entoure le ballon rond en Grèce : la peur. La peur, en effet, que les récents événements politiques, et surtout économiques, se répercutent sur le foot.
Un recrutement impacté
Le Panathinaïkos, par exemple, pourtant qualifié pour le tour préliminaire de Ligue des Champions et club réputé à l’échelle européenne, a eu toutes les peines du monde à faire signer Sergio Sanchez, le défenseur de Malaga, qui a eu besoin de plusieurs jours de réflexion avant de donner son accord. Takys Fyssas et Leonidas Vokolos, directeurs sportifs du club, ont dû personnellement faire le déplacement pour tenter de convaincre le joueur espagnol, craintif, comme d’autres, que la situation du pays ne se transforme en un calvaire sportif. Mickaël Essien, recrue phare des Verts cet été, a lui été personnellement rassuré par Djibril Cissé, dont le passage au club (2009-2011) est resté dans toutes les mémoires. Et les exemples sont nombreux, même pour un club comme l’Olympiakos, solide financièrement et habitué de la Champions League, qui voit chacune de ces cibles estivales s’en aller dans d’autres championnats. Le transfert de Nêne, l’ex-parisien, officieux depuis quelques semaines, prend du temps à être officialisé.
La cellule de recrutement, dirigée par Christian Karembeu, directeur sportif, s’était spécialisée dans le recrutement peu coûteux de joueurs évoluant en L1 (Modesto, Yatabaré, Dossevi). La détérioration de l’environnement en Grèce met quelque peu à mal cette stratégie. Par exemple, la piste menant à Youssouf Sabaly, prometteur latéral appartenant au PSG et champion du monde U20 en 2013, s’est considérablement refroidie. Idem pour celle menant à Anthony Mounier (Montpellier), qui était tout proche de s’engager avec le club du Pirée avant que la situation ne se dégrade. Sans parler de l’arrivée du coach Marco Silva, ex-Sporting Portugal, qui s’est étendue sur des semaines avant d’être officialisée. Même après un accord verbal, les transactions traînent sur plusieurs semaines, le temps d’assurer certaines garanties à des joueurs et entraîneurs de plus en plus méfiants. Ce qui, parfois, amène les joueurs à changer d’avis. Est-ce que tout cela est lié ? Difficile d’en être totalement sûr. Mais difficile également de ne pas penser que c’est un élément qui rentre en compte.
La presse internationale s’en mêle
Cela va parfois plus loin. L’AEK Athènes, club mythique revenu en Première Division cette année, peut en témoigner. Lors de la reprise de l’entraînement début juillet, les joueurs ont eu la surprise de voir des journalistes allemands (de la chaîne Deutsche Welle), venus spécialement d’Allemagne pour faire un point sur la répercussion de la crise sur le foot. André Simões, milieu portugais débarqué de Moreirense cet été, a même été interviewé sur son ressenti, et s’est montré rassurant. « Je me sens très bien en Grèce, il n’y a pas de difficultés à l’AEK » a-t-il notamment déclaré, avant d’ajouter qu’il espérait que le pays sorte rapidement de cette situation.
Ce phénomène d’internationalisation s’étend même jusqu’en France, qui compte un fort contingent de joueurs en Grèce (une quinzaine de joueurs si l’on inclut ceux qui ont choisi une autre sélection nationale), souvent dans des clubs peu connus ou peu structurés, comme l’ex-bordelais Kévin Olimpa, gardien de Platanias. Mathieu Gomes est l’un d’entre eux. À 30 ans, ce défenseur droit natif de Bayonne évolue en Grèce depuis 2012, après avoir bourlingué dans les divisions inférieures en Italie et en Espagne. Sous contrat avec Kerkyra jusqu’en 2016, il a récemment donné une interview à Sud Radio pour expliquer comment les choses ont évolué, et comment les contrats étaient gérés. « Dès qu’il y a eu ce problème avec l’état grec, on s’est assuré que nos contrats continueraient sur la valeur de l’Euro. On avait un peu peur que nos contrats perdent leur valeur. Les présidents de tous les clubs, à peu près, ont accepté cette solution. Il n’y a pas de grand changement pour nous. Les présidents ont accepté de payer une petite avance aux joueurs étrangers », raconte celui qui a pris part à 100 matchs toutes compétitions confondues depuis son arrivée dans le pays. D’autres joueurs français, comme le baroudeur Salim Arrache, Yann Boe-Kane ou Xavier Tomas, tous en Grèce lors de la saison passée, ont donné leur point de vue sur la situation. Preuve que le sujet dépasse les frontières.
Tous les joueurs étrangers tiennent, à peu près, le même discours rassurant.
Et les exemples de ce genre d’interviews sont légion. Hedwiges Maduro (milieu du PAOK) pour la presse hollandaise, Luke Steele (gardien du Pana) pour la presse anglaise : tous les joueurs étrangers tiennent, à peu près, le même discours rassurant. Les clubs, eux, misent tous sur ces expatriés, qui permettent d’assurer une bonne compétitivité et visibilité au championnat, ce qui peut attirer d’autres joueurs par la suite. Ils sont, le plus souvent, payés en priorité par les présidents, afin de les convaincre de rester dans le championnat, et parce que le vivier de joueurs grecs s’appauvrit quantitativement et qualitativement d’année en année, même si les équipes de jeunes de la sélection nationale montrent quelques belles promesses.
Des agents de plus en plus exigeants
Si tous les joueurs servent le même discours face caméra, à savoir celui d’une pleine confiance dans le bon fonctionnement des clubs et des instances, les agents, eux, redoublent de prudence lorsqu’ils sont en relation avec des clubs grecs. Les gros clubs (PAOK, AEK, Panathinaïkos et, surtout, l’Olympiakos) sont ceux qui peuvent espérer attirer des joueurs internationaux de bonne facture, et leur garantir une certaine sécurité au niveau financier. Jouant tous l’Europe (sauf l’AEK), ils reçoivent des rentrées d’argent salvatrices, et une exposition médiatique dans le monde entier. Ils sont donc amenés à traiter avec des agents qui disposent, la plupart du temps, d’une multitude d’offres pour leurs protégés.
Ces derniers n’hésitent pas à demander de nombreuses garanties, notamment un contrat en Euro garanti en cas de sortie de la zone euro de la Grèce, versement sur des comptes à l’étranger, paiement dans les temps ou en avance, rupture de contrat facilitée, etc. Difficile ensuite pour les clubs grecs d’espérer faire face à la concurrence : beaucoup de joueurs pistés par ces clubs choisissent de signer ailleurs, par sécurité. Les clubs sont alors contraints de recruter des anciennes gloires, à la recherche d’un dernier gros contrat dans un pays au cadre de vie agréable.
Une situation déjà délicate avant la crise
Avant la crise, le non-versement de salaires dans certains clubs était déjà répandu, et certains étrangers ayant tenté leur chance dans le championnat ont vécu un véritable calvaire, à l’image de l’éphémère colonie francophone de Kavala (Pierre Ducrocq, Frédéric Mendy, Wilson Oruma, Douglão, Djamel Abdoun), ou du court séjour d’Olivier Kapo à Levadiakos, entre matchs truqués et retards de salaire. Les contentieux peuvent s’étendre sur des années, face à des clubs n’hésitant pas à jouer avec les contrats et la Fifa en toute illégalité. Souvent, les joueurs se lassent face à la lenteur des procédures, et préfèrent partir sans avoir touché leur dû. Même en ayant signé des contrats portant sur plusieurs années, beaucoup d’entre eux résilient ou cassent leurs contrats quelques mois seulement après leur arrivée. Les « mauvais » clubs sont identifiés, et très peu de joueurs se risquent à y tenter leur chance. Mais, parfois, certains franchissent le pas, face à un marché du travail qui n’échappe pas, même dans le foot, à la précarité.
Récemment, Éric Tié-Bi a quitté l’Asteras Tripolis (qualifié en Europa League) pour Brest, en ayant très peu joué de la saison, et Laurent Agouazi est revenu en L2 (Tours), après une saison pleine et remarquée à l’Atromitos, en participant même aux play-offs de qualifications pour l’Europe. Là aussi, ce n’est pas forcément lié à cette crise qui s’intensifie, mais plutôt à un championnat qui n’inspire plus beaucoup confiance chez les joueurs, dès lors que l’on évolue dans un club moins stable et réputé. Les joueurs préfèrent retourner dans leurs pays, y compris dans des clubs n’évoluant pas dans l’élite, afin de sortir d’un tumulte qui parfois peut être éprouvant.
Pour illustrer cette cacophonie régnant dans le championnat, un petit exemple est révélateur. Début juillet, le club de Levadiakos (Super League), reprenait la compétition avec un groupe de quinze joueurs seulement, sans recrue, hormis un formateur, George Papalambrou. Difficile d’imaginer réaliser une bonne saison dans ce genre de conditions, et d’éviter une relégation qui, dans bons nombres de cas, s’accompagne d’un dépôt de bilan.
La situation actuelle ne fait donc que renforcer le flou autour de ce championnat qui peut, encore, offrir un beau tremplin à certains joueurs. Beaucoup d’entre eux ont signé dans des équipes plutôt modestes, avant de se faire repérer par des clubs plus huppés. On pourrait citer l’exemple, justement, de Djamel Abdoun, qui s’était révélé à Kavala avant d’exploser à l’Olympiakos. Celui de Rafik Djebbour, qui est passé par Panionios, Atromitos et l’Ethnikos Asteras avant de décoller à l’AEK et surtout à l’Olympiakos, finissant meilleur buteur du championnat. Ou encore celui d’Arthur Masuaku qui, l’été dernier, a signé chez les Rouge et Blanc en provenance de Valenciennes après une seule année chez les pros, et qui se place, après une saison couronnée d’un titre de champion et d’une Coupe de Grèce, comme l’un des latéral gauche les plus prometteurs d’Europe, et courtisé par quelques gros clubs (As Roma, les deux clubs milanais, l’Atletico Madrid). Et la liste est encore longue (Yaya Touré, Kévin Mirallas, Djibril Cissé, Kostas Manolas). Mais pour d’autres, c’est une véritable loterie, tant sportive que financière.
Des stades qui se vident
Autre conséquence de ce climat économique difficile : la baisse du pouvoir d’achat, et donc de la fréquentation des stades. Hormis les clubs historiques (AEK. Olympiakos, Panathinaïkos, PAOK et l’Aris Salonique, évoluant en D2), dont la base d’ultras est solide et dont les tribunes font le plein de tifos et de fumigènes, les autres stades risquent fort de sonner creux lors de la reprise. La solution pourrait passer par une baisse des prix des billets, comme ce qui a été fait à l’Olympiakos, avec une réduction de 30 à 50%. Mais tous les clubs ne pourront pas se permettre ce genre de mesures. Certes, la passion du football, surtout dans un pays comme la Grèce, n’a pas de prix. L’enracinement de la crise étant tellement profond, il est difficile d’imaginer que la population place un match de football en haut de leurs priorités financières, alors même qu’un simple retrait peut prendre plusieurs heures.
L’enracinement de la crise étant tellement profond, il est difficile d’imaginer que la population place un match de football en haut de leurs priorités financières, alors même qu’un simple retrait peut prendre plusieurs heures.
Comment espérer attirer des joueurs, même libre, avec un tel état des lieux ? Sans être alarmiste, le panorama du football dans ce pays ne laisse guère place à l’optimisme. Onze ans après le sacre incroyable de l’Euro 2004 et cette génération folle menée par Karagounis, Katsouranis et Basinas, la Grèce et son football vivent leurs heures les plus sombres. Mais la passion, elle, n’est pas prête de s’en aller. Les ambiances de folie, les fumigènes, les scandales, les histoires rocambolesques : tout ça fait partie de l’ADN du football grec. Et ça, aucune crise ne l’enlèvera.
Martial Debeaux
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