Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe !
Cadre de la sélection serbe, Nemanja Matić n’a plus à prouver ses qualités footballistiques. Depuis son aventure portugaise, le milieu serbe n’a cessé d’impressionner, s’imposant comme une pièce maîtresse dans tous ses clubs et devenant l’un des chouchous de José Mourinho au fil des années. Outre ses qualités de footballeur, Nemanja Matić est surtout un homme sur lequel on peut compter. Un homme attachant qui n’a jamais oublié son histoire. Celle qui aurait pu le faire jouer ailleurs, dans son autre pays : la Slovaquie.
D’une enfance serbe …
« À un moment donné, il a perdu confiance en lui, mais j’ai réussi à le persuader de ne pas abandonner. J’ai eu le même problème dans ma jeunesse, mais j’ai su le surmonter et suis ressorti plus fort et plus puissant que les autres. » Ces mots sont ceux sont d’un père : Dragan Matić. S’ils ne semblent guère révolutionnaires, ceux-ci expliquent finalement ce qu’est devenu ce fils. Son fils.
Expliquer que ces moments de doute, ceux où l’espoir est vide et où le futur est trouble, deviennent au fur et à mesure du temps les plus importants dans la vie d’un homme. Ceux venant forger une histoire et un caractère. Ceux donnant des ressources et des forces. Nemanja Matić a douté. Très tôt. Très jeune. Douté de son avenir. De sa carrière. Du football. Tant de doutes qui ont fait de lui cet homme et ce joueur dont toute équipe rêve.
Pourtant, comme souvent, ceux qui doutent le plus sont aussi ceux qui possèdent le plus de talent. Et Matic en a, lui, du talent. En atteste les dires de son père qui rappelait que, dès le dixième mois Nemanja Matić commençait déjà à marcher. Ancien joueur de football dans de petits clubs yougoslaves, Dragan Matić veut alors savoir, par curiosité, comment réagit son jeune fils avec un ballon aux pieds. « Je savais déjà qu’il aurait du talent » conclut-il à la fin de ce premier test footballistique.
Une prémonition qui se confirme au fur et à mesure des années. Le jeune adolescent enchaîne les matchs, est nommé meilleur joueur de différents tournois et laisse alors entrevoir un bon potentiel. « Nemanja aimait jouer avec ses coéquipiers. Il aimait ça. Il voulait jouer comme Zinédine Zidane. C’était un modèle pour lui. – continue Dragan. […] En 1999, il jouait pour l’Obrenovac 1905 et a obtenu le prix du meilleur joueur d’un tournoi organisé par la Fédération de football de Yougoslavie. Ils ont battu le Partizan en finale, quatre buts à zéro. »
De là se dessine le chemin classique de tout jeune joueur serbe talentueux : une détection par l’un des deux grands clubs belgradois, un passage dans l’une de ses académies et, si tout se passe bien, des débuts en équipe première dès le plus jeune âge.
Chez Matić le début de carrière est identique à ses dires. La suite, elle, s’avère bien différente. Dès la fin de ce tournoi remporté face au Partizan, la famille reçoit quelques propositions et voit un certain Saša Kostić demander où souhaite aller le joueur. Les noir et blanc sont évidemment sur les rangs, mais le père de famille est clair : si Nemanja doit jouer dans un club belgradois, cela se passera d’abord à Zvezda. Un vœu exaucé quelques semaines plus tard.
« Nemanja est arrivé à Zvezda en 2000 et a passé deux ans à s’entraîner à Ub ou à Vrelo. Puis il a déménagé à Belgrade, a été inscrit à l’école, a vécu à l’hôtel Srbija » dit le père du joueur. C’est dans cet environnement que le joueur rencontre ses premières joies – notamment sa rencontre avec Saša Janković qui portait le jeune homme en haute estime -, mais également ses premières peines. Entre problèmes internes, manque de temps de jeu et blessures à répétition, le joueur perd confiance. Une petite pige ratée au Partizan plus tard, Nemanja Matić entre alors dans cette fameuse période noire.
Adolescence oblige, le corps de Matić change. Les blessures s’accumulent et, surtout, le jeune homme prend des dizaines de centimètres en un temps réduit, jusqu’à atteindre rapidement le mètre 94. Un problème qui empiète de plus en plus sur la future carrière du joueur, au point que celui-ci pense à arrêter définitivement ce sport. « Je pensais arrêter de jouer au football, expliquait Nemanja Matić pour Mozzart Sport. Mes parents ont agi de la bonne façon à l’époque. Ils m’ont donné la force de supporter cette période difficile et de continuer à m’entraîner. » Et si cela ne se doit pas se faire dans un club belgradois, qu’importe.
… aux terrains slovaques
Bien souvent, quand le psychisme ne va pas, une simple rencontre peut changer le destin d’une personne. L’aider à aller mieux, à remonter la pente, progressivement, et voir s’entrouvrir un avenir fait de mieux. Chez Matić, cette rencontre se conjugue au pluriel et se trouve à Lazarevac, sous le maillot du modeste FK Kolubara. « Après sept jours [avec Kolubara], Joakim Duljaj a décidé de me donner une chance. – se remémore Nemanja. Je tiens à les remercier pour ce que j’ai vécu avec Kolubara. Remercier Duljaj et Dukanci, l’entraîneur adjoint qui m’a beaucoup aidé. » De belles rencontres qui ne s’arrêtent pas à la Serbie.
S’il n’est pas l’épisode le plus connu de sa carrière, la vie de Nemanja Matić s’est, l’espace de quelques années, conjuguée avec la Slovaquie et son football. Au point d’en devenir citoyen et futur néo-international slovaque … avant que le destin n’en décide autrement.
C’est ici, dans cette Slovaquie, et dans la ville de Košice, que Nemanja Matić rencontre Ján Kozák, actuel sélectionneur de la Slovaquie, véritable légende du football slovaque et élément fondateur de la construction sportive et humaine de Nemanja Matić. Arrivé au club en 2007, le milieu serbe s’impose comme l’un des cadres du renouveau du club, symbolisant les nouveaux objectifs de formation malgré des moyens financiers limités.
En l’espace de quelques mois seulement, le jeune homme prend ses marques dans cette nouvelle génération de joueurs porteuse de nouveaux espoirs dans une ville qui a connu de longues années de galères sportives. Outre Matić, le club slovaque peut également compter sur un autre Serbe : Marko Milinković. Et comme Matić, lui aussi s’intègre à merveille dans le club, la ville et la société slovaque. Une recette gagnante signée Ján Kozák qui, quelques années plus tard, reproduira ce même schéma avec Uroš Matić, le petit-frère de l’actuel milieu de Manchester United.
« Nous disons souvent avec Nemanja que [Ján Kozák] est notre père de football. Il nous a sorti des divisions inférieures serbes et nous a donné un coup de main au cours de nos premiers mois en Slovaquie. Il a fait de nous de bonnes personnes et de bons footballeurs. Il regarde le développement des jeunes joueurs. Il est toujours en contact avec nous et un grand pourcentage de notre réussite lui appartient. » assurait l’actuel milieu de terrain du FC Copenhague. « Je me souviens encore du club et des gens que j’y ai rencontrés. Je suis en contact avec beaucoup d’anciens coéquipiers et nous sommes toujours amis aujourd’hui. » confirmait le plus grand de la fratrie.
Un second père, un nouveau club de cœur et un pays d’adoption. Avec cette décision de quitter son pays et rejoindre une Slovaquie inconnue, la vie des Matić bascule du tout au tout. Exit les problèmes de santé et les doutes, le pays des Tatras offre sans façon tout ce qu’elle a à offrir à son nouveau protégé ; qui le lui rend bien. Pour cause, avec cette intégration, Nemanja, mais aussi son frère, prennent tous deux la nationalité slovaque et se déclarent prêts à porter le maillot de la Repre. Malheureusement pour les Slovaques, Nemanja Matić ne portera jamais le maillot de la sélection en raison des règlements de la FIFA obligeant un naturalisé à vivre dans le pays pendant au moins cinq ans.
« À l’époque, nous avons hésité. Les Serbes étaient plus habiles. Ils ont découvert qu’il y avait un joueur avec un grand potentiel dans la ville de Košice et ont réagi rapidement. Dommage, je pouvais maintenant m’imaginer avec un milieu composé de Hamšík, Matić et Kucka. Ce serait l’un des meilleurs trios d’Europe. » termine l’âme en peine l’actuel sélectionneur slovaque.
Un homme de cœur
Cependant, là n’est pas le plus important. De sa nationalité ou de son choix de sélection une seule vérité existe : la Save rejoint le Danube ; Serbes et Slovaques n’en ont cure de sa sélection et continuent de s’accorder sur un point, un seul, le plus important : Nemanja Matić est l’un des leurs. Un homme du peuple, et ce qu’il soit serbe ou slovaque. Un homme de coeur qui n’a jamais oublié ceux qui lui ont tendu la main, une ou mille fois. Un homme qui n’a jamais oublié d’où il venait, de ses racines natales à sa terre d’accueil.
« Il a pris soin de nous d’une manière fantastique. Il a confirmé qu’il était un bon garçon. » disait de lui Ján Kozák après une visite londonienne ponctuée par une invitation de son prodige serbe à un match de Chelsea, en loges, aux côtés notamment d’Andriy Shevchenko et Jens Lehmann. Une générosité qui s’applique également à son ancien club de Košice.
Pour cause : alors que le club connaît de grandes difficultés financières, Nemanja Matić décide de lui venir en aide en épongeant ses dettes. « C’était un geste rare de Nemanja. Il a confirmé qu’il avait un grand cœur, nous l’apprécions réellement. » déclarait à cet instant Blažej Podolák, président du conseil d’administration du club. Un geste naturel pour le joueur qui rappelait que « dans un passé récent, Košice a fait beaucoup pour moi, maintenant je peux faire quelque chose pour eux. »
Un don altruiste que le joueur met également au service de sa Serbie natale, et plus particulièrement de son village d’enfance, Vrelo. C’est ainsi que les 1 600 âmes de ce village de l’ouest de la Serbie voient souvent revenir à eux le milieu de terrain de Manchester United. Avec, à chacun de ses retours sur les traces de son enfance, le même rituel.
« La première chose que Nemanja fait quand il arrive ici est de visiter le magasin local où il demande la liste des dettes de la population locale qui n’achète que des produits de base, et il paie pour tout et pour tout le monde. » explique une vendeuse du village, repris par Bosko Saric, directeur de l’école de Vrelo. « Nemanja a financé le terrain de jeux pour les enfants et dit qu’il continuera en été. Il prévoit d’apporter des paniers de basket, des buts et des ballons, ainsi que de l’équipement sportif. » De belles actions qui retracent finalement le parcours de jeunesse du joueur, de village en village, de ville en ville et de club en club.
Si un jour vous vous rendez dans la petite ville d’Ub, où le joueur a résidé et joué, ne soyez donc pas étonné de voir une rue arborant le nom du joueur serbe. Un choix naturel fait par la communauté locale tant le joueur s’est, là encore, appliqué à aider financièrement son ancien club de jeunesse, l’historique FK Jedinstvo Ub – qui a vu éclore des joueurs comme Dragan Džajić, Dušan Savić ou encore Radosav Petrović. Un club traditionnel et humain, à l’image de l’un des siens.
Pierre Vuillemot
Image à la une : ATTILA KISBENEDEK / AFP
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